Tumulus, chorégraphie de François Chaignaud, direction musicale de Geoffroy Jourdain

 

 Tumulus, chorégraphie de François Chaignaud, direction musicale de Geoffroy Jourdain

Tumulus ∏(7)

© Christope Raynaud De Lage

«Chanter et danser en même temps est au cœur de ma pratique soliste, dit François Chaignaud. J’ai toujours rêvé de créer une pièce de groupe qui s’appuie sur ces répertoires anciens, confrontés à nos corps actuels.» Il réalise ici, avec le musicologue Geoffroy Jourdain, une étonnante procession rassemblant des interprètes rompus au chant comme à la danse. Pour la première fois, il n’est pas lui-même sur le plateau, comme dans son remarquable Romances Inciertos, un autre Orlando (voir Le Théâtre du blog).

Venu de la salle, un lent cortège avance en silence : treize corps soudés les uns aux autres, dans des costumes volumineux et déstructurés. L’étrange tribu investit la scène où s’élève un tumulus, un de ces monticules herbeux qui, dans les campagnes recèlent d’antiques sépultures. Les artistes se déploient autour et entonnent des polyphonies anciennes et contemporaines, allant de la Renaissance, avec un motet de Josquin Desprez  Qui habitat in adjutorio altissimi (1521) ou des extraits du Requiem (1547) de Jean Richafort, jusqu’au Dies Irae de la Missa pro defunctis (1718) d’Antonio Lotti et ici, interprété pour la première fois en France,  Musik für das Ende (1971) du Québecois Claude Vivier. Les sonorités fluides du latin religieux ou profane alternent avec la légèreté des psaumes anglais de William Byrd : Lullaby my sweet little baby.

Une ronde sans fin s’organise, et, d’un chant à l’autre, les corps s’animent suivant l’humeur de la musique. D’abord funèbre, la procession s’attarde devant le tombeau, puis, quelques danseurs happés par les petites ouvertures qui y sont ménagées, se risquent à l’intérieur et en sortent comme ressuscités. Et la colline s’anime alors, telle une fourmilière, et devient un terrain de jeu pour une farandole célébrant sur des airs plus joyeux, la renaissance des corps… La mort est ici force de consolation et la musique insuffle un élan vital aux mouvements.

Mathieu Lorry-Dupuy a pensé le tumulus comme une machine à jouer, et les costumes de Romain Brau sont faits d’éléments amovibles encombrants, avec lesquels les danseurs peuvent s’emmitoufler ou se dévêtir, comme si leurs corps étaient en permanente mutation. Malgré quelques temps morts entre les phrènes, ce chœur mouvant nous offre une fascinante continuité vocale et gestuelle… Geoffroy Jourdain signe des arrangements en parfaite symbiose avec la chorégraphie en forme de rituel baroque et il se réjouit de faire renaître un patrimoine «qui ressemble autant à un tas de cendres qu’à un feu sacré».

Mireille Davidovici

Le spectacle a été joué du 24 au 27 novembre, à la Grande Halle de la Villette, 211 avenue Jean-Jaurès, Paris (XIX ème ). T. : 01 40 03 75 75. Dans le cadre du Festival d’automne à Paris

Le 30 novembre, Maison de la Culture de Bourges (Cher).

Les 3 et 4 décembre, Malraux-Scène nationale de Chambéry et Savoie et le 17 décembre, Concertgebouw, Bruges (Belgique).

Les 23 et 24 mars, Comédie de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) ; le 28 mars Théâtre Molière-Scène nationale-archipel de Thau, Sète (Hérault) et le 31 mars, Théâtre-Auditorium de Poitiers (Vienne).


Archive pour novembre, 2022

 Deux Amis, texte et mise en scène de Pascal Rambert

 Deux Amis, texte et mise en scène de Pascal Rambert

Une histoire de couple: les prénoms Charles et Stan, ceux de Charles Berling et Stanislas Nordey, n’ont pas été modifiés. Amis à la ville comme à la scène, amoureux et embarqués dans un même projet de théâtre… Monter, jouer Tartuffe, Dom Juan et Le Misanthrope comme Antoine Vitez, mort avant ses soixante ans en 1990, ou comme Molière lui-même, avec deux chaises, une table et un bâton.  Entre les acteurs, les petites failles s’ouvrent dès le choix de la table, à supposer qu’ils aient ce choix : en bois, comme le suggère de loin un certain et dangereux H., en plastique, qu’on a sous la main…  En tout cas, à ne surtout pas changer au moment décisif où l’on passe des répétitions, à la représentation: l’acteur risque d’y perdre tous ses repères spatiaux, tactiles, ses appuis, son jeu…

© Giovanni Cittadini

© Giovanni Cittadini

En attendant, ils font avec. Charles et Stan laissent toute liberté à leurs jeux d’enfants, tendresses brutales, bagarres de cour de récréation. Au point de s’énerver contre le bric-à-brac accumulé en fond de scène. Blague : pour éviter qu’on parle d‘un spectacle « qui ne casse rien » ? Mieux, d’un spectacle « à tout casser » ? Ils se permettent même une rapide scène de cul –pourquoi refuser le mot, puisque nous avons vu la chose, à nu ? »- Et plutôt du côté jeu de gamins, que du trouble.
Mais trouble il y a, comme dans toutes les histoires de couple. Comment se peut-il, qu’à un moment, on ne se connaisse plus ? Que les pensées et les émotions de l’un, deviennent muettes pour l’autre ? Avec le temps, dirait Leo Ferré… Pascal Rambert écrit comme on respire, sur, pour, et avec le théâtre. Deux Amis passe par le dialogue quotidien, bref et nu, la rêverie intime, les grandes envolées de colère, la spirale infernale de la jalousie. Chaque mot dit par le jaloux lui-même creusant profondément le puits dans lequel il se noie… Ce pourrait être une pièce de boulevard mais non, on n’a pas le temps, il y a toujours urgence, l’amour (grande question chez Pascal Rambert ) n’attend pas.

