Les Croquis de Nanterre et d’ailleurs, imaginés par Cécile Garcia Fogel avec la Belle Troupe des Amandiers
En prenant la direction du Théâtre des Amandiers, Christophe Rauck souhaitait poursuivre son action pédagogique initiée au Théâtre du Nord à Lille, avec Cécile Garcia Fogel. Il a donc mis sur pied une formation en deux ans, ouverte à des comédiens en voie de professionnalisation: «La Belle Troupe est un lieu de pratique (…), où les jeunes artistes jouent des spectacles, travaillent avec ceux de la programmation sur des stages de quatre à six semaines, et s’essaient à leurs propres travaux. »
Ils ont ainsi participé à des ateliers et à des lectures programmées par le théâtre et présenteront en janvier et février, une forme courte mise en scène par Simon Falguière, une sorte de bande-annonce de son épopée théâtrale Le Nid de cendres (voir Le Théâtre du Blog).
Ces Croquis de Nanterre s’inspirent des très réussis Croquis de voyage des élèves de l’Ecole du Nord qui nous avaient baladés en des lieux insolites (voir Le Théâtre du blog). Cécile Garcia Fogel, convaincue à juste titre que les voyages forment la jeunesse, avait proposé aux élèves de troisième année, cette expérience initiatique, sous le parrainage de Jean-Pierre Thibaudat, homme de théâtre et grand voyageur : « Je les ai aidés à préciser leurs objectifs, dit-il et à leur retour, j’ai donné quelques conseils sur leur textes et leurs réalisations, sans jamais les guider.»
Une moisson sans doute inégale mais qui a attiré un nombreux public. Chez la plupart de ces jeunes acteurs, il y a un beau travail de diction et de voix effectué sous la houlette de leur directrice pédagogique dont nous avions admiré la performance vocale dans Trézène Mélodies de Yannis Ritsos (voir Le Théâtre du blog).
L’atelier des Amandiers est conçu comme un lieu d’apprentissage, de transmission et partage, pour expérimenter, se confronter aux autres, se frotter au théâtre, à la vie. Le contrat: pendant trois semaines, les douze comédiens, partis sans téléphone ni connexion, sont allés dans Nanterre, en Île-de-France ou dans la France rurale.
Bref, un voyage d’initiation façon 2.022 à la rencontre d’inconnus dans les rues et parcs de viles ou villages tout aussi inconnus, à la découverte d’autre chose mais surtout de soi-même. Puis ils ont dévoilé au public, douze ébauches de spectacles courts. Dénominateur commun: quelques lumières et accessoires, une dramaturgie parrainée par Jean-Pierre Thibaudat et une mise en scène basiques mais rigoureuses. Le nombre de spectateurs étant limité à quelques dizaines dans le hall d’accueil, la salle provisoire et celle de répétitions, ou l’extérieur. Le bâtiment principal historique étant fermé au public et faisant pour encore deux ans l’objet d’une rénovation totale.
Philippe du Vignal et Mireille Davidovici
Batania de Gabriel Gozlan-Hagendorf
© Geraldine Aresteanu
Des vêtements épars, un chariot de super-marché renversé: les restes d’un camp de migrants dispersés par la police : la jungle de Calais où le comédien s’est engagé comme bénévole auprès de l’association humanitaire Utopia 56. (batania : couverture, en arabe. Un des mots qu’il a le plus entendu, comme une demande d’accueil. Mais qu’en est-il de la France ; terre d’asile?
Il décrit ces plages brumeuses, ces gens au bord du monde, en attente d’un passage en Angleterre: « Le hurlement des sirènes qui déchirent le froid (…) Ecoute, mon frère le ressac, (…) Regarde les pieds lourds et humides de ceux qui ont échoué… » Un texte lyrique sans excès et un jeu d’acteur qui transcendent le pathos. Une jeune femme lui donne la réplique et raconte l’enfer de son voyage, sa vie volée, son corps violé… dans un dialogue tenu. Batania évite les stéréotypes et révèle une belle intensité d’écriture.
Mireille Davidovici
©Geraldine Aresteanu
L’Hair du temps de Raphaëlle de la Bouillerie
«A vingt six ans, j’ai décidé de mettre un terme à ma capillo-frilosité et mort aux poils ! » A Nanterre, puis dans la Creuse, la jeune femme a visité des salons de coiffure. Transformée par le rasoir, les ciseaux, les colorations, elle s’est filmée, puis a recueilli les paroles de professionnels et s’est initiée à leur vocabulaire. Avec trois de ses camarades emperruquées, elle montre des images des coupes qu’elle a subies et nous présente une plongée tonique hilarante dans le monde du capillaire : une comédie qui décoiffe, même si elle reste pour l’instant à l’état de croquis…
M.D.
