The Silence, texte (traduction d’Anne Monfort) et mise en scène de Falk Richter

The Silence, texte (traduction d’Anne Monfort) et mise en scène de Falk Richter

 « Dans notre famille, on n’a jamais parlé de… ». C’est l’histoire, répétée, de la famille petite-bourgeoise européenne, peut-être aujourd’hui encore, dans une société où mœurs et parole se seraient libérés, si ce n’était en retour un coup de fouet pour maintenir bien solides, les non-dits des pouvoirs. « Se taire, dit Falk Richter, profite souvent au maintien des structures de pouvoir injustes et corrompues. » Les violences intrafamiliales, comme on dit pudiquement pour parler des coups, vont de l’enfant enfermé dans le noir absolu et terrorisé, ou bien jeté contre un mur, ont lieu en silence. Le père frappe mais la mère et la sœur, témoins muets, voient tout et ne diront rien.
Et plus tard, cela continue à l’extérieur quand des voyous, pas très au clair avec leur propre sexualité tabassent un “pédé“ devant un restaurant. Silence du personnel et des clients attendant que la “bagarre“ se termine et qui néglige d’appeler la police.
L’auteur le rappelle : dans le monde du patriarcat, le « droit à l’intégrité physique » n’est garanti ni aux femmes, ni aux homosexuels et ni à ceux qui ne sont pas hétéro-normés.

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Les deux premiers tiers de The Silence constituent une magnifique spirale qui revient à chaque tour sur les silences qui ont construit la jeunesse du narrateur : le châtiment violent mais aussi l’émerveillement comme dans The Silence, d’une rencontre amoureuse entre deux garçons.
Il s’agit bien de la spirale de la violence  continuant de génération en génération. Le père, détruit par la guerre parce qu’il a tué lui-même et qu’il a vu les corps de ses camarades voler en éclats… La mère détruite, parce qu’on ne lui a jamais appris à être femme, à faire l’amour et à aimer autrement que soumise à un homme, et dans l’oubli d’elle- même.
Sans oublier la violence sociale, étroitement imbriquée dans la violence familiale. Et Falk Richter se réfère à des auteurs comme Didier Éribon, Edouard Louis, Virginie Despentes qui travaillent sur cette plaie.

Ni plainte ni colère, du moins en apparence :Falk Richter donne une ample respiration à ce qui n’est plus le souvenir brut, mais pas encore une fiction. Il a voulu «écrire sur un mode autobiographique sans rien poétiser», «avec le plus de précision et d’honnêteté possible» et «préfère au vrai Falk Richter, le personnage fictionnel de Falk que va jouer Stanislas Nordey. »
Le comédien, parfait pour ce texte, s’en empare avec appétit et l’humour qu’il faut, par exemple pour les scènes au téléphone -justement plutôt “téléphonées“- et qui fonctionnent d’autant mieux. Sa longue amitié avec Falk Richter et un travail partagé entre autres , dans Je suis Fassbinder (2016) lui donnent ici toute liberté d’apporter sa part, généreuse, à l’invention en direct de la fiction.
À lui, sur scène, de faire craquer les silences, y compris avec cette arme familiale et sociale qui consiste à faire un fantôme, d’une personne, comme si elle n’existait pas. Il faut en effet « silencer » ce fils dangereux qui ose écrire et peut donc trahir, c’est à dire révéler des secrets, dont celui de sa propre homosexualité et briser le silence de l’ordre établi.

À la veille de créer ce spectacle, Falk Richter a enregistré sa mère, l’a questionnée sur sa vie à elle, et sur son enfance à lui. Nous entendons ici le poids des non-dits, en un dialogue affectueux qui dérape parfois jusqu’au déni : non, ce n’était pas ça du tout, non, je ne me souviens plus…. Ce ne sont pas des mensonges, mais la couverture d’une conviction : elle et son mari ont exercé cette violence sur l’enfant « pour son bien ». L’auteur a intelligemment recadré ce document vécu dans la fiction et en a fait une source, non un témoignage avec un impossible procès de la famille.

Dans la dernière partie, l’écriture perd de sa fermeté. Les personnages introduitscomme l’agent artistique, le compagnon de Richter-Nordey de fiction, apportent un cadre social un peu satirique qui a son intérêt et cela affaiblit la structure de la fiction. Mais le spectacle lui-même n’y perd rien d’essentiel : sa qualité d’enfance et le décor lui-même qui a quelque chose d’enfantin : la maison des parents comme un jeu de cubes, avec un mur qui parle -les vidéos de l’entretien avec la mère y sont projetées -, un jardin en laine défrisée où le héros (ni l’auteur ni le comédien ou les deux) vient planter sa tente d’enfant.  Dans un coin, le bureau de l’auteur tel qu’on le représente dans les bandes dessinées classiques : piles de papier, corbeille débordant de brouillons froissés, tas de livres écroulées… Et on entend aussi , après la mort d’un père qui, jusqu’à bout, n’a pas « parlé », ni jamais fait craquer sa carapace, la libération des fantasmes meurtriers de l’enfant. « L’écriture théâtrale est un espace qui me permet de comprendre ma famille mais aussi d’y échapper. »

Elle donne à l’auteur la possibilité de désapprendre et défaire la maison où on a été formaté. C.Q.F.D. : elle est seulement un jeu de cubes et l’enfance sauve l’enfance. Sans doute importe à Falk Richter l’inquiétude pour l’avenir, pour une Nature fragile et sensible dont les humains font partie, dite avec la vitalité et la fraternité de Stanislas Nordey. Et nous sortons du spectacle dans une sorte de bonheur : ce qui est paradoxal, quand on pense à la dureté du thème ici traité.

Christine Friedel

Jusqu’au 6 novembre, MC 93 de Bobigny (Seine-Saint-Denis). T. : 01 41 60 72 72.

Le spectacle a été créé au Théâtre National de Strasbourg le 1er octobre et le n° 5 de la revue Parages, éditée par le T.N.S., est consacré à Falk Richter.

 

 

 

 

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