La terre entre deux mondes de Métie Navajo, mise en scène de Jean Boillot
La Terre entre deux mondes de Métie Navajo, mise en scène de Jean Boillot
«Ils ne sont pas venus nous coloniser, nous l’étions déjà. Ils ont de l’argent pour acheter des permis, avec les permis, ils achètent la forêt, avec la forêt, ils font des champs de soja. Et quand la terre n’a plus rien à donner, ils partent en chercher d’autres ailleurs, et nous, nous restons avec la terre nue et morte comme cimetière… »
Ainsi parle le père de Cécilia, paysan indien spolié de ses terres par des communautés chrétiennes mennonites à la langue bizarre, vivant retranchées du monde. Cécilia doit trouver sa place entre son père qui appelle la pluie avec des chants d’oiseaux, Amalia, fille des colons chez qui elle travaille et le fantôme de sa grand-mère, symbole d’une culture maya, qui refuse de disparaître… Amalia et Cécilia se lient d’amitié et partiront à l’aventure…
Métie Navajo a écrit cette pièce à la suite d’une résidence au Mexique, dans la région de Campeche où des artistes maya lui ont fait rencontrer des paysans. Elle a écouté les histoires familiales : «déforestations massives, culture intensive, cancers liés aux pesticides… » Elle a aussi découvert, avec surprise, les communautés mennonites, descendant de familles néerlandaises, allemandes, russes, rejetées par l’église chrétienne pour leurs croyances proches de celles des anabaptistes.
La mise en regard de ces cultures, face au progrès qui avance avec un projet de chemin de fer constitue l’arrière-plan de cette pièce. Sans pour autant en faire du théâtre documentaire. l’autrice a transformé son enquête en une fiction avec des personnages attachants, dans des univers contrastés. A chacun son langage: le français teinté d’espagnol du père côtoie le maya et ses fricatives de la grand-mère, et l’afrikaans des Mennonites, aux sonorités germaniques… La dramaturgie devient sonore et ce concert des langues contribue à l’originalité de la pièce. On peut regretter que Métie Navajo en dise parfois trop, au risque de brouiller les pistes.
Jean Boillot rend justice à cette écriture: sans artifice, il impulse aux comédiens un jeu direct et efficace. Et Laurence Villerot grâce à une scénographie épurée, souligne la précision de la mise en scène, avec un découpage géométrique de l’espace, sans qu’il y ait besoin de changement de décor. La création-lumière d’Ivan Mathis et les paysages sonores de Christophe Hauser suggèrent chaque lieu (la maison de Cécilia, celle d’Amalia, la forêt…).
Un beau spectacle tout public d’une heure quarante, qui devrait gagner en rythme et en concision au fil des représentations, si on resserre certaines scènes.
Mireille Davidovici
Spectacle vu le 8 novembre dans le cadre des Théâtrales Charles-Dullin, au Théâtre Jean Vilar, 1 place Jean Vilar, Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne). T. : 01 55 53 10 60.
Du 16 au 18 novembre, NEST, Thionville (Moselle) ; 1er décembre, Bords 2 Scènes Vitry-le-François (Marne) ; 8 décembre, EMC, Saint-Michel-sur-Orge (Essonne).
La pièce est publiées aux Editions Espace 34.