Quoi encore ? Ce nouveau duo, après Clôture de l’amour (Audrey Bonnet et Stanislas Nordey) et Sœurs (Marina Hands et Audrey Bonnet) joue sur le même postulat : l’acteur garde son nom : ce n’est pas un rôle, ce n’est même pas son propre rôle. Avec ce qu’il est mais que nous n’appellerons pas ses outils, il entre de plain pied dans un texte fait pour lui . Et avec ce que sa personnalité, sa relation avec l’auteur, leur amitié, sans doute, lui ont donné. En un mot, l’acteur nourrit l’auteur, et réciproquement , en une belle histoire d‘anthropophagie mutuelle. Il y a bien quelques moments où cela piétine, où il y a trop de mots et où on fatigue, mais c’est à prendre ou à laisser. Et les spectateurs sont déjà embobinés, sauf exception : quelques-uns quittent discrètement la salle.. Et l’on n’en voudra pas à l’auteur d’être malin, et encore moins aux acteurs. Parce qu’ils sont vraiment là tous les deux et tout le temps. On dira que c’est la moindre des choses, encore faut-il que cette exigence soit tenue. Ici, ni triche, ni complaisance, chacun donne son timbre de voix, sa souplesse ou ses maladresses, se respiration avec une totale générosité. Cette histoire d’amour, du théâtre aussi, finit bien : le public applaudit chaleureusement.

Christine Friedel

Théâtre du Rond Point, 2 bis avenue Frankin D. Roosevelt, Paris (VIII ème), jusqu’au 3 décembre. T. : 01 44 95 98 00.

À suivre : trois pièces de Pascal Rambert bientôt à l’affiche :

Du 1 er au 4 février, 3 Annonciations, Chaillot-Théâtre National de la danse .

Du 2 au 18 février, Ranger, avec Jacques Weber.

Et du 7 au 17 février, Perdre son sac, avec Lyna Khoudri, Théâtre des Bouffes du Nord, Paris (X ème).

 

 

 

Chacun meurt pour lui seul, adaptation du roman de Hans Fallada par Fotis Makris, Stella Krouska et Effie Revmata, mise en scène de Fotis Makris

Chacun meurt pour lui seul, adaptation du roman éponyme d’Hans Fallada par Fotis Makris, Stella Krouska et Effie Revmata, mise en scène de Fotis Makris

©x Elise et Otto Hampel

©x Elise et Otto Hampel

Le pseudonyme : Hans Fallada, celui de l’écrivain allemand Rudolf Wilhelm Adolf Dizen (1893-1947) évoque les personnages d’Hans him Glück dans Jean le Chanceux et du cheval Falada dans La petite  Gardeuse d’oies, les contes des frères Grimm.
Ce roman Chacun meurt pour lui seul, publié en 1947 évoque la résistance allemande au Troisième Reich et les conditions de survie pendant la seconde guerre mondiale. Fondé sur l’histoire réelle d’Otto Hampel, exécuté le 8 avril 43 à la prison de Plötzensee pour actes de résistance. et d’
A
nna, elle, semble avoir été oubliée par les autorités, mourra au cours d’un bombardement allié sans avoir appris la mort d’Otto. Après la guerre, leur dossier à la Gestapo a été transmis à Hans Fallada. Ces ouvriers ont, en plus de deux ans, auront écrit et mis un peu partout dans Berlin, quelque deux cent tracts et cartes appelant à la résistance contre le régime hitlérien. Avec réalisme, Hans Fellada dénonce le Troisième Reich, les bassesses de la nature humaine quand les Allemands ont été soumis à la peur et à la haine et il montre tout le courage de certains qui, pour rester en accord avec leur conscience et mettre à bas le régime, étaient prêts à mourir… Le romancier  raconte la vie de gens ordinaires dans un immeuble à Berlin et, à travers leurs histoires, celle de toute la société.

 

©x

©x

Persécuteurs et persécutés cohabitent, comme Frau Rosenthal, juive, dénoncée et dont le domicile sera pillé par ses voisins, Baldur Persicke, jeune recrue des S.S. qui terrorise sa famille. Ou Otto et Anna Quangel, les protagonistes: lui, contremaître dans une usine de meubles, taiseux, distant et rigoureux, ne semble aimer rien ni personne, hormis sa femme pour laquelle il a de rares paroles et signes d’affection. Elle, membre du Parti nazi, dévouée à son mari et à son fils, Ottochen, envoyé au front. Dans un premier temps, leur confiance envers le régime nous déstabilise mais nous réalisons vite que leur vote pour Hitler a été motivé par des raisons économiques, et non idéologiques. Ensuite Otto et Anna Quangel remettront en cause le Parti et s’interrogent sur leurs aspirations.