Il en faut peu pour être heureux de Lawrence Davis
©Geraldine Aresteanu
Le jeune acteur endosse le personnage du Fou du jeu de tarot, un fou chantant, rimaillant, joyeux. Coiffé d’un abat-jour troqué contre une autre trouvaille, il entraîne le public dans une déambulation autour du chantier du théâtre… Il a exploré Nanterre, rencontré des gens de toute sorte et vécu sans un sou en poche, d’échanges: objet contre nourriture ou autre objet. Il narre son périple en vers chantés. Le voyage du Fou du jeu de tarot, d’arcanes mineures en arcanes majeures, vers Le Monde, carte n° 21 ! A la manière des surréalistes, il trace son chemin au hasard des cartes… Une belle proposition méritant d’être affinée…
M. D.
Le Cœur de l’Algeco de Jules Chagachnanian
© Geraldine Aresteanu
Il a planté sa tente devant le chantier du théâtre en reconstruction, y a vécu trois semaines et rencontré ceux qui y travaillent: de l’ouvrier, au maître d’oeuvre. Il a tenu son journal de bord qu’il nous lit, assis devant sa tente qui est toujours dressée.
Il parle théâtre, urbanisme, ennui, errance. Peaufinant son écriture, il nous livre un texte très élaboré, qu’il a fait imprimer sous le titre : Les Compagnons.Mais pourquoi une simple lecture? On ne voit pas ici de proposition théâtrale.
M.D.
©Geraldine Aresteanu
Le Vélo hollandais de Myrthe Vermeulen
Cela se passe dans le foyer chaleureux du théâtre réalisé par le scénographe Alain Lagarde, juste à côté du bar. Il y a là une jeune femme venue des Pays-Bas et ses parents près d’elle qui ont son âge…Elle raconte comment ils se sont connus et beaucoup aimés à Amsterdam mais aussi comment, malheureusement quand elle avait six ans, sa mère roulant à vélo a été écrasée par un camion. La Police arrive et annonce la chose que bien des gens ont vécue un soir paisible de vacances.
Une histoire simple et poignante, issue d’un fait divers et cette tragédie intime rejoint l’universel.
En à peine vingt minutes, un remarquable condensé de vie et de mort, avec, dans le fond, une inscription sur fond noir à la peinture blanche faite lentement: Beyond…, à mesure que la pièce avance. A partir d’une dramaturgie efficace et d’un bon texte, Myrthe Vermeulen au beau sourire et ses camarades savent discrètement créer l’émotion. Sans aucun doute la plus aboutie et la meilleure des croquis vus ici…
Philippe du Vignal
Manger l’âme Creusede Jeanne Fuchs
© Geraldine Aresteanu
Cela se passe devant une trentaine de spectateurs dans le grand Foyer du théâtre. Soit figurées par deux tables,la cuisine de son amie Martine où Jeanne Fuchs invite le public à la préparation du gâteau de pommes de terre, un plat typique sous diverses formes dans le Berry, le Limousin mais en région napolitaine.. Sur les tables, les ingrédients nécessaires : pommes de terre, farine, beurre, œufs, sel, etc.
L’acte en train de se faire, une vieille idée de performance comme La Construction d’un fauteuil Louis XV, imaginée dans les années soixante-dix par le Polonais Wieslaw Hudon et réalisée en silence par deux véritables tapissiers à partir d’une carcasse en une heure à peine.
Et ici appliquée à la confection d’un plat bien connu en pays . Oui, mais rien n’est vraiment dans l’axe: pommes de terres coupées crues, mélangées vite fait à de la farine et des œufs.. Le tout soi-disant porté ensuite à cuire au bar du théâtre et ressortant quelques minutes plus tard sous forme d’une tourte dans un moule en papier d’alu. Bref, cette performance n’en était pas une du tout. Dommage.
Erreur de tir ! Et rien, une heure après ,n’avait été débarrassé ! Gérer la nourriture -on ose espérer que les restes de cette préparation n’ont pas été mis à la poubelle mais aussi l’espace et le temps jusqu’au bout d’une forme, même très courte, cela s’apprend aussi. Dommage !
Ph. du V.
Frère et sœur d’ Elise de Gaudemaris
© Geraldine Aresteanu
C’est à une sorte d’équation sentimentale à la fois douce et tendre à laquelle la jeune actrice nous convie. Un grand frère et sa petite sœur -dix-sept ans de différence- vont essayer de la résoudre ensemble…
Ils ont trois semaines pour essayer de se connaître mieux. «L’amitié, c’est être frère et sœur, deux âmes qui se touchent sans se confondre, les deux doigts de la main, disait Victor Hugo. » Mais, que se passe-t-il, quand l’un et l’autre se rencontrent mais ne se connaissent pas du tout. Ces jeunes acteurs le disent avec beaucoup de sensibilité et pudeur.
La seule jeune fille qui soit de Nanterre, a écrit un texte à la fois juste et vrai. En dix-huit minutes, à l’ombre de Marcel Proust et d’Alfred de Musset, bien des choses ont été dites sur les rapports souvent compliqués entre frère et sœur.
Ph.du V.
