(La)Horde

We should have never walked on the moon  par la compagnie (La) Horde


Le titre de cette exposition performative est une phrase énigmatique et poétique qu’on attribue au danseur de claquettes, chanteur et chorégraphe Gene Kelly. Conserver la sentence en anglais sans doute pour faire plus authentique ou, probablement, plus universel… Cet apophtegme exprime moins le regret d’un rêve vieux comme le monde, annoncé par Jules Verne dans De la Terre à la Lune ou par Hergé dans On a marché sur la Lune et atteint en 1969 par des astronautes américains, que la vanité de vouloir à tout prix réaliser un fantasme.

 De Marius Petipa à Bejamin Millepied: ce  «petit pas» pour un homme, comme disait Neil Armstrong, en appelle d’autres : «des performances, installations et projections, (…) des corps vus, sentis, dansés, filmés, joués, mus, désirés ou violentés ». Le collectif (La) Horde : Marine Brutti, Jonathan Debrouwer et Arthur Harel voulant, ni plus ni moins, faire «entrer en collision l’esthétique des coulisses et la critique institutionnelle, le cube blanc et la salle obscure, la comédie musicale et l’émeute. » Vaste programme !

 Des visites guidées du Palais de Chaillot ou celui de Tokyo conçus, comme la tour Eiffel et l’art de Terpsichore, pour être éphémères, nous en avons connu d’autres. Ce qui nous permit de découvrir à Iéna, dans les années 90, la petite salle de cinéma arts déco qui servit à l’occasion de l’Exposition universelle de 1937. Luis Buñuel y programma des films en faveur des Républicains espagnols. La salle avait été conservée dans son jus avec fauteuils d’époque sentant le moisi mais a sans doute été rénovée depuis. Plus récemment, deux actrices nous firent faire une visite commentée des coulisses et sous-sols de Chaillot…

Des Tableaux d’une exposition de Moussorgski changeant la peinture en musique, on est progressivement arrivé à la « performance », art se passant d’objet ou c’est tout comme. Un mot anglais dérivé de l’ancien français: parformer, puis utilisé dans les milieux du turf, du sport et du théâtre. Victor Hugo l’emploie en ce sens dans L’Homme qui rit. Et très en vogue dans les années soixante et au delà…
Daniel Charles en a établi le corpus, à partir d’exemples pris dans les arts plastiques, interventions hors scène dans des galeries, musées ou de non-lieux, surtout à base d’actes (mot du vocabulaire de l’art dramatique). Enrichie par le verbe, parfois confondue avec la connotation linguistique du: «quand dire, c’est faire» de John Langshaw Austin, la performance remonte au cabaret à prétention artistique, décrit par Lionel Richard et aux mouvements des Zutistes et Fumistes chers à Alphonse Allais, à la Société des Joyeux, à celle des Hydropathes mais aussi aux spectacles du cabaret du Chat noir de Rodolphe Salis.

© N. Villodre

© N. Villodre

Les mouvements d’avant-garde ont apporté leur grain de sel avec les Serate futuristes, pièces Dada du Cabaret Voltaire, la poésie phonétique ou Zaoum d’Iliazd, les trouvailles surréalistes, le cinéma élargi et la danse discrépante lettristes, l’actionnisme viennois, les provocations d’une Valie Export, les « events » du mouvement  Fluxus et les happenings d’Allan Kaprow, l’Open Theatre de Joe Chaikin, et le Living Theatre de Judith Malina et Julian Beck, etc.
Cette «exposition performative» de (La)Horde est une rétrospective d’un travail amorcé par le trio depuis dix ans, avec morceaux choisis présentés sur des supports différents, fixes ou en mouvement, diffusés en boucle, occupant le terrain mis à disposition par, qu’on le veuille ou non, l’institution.

D’entrée de jeu, le public descend, au lieu de monter, le tapis rouge, les marches du grand escalier étant recouvertes d’un tapis cramoisi, un peu cramé sur les bords, une œuvre qui a pour titre Burning Stairs (2022). À peine arrivés, nous sommes attirés par Cascade Belmondo (2022)  une action avec un personnage roulant sur les marches, rattrapé par une patrouille de (faux) videurs évacuant manu militari, le resquilleur.
En bas, dans le hall, une inscription manuelle en tubes fluo comme chez Dan Flavin, le sculpteur  américain décédé la même année que Gene Kelly, nous est rappelé le titre de la soirée et le but de notre déplacement.