Cette adaptation se concentre sur leur histoire dans une série de micro-scènes qui font progresser l’action. L’auteur, en alternant dialogue et récits et en esquisse, avec une vision critique, le portrait de ces opprimants et opprimés. A l’entrée de la salle, les acteurs accueillent le public qui peut voir sur la scène des images de la Résistance. Une belle introduction qui sensibilise le public et le fait méditer sur les atrocités de la guerre. Bon rythme et jeu riche en émotion intense créent le suspense. Fotis Makris souligne l’amertume d’Hans Fallada: solitude devant la mort, vanité des révolutions mais aussi valeur de la vie… Un remarquable spectacle, à ne pas manquer ! 

 Nektarios-Georgios Konstantinidis

 Studio Mavromichali, 134 rue Mavromichali, Athènes, T. : 0030 2106453330.

https://www.youtube.com/watch?v=K_c03okKXZE

Le roman en version non expurgée est publié chez Gallimard Folio.

 

Les Sœurs Papilles, conférence théâtrale de Caroline Senot, Anne-Laure Bonet et Cléo Sénia

Les Sœurs Papilles, Aux Belles Poules, conférence théâtrale de Caroline Senot, Anne-Laure Bonet et Cléo Sénia

IMG_0139

© M Davidovici

 Singulière histoire que celle du 32 rue Blondel. Redécouverte en 2011 sous un coffrage en bois et un faux plafond, la maison close Aux Belles Poules a conservé son décor avec miroirs et mosaïques érotiques d’époque. Elle reprend vie grâce à Caroline Senot, la nouvelle “tenancière », avec spectacles et lectures de textes érotiques…  Un écrin rêvé pour lancer Les Sœurs Papilles d’Anne-Laure Bonet et Cléo Sénia, une comédie musicale écrite par Jean-Marie Sénia, bien connu au théâtre et au cinéma pour ses compositions magistrales. Ces actrices participent aux soirées coquines organisées par Caroline Senot, avec extraits de leur spectacle ou séances d’effeuillage. Ici, elles nous invitent à écouter une conférence sur l’histoire des maisons closes, en prélude à leur spectacle programmé au Lucernaire*.

 « S’il vous plaît de chanter les fleurs, qu’elles poussent au moins rue Blondel, dans un bordel» : Le Pornographe de Georges Brassens nous rappelle qu’à Paris, dans cette rue du quartier bordelier du deuxième arrondissement, florissaient quatre maisons closes. La propriétaire des lieux retrace leur histoire et celle de la prostitution à travers les siècles. Cléo Sénia et Anne-Laure Bonet nous l’illustrent avec d’amusants numéros de cabaret, aimablement chantés et mis en musique.

Jusqu’à trente-deux filles enchaînées à cause de leurs dettes vis-à-vis des tauliers, exerçaient Aux Belles Poules en 1931, selon les registres de police,Elles y vendaient leurs charmes contre des jetons, et jouaient aussi des tableaux vivants érotiques, habillées en soubrettes, nonnes ou écuyères… Certains représentés sur des mosaïques suggestives du 32.

Les maisons de tolérance ont fermé en 1946, par application de la loi Marthe Richard, une ex-prostituée devenue Madame la Vertu et surnommée « la veuve qui clôt ».  Mais elles restent vivantes dans notre imaginaire, et ont inspiré bien des artistes et écrivains, certains morts de la syphilis. Pour autant, cette conférence ne tait pas dans la triste vie des filles de joie, envers d’un décor affriolant et de frous-frous.

Voici une manière originale de lancer un spectacle: les Sœurs Papilles, étonnamment jumelles, nous dévoilent avec grâce et impertinence cet univers ambigu. Une invite à voir leur comédie musicale où, disent-elles, «Nos deux héroïnes traversent maintes péripéties pour s’affranchir… »

 Mireille Davidovici

 Spectacle vu le 23 novembre, Aux Belles Poules, 32 rue Blondel, Paris 2e  T. : 01 40 15 95 66.

* Les Sœurs Papilles, du 7 décembre au 15 janvier, Le Lucernaire, 53 rue Notre-Dame des Champs, Paris 6e . T. : 01 42 22 66 87.

En l’honneur de Barbara 

En l’honneur de Barbara 
 
©x

©x

Il y a juste vint-cinq ans déjà! mourrait Monique Andrée Serf dite Barbara et jeudi dernier, a eu lieu une cérémonie en son honneur au Théâtre Mogador à Paris. Plusieurs de ses chansons sont maintenant des classiques comme Dis-moi quand reviendras-tu,  souvent reprise par entre autres Mouloudji, Julien Clerc, Gérard Depardieu …Nantes,  Gottïngen, La Dame brune, L’Aigle noir, Marienbad, Ma plus belle histoire damour. En 48, elle avait débuté à Mogador…  dans le chœur de Violettes impériales, une opérette de Vincent Scotto, quand Henri Varna en était le directeur. Elle avait dix-huit ans et y était revenue pour un récital en 90. 

