Les Règles du Je(u) de Sam Holcroft,vtraduction de Sophie Magnaud, mise en scène d’Arnaud Anckaert
Les Règles du Je(u) de Sam Holcroft, traduction de Sophie Magnaud, mise en scène d’Arnaud Anckaert
L’autrice, peu connue en France mais tout à fait reconnue outre-Manche, a écrit une dizaine de pièces et le grand Jean-Pierre Vincent disparu en 2.020 et qui fut un des professeurs d’Arnaud Anckaert, mit en scène Cancrelat, il y a dix ans. C’est, dans la veine bien connue du théâtre contemporain, depuis La Noce chez les petits bourgeois de Bertolt Brecht (1919), un repas de famille qui tourne mal, voire très mal. Ici, tout est prêt pour un grand déjeuner de Noël « dans une cuisine-salle à manger ouverte sur le séjour ou la véranda d’une maison familiale de grands-bourgeois. Avec deux entrées, l’une donnant sur le jardin, et l’autre sur le reste de la maison.» Arnaud Anckaert a fait un autre choix et les acteurs qui ne jouent pas une scène, s’assoient sur les banquettes de chaque côté du plateau.
Un peu brechtien et souvent vu, mais comme ils n’y restent jamais bien longtemps, cela n’a guère d’importance… Nappe sur une grande table, belles assiettes et verres à pied, cadeaux au pied d’un grand sapin en plastique avec guirlandes dorées et grosses boules rouges…«L’intérêt de mettre en scène Rules for living ou les règles du je(u),c’est apporter une réponse artistique à la crise de la covid-19 metteur en scène. (…) Une comédie ponctuée de règles s’appliquant aux personnages et aux situations. »
Affichées selon les didascalies, en projection sur le mur du fond, ces règles changent au fur et à mesure et cela apporte une certaine distance mais si le public ne les regarde pas vraiment, cela ne change pas beaucoup sa perception. Mais dit l’autrice, tous les personnages doivent les adopter. Règle 1 : Matthew doit être assis pour mentir. Règle 2 : Carrie doit être debout pour faire une blague. Règle 3 : Nicole doit boire pour contredire son interlocuteur. Adam doit prendre une voix ridicule pour dire la vérité. Et Sam Holcroft précise :Quand il est indiqué qu’Adam doit prendre une voix ridicule ; quand il est honnête, l’acteur peut choisir d’adopter n’importe quel genre de pitrerie vocale : accent, intonation, parodie, raillerie, sarcasme, voix de bébé. Règle 5 : Édith, doit faire le ménage pour tenir sa langue….
Il y a donc cette Edith (Céline Dupuis) cette mère autoritaire, obsédée par la propreté qui vaporise sans cesse tous les meubles un produit antibactérien et essuie chaque bibelot. On est allé chercher à l’hôpital son mari Francis qui a soixante-dix ans (Roland Depauw). En fauteuil roulant, il a perdu la parole ou presque.
Mathew, leur fils, un avocat discret, bien habillé qui rêvait d’être acteur (Nicolas Cornille) a pour compagne depuis quelques mois, Carrie, la trentaine comme lui. Taille mannequin, perchée sur des escarpins et moulée dans une robe ultra-courte en tissu argenté pailleté (très remarquable Victoria Quesnel) en alternance avec Karine Pedurand. Volubile, sans cesse en mouvement et en représentation, roulant des hanches, elle veut que sa probable future belle-famille la remarque et dansotte pour séduire Mathiew (son plus grand souhait est qu’il la demande en mariage). Ils déballent cadeaux, gâteaux et bouteilles de vin et d’alcool qu’ils ont apportés.
Mais Mathiew semble avoir des vues sur sa belle-sœur Nicole qui a un net penchant pour l’alcool (Fanny Chevallier). Mariée avec Adam, un juriste qui voulait être footballeur (Nicolas Postillon). Mais leur couple (la quarantaine) bat de l’aile et les deux frères se détestent mais restent courtois… jusqu’à l’explosion finale…Somme toute assez banals, ces six personnages vont régler leurs vieux comptes familiaux.
