Le Firmament de Lucy Kirkwood, traduction de Louise Bartlett, mise en scène de Chloé Dabert
En 1759 à l’Est de l’Angleterre, tous attendent-leurs parents ne l’ont jamais vu-la comète de Halley, puisqu’elle revient tous les soixante-quinze ans… et que nus verrons en vidéo… Ici douze femmes -tous âges et origines sociales confondus- s’occupent de leur maison: lessive, barattage de la crème pour faire du beurre, cuisson du pain, nettoyage des enfants, préparation des repas, arrachage des poireaux au potager, avant que la nuit tombe…
Choisies par un juge, un homme! pour constituer un «jury de mères de famille» -une exception notable- pour un procès hors-norme. Le Juge demandera son avis à ce jury populaire sur le cas de Dally Poppy, une jeune domestique accusée par son mari qu’elle a trompé. Elle sera condamnée avec son amant à être pendue pour le meurtre de la fillette de puissants notables. Mais elle enceinte et si c’est vrai, selon la loi, elle échappera à la pendaison, le futur bébé n’étant pas considéré comme coupable. Par mesure de sécurité, ces femmes seront enfermées avec l’accusée menottée, au Palais de justice: mais « sans viande, sans boisson, sans feu et sans bougie ». Et personne d’autre dans la grande pièce froide qu’un huissier tout en noir… interdit de parole. Elle ne sortiront de ce huis-clos, qu’après avoir voté pour dire si Dally Poppy est enceinte ou non.

© Victor Tonnelli
Lucy Kirkwood, une autrice anglaise de trente-huit ans, a écrit cette fable à coloration fémino-sororiste avec un suspense savamment entretenu, dans une langue parfois crue mais aussi pleine d’humour. Un peu sur le modèle de Douze hommes en colère de l’Américain Reginald Rose (1920-2002) qui doivent juger un jeune homme de dix-huit ans ans accusé de parricide et en fonction de leur verdict, il sera condamné ou acquitté s’il y a doute…
Les procès théâtralisés ne manquent pas et le comique ou le tragique a toujours fait bon ménage avec les tribunaux. Drame et/ou situation ridicule, acteurs, salle, public, renversements de situation… Il y a bien des similitudes et cela ne date pas d’hier (voir Les Euménides d’Eschyle avec le procès d’Oreste). Lucy Kirkwood, elle, a bien vu qu’en 1759, ces douze femmes avaient, pour une fois, l’occasion d’avoir accès à un niveau de pouvoir exceptionnel et l’occasion de mettre en cause des valeurs morales jusque là intangibles, sous les yeux du public.
De la plus âgée, à la plus jeune, dont une sage-femme, elles peuvent parler en expertes de leur corps capable de faire naître un être humain. Et cela veut dire au quotidien-et à l’époque sans exception- gérer une maison et plusieurs très jeunes enfants, jusqu’à vingt-et un! pour l’une d’entre elles! Et les discussions vont aller bon train, presque trois heures durant, sur le non-pouvoir accordé aux femmes, leur sexualité dans une société patriarcale et sur ce meurtre.
Mais Lucy Kirkwood sait dire aussi les inégalités et jalousies entre elles, malgré une certaine solidarité féminine. Avec une bonne conscience chez celles de la classe dominante, et la révolte des plus pauvres qui ont en horreur ces familles riches qui les maintiennent sous leur emprise.
Tout cela, sous le regard du pauvre huissier qui ne peut rien dire ni intervenir. Plusieurs perdent leur calme jusqu’à faire naître une belle bagarre. L’art de l’accoucheuse sera aussi remis en question, même si elle a aidé plusieurs du groupe, puisqu’elle sert aussi de gynécologue et de conseillère conjugale… Après diagnostic sans appel du médecin, la jeune domestique, déclarée enceinte, aura donc la vie sauve mais sera condamnée à la relégation…
Cela commence par une vidéo avec des femmes accomplissant des travaux ménagers. Puis elles se présenteront une par une sur le plateau devant un juge qui les fera jurer sur la Bible. Puis on voit toujours en vidéo, une jeune rentrant chez elle couverte de sang… Et dans une grande pièce éclairée par un vaste plafonnier dispensant une lumière très blanche, avec, à jardin, une fenêtre tout à fait contemporaine qui laisse échapper les cris de la foule réclamant une peine sévère. A cour, une porte étroite qu’on ouvre avec une petite clé plate détenue par le seul huissier. Dans le fond, une grande table de bois et des bancs rustiques, une cheminée toute blanche avec une bûche… Une scénographie bien laide… dont le but est sans doute d’établir un pont entre le XVIII ème siècle et l’époque actuelle mais c’est raté!
Les débats de ce jury populaire choqué par ce meurtre vont commencer sur fond de vieilles querelles de village.L’accusée (Andréa El Azan) longuement interrogée, prétend être enceinte, et pour preuve, elle fera même couler du lait de son sein. Mais Charlotte Carey, très bourgeoise et partisane de la peine de mort (impeccable Marie-Armelle Deguy) ne fait pas confiance à cette fille pauvre. Laquelle inspire de la sympathie à Helen, justement parce qu’elle est pauvre. Mais pour Elisabeth Luke, la sage-femme (tout aussi impeccable Bénédicte Cerruti), toute cette affaire est une mauvaise farce et elle sera la seule à vraiment défendre l’accusée. Avec Océane Mozas (Judith Brewer), cet excellent trio emmène une distribution assez inégale: la direction des jeunes actrices n’est pas toujours très solide avec, trop souvent, de la criaillerie dans l’air…
Mais le public ressent bien le conflit entre une jeune meurtrière qui dit avoir eu un geste politique et un groupe de femmes vivant sous la surveillance absolue de leur père puis de leur mari, ayant besoin d’émancipation et prenant parti en sa faveur, après revirement pour certaines.
La première partie (une heure quinze) bien construite passe vite mais la seconde (une heure dix) avec des récits annexes, beaucoup moins. Incontestablement Chloé Dabert a une solide maîtrise de ce groupe- ce qui n’est pas évident- et sait faire de belles images… Comme ces femmes en rang, face public et servant de paravent quand Sally Poppy, étendue sur la table, est examinée par le médecin. Des images qui font souvent penser à 1789, le fameux spectacle du Théâtre du Soleil, mis en scène par Ariane Mnouchkine.
Malgré une bande-son approximative et bien conventionnelle! à base le plus souvent de percussions électroniques, notamment pour traduire le bruit de la foule! Comme si Chloé Dabert avait voulu éloigner le spectre d’une reconstitution. Les beaux costumes signés Marie La Roca participent beaucoup à la réussite de ce spectacle, souvent impressionnant de vérité… mais dont le texte aurait pu être élagué sans dommage.
Philippe du Vignal
Spectacle joué du 9 au 19 novembre, au Théâtre Gérard Philipe-Centre Dramatique National de Saint-Denis ( Seine-Saint-Denis). T. : 01 48 13 70 00.
Le 1er décembre, Le Parvis, Scène Nationale de Tarbes, (Hautes-Pyrénées).
Les 10 et 11 janvier Scène Nationale du Sud-Aquitain, Bayonne (Pyrénées-Atlantiques). Du 25 au 27 janvier, Le Quai-Centre Dramatique National, Angers-Pays de la Loire (Maine-et Loire).
Les 2 et 3 février, Espace des Arts-Scène Nationale, Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire). Et les 8 et 9 février, Comédie de Caen-Centre Dramatique national de Normandie (Calvados).
Les 1er et 2 mars, Centre Dramatique National Drôme-Ardèche, Comédie de Valence (Drôme).