Ce théâtre (1.600 places! l’un des plus grands de Paris) a toute une histoire… Bâti en 1919 par sir Alfred Butt pour Régine Flory, une danseuse de revue,  il fut inauguré en présence du futur président Franklin Delano Roosevelt. Mogador s’est spécialisé vers les années trente dans les revues et opérettes: entre autres Ça, c’est Paris avec Mistinguett.
En 83, le jeune Jacques Weber y a joué Cyrano de Bergerac, mise en scène de Jérôme Savary et Mogador accueillera à cette époque surtout de nombreux concerts. Et depuis 2.000, des comédies musicales à grand spectacle. 

Dans deux vitrines du grand Foyer, on peut voir quelques notes écrites, de nombreuses photos de Barbara émouvantes à Mogador, avec, entre autres, dans le public au premier rang Guy Béart, un tailleur-pantalon noir sur un mannequin et aussi sa paire d’escarpins avec petite bride réhaussée d’un brillant. Et une revue de presse sur son récital ici. De petites choses mais singulièrement émouvantes… 

Grâce à Barbara, le Théâtre Mogador a été inscrit au titre des monuments historiques. A cette cérémonie, Laurent Bentata, son directeur actuel a dévoilé une plaque commémorative. Frédéric Longbois, chanteur d’opéra et acteur, qu’on avait notamment  pu voir en 2009  dans L4etoile d’Emmanuel Chabrier mise en scène de Jérôme Savary, a chanté au piano avec ensuite Roland Romanelli, l’accompagnateur à l’accordéon et piano de la chanteuse. Etaient là aussi Bernard Serf, le neveu de Barbara, Mine Barral Vergez, son habilleuse, Delphine Bürkli, la maire du IX ème arrondissement de Paris.
Barbara, fait rare dans la chanson française, reste bientôt presque cent ans après sa naissance, heureusement bien vivante chez les jeunes gens comme Jacques Brel et Serge Gainsbourg nés en mme temps qu’elle et son voisin Brassens … Une allée dans le XVIIème à Paris porte le nom de Barbara , comme l’avant dernière station récemment ouverte de la ligne 4 du métro, la dernière de la ligne ayant été appelée Lucie Aubrac, la grand Résistante..

 Philippe du Vignal
 
Théâtre Mogador, 25 rue de Mogador, Paris (IX ème) le 24 novembre. T. : 01.53.33.45.30
 
 
 

Le parcours d’Art moderne d’Hector Obalk

Le parcours d’Art moderne d’Hector Obalk

©x

©x

Cette fois, après une conférence sur l’art classique* (voir Le Théâtre du Blog), il ouvre le feu avec l’Impressionnisme. Edgar Degas né en 1834 et Claude Monet né six ans plus tard et dont le musée d’Orsay possède quatre-vingts toiles. Mais aussi Paul Cézanne un an après. Edouard Vuillard (né en 1868 et mort en 1942 comme Pierre Bonnard. Et pour le post-impressionnisme : Vincent Van Gogh, Paul Gauguin, Georges Seurat et Pierre Bonnard à qui Jean Moulin acheta des toiles pour sa galerie à Nice en 1942, donc  juste avant un an avant sa mort tragique. Aimé Maeght, directeur de galerie et de la Fondation qui porte son nom, nous en parlait souvent et une vieille dame nous racontait qu’enfant, elle avait connu Claude Monet. Notre famille  employait pendant la dernière guerre à Aix-en Provence, celui qui fut le cocher… de Paul Cézanne. C’est dire que ces courants d’avant-garde ont été vite connus en France, comme aussi à l’étranger. Avec des œuvres reproduites à des milliers d’exemplaires…  Et de ces six peintres, Hector Obalk parle avec passion. Pierre Bonnard qui fut un travailleur infatigable et avait un sens fabuleux de la profondeur, avec des cadrages inédits à l’époque : plongées, contre-plongées, personnages qu’on peut voir en partie seulement. Et Hector Obalk  analyse avec amour La Pie, une peinture à l’huile de petit format réalisée par Claude Monet à Etretat en Normandie à l’hiver 1868-69. C’est un paysage d’hiver enneigé avec une barrière où s’est posée une pie noire, un toit de maison sous un ciel nuageux.

©x

©x

Et il montre très bien, avec de merveilleux gros plans, les nuances de blanc de la neige avec un ocre très léger dans le fond, là où pointe le soleil mais aussi le gris bleuté du toit. Au passage, notre homme règle ses comptes à Pieter Bruegel quand il représente en plongée le manteau de neige sur les toits d’un village. Assez injustement, puisque cette neige est au lointain, et non comme ici en plan rapproché dans un large cadre… et à hauteur des yeux… Mais notre conférencier sait bien mettre en valeur les verticales des arbres couverts de givre et l’horizontalité de la barrière et des maisons. Une audace graphique mal acceptée à l’époque, puisque cette toile fut refusée au salon de 1879!

