Tombeau pour Palerme, texte de Laurent Gaudé, mise en scène de Thomas Bellorini

Tombeau pour Palerme, texte de Laurent Gaudé, mise en scène de Thomas Bellorini

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Le 23 mai 1992, six-cents kilos d’explosifs creusent un cratère de dix mètres dans l’autoroute entre l’aéroport Punta Raisi et Palerme. Cinq personnes sont tuées : le juge Giovanni Falcone qui était visé, son épouse Francesca Morvillo et trois de ses gardes du corps : Vito Schifani, Rocco Dilillo et Antonio Montinaro.
Un attentat signé Cosa nostra, autrement dit : la mafia. Inutile de citer les noms des tueurs. Le juge Falcone était en train de mettre sur pied une brigade anti-mafia efficace, malgré le manque de moyens de la justice italienne et une politique paresseuse, voire corrompue, face à l’argent inépuisable de la « familia ». Deux mois plus tard, la voiture du juge Paolo Borsellino, ami et coéquipier du juge Falcone, explosait dans une rue de Palerme, alors qu’il venait de rendre visite à a mère.

L’auteur a reçu le Goncourt des lycéens pour La Mort du roi Tsongor en 2002 et deux ans plus tard, le Goncourt pour Le Soleil des Scorta. Il écrit d’abord pour le théâtre (dix-sept pièces dont Onysos le Furieux, Médée Kali…), dans une langue directe et forte, inspirée par la tragédie et la Méditerranée: inséparables.
Dans une nouvelle, Tombeau pour Palerme, il invente une temporalité propre au théâtre, celui qui a la parole, étant à la fois dans le passé, le récit, le futur -en réalité déjà passé- de la prophétie et le présent de la scène… Il imagine la lettre qu’aurait pu écrire Borsellino à son ami. L’un des deux a été tué, l’autre doit mourir, il le sait et raconte sa mort prochaine inscrite dans une lignée d’attentats.
Mais il se sera offert au moins un grand moment de liberté : faire ce qui lui est interdit, ce qui leur était interdit : sortir seul à pied dans la foule, sentir palpiter la ville indifférente sans garde du corps et sans voiture inutilement blindée. Avec tendresse, lucidité et grain d’ironie dans la tristesse, il raconte, par exemple, comment les étudiants à qui il venait de parler, se sont tous levés à sa sortie, en hommage à un déjà mort mais encore debout devant eux, qui s’en va.

Thomas Bellorini, musicien, a fait de cette nouvelle, un «tombeau», genre musical en vogue pendant la période baroque. Il s’agit généralement d’une pièce monumentale, au rythme lent et de caractère méditatif, avec parfois une fantaisie et une audace harmonique ou rythmique. Au violoncelle, Johanne Mathaly ouvre le premier récit, celui de la mort du juge Falcone et de son escorte.
Un récit d’abord en voix off, évoquant grâce aux pièces choisies l’architecture baroque de Palerme. Mais les distorsions lui permettent de superposer les mesures, de les faire grincer façon contemporaine. L’ouverture musicale prend son temps, le temps juste d’instaurer ce thrène sans tristesse, prologue de cette tragédie. Ensuite, le comédien s’avance et la parole s’impose dans ce dialogue musical.

François Pérache donne une image simple, presque ordinaire, du juge Borsellino accompagnant la mort de son  frère jumeau dans la mélancolie discrète de la sienne si proche, un monsieur tout le monde, avec demi-sourire et regard voilé. Le violoncelle, ici, donne la vibration des émotions et fait grandir ces héros au quotidien terrible, la recherche acharnée de la justice que seuls ses ennemis rendent spectaculaire. Il fait aussi sonner l’amour de cette ville qui a animé ces juges : Palerme ne doit appartenir ni aux assassins ni aux corrompus… Palerme appartient à la vie et à la beauté.

La musique peut-elle parler politique?  Pour Thomas Bellorini, oui. Il l’avait déjà montré avec Femme non rééducable de Stefano Massini, au Cent-Quatre où il est artiste associé, une pièce sur l’assassinat le 7 octobre 2006 de la journaliste d’investigation Anna Politkovskaïa. Un crime jamais résolu.
La tragédie en musique appartient au genre de l’opéra mais le musicien et metteur en scène relève le défi et en fait ici une œuvre lyrique contemporaine : la grandeur modeste des héros d’aujourd’hui n’a pas besoin du recul du temps mais doit interpeller, brûler tout de suite avec force et sans ornements. Ce qu’il réussit à faire avec ce spectacle à la fois court et intense.

Christine Friedel

Jusqu’au 29 novembre, Théâtre de Belleville, 16 passage Piver (accès : rue du Faubourg du Temple). Paris (XI ème). T. : 01 48 06 72 34

Tombeau pour Palerme fait partie des Oliviers du Négus, un recueil de quatre nouvelles publié aux éditions Actes Sud.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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