Le Syndicat professionnel de la critique de Théâtre, Musique et Danse fête ses cent-cinquante ans
Le Syndicat professionnel de la critique de Théâtre, Musique et Danse fête ses cent-cinquante ans
Pour fêter cet anniversaire, le Syndicat professionnel de la Critique, de Théâtre, Musique et Danse a organisé une journée de rencontres. Olivier Frégaville-Gratian d’Amore, président du Syndicat de la critique a ouvert cette journée et Emmanuel Demarcy-Mota, directeur du Théâtre de la Ville qui a mis l’Espace Cardin à disposition pour cette journée a rappelé l’importance de la pensée critique sur les œuvres et souligne son nécessaire regard.
Mais les critiques, dit-il, sont aussi la mémoire du spectacle vivant qu’ils transmettent. Pour le jeune artiste qu’il a été, « ce regard, dit-il, a été essentiel et constructif, même s’il n’était pas toujours laudateur: les critiques sont aussi des écrivains et des phrases d’auteur lui sont restées. Ils font appel à l’imaginaire du public et des créateurs et sont de vrais influenceurs ».
Un bref historique
Les archives déposées à l’Institut des Mémoires de l’Edition Contemporaine de Caen (quarante-cinq boîtes) et à la Bibliothèque Nationale de France (treize boîtes) contiennent les rapports du comité et des assemblées générales, les lettres de candidature pour être membre du syndicat, les Lettres et Bulletins, des courriers…En 1872, est né un cénacle informel devenu cinq plus tard Cercle de la Critique Musicale et Dramatique qui, en 1902, prendra le nom d’Association Syndicale et Mutualiste. Cette association loi 1901 aura aussi une action sociale jusqu’il y a environ cinquante ans : pension de retraite, mutuelle, abonnement spécifique à la S.N.C.F. pour ses membres. Et Il y avait déjà un président, deux vice-présidents, un secrétaire-trésorier et deux archivistes.
Elu président en 1932, Edmond Sée, auteur d’une douzaine de pièces et critique dramatique, le restera jusqu’à sa mort en 1959 ! Pendant l’Occupation, aucun nouveau membre n’est admis et sous la pression des Pouvoirs publics, le secrétaire général Maurice Gilis précise que les membres du Syndicat doivent avoir un certificat d’aryanité! Le même Maurice Gilis convoquera, après la Libération, une commission d’épuration…
En 1947, on étend la notion de critique à la radio et à la télévision et l’association prend alors le nom de Syndicat professionnel de la Critique Théâtre et Musique.Après la disparition d’Edmond Sée en 59, les membres du Syndicat contestent la présidence à durée illimitée. Avec Renée Saurel et Paul-Louis Mignon, Georges Lerminier change le statut et il en sera le nouveau président pour quatre ans.
En 62, est créé un palmarès à l’issue du vote de tous les membres et il y aura des rencontres régulières avec les directeurs de théâtre et metteurs en scène comme Jean Vilar avant son départ du T.N.P. en 63, Maurice Escande, administrateur de la Comédie-Francaise, Jean-Louis Barrault pour la compagnie Renaud-Barrault… Vu les événements politiques en 68, sous la présidence de Bertrand Poirot-Delpech, critique de théâtre au Monde, la proclamation du palmarès est reportée et il y a de nettes tensions entre les membres du Syndicat. Le président, en leur nom, apporte son soutien à Jean-Louis Barrault, quand son théâtre de l’Odéon est occupé par les manifestants.
Appartinrent au collège: Musique, des compositeurs comme Gabriel Fauré ou Reynaldo Hahn… Et il y aura un prix unique jusqu’en 80, quelquefois remplacé par un Prix de la chorégraphie. Maurice Béjart le reçut trois fois… En 2.000, le Bulletin du Syndicat devient La Lettre du Syndicat, puis en 2.002, Frédéric Ferney laisse la présidence à Gilles Costaz. Et la critique de danse entre alors au Syndicat et un colloque aura lieu au Théâtre du Rond-Point avec les trois collèges : théâtre, musique, danse… Le Syndicat n’est pas passé à côté des artistes majeurs et a récompensé, entre autres, Jean-Louis Barrault, Ariane Mnouchkine, Patrice Chéreau. Giorgio Strehler, Bob Wilson,etc. Mais les conflits sont récurrents depuis sa création jusqu’à aujourd’hui comme, entre autres, la visibilité du théâtre privé que soulevait déjà en 68 Jean-Jacques Gautier, président depuis 72 . Fut aussi contestée l’entrée au Syndicat de certains critiques; la remise des prix attribués a été remis en cause, comme la visibilité de la Critique dans la presse écrite et électronique, et les médias en général…
L’appartenance au Syndicat a-t-elle été quelquefois un marche-pied pour entrer dans les institutions culturelles? Le regretté Robert Abirached, par ailleurs professeur d’Université, fut nommé directeur du Théâtre au ministère de la Culture. Et Jean-Jacques Lerrant, Georges Lerminier, Alain Neddam, inspecteurs des spectacles…
Autre question récurrente: les invitations aux spectacles, offertes -ou non- aux membres du Syndicat. Jusque dans les années soixante-dix, les directeurs de théâtre traitaient la question avec le président, puis les services et les attachées de presse deviendront les interlocuteurs privilégiés des critiques.