Puis Hector Obalk passe aux Fauves et  à l’expressionnisme avec entre autres, les œuvres de Picasso période bleue et rose puis expressionniste et il en explique très bien le parcours. Notamment avec une analyse du Baiser (1931) . « Comme il y a deux enfants ici, ma fille me dit dans un texto d’y aller mollo. C’est un schéma traditionnel des années trente quand  il n’y avait encore ni féminisme ou néo-féminisme. Et aujourd’hui, un homme, c’est plus proche d’une femme. » Hector Obalk essaye de s’y retrouver dans cet entremêlement de corps en montrant les deux luettes qui sortent. « A l’époque, c’est très différent : la femme a les yeux fermés et quand elle embrasse quelqu’un, elle est déjà la-haut et l’homme : « hohohooooo… Je veux bien que là, ce soit l’homme et là, la femme. Mais alors pourquoi les seins sont-ils si loin? Impossible de s’y retrouver, premièrement, ils s’enlacent, deuxièmement ils s’entrelacent, troisièmement, ils s’enjambent… Et quand ils s’enjambent, on ne comprend plus rien. »

©x

©x

Mais il défend le tableau. « Cela ne va pas être facile mais je m’explique : c’est ce qu’on peut avoir dans la tête quand on s’imagine faire l’amour à quelqu’un. » Brillant, pas toujours convaincant mais souvent plein d’humour, même s’il en fait parfois trop. Comme disait le grand Jérôme Savary, mieux vaut un acteur qui en fait beaucoup, qu’un autre qui n’en fait pas assez. Et seul devant plus de six cent personnes, même avec un micro, c’est une belle performance surtout dans cet ancien cinéma qui n’a rien de chaleureux. Quant à Henri Matisse, il en parle assez vite, ce ne doit pas être un de ses peintres préférés…

Entre chaque chapitre, bien vu, un intermède musical avec violoniste et violoncelliste, histoire d’aérer ce flot d’images qu’Hector Obalk maîtrise de façon exceptionnelle, grâce à un assistant qui, à son ordinateur, pilote et rend visibles tel ou tel grossissement qu’il lui demande. Souvent magistrale -parfois un peu racoleuse mais qu’importe- cette leçon d’histoire de l’art, nombre d’étudiants en rêveraient! En quelque soixante-dix ans, on est passé de la médiocre diapo en noir et blanc, puis en mauvaises couleurs mais  projetée sur un mur, puis en couleurs de plus en plus fidèles et sur un écran correct. Et enfin, comme ici, jusqu’à ce écran de quelque trente m2 où Hector Obalk peut faire des gros plans ou comparer plusieurs tableaux.

©x

©x S.Dali

Il va continuer cette promenade avec un chapitre un peu fourre-tout : Douanier Rousseau, Chirico, Magritte, Munch, Dali, jusqu’à Warhol soit un grand écart côté historique, puisque le premier est né en 1844 et le dernier, en 1928… Hector Olbak explique très bien le travail de Picasso et ce qu’est le meilleur et le moins bon chez Salvador Dali. Il n’aime guère non plus Chirico et il voit beaucoup de facilité dans ses toiles. Quant à Magritte, il explique, très bien et avec raison, que ce n’est pas vraiment de la peinture mais de l’illustration avec juste une idée comme ce lampadaire allumé en plein jour.

©x

©x

Il admire les paysages du jeune Piet Mondrian influencé par les Fauves avant 1900 avec de magnifiques clairs-obscurs et lumières dans les branches dont L’Arbre rouge (1908) et il apprécie la période suivante quand le peintre travaille avec des couleurs pures: rouge, jaune et bleu délimitées par des lignes noires sur fond blanc… Comme cette petite huile Composition en rouge, jaune, bleu et noir (1921). En quelque sorte, une marque de fabrique… reconnaissable entre toutes.  Mais il apprécie beaucoup moins, et là aussi avec raison, les toiles que Piet Mondrian a peintes quand il séjournait à New York. Même leit-motivs graphiques mais expression des formes et couleurs réduite et répétée, comme si la foi n’était plus là. Et il comparera le Miro des débuts avec des paysages assez fous, à celui tardif  avec une peinture non figurative mais plus conventionnelle. Et ce qu’on aime en plus chez Victor Obalk:  sa franchise et son honnêteté…

©x

©x

Au chapitre V consacré aux réalistes, il fait redécouvrir -tous styles confondus- des peintres  comme Manet, Schad mais aussi un peintre américain Andrew Wieth (1917-2009) dont on connait généralement un beau tableau Christina’s World, avec une jeune femme handicapée allongée dans un pré et, à l’horizon, une maison. Hector Obalk nous parle aussi d’un artiste contemporain François Boisrond. Avec cette fois; une rue de Rivoli à Paris où la vue sur la Tour Saint-Jacques est masquée par une « sucette » avec une pub pour lingerie Une œuvre… qu’il aime tout particulièrement…Mais là,  il est moins convaincant.
Deux heures plus tard, Victor Obalk sort de scène fatigué (on le comprend, il joue deux fois de suite et c’est une performance où il faut faire preuve à la fois de solides compétences mais aussi de pédagogie et d’humour). Très applaudi, il est visiblement heureux d’avoir su faire partager sa passion pour l’art, à un large public de connaisseurs ou non. Et d’âge très différent. Chapeau! Nous aimerions bien qu’il s’attaque un jour aux courants de l’art le plus contemporain, avec la même rigueur de pensée et le même humour et qu’il trie le bon grain, de l’ivraie. Vu son expérience et sa connaissance du milieu, cela serait sans doute formidable et viendra peut-être…

Philippe du Vignal

Le 28 nov, à 18h 30 et 21 h. Et le 12 décembre, à 18 h 30 et 21 h, au Treizième Art, Centre commercial Italie Deux, place d’Italie, Paris (XIII ème). Réservation sur grand-art.online, onglet Spectacles.

*Au Théâtre de l’Atelier, Paris (XVIIIème), à certaines dates en novembre, décembre et janvier.

