Fuck me, dramaturgie et mise en scène de Marina Otero
Fuck me, dramaturgie et mise en scène de Marina Otero
Il y a des années, le critique de théâtre et enseignant Michel Corvin dirigeait, à l’Université de Censier à Paris, un colloque sur le vrai et le vraisemblable au théâtre. Le spectacle de cette interprète et performeuse, metteure en scène et autrice argentine, illustre très bien cette ambivalence: «Bien que mes pièces soient fondées sur ma biographie, écrit-elle, il n’y a jamais de pacte de vérité avec le public. Je pars toujours d’un événement ou d’un élément qui me touche mais je ne sais jamais comment cela va se formaliser, ni vers où ma recherche va me mener. Et qu’est-ce que la réalité?»
Ses performances demandaient un engagement physique extrême, ce qui a fini par mettre en péril son intégrité corporelle. Des chutes à répétition ont fragilisé sa colonne vertébrale et provoqué une hernie discale invalidante qui, après un alitement d’un an, il a fallu qu’elle subisse une intervention de décompression rachidienne. Elle nous conte son histoire avec photos et vidéos personnelles. Et une diminution de mobilité l’oblige à commenter ses performances passées au bord de plateau et à faire revivre sa danse par cinq interprètes exceptionnels qui vont reprendre ses pas dans des chorégraphies hyper-sexualisées, mêlant nu et violence faite au corps.
La musique entraînante du compositeur espagnol Julián Rodríguez Rona les emporte dans une folle équipée, à la fois jubilatoire mais aussi cruelle et dérangeante. En parallèle, Marina Otero nous parle de sa douleur physique: «Tu sens ton corps devenir un désert et, dans ce corps, il n’y a plus de désir. Je ne vais jamais me calmer, c’est juste mon corps qui ne suit pas.» Cette douleur, exhibée et clamée, provoque une empathie du public avec celle qui a décidé de ne pas être mère: «Mon œuvre est la seule chose que je vais laisser dans ce monde. » A la différence d’Angelica Liddell -citée dans le spectacle- chez qui la création théâtrale provocatrice est un moyen pour dénoncer les injustices de notre société, Marina Otero ne met à nu que sa propre souffrance. Celle du corps d’une interprète en danse classique ou contemporaine, souvent caché au profit de l’acte artistique. Une réalité qui peut déranger, si l’on cherche un sens politique à toute création. Ce récit autocentré, entre réalité et fiction potentielle, est à découvrir jusqu’au salut final … en particulier pour la prestation de danseurs totalement hors-cadre.
Jean Couturier
Jusqu’au 11 novembre, Théâtre des Abbesses, 31 rue des Abbesses, Paris ( XVIII ème). T. : 01 42 74 22 77.