Au centre du Grand Foyer, lieu généralement réservé aux conférences de presse, aux animations… et activités limonadières, trône une limousine noire échappée d’un cartoon de Tex Avery ou d’un mariage chinois à Belleville. Graffitée d’un simple slogan en novlangue : We the people, comme le fut la Rolls de Serge Gainsbourg. Rappelant la Cadillac surréaliste de Salvador Dalí ou ce Taxi pluvieux (1938) vu jadis au musée de Figueras. La pluie arrosant l’intérieur de la voiture sert ici, par intermittence, de deuxième écran à une vidéo de (La) Horde projetée salle Jean Vilar.
La « perf » autour de la bagnole Demain est annulé (2019) a, pour interprètes muets, des acteurs, danseurs ou top-models, tous pris par leur rôle et une simple tâche à accomplir. Le reste étant un florilège du répertoire de déjà vu ailleurs, au Châtelet ou chez à l’Espace Cardin-Théâtre de la Ville.

Nicolas Villodre

Un autre son de cloche

On a aussi pu voir  Lazarus, chorégraphié par Oana Doherty : onze danseurs et danseuses en costumes blancs, devant le film qui implorent, capitulent, accusent ou se défendent, sur une musique religieuse compassée. Un moment d’accalmie dans l’agitation ambiante. Dans la salle Firmin Gémier, trois pièces courtes sont jouées dans une scénographie tri-frontale. Low Rider: un danseur et une danseuse, agrippés à une carcasse de voiture télécommandée, vont chevaucher ce véhicule qui monte, descend et oscille sur ses roues…. Dix minutes d’assauts amoureux et d’exercices d’équilibre sur la monture qui se cabre, échappée d’un cimetière de voiture. Au loin, des chiens aboient…
Dans Weather is sweet (Le Temps est doux). Sur un terrain vague, évoluent trois couples changeant de partenaires, avec pas de deux érotiques, parfois violents : les corps se balancent, sollicitant le bassin et les hanches avec des mouvements de danse urbaine comme le « twerk ». Les interprètes multiplient les grands écarts et se frottent sensuellement les uns aux autres sur un plateau dépouillé.  Cette pièce maison, très bien réglée, a été longuement applaudie par le public.

Concerto, une reprise d’une chorégraphiecde Lucinda Childs sur un musique du Concerto for harpsichord and strings d’Henryk Górecki. Rigueur des neuf interprètes vêtus de noir dans les combinatoires géométriques et ruptures de rythme chers à l’artiste américaine: (La) Horde excelle aussi dans le minimalisme….Et au pied du grand escalier, Grime Ballet (Danser parce qu’on ne peut pas parler aux animaux), une chorégraphie de Cécilia Bengolea et François Chaignaud. Sur un genre musical anglais des années 2000 influencé par les musiques urbaines électroniques et le hip hop, les auteurs ont imaginé une courte pièce sophistiquée pour trois danseurs et une danseuse. Sur pointes dans des tenues « funky, » ils alternent ou mélangent gestuelles de danses classique et urbaine. Avec ce mixage inhabituel, la pièce questionne aussi le genre.

Un ensemble qui peut sembler chaotique… Mais un large public découvre une troupe qui « interroge la portée politique de la danse et cartographie les formes chorégraphiques de soulèvement populaire », des raves, aux danses traditionnelles et au jump-style. Il faut seulement accepter de se laisser dérouter..

Mireille Davidovici

 Jusqu’au 4 novembre, Théâtre National de Chaillot-Danse, 1 place du Trocadéro, Paris (XVI ème).

 


Archive pour 1 novembre, 2022

The Silence, texte et mise en scène de Falk Richter, traduction d’Anne Monfort

The Silence, texte et mise en scène de Falk Richter, traduction d’Anne Monfort

 «Dans notre famille, on n’a jamais parlé de…» C’est l’histoire répétée de la famille petite-bourgeoise européenne, peut-être aujourd’hui encore, dans une société où les mœurs et la parole se seraient libérés. Si ce n’était le coup de fouet en retour qu’on observe un peu partout pour maintenir bien solides les non-dits des pouvoirs.
«Se taire, dit Falk Richter, profite souvent au maintien des structures de pouvoir injustes et corrompues». Les violences intrafamiliales, comme on dit pudiquement, des coups, de l’enfant terrorisé enfermé dans le noir absolu ou jeté contre un mur, se passent dans le silence. Le père frappe, la mère, la sœur, témoins muets (témoins n’a pas de forme au féminin?) voient tout et ne disent rien. Et ça continue à l’extérieur, plus tard.