La Morsure de l’âne de Nathalie Papin, mise en scène d’Émilie Le Roux

LA-MORSURE-DE-LANE-c-einesichtweise-6-scaled

©-einesichtweise


Sur un plateau tournant, dans le clair-obscur, Paco et Noïké se croisent et s’esquivent, silhouettes évanescentes. «Ça va durer longtemps, cette mort?, demande Paco. «Ça dépend de vous » répond Noïké, sa première rencontre dans le monde étrange où il vient d’être  précipité. Elle, est là depuis longtemps : «Je déambule dans la vie, dans la mort. Je m’y promène. J’adore ça… » Nous comprenons vite  que Paco erre dans un pays mystérieux où un âne philosophe lui sert de guide.  Passeur des enfers, il montre la voie entre l’au-delà ou l’en-deça. Dans cet entre-deux, son fils Uriel lui apparaît et annonce qu’il n’a plus besoin de lui, et une petite fille « pas encore née »  lui demande d’être son père. Il dialogue aussi avec la Mort et une suicidée qui a « raté son coup ». Il s’avère que t que  Paco (Julien Anselmino)est dans le coma à la suite d’un anévrisme, quand il dialogue avec son corps (Najib Oudghiri) resté à l’hôpital …

«Nathalie Papin, dit Emilie Leroux, invente des mondes et fait de l’intériorité de Paco, un ailleurs à explorer où l’âne n’en finit pas de nous promener.  La scénographie dépouillée de Stéphanie Mathieu permet aux comédiens, par des jeux de lumières, de surgir ou s’effacer, selon les lignes de fuite tracées à partir de la tournette. Effet renforcé par les vidéos fantomatiques de Pierre Reynard où des enfants virtuels parlent lèvres closes. Les corps semblent ainsi flotter dans des limbes sans limites.

Dans une mise en scène fantasmagorique, l’âne (Dominique Laidet) est personnifié par une tête d’équidé très réaliste à la mâchoire articulée. Tel un croque-mort, il s’assure en mordant que le comateux ressent la douleur, c’est-à-dire qu’il est encore en vie.  La composition musicale minimaliste, avec les violons de Théo Ceccaldi, le violoncelle de Valentin Ceccaldi, le piano préparé et l’univers percussif de Roberto Negro, souligne discrètement l’étrangeté de la pièce.  Rien de macabre dans cette pièce destinée au jeune public : Martine Maximin joue une suicidée pleine de santé et d’optimisme, Lou Martin-Fernet est une camarde joyeuse malgré sa tête de mort. Et tout est bien qui finit bien.

Le spectacle réalisé avec soin et d’une grande tenue esthétique, aborde la question de la mort, en ouvrant aux enfants les portes de l’imaginaire et philosophant avec humour sur un sujet que notre société a rendu tabou. « Je voulais écrire cette pièce en souriant, écrit Nathalie Papin, de ces sourires légers qui, l’air de rien, sont capables d’encourager au passage délicat. Une sorte d’espièglerie qui annonce les réconciliations.»  Les jeunes spectateurs ont ressenti cette légèreté et ont vu toutes les nuances de l’écriture sensible de l’autrice. À voir sans hésiter. 

Mireille Davidovici

Du 22 au 26 novembre, Théâtre de la Ville-Les Abbesses, 31 rue de Abbesses, Paris (XVIll ème). T. : 01 42 74 22 77.

Le 2 février, Théâtre des Bergeries, Noisy-le-sec (Seine-Saint-Denis).

Le 2 juin, Théâtre Croisette, Cannes (Alpes-Maritimes).

 

 

Filumena Marturano d’Eduardo de Filippo, traduction d’Irène Bozopoulou, mise en scène d’Odysseas Papaspiliopoulos 

Filumena Marturano d’Eduardo de Filippo, traduction d’Irène Bozopoulou, mise en scène d’Odysseas Papaspiliopoulos 

Cet acteur mais aussi dramaturge, réalisateur et scénariste italien (1900-1984) a représenté la tradition du grand théâtre populaire et a été aussi un guide. On a vu en lui un acteur de génie mais aussi un poète écrivant ses pièces en dialecte napolitain: « Je crois, disait-il, que le langage théâtral doit s’adapter au type de dramaturgie. Il y a la comédie, le drame, la tragédie, la farce, le genre grotesque, la satire. On peut utiliser de nombreux langages qui appartiennent à la langue parlée, à la langue usuelle. » Il a été considéré comme un successeur de Pirandello mais aussi  apprécié comme député et homme politique. 

