Nerium Park de Josep Maria Miró, traduction de Laurent Gallardo, mise en scène de Véronique Bellegarde
Nerium Park de Josep Maria Miró, traduction de Laurent Gallardo, mise en scène de Véronique Bellegarde
Olivier et Marta s’installent dans une résidence moderne, avec jardin et piscine, comme en rêvent nombre de citadins fatigués par la promiscuité des centres-villes. Situation des plus banales : ils déballent leurs cartons et leur mobilier… Mais le doute s’insinue en Marta : ont-ils fait le bon choix ? Un doute qui n’en finira pas de grandir à mesure que le temps passe: personne d’autre ne vient habiter là. L’angoisse la saisit dans cet environnement désert et hanté par des présences fantomatiques, dont un certain Serge, qu’Olivier, brutalement licencié de son emploi, prétend fréquenter…
Pendant que son mari déprime à la maison, Marta, directrice des relations humaines dans une entreprise, mène un plan de licenciement. Au fil des saisons, l’écart va se creuser entre ce chômeur et cette cadre dynamique. Marta, enceinte, finit par craquer et leur rêve de confort douillet d’un monde lisse où le travail coule de source et où, heureux, ils auront de beaux enfants, a tourné court…
La scénographie de Véronique Bellegarde évoque la précarité de leur situation: meubles impersonnels en polyester et cartons empilés en guise de dressing. Les scènes s’égrènent de mois en mois et les costumes suivent le cours des saisons. Filmées par une caméra de surveillance ou vues de la fenêtre ( ?), apparaissent sur un écran des paysages qui se transforment, de l’automne où le couple aménage, à l’été suivant, avec piscine en contrebas, toujours déserte.
Dans cet espace baigné en permanence dans les images, Julie Pilod et Éric Berger incarnent sobrement ce couple qui se délite, et ils distillent avec bonheur les courtes répliques d’une prose froide et quotidienne. Josep Maria Miró joue avec les codes théâtraux et entre drame et comédie, glisse une touche d’angoisse dans cette vie banale. Le mystère reste entier quant à l’existence de Serge : ce personnage fantomatique est-il de chair et d’os ou un double fictif sur lequel Olivier projette son propre sort ? Sous couvert d’un drame social, nait un climat inquiétant où tout, jusqu’à la végétation, devient hostile. Ce que traduit la création sonore de Philippe Thibault: il introduit dans le huis-clos de l’appartement, une quatrième dimension rappelant les bandes-son des films de David Lynch. Un travail subtil, un peu occulté par l’omniprésence des images-vidéo…
Mais Véronique Bellegarde a rondement mené sa mise en scène et ses acteurs sont toujours sur le qui-vive. Grande découvreuse de textes contemporains francophones ou étrangers en traduction, dans le cadre de La Mousson d’été (voir Le Théâtre du Blog), elle a réussi à dénicher bien des pépites. On voit ici avec cette pièce tout l’intérêt qu’il y a à monter les auteurs actuels, décrypteurs de notre présent.
Josep Maria Miró n’est pas un inconnu et Didier Ruiz, le premier, a créé Fumer en 2016. La même année, Bruno Tuchszer a mis en scène Le Principe d’Archimède*. Nerium Park doit son titre au nom de ces lauriers-roses qui, dans le Sud, bordent les jardins de banlieue. Les feuilles de ces arbustes sont toxiques, et cela souligne ici le caractère délétère de ces lotissements construits en périphérie des centres-villes. En Espagne surtout, ils sont restés vides suite à la crise immobilière. Symboles d’une spéculation financière qui détruit des individus, au travail comme dans la sphère privée. Sans en avoir l’air, cette pièce ouvre des questions sociétales profondes…
Mireille Davidovici
Spectacle vu le 4 novembre au Théâtre Berthelot, 5 rue Marcelin Berthelot, Montreuil (Seine-Saint-Denis) T. :01 71 89 26 70.
Les 17 et 18 novembre, Espace Bernard-Marie Koltès, Metz (Moselle).
Le Principe d’Archimède, traduction de Laurent Gallardo, est publié au éditions Théâtrales
http://www.josepmariamiro.cat/