Les voyages dans les théâtres ou les festivals, en province, voire à l’étranger, étaient souvent pris en charge par les grands journaux (mais pas toujours!). Ils le sont maintenant -mais qui d’une indispensable rigueur?- par les services de presse des théâtres et/ou des compagnies…la question reste entière
Jean Couturier
De la critique-monde. Acte 1 – Le regard critique dans différents pays
Le matin, une première rencontre rassemblait des personnalités venues de l’étranger, pour évoquer l’état de la Critique dans le monde, avec des points de vue croisées. En Suisse romande, constate Alexandre Demidoff, critique de théâtre et danse pour Le Temps, chacun des cantons a sa politique culturelle avec une vitalité artistique remarquable et des centaines de talents émergents, dans cette région d’environ deux millions d’habitants. A Genève, il y a cinquante à soixante spectacles par soirée! Et le plus petit des cantons, celui du Jura (50.000 habitants) vient d’inaugurer une grande scène. « Qui parlera de tout ces jeunes talents en train de fourbir leurs armes, dit-il. (…) On devient critique parce qu’on a une sorte de révélation. Et le rôle du critique est d’accompagner les artistes et d’entretenir le feu sacré .»
« En Allemagne, depuis Lessing, la critique est considérée comme un exercice littéraire et même à la radio, les critiques privilégient la forme écrite», dit Eberhard Spreng, journaliste indépendant, critique de théâtre et traducteur, collaborateur artistique de productions en France. Mais il sent cette activité menacée. Selon lui, une critique négative n’est plus recevable par les professionnels du spectacle. “Pourtant, dit-il, on n’écrit pas pour les artistes mais pour le public.”
Même point de vue chez Laura Cappelle, chroniqueuse pour le théâtre au New York Times et critique de danse pour plusieurs médias anglo-saxons. «À l’étranger, il faut expliquer le contexte culturel français. Les Anglo-saxons attendent qu’on aille droit au but et qu’on donne des avis tranchés, sans détour intellectuel. »
Victoria Okada, critique de musique pour des médias japonais et français, explique que dans son pays où la société est fermée et traditionnelle, on se précipite sur les artistes prestigieux internationaux et sur ceux qui ont eu des prix. La difficulté pour elle, étant « d’apporter un regard européen». Bref, là comme ailleurs, le critique est un passeur, pour le public et les artistes…Et de l’avis de tous ceux ici présents, on est critique par hasard. «On ne nait pas critique, on le devient», dit Jean-Pierre Léonardini dans Qu’ils crèvent les critiques…
Mireille Davidovici
Les critiques vus par les artistes et les directeurs d’institution
En fin d’après-midi, des artistes et directeurs de salles ont parlé de la place de la Critique et de leurs attentes. Participaient à ce débat, Léna Bréban, metteuse en scène, auteure et actrice,
Hassane Kassi Kouyaté, directeur du Festival les Zébrures d’automne, ex-Francophonies en Limousin, Chantal Loïal, interprète et chrorégraphe de la compagnie Difé Kako, directrice du fstival du Mois Kréol, Alain Perroux, directeur général de l’Opéra National du Rhin à Strasbourg et Petter Jacobson, chorégraphe, directeur général du Ballet de Lorraine. Soit un panel assez représentatif des spectacles en théâtre, danse et musique.
Léna Bréban dit que les conditions ont beaucoup changé et qu’elle a pu jouer pendant le confinement devant un EPHAD à Chalon-sur-Saône mais aussi des spectateurs, tous ou presque d’origine non européenne. Et là, dit-elle, on est au cœur de la situation actuelle… De quel type de spectacles, le public a-t-il envie et besoin? Qu’est-ce qu’un succès? Quel peut être le rôle de la critique?
“Je m’efforce de programmer des spectacles que j’ai envie de défendre mais aussi -c’est dans nos missions- une œuvre qui me plaisent un peu moins. Mais on sait ce qui va plaire à la critique et aux professionnels. Le théâtre doit prouver par des actions réelles qu’il a encore un sens mais le modèle actuel est à bout de souffle, dit Alain Perroux, directeur général de l’Opéra du Rhin à Strasbourg et un moment viendra où nous serons obligés de faire moins de représentations, alors que, paradoxalement, nous affichons le plus souvent: complet. Et Petter Jacobsen ajoute qu’il lui faut remplir les salles mais aussi obligatoirement faire des tournées pour arriver à un équilibre financier…Dans les deux cas, l’appui de la presse écrite ou pas est une nécessité. mais mieux vaut que l’avis soit positif!