©ElinaGiounanli

©Elina Giounanli

Dans cette célèbre comédie créée en 1946 et jouée dans le monde entier, Filumena «la Napolitaine», mère de trois enfants était autrefois, très amoureuse de Domenico Soriano, un invétéré coureur de jupons qui l’a abandonnée. Profondément blessée, Filumena a lutté avec courage pour élever ses trois enfants et ne s’est jamais résignée. Aujourd’hui, elle aime quand même toujours avec passion son Domenico mais décide de se venger et lui avoue qu’il est le père d’un de ses enfants. Sans lui révéler lequel…
Il va donc se comporter comme un père avec les trois, ce qu’elle voulait… Filumena Marturano parle déjà des revendications féminines et le célèbre auteur y dénonce la condition des femmes pauvres à Naples…
Une pièce cruelle malgré une belle fin avec une famille reconstituée. Mais Domenico et Filumena ont l’un et l’autre perdu ce qu’il y a de meilleur avec les enfants: les voir grandir. Ils sont, nous disent-ils à la fin, des poulains qu’on fait courir et qui prennent le relais des adultes… Eduardo De Filippo est ici fidèle au mythe méridional: celui de la vie continuant à travers les enfants. En 1946, après la longue période noire du fascisme et de la guerre, il lançait sans doute un message d’espoir…

Le metteur en scène approfondit ce texte qui oscille entre comique et dramatique, tout en alternant rythme accéléré ou ralenti. Il accentue les moments comiques avec une gestualité farcesque. Comme dans cette scène de jalousie de Diana et celle où se disputent les trois frères. La lumière faiblit aux moments de dilemme ou grande tension et les comédiens nuancent les mobiles et les arrières-pensées de leurs personnages.
Décor majestueux, remarquables costumes et la dernière scène est d’une immense beauté. Domenico) (Ilias Meletis) déchire les tapisseries du salon,  et apparaît alors une forêt illuminée, un jardin d’Eden. Maria Nafpliotou y excelle en Filumena et nous transmet le message de la pièce: «Les enfants sont des enfants. » Pénélope Markopoulos, elle, sait créer une Rosalia Solimene riche en sentiments, comme les autres comédiens de ce spectacle émouvant. 

Nektarios-Georgios Konstantinidis

Théâtre Dimitris Chorn,  10 rue Amérikis, Athènes. T. : 0030 2103612500.


Discussion avec DS, conception, écriture et mise en scène de Raphaëlle Rousseau

Discussion avec DS, conception, écriture et mise en scène de Raphaëlle Rousseau

Bien sûr, Delphine Seyrig. était une déesse. Surtout au cinéma, chez François Truffaut, Alain Resnais, Jacques Demy, Marguerite Duras… dont elle portait si bien le phrasé particulier. Au théâtre, elle donnait sa voix unique à Harold Pinter, avec Michael Lonsdale, Alain Cuny ou Jean Rochefort Et sous la direction de Claude Régy, elle partagea en 74 La Chevauchée sur le lac de Constance de Peter Handke avec Gérard Depardieu, Jeanne Moreau, Sami Frey, Michael Lonsdale….

©x

©x

La grâce incarnée, à la ville comme à la scène… Elle pouvait en 68 aller à une manifestation d’étudiants en tailleur Chanel blanc à jupe plissée mais sans être ridicule… Elle était là, tout simplement et la jeune foule l’aimait. Parce que, sans chichis, elle militait aussi pour le droit à l’avortement libre et sans danger pour toutes les femmes, y compris les jeunes filles, en offrant son appartement, place des Vosges (à l’époque plus modeste et vieillotte qu’aujourd’hui, mais quand même…) pour des démonstrations de la méthode Karman, (voyez l’encyclopédie.) Et Rembobiner, joué par le collectif Marthe en octobre dernier, retrace cette lutte féministe, menée avec la réalisatrice Carole Roussopoulos et Johanna Wider ( voir Le Théâtre du Blog).

Voilà comment une militante active peut être –ou ne pas être- une «apparition» dans une scène-culte de Baisers volés de François Truffaut avec Antoine Doinel (Jean-Pierre Léaud), le commis de son mari (Mickaël Lonsdale), la voit en Madame de Mortsauf, la pure héroïne du Lys dans la Vallée d’Honoré de Balzac : «Je ne suis pas une apparition, dit-elle, vous m’avez écrit, et la réponse, c’est moi. » Avec toutes les virgules et légers essoufflements nécessaires.
Raphaëlle Rousseau nous fait monter à la jolie petite salle Christian Bérard, en haut du Théâtre de l’Athénée (peu accessible aux personnes à mobilité réduite). Après un accueil sonore bizarre: un brouhaha de voix à moitié compréhensibles, nous découvrons des autels consacrées à la déesse, avec photos, bougies, encens et quelques effigies en contreplaqué grandeur nature.
La comédienne nous fait patienter avec un prologue à lire sur écran. Enfin elle entre en scène, s’excusant presque d’être là, exagérant sa patauderie, face à ce fantôme qui incarne la grâce. Puis Raphaëlle Rousseau entre dans cette Discussion avec DS, accompagnée d’interviews, chansons, paroles de DS, toujours la première à se désacraliser. C’est parfois drôle, souvent touchant, avec un brin d’agressivité et quelques clins d’œil, dispensables, au public.

L’actrice ne s’est pas facilité les choses en encombrant la scène d’objets, avec en plus, une caisse pour les tournées format cercueil. Comment trouvera-t-elle sa gestuelle? Saura-t-elle créer la magie et incarner la fée Delphine en robe du soir sophistiquée ? Non, le miracle rêvé ne peut avoir lieu, nous le savons et elle le sait. L’important, c’est d’aimer et Raphaëlle Rousseau aime et accompagne sa déesse Delphine Seyrig dans la fumée des cigarettes qui l’a finalement emportée. La jeune actrice a sans doute été un peu intimidée par son projet mais elle y est allée quand même.
Quand même… La devise de Sarah Bernhardt ! Allons, n’ayons pas peur des étoiles….