La Recherche ou plus lu que toi, pauvre conne de Rosa-Victoire Boutterin
© Geraldine Aresteanu
Une table sur le grand plateau où la jeune femme raconte sa découverte et son errance dans Illiers, le fameux Combray, village où se trouve toujours la maison de la tante Léonie de Marcel Proust qui raconte son enfance et sa relation avec sa mère dont il réclamait la présence le soir avant de se coucher. Et maintenant officiellement dénommé Illiers-Combray…Où Rosa-Victoire Boutterin nous emmène dans une courte ballade.
La jeune actrice, très à l’aise sur cet immense plateau, nous parle aussi de Cabourg, la Balbec du roman et des amours et un de ses camarades est là vers la fin .
Qu’est-ce que c’est, le temps perdu? Avec de temps à autre, des phrases de Marcel Proust dont elle a le livre à la main. L’embryon d’un futur solo… En tout cas, Rosa-Victoire Boutterin qui a, elle aussi, une diction irréprochable et une belle sensibilité, sait faire entendre sa voix et rendre cette visitation proustienne souvent émouvante…
© Geraldine Aresteanu
Les six Veillées de Paul Thouret
Toujours sur le sol noir de ce même plateau nu, il y a, côté jardin, une petite tente éclairée à l’intérieur. Cela est censé être arrivé dans la campagne berrichonne, donc tout près de Nohant où George Sand avait une superbe maison qui existe toujours et qu’on peut visiter.
Un jeune homme sac au dos, traverse la scène de jardin à cour, et de cour à jardin. Seul, il cherche, dit-il, à rencontrer cette célèbre George Sand et tombe sur une dame plus très jeune qui marche avec une canne et qui se présente comme étant Aurore Dupin, alias George Sand.
Pourquoi pas et peut-être une belle idée mais il aurait fallu aboutir à une forme qui tienne la route. Ici, le dialogue est d’une rare banalité et, même si ces quelque treize minutes passent vite, cette pauvre anecdote n’offre pas grand intérêt.
Les jeunes apprentis-acteurs de vingt-cinq ans ne sont pas toujours faciles à diriger et Cécile Garcia Fogel le sait bien. Et ici, la machine est grippée et ne fonctionne pas.
Les douze Fantômes d’Alcide d’Axel Godard
©Geraldine Aresteanu
Dernière étape, la nuit tombe doucement…Nous filons vers la salle de répétitions. Sur le plateau, une table de cuisine et une sorte de cabine en toile à roulettes. Un grand jeune homme rentre de voyage.. Il est allé jusque dans les Pyrénées et raconte à sa mère qu’il a réalisé les fameux douze travaux d’Hercule.
Et comme des enfants, nous écoutons ce que nous avons lu autrefois dans la collection Contes et Légendes et qu’on nous a montré sur les fameux vases grecs à figures noires au Musée du Louvre…
Une série de travaux déjà en partie évoqués par Homère: étouffer le redoutable lion de Némée, tuer l’hydre de Lerne dont les têtes tranchées repoussaient sans cesse, ramener vivant l’énorme sanglier d’Erymanthe, capturer la biche de Cérynie aux sabots d’airain et aux bois d’or, nettoyer les gigantesques écuries du roi Augias, tuer les oiseaux du lac Stymphale aux plumes d’airain.dompter le taureau du roi crétois Minos qu’il n’avait pas voulu sacrifier à Poséidon, capturer les juments de Diomède, les mangeuses d’hommes, rapporter la ceinture de la reine des Amazones, vaincre Géryon,le géant aux trois corps et lui voler son troupeau de bœufs, rapporter les fameuses pommes d’or du jardin des Hespérides. Et enfin peut-être la plus connue : descendre jusqu’aux Enfers et enchaîner Cerbère, le chien aux trois têtes.
Sa mère attentive et protectrice lui sert un petit déjeuner, pour obtenir tous les détails de sa fabuleuse épopée. Avec une impeccable diction, Axel Godard qui, dit-il, a fait 2.100 kms sur les traces de ces héros mythiques, a vite fait d’emmener le public avec lui. Et sa camarade sait aussi très bien lui donner la réplique.
Malgré l’heure tardive, on reprendrait bien une petite louche de cette histoire de voyage aussi poétique, recommandée par Jean-Pierre Thibaudat et que nous avons savourée.
De qualité inégale, cette série de petites formes brutes a attiré un large public. Peu ou pas de scénario, un thème personnel issu d’un voyage, un plateau nu ou endroit du théâtre non destiné à la représentation, très peu d’accessoires, mise en valeur du jeu d’un ou de plusieurs jeunes acteurs seulement, durée limitée à une trentaine de minutes maximum : cet ensemble de codes a ici parfaitement fonctionné. A suivre…
Ph. du V.
Ces croquis ont été présentés gratuitement le samedi 22 et le dimanche 23 octobre, au Théâtre des Amandiers, avenue Pablo Picasso, Nanterre (Hauts-de-Seine).