Le Tiers Temps, d’après le roman de Maylis Besserie, adaptation de l’autrice, Guy Lenoir et Bernard Blancan, mise en scène de Guy Lenoir
Le Tiers Temps, d’après le roman de Maylis Besserie, adaptation de l’autrice, Guy Lenoir et Bernard Blancan, mise en scène de Guy Lenoir
Guy Lenoir avait joué Vladimir dans En attendant Godot en 1977 et Bernard Blancan, lui aussi, à ses débuts, a monté et joué Beckett. Cette collaboration aboutit à un authentique texte théâtral qui donne une force et un éclat parfaits à un autre texte, dont son auteure dit que «son entreprise n’est pas biographique et qu’elle a consisté à faire du célèbre auteur, à partir de fait réels et imaginaires, un personnage face à sa fin, semblable à ceux qui peuplent son œuvre.»
Les trois complices sont allés dans un E.P.H.A.D.-village bordelais et Karina Ketz a réalisé une superbe bande-son qui rappelle à la fois la réalité d’un lieu pour vieillards et la fiction d’un dramaturge célèbre qui a passé sa vie à reculer, avec un sens de la dérision …beckettien. Avec une fin de partie, où comme le lui fait dire Mayliss Besserie où « conformément aux règles de la physique, il est probable qu’à force de ralentir, je m’arrête. Que j’en finisse avec les mots, ou eux avec moi.» Et comme Samuel Beckett le disait à son biographe James Knowlson peu de temps avant sa mort: «Lui qui se regardait comme un autre fatigué de son corps, ses jambes étaient fatiguées de le porter, et lui d’être porté.»
Il y a ici le travail de toute une équipe: Bernard Blancan (acteur), Guy Lenoir (interprète silencieux et metteur en scène), Caroline Corbal (art numérique), Karina Ketz (son), Barbara Schroeder (arts plastiques), Jeanne Lavaud (chant), Zola Ntondo (piano), Éric Blosse (scénographie et lumières), Tom Rojouan (régie). Et la fin de vie de Beckett devient, sur le plateau, celle d’un homme, fût-il célèbre, qui se voit partir avec un sens de l’humour et de la mise à distance.
Et Bernard Blancan maîtrise à merveille la force de l’autodérision. Pour nous rappeler que c’est bien de Beckett qu’il s’agit, il a su trouver la coiffure, le regard et la démarche de l’auteur de Soubresauts (Stirrings still), dernier courte nouvelle publiée .Intégralement publiée dans le quotidien britannique The Guardian du 3 mars 1989. puis en français en 89 et Beckett ayant lui-même assuré la traduction. Mais ici la voix est bien celle de l’acteur, et non de celui qu’il incarne avec distance. Samuel Beckett parlait en effet un impeccable français mais avec un terrible accent… irlandais !
Scénographie et voix off de ce Tiers temps sont la toile de fond du texte: une chambre avec canapé-fauteuil-lit derrière un voile de tulle gris, dirait Clov dans Fin de Partie mais aussi exercice de kinésithérapie quand nous entendons les comptes-rendus médicaux (réalisation sonore à partir du réel de Karina Ketz). Samuel Beckett s’était soumis non sans grâce aux dires du personnel, à des exercices douloureux. Ce que Bernard Blancan nous fait partager avec subtilité mais sans cacher l’effort que cela demande.
Il y a des fleurs séchées ramassées dans les cimetières et dispersées sur le plateau avec tout l’art du réalisme poétique de Barbara Schröder… Là encore, le réel surgit avec des échappées symboliques sans ostentation et tout en nuances. Scénographie, lumières, musique et chant sont comme autant de personnages accompagnant le monologue Sam/Bernard Campan. A moins ce que ne soit l’inverse….
Et, superbe trouvaille, un personnage silencieux : Guy Lenoir, en costume de velours noir avec casquette ouvrière, tout à la fois maître de cérémonie et régisseur arrosant un gazon et des fleurs artificiels, ou maniant le rideau de tulle et rythmant ainsi le déroulé du texte. C’est du théâtre et cela aide à trouver une forte complicité entre le public et le vieux dramaturge. Une image frappante par sa justesse théâtrale et sa puissante symbolique: Samuel Beckett a été alcoolique au dernier degré, c’est une réalité biographique. Mais, guéri définitivement de cette addiction, il s’est obligé, et cela jusqu’à la fin de sa vie, à boire tous les soirs un verre de whisky irlandais, bien sûr. Et, quand Bernard Blancan tient une authentique bouteille de Jameson, dont le nom en rouge apporte une note de couleur, ici, fiction et réalité se retrouvent: nous sommes bien au théâtre…
Il faut absolument que Le Tiers Temps puisse être aussi vu ailleurs qu’à Bordeaux où il a été joué une dizaine de fois. Mise en scène, texte et interprétation rendent bien la monnaie.. de la pièce, au roman de Maylis Besserie qui connut un beau succès.
Philippe Rouyer
Spectacle vu au Théâtre des Beaux-Arts, 2 rue des Beaux-Arts, Bordeaux (Gironde).