Christine Friedel

Spectacle vu au Théâtre de l’Athénée, 2-4 Square Louis Jouvet, Paris (VIII ème), dans le cadre du programme Jeune Création Prémisses.

A la Marge (『外の道』作・演出 前川知大 ), texte et mise en scène de Tomohiro Maekawa

 

Festival d’automne:

A la Marge (『外の道』作・演出 前川知大 ),  texte et mise en scène de Tomohiro Maekawa

 Dans la grande salle d’un café, juste éclairée au fond par une grande baie vitrée dispensant une faible lumière jaunâtre, résonne un bourdonnement lointain. Entrent un à un,  par une curieuse porte en oblique dans d’un coin, six hommes et trois femmes. Parmi eux, Teradomari et Mei, des camarades de classe qui ne se sont pas vus depuis vingt ans. Ils découvrent qu’ils vivent dans la même ville

©x

©x

Et ils se mettent à parler de leur vie de couple. Teradomari, dit-il, a rencontré une sorte de magicien qui a changé sa vision du monde. Capable de faire sortir d’un œuf cru, un petit papier avec le même numéro exact d’un billet de banque, par définition unique et posé à côté de lui. Pas nouveau, nous dit notre camarade Sébastien Bazou, grand spécialiste de magie au Théâtre du Blog, un magicien Bartolomeo Bosco (1793-1863) allait au marché acheter des œufs, les cassait devant la foule ébahies et en sortait une pièce d’or. Ce tour modifie profondément la perception qu’il a du monde et se répercute sur le travail de Teradomari,  qui sera licencié…

Mei, elle aussi, a vu sa vie changée quand elle a reçu une boîte en carton avec, écrit dessus le mot : néant. Et ce «néant » sorti du carton, a pris la forme d’une nappe d’obscurité qui a envahi sa vie. Elle aura un fils qui naîtra de cette obscurité. Pour Mei comme pour Teradomari, avec ces événements, le monde a perdu toute cohérence et leur vie au quotidien s’est compliquée. Mais, malgré des phrases qui les choquent chez l’un comme chez l’autre, ils  se parlent amicalement et échangent même des confidences sur leur vie respective. Et les autres clients du café se révèlent avoir  être proches, voire même très très proches…
Réalité? Imagination? Il y ici un climat des plus curieux, avec, en filigrane, une angoisse existentielle, à mesure qu’une sorte de crépuscule inquiétant envahit le café. A la fin, une mystérieuse boule noire envahit la verrière du fond et par deux fois, nous sommes plongés dans une totale obscurité. Les protagonistes continuant à se parler…
C’est toujours impressionnant au théâtre, surtout quand la salle est presque comble. Une scène de cette pièce que l’auteur a voulu «comme davantage philosophique, voire métaphysique, que ses précédentes pièces ». (…) «Je suis persuadé que nous devons apprendre à ne pas comprendre. » (…) Je m’inscris dans la tradition boudhiste, je ne pense pas que ce qui existe, ait plus de valeur que ce qui n’existe pas. Au contraire, pour moi, la vacuité est comme un point zéro où tout devient possible, à commencer par la création d’un monde nouveau. »

La mise en scène de Tomohiro Maekawa est au cordeau et ses acteurs qui ne sortiront jamais de ce huis-clos pendant deux heures, ont une gestuelle comparable à celle des interprètes du nô. Lenteur dans les déplacements,  extrême concentration et rigueur, même quand ils ne jouent pas, ce qui donne souvent un côté hiératique (voire un peu figé!) mais l’ensemble servi par une scénographie de Kenichi Toki est au diapason, et d’une rare beauté.
En plein accord avec ce dialogue teinté d’absurde où la notion d’instant présent -visiblement cher à Tomiro Maekawa- définit aussi notre existence menacée par ce bruit dans le ciel et sur laquelle les personnages réfléchissent tout au long de la pièce.Tout n’est pas d’une clarté limpide, notamment quand les clients du café entrent dans la vie de Mei et Teradomari et mieux vaut donc  être attentif  puisqu’il faut aussi suivre le surtitrage (très réussi!).
Mais bon, cette plongée dans le travail de cet auteur japonais ne se refuse pas. Attention comme le dit l’auteur : «J’ai vraiment senti que je ne devais pas raconter une histoire simple. On ne doit pas aller vers la facilité, en particulier dans le milieu du théâtre. En cette période d’incertitude, nous devons avancer tout en continuant de penser par nous-mêmes (en gardant si possible notre sens de l’humour). »
Vous voilà prévenus, il y a du Beckett dans l’air et n’y emmenez pas votre vieille cousine qui aime tant Feydeau, mais ce spectacle  mérite largement d’être vu par nos amis japonais comme par les Français un peu curieux.

Philippe du Vignal

Attention, seulement jusqu’au samedi 26 novembre, Maison de la Culture du Japon, 101 bis quai Jacques Chirac, Paris (VII ème) : T. : 01 44 37 95 95.

 A voir aussi à la M.C.J., l’exposition Un Bestiaire japonais jusqu’au 21 janvier. Et celle consacrée au petit design, du 29 novembre, au 14 janvier.

12345

DAROU L ISLAM |
ENSEMBLE ET DROIT |
Faut-il considérer internet... |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Le blogue a Voliere
| Cévennes : Chantiers 2013
| Centenaire de l'Ecole Privé...