Comme l’a aussi signalé Hassane Kassi Kouyaté, les critiques ont un rôle d’influenceurs. Mais ils ont aussi une fonction pédagogique : ce sont eux qui laissent une trace, même si leurs impressions sont plus ou moins fidèles. Et leurs lecteurs sont amenés à confronter leurs goûts à ceux qui dont une analyse sur le spectacle.
Chantal Loïal souhaiterait être mieux accompagnée financièrement, pour que les critiques aient le temps de venir voir ses spectacles. Une critique positive dans un organe de presse important quelle que soit la signature, assure une année de tournée, disait Jacques Livchine, directeur du Théâtre de l’Unité. Un point de vue ici partagé à cette table ronde. Reste à faire venir les critiques quand une création a lieu en province; autrefois les publications prenaient le plus souvent en charge les déplacements. Maintenant, ce sont les théâtres et/ou les compagnies, la presse écrite comme électronique, très fragile, n’en ayant pas la possibilité. Ce qui peut faire problème, dit Alain Perroux.
Isabelle Muraour, attachée de presse, qui assistait à cette rencontre, a aussi mis en exergue cette question financière qui complique les choses et met à mal l’indépendance de la critique…Nous nous souvenons d’un voyage de presse à Marseille où nos confrères étaient gênés pour écrire quelque chose après le mauvais spectacle que nous avions vus, parce que le théâtre avait pris en charge déplacement et séjour. Que faire quand il faut écrire un article? Tout en ne se reniant pas, dire les choses sans être en rien agressif, reste un exercice périlleux qui fait partie des risques du métier…
Chantal Loïal a aussi mis le doigt sur une question grave de racisme: la difficulté de certains critiques noirs à entrer dans des salles… Et quand elle va aux Antilles, elle joue parfois, dit-elle, devant un public blanc… Et par ailleurs, en région ou à Paris, elle dit essayer de travailler avec les associations locales pour que les prix d’entrée soient peu chers, voire qu’il y ait gratuité… Léna Bréban a aussi souligné la difficulté de faire venir le public au théâtre.. Effectivement à écouter ceux qui participaient à cette rencontre, il y a urgence… D’un côté, il y a une inflation de spectacles créés puis joués à Paris et dans les grandes villes mais souvent à peine une dizaine de jours. Sans que les compagnies puissent espérer aller ensuite en tournée. La quadrature du cercle.
Tout se passe comme si le public devenait plus frileux et voulait bien aller au théâtre… à condition de ne prendre aucun risque. Il hésite à sortir et a du mal à suivre comme l’ont constaté les participants à cette table ronde. Les salles sont donc souvent à moitié vides mais parfois affichent aussi complet: la conférence-spectacle d’Hector Obalk sur le peinture au Treizième Art Paris (XIIIème), à Chaillot-Théâtre national de la Danse, les spectacles de la chorégraphe Robyn Orlin ou encore le récent Firmament au Centre Dramatique National de Saint-Denis ( voir Le Théâtre du Blog).
Et les participants à cette table ronde en étaient bien conscients: l’offre culturelle depuis quelques années, s’est beaucoup diversifiée. Avec des projets surtout ponctuels et souvent au détriment du théâtre, avec un public vieillissant… Au profit de la danse contemporaine qui attire plus les jeunes, ou de formes hybrides avec parfois, un événements sportif à la clé… La fréquentation des salles de cinéma étant, elle, comme on le sait, en chute libre. depuis plusieurs mois, sans qu’il y ait le moindre report vers le théâtre
Un peu d’histoire: le premier Centre Dramatique National a été créé à Colmar, avec, à sa tête, le grand André Clavé ( 1916-1981) il y a… soixante-quinze ans. Depuis la France a bien changé et il y a maintenant une trentaine d’Opéras, trente-sept Centres Dramatiques Nationaux, soixante-dix sept Scènes nationales et quatorze Scènes conventionnées… Un formidable réseau mais inégalement réparti, coûteux et dont les missions ne sont pas toujours en accord avec les envies de la population, notamment celle des banlieues de Paris et des grandes villes… Les Ministres de la Culture qui se sont succédé avaient sans doute d’autres priorités mais n’ont jamais fait bouger les lignes.
Cet échange entre professionnels venus de Métropole et d’Outre-Mer aura au moins permis de faire le point. Reste aux critiques à continuer à faire le boulot au quotidien en toute impartialité mais, quand il faut choisir de parler ou non d’un spectacle, ils n’ont aucune solution devant l’inflation actuelle et alors qu’à peine 10% des Français vont au théâtre une fois par an! « L’inflation, comme la guerre, écrivait Ernest Hemingway, apporte prospérité temporaire et destruction indélébile ». En France, pour le théâtre, nous n’en sommes heureusement pas là mais restons vigilants…
Philippe du Vignal
Ces rencontres ont eu lieu 17 octobre au Théâtre de la Ville-Espace Cardin, 1 avenue Gabriel, Paris (VIII ème). T. : 01 42 74 22 77.
Syndicat professionnel de la critique de Théâtre, Musique et Danse. critiquesyndicat@gmail.com