Zakir Hussain et Niladri Kumar
Zakir Hussain et Niladri Kumar
En vieil habitué du Théâtre de la Ville à Paris, Zakir Hussain revient pour deux représentations au Théâtre des Abbesses. Nous avions pu l’entendre comme accompagnateur au tabla, des plus éminents musiciens classiques d’Inde comme Shivkumar Sharma au santur, et Haprirasad Chaurasia à la flûte bansur. Ils ont, il y a quelques années, bouleversé le public.
Et Zakir Hussain nous a aussi depuis quinze ans révélé nombre de talents: Niladri Kumar (sitar) et Dilshad Khan (sarangi), les violonistes Ganesh et Kumaresh et le remarquable flûtiste Sashang.
Ustad Zakir Hussain -soixante et onze ans- est une icône de la musique indienne. Ustad : maître en persan mais ce titre se décline dans tout l’Orient, et de l’Inde à l’Asie centrale et du Sud-Est. Fils d’Alla Rakha, (1919-2.000), ustad lui-même, considéré comme un des plus grands joueurs de tabla du XX ème siècle et célèbre dans le monde entier pour avoir été le partenaire et l’alter ego de Ravi Shankar, le maître du sitar. Il a hérité de son père une poly-rythmique flamboyante et un tempo infaillible. Les tablas, instrument percussif de base sont composés de deux fûts, l’un en bois dur, aigu, l’autre en cuivre, grave et permettent d’entrecroiser un nombre infini de phrasés..
Cette maîtrise l’a amené d’abord au cœur de la grande musique classique indienne, avec des collaborations variées pour All India Radio. Mais en 1975, il acquiert une stature internationale quand il est choisi par le guitariste John Mac Laughlin pour devenir un des piliers de son groupe Shakti (1975-77) et pour le suivre à travers le monde dans ses différentes formations, entre autres: Remember Shakti (1992-94). Une collaboration qui a largement fait connaître la musique indienne moderne en Occident. A partir de là, Zakir Hussain jouera avec les grands noms du jazz : Jan Garbarek, Dave Holland, Tito Puente, Pharoah Sanders, Chalrles Lloyd, Joe Zawinul… ou de la pop : George Harrison, Van Morrison, Mickey Hart, Jefferson Starship et même Earth, Wind and Fire !
Star internationale, il a commencé à faire des tournées à douze ans, et a donné quelque cent cinquante concerts par an. Il a aussi enregistré un grand nombre de disques. Avec cette double identité indienne et occidentale, il est une personnalité de Bollywood où il a réalisé la musique de plusieurs films. Cette célébrité ne l’a jamais empêché d’être promoteur de talents. Comme avec son école de percussions, comme plusieurs CD en témoignent.
Et il est venu ici avec Niladri Kumar né en 1973 dans l’Ouest du Bengale et qualifié de master of sitar. Après une solide formation auprès de son père, lui-même sitariste et élève de Ravi Shankar, il donne des concerts à six ans et est l’auteur de seize disques. Un incontournable de la musique de films de Bollywood, qui en vieux compère de Zakir Hussain, participe à plusieurs de ses formations. Le joueur de tabla le présente avec humour comme un virtuose modeste : «Il faut toujours se méfier de ces jeunes, je ne suis même pas sûr de pouvoir le suivre. » en se qualifiant, lui, de simple accompagnateur. Et le sitariste joue en virtuose d’un instrument électrifié qu’il a fabriqué lui-même. Grâce à une prise de son remarquable, il fait entendre des harmoniques complexes, avec un savoir-faire mélodique et rythmique. Dans la cour des grands…
En une heure et quart, ils se livrent à des assauts foudroyants, sans jamais perdre le sens d’une musicalité très fine. Chacun offre un moment de bravoure et le public, très attentif, éclate de joie. Au cours du tala, dernière partie du morceau où le tempo s’accélère encore, ils jouent à une vitesse rarement atteinte en musique classique indienne. Enfin c’est l’explosion et le public est debout ! Un sacre pour Niladri Kumar, poussé dans la lumière sur le devant de la scène par un Zakir Hussain restant dans l’ombre. Et ils nous offrent un court morceau pour finir la soirée et satisfaire un public de connaisseurs: beaucoup d’Indiens, bien sûr, autour de leur ambassadeur en ce soixante-quinzième anniversaire de l’indépendance de leur pays…
Jean-Louis Verdier
Concert entendu le 31 octobre au Théâtre des Abbesses, place des Abbesses, Paris (XVIII ème). T. : 01 42 74 22 77.
Le 5 novembre, Cosmopolite, Oslo (Norvège). Et à partir du 12 novembre, à Minnesota, San Diego, Portland, New York (Etats-Unis)