La Morsure de l’âne de Nathalie Papin, mise en scène d’Émilie Le Roux
Sur un plateau tournant, dans le clair-obscur, Paco et Noïké se croisent et s’esquivent, silhouettes évanescentes. «Ça va durer longtemps, cette mort?, demande Paco. «Ça dépend de vous » répond Noïké, sa première rencontre dans le monde étrange où il vient d’être précipité. Elle, est là depuis longtemps : «Je déambule dans la vie, dans la mort. Je m’y promène. J’adore ça… » Nous comprenons vite que Paco erre dans un pays mystérieux où un âne philosophe lui sert de guide. Passeur des enfers, il montre la voie entre l’au-delà ou l’en-deça. Dans cet entre-deux, son fils Uriel lui apparaît et annonce qu’il n’a plus besoin de lui, et une petite fille « pas encore née » lui demande d’être son père. Il dialogue aussi avec la Mort et une suicidée qui a « raté son coup ». Il s’avère que t que Paco (Julien Anselmino)est dans le coma à la suite d’un anévrisme, quand il dialogue avec son corps (Najib Oudghiri) resté à l’hôpital …
«Nathalie Papin, dit Emilie Leroux, invente des mondes et fait de l’intériorité de Paco, un ailleurs à explorer où l’âne n’en finit pas de nous promener. La scénographie dépouillée de Stéphanie Mathieu permet aux comédiens, par des jeux de lumières, de surgir ou s’effacer, selon les lignes de fuite tracées à partir de la tournette. Effet renforcé par les vidéos fantomatiques de Pierre Reynard où des enfants virtuels parlent lèvres closes. Les corps semblent ainsi flotter dans des limbes sans limites.
Dans une mise en scène fantasmagorique, l’âne (Dominique Laidet) est personnifié par une tête d’équidé très réaliste à la mâchoire articulée. Tel un croque-mort, il s’assure en mordant que le comateux ressent la douleur, c’est-à-dire qu’il est encore en vie. La composition musicale minimaliste, avec les violons de Théo Ceccaldi, le violoncelle de Valentin Ceccaldi, le piano préparé et l’univers percussif de Roberto Negro, souligne discrètement l’étrangeté de la pièce. Rien de macabre dans cette pièce destinée au jeune public : Martine Maximin joue une suicidée pleine de santé et d’optimisme, Lou Martin-Fernet est une camarde joyeuse malgré sa tête de mort. Et tout est bien qui finit bien.
Le spectacle réalisé avec soin et d’une grande tenue esthétique, aborde la question de la mort, en ouvrant aux enfants les portes de l’imaginaire et philosophant avec humour sur un sujet que notre société a rendu tabou. « Je voulais écrire cette pièce en souriant, écrit Nathalie Papin, de ces sourires légers qui, l’air de rien, sont capables d’encourager au passage délicat. Une sorte d’espièglerie qui annonce les réconciliations.» Les jeunes spectateurs ont ressenti cette légèreté et ont vu toutes les nuances de l’écriture sensible de l’autrice. À voir sans hésiter.
Mireille Davidovici
Du 22 au 26 novembre, Théâtre de la Ville-Les Abbesses, 31 rue de Abbesses, Paris (XVIll ème). T. : 01 42 74 22 77.
Le 2 février, Théâtre des Bergeries, Noisy-le-sec (Seine-Saint-Denis).
Le 2 juin, Théâtre Croisette, Cannes (Alpes-Maritimes).