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Des voyous pas très au clair avec leur propre sexualité tabassent un “pédé“ devant un restaurant : silence. Personnel et clients attendent que la “bagarre“ se termine et négligent d’appeler la police. L’auteur le rappelle : dans le monde du patriarcat, le « droit à l’intégrité physique n’est pas garanti » ni aux femmes, ni aux homosexuels, ou à ceux qui ne sont pas “hétéro-normés“. Les deux premiers tiers de The Silence  sont une magnifique spirale qui revient à chaque tour sur les différents silences qui ont construit la jeunesse du narrateur, du châtiment violent, à l’émerveillement de The Silence, celui de la rencontre amoureuse entre deux garçons.

Cette « spirale de la violence » continue de générations en génération, le père détruit par la guerre, parce qu’il a tué lui-même, parce qu’il a vu les corps de ses camarades voler en éclats ; la mère détruite, parce qu’on ne lui a jamais appris à être femme, à faire l’amour, à aimer autrement que soumise à un homme et dans l’oubli d’elle-même. Et la violence sociale, étroitement imbriquée dans la violence familiale : Falk Richter se réfère à des auteurs comme Didier Éribon, Edouard Louis, Virginie Despentes qui travaillent sur cette plaie.

Ni plainte ni colère, en apparence, le dramaturge donne une ample respiration à ce qui n’est plus le souvenir brut et pas encore une fiction. Il a voulu «écrire sur un mode autobiographique sans rien poétiser, avec le plus de précision et d’honnêteté possible » et « préfère au vrai Falk Richter le personnage fictionnel de Falk que va jouer Stanislas Nordey ». Comédien parfait pour ce texte, il s’en empare avec l’appétit et l’humour qu’il faut, par exemple pour les scènes au téléphone -justement plutôt “téléphonées“- et qui marchent d’autant mieux.

L’acteur a une  longue amitié avec Falk Richter et a partagé le travail avec lui pour Je suis Fassbinder, (2016). Cela lui donne ici toute liberté d’apporter sa part, généreuse, à l’invention en direct de la fiction. À lui, sur scène, de faire craquer les silences. Y compris cette arme familiale et sociale qui consiste à faire un fantôme, d’une personne comme si elle n’existait pas. Il faut mettre au silence ce fils dangereux qui ose écrire et peut donc trahir, révéler des secrets, dont celui de sa propre homosexualité, et briser le silence de l’ordre établi.

À la veille de créer son spectacle, Falk Richter a enregistré sa mère, l’a questionnée sur sa vie à elle, sur son enfance à lui. Nous entendons le poids des non-dits, en un dialogue affectueux frisant parfois le déni : non, ce n’était pas ça du tout, non, je ne me souviens plus. Ce ne sont pas des mensonges mais une couverture: elle et son mari sont persuadés d’avoir exercé cette violence sur l’enfant «pour son bien ». L’auteur a recadré avec intelligence le document vécu dans la fiction pour en faire une source, et non un témoignage dans l’impossible procès de la famille.

Dans la dernière partie,, l’écriture perd de sa fermeté. Les personnages introduits, comme l’agent artistique, le compagnon du Richter-Nordey de fiction apportent un cadre social un peu satirique ; cela a son intérêt mais affaiblit la structure de la pièce. Mais le spectacle lui-même ne perd rien d’un aspect essentiel : sa qualité d’enfance. Le décor lui-même a quelque chose d’enfantin. La maison des parents est comme un jeu de cubes, avec un mur qui parle – où la vidéo de l’entretien avec la mère sont projetées -, un jardin en laine défrisée où le héros (ni l’auteur ni le comédien, ou les deux) vient planter sa tente d’enfant. Dans un coin, le bureau de l’auteur, tel qu’on le représente dans les bandes dessinées classiques : piles de papier, corbeille débordant de brouillons froissés, piles de livres écroulées… Nous entendons aussi après la mort d’un père qui jusqu’à bout n’a pas parlé, n’a jamais fait craquer la carapace, la libération des fantasmes meurtriers de l’enfant.
« L’écriture théâtrale est un espace qui me permet de comprendre ma famille mais aussi d’échapper… ». Elle donne la possibilité de «désapprendre» et défaire la maison où on a été formaté. C.Q.F.D; : la maison est un jeu de cubes et l’enfance sauve l’enfance.
C’est sans doute ce qui importe à Falk Richter : l’inquiétude pour l’avenir, pour une nature fragile et sensible, dont les humains font partie, dite avec la vitalité, la fraternité de Stanislas Nordey. Et on sort dans un état de bonheur paradoxal, si l’on pense à la dureté du sujet. ..