Cela ira crescendo jusqu’à une bataille rangée où ils se bagarrent et cassent tout dans une sorte de jubilation/perversion. Sapin déchiqueté, chaises et tables renversées, nappe violemment retirée de la table et dinde, desserts, verres, cadeaux et vaisselle, par terre..
A la fin, Emma, quatorze ans, la fille de Nicole et Adam, réveillée par le vacarme dans la salle à manger, arrive en pyjama et est sidérée par le foutoir général que sa famille a réussi à mettre le jour de Noël… Une scène étonnante : ce n’est plus les ados qui font une fête bruyante et se font surprendre par leurs parents mais l’inverse! Emma leur rappelle en quelques phrases bien senties, que leur conduite est inadmissible…
Ce délire total rappelle celui de certaines scènes de Georges Feydeau comme dans La Dame de chez Maxim. « Le comique disait-il, c’est la réfraction du drame.» Bien vu! Ici, à la fin, Carrie, Adam et Nicole, tous sérieusement alcoolisés et lessivés par ce lavage de linge sale, ont quitté la partie avec Emma.
Resteront ici Mathew et ses parents sous le choc … Et les didascalies sont très précises: «Édith se met à nettoyer. La règle 5 s’affiche «Édith doit faire le ménage pour tenir sa langue.» – (Frottant une tâche au sol.) Oh! Regarde – ça va laisser une trace. Matthew. – On rangera plus tard, pourquoi tu ne viendrais pas t’asseoir avec nous? S’il te plaît… (Édith continue à nettoyer.) Maman, pour une fois, est-ce qu’on peut simplement s’asseoir et parler vraiment ? (…) Édith continue à nettoyer. Matthew mange. Ils mangent et nettoient jusqu’à la fin. » Joyeux Noël…
Côté bémols, cela criaille parfois mais devrait vite trouver son équilibre. Sans doute un peu trop longue (deux heures vingt), le texte mériterait quelques coupures. Mais la direction d’acteurs- tous très crédibles et remarquables- est parfaitement maîtrisée et la mise en scène d’Arnaud Anckaert où tout est cadré avec soin est sans aucun doute sa meilleure. Et cette première création en français de cette pièce- une belle réussite- sera jouée partout en France. Surtout n’hésitez pas à aller la voir et il faut espérer qu’un théâtre parisien l’accueille aussi…
Philippe du Vignal
Le spectacle a été joué du 7 au 9 novembre à la Comédie de Picardie, Amiens (Somme).
Le 15 novembre, Théâtre Jean Vilar, Saint-Quentin-en-Yvelines. Le 17 novembre, La Faïencerie, Creil (Oise). Les 24 et 25 novembre, Comédie de Béthune (Pas-de-Calais).
Le 1er décembre,Théâtre Jacques Carat, Cachan (Val-de-Marne). Le 3 décembre, L’Orange Bleue, Eaubonne (Val-d’Oise). Le 6 décembre,Théâtre des Sources, Fontenay-aux-Roses (Hauts-de-Seine) et le 8 décembre,Théâtre du Cormier, Cormeilles-en-Parisis (Val-d’Oise).
Du 18 au 20 janvier, Le NEST, Thionville (Moselle). Du 25 au 27 janvier, Le Phénix, Valenciennes (Hauts-de-France) et le 31 janvier, Le Manège, Maubeuge (Nord).
Du 8 au 10 février, L’Allende avec La Rose des Vents, Mons-en-Barœul (Nord). Le 2 mars, Maison Folie-Wazemmes, Lille (Nord).
Le 7 mars, La Tête Noire, Saran (Loiret). Les 14 et 15 mars, La Barcarolle, Arques (Pas-de-Calais).
Le 25 avril, Espace Jéliote, Oloron-Sainte-Marie, (Pyrénées-Atlantiques).
Le 4 mai, Théâtre Benno Besson, Yverdon-les-Bains et le 6 mai, Le Reflet, Vevey (Suisse).