Christine Friedel

Jusqu’au 6 novembre, MC93 à Bobigny (Seine-Saint-Denis) . T.01 41 60 72 72

Spectacle créé au Théâtre National de Strasbourg le premier octobre. Le numéro 5 de la revue Parages, éditée par le T.N.S., est consacré à Falk Richter.

 

 

 

 

La Cascade ouvre un espace d’entraînement

La Cascade ouvre un espace d’entraînement

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© M.D.

Le festival d’Alba-la-Romaine, confié par le département de l’Ardèche aux clowns Les Nouveaux Nez venait d’ouvrir avec Les Colporteurs, La Cascade, Pôle national des Arts du Cirque, à Bourg-Saint-Andéol. Cette petite ville de sept mille habitants a un des rares sites consacrés à Mithra, culte populaire dans la sphère gallo-romaine, importé d’Iran et chassé par le christianisme. Une grande sculpture gravée dans la roche, entre deux résurgences d’une rivière souterraine, représente ce dieu tellurique, sacrifiant un taureau pour la renouveau de la Nature, sous l’égide du soleil et de la lune. Sous ses auspices, de jeunes circassiens, venus en nombre utiliser un nouvel espace d’entraînement, apportent un sang nouveau.

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© M.D.

 Le cirque a élu domicile en 2009 dans un ancien couvent, devenu le pensionnat de garçons Saint-Joseph, fermé neuf ans plus tôt. Avec assez d’espace pour accueillir bureaux et cinquante compagnies en résidence par an.Et une salle de spectacles de cent quatre-vingt places pour sorties de résidence et créations. Enfant du pays, Alain Reynaud a entrainé ses amis clowns, les Nouveaux Nez, réunis à la sortie du Centre national des Arts du Cirque (C.N.A.C.) en 1991 en Ardèche. Ils se sont implantés dans la menuiserie paternelle, contre l’avis de beaucoup de professionnels. « « Ce lieu est un ovni dans le paysage (…) dit Alain Reynaud. Je rêvais d’une maison ouverte, carrefour des arts autour du clown. ».
Depuis, malgré les sceptiques, La Cascade mène des actions sur tout le territoire avec notamment les festivals d’Alba-la-Romaine et des Préalables voir (
Le Théâtre du Blog) , des actions culturelles dans les écoles et les E.P.H.A.D. et une formation de clown. Mais en même temps, elle diffuse hors les murs ses propres créations et celle des résidents.

 Aujourd’hui, on inaugure un équipement construit dans la chapelle désaffectée du collège. Avec un volume et et une hauteur sous plafond permettant l’installation d’agrès, et une luminosité propices à l’entraînement. Les jeunes artistes, encore en formation ou frais émoulus d’écoles de cirque, se sont donné le mot et une quinzaine d’entre eux, sont venus après un chantier qui a duré deux ans. Xavier, porteur, issu de la trente-troisième promotion du C.N.A.C., Valentino, acrobate, de l’école Fratellini… Léna, voltigeuse main-à-main, s’oriente aussi vers la danse et le chant. Manu, en deuxième année du C.N.A.C. profite de ses vacances pour s’entraîner ici à l’accro-danse.

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le chantier © Daniel Michelon

Bastien, venu de l’école de cirque de Bordeaux construit un solo sur un mât chinois de 3 m, en travaillant sur la proximité avec le sol : « Il n’y a pas beaucoup d’endroit où on peut planter un mât. »Mara qui sort de Cadarts, une école de cirque à Rotterdam, est spécialiste de corde lisse et a rejoint le collectif T.B.T.F. (Too Busy to Funk) : vingt artistes installés autour de la Cascade.

«Trente ans de route ont défilé, une histoire humaine et artistique, dit Alain Reynaud, autour du personnage du clown, un lien à la transmission et au quotidien de l’artiste, au territoire et à ses habitants, inspirateurs de toute cette ouverture. »  L’équipe de la Cascade voit plus loin et suscite des rencontres en abritant une chorale, une enseignement de dessin et d’autres ateliers citoyens. Un maillage culturel autour d’un projet artistique exemplaire dans cette France périphérique.

 Mireille Davidovici

Le 28 octobre, La Cascade, 9 avenue Marc Pradelle, Bourg-Saint-Andéol (Ardèche). L’espace d‘entraînement est ouvert du lundi au vendredi.

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