Deux Amis, texte et mise en scène de Pascal Rambert
Deux Amis, texte et mise en scène de Pascal Rambert
Une histoire de couple: les prénoms Charles et Stan, ceux de Charles Berling et Stanislas Nordey, n’ont pas été modifiés. Amis à la ville comme à la scène, amoureux et embarqués dans un même projet de théâtre… Monter, jouer Tartuffe, Dom Juan et Le Misanthrope comme Antoine Vitez, mort avant ses soixante ans en 1990, ou comme Molière lui-même, avec deux chaises, une table et un bâton. Entre les acteurs, les petites failles s’ouvrent dès le choix de la table, à supposer qu’ils aient ce choix : en bois, comme le suggère de loin un certain et dangereux H., en plastique, qu’on a sous la main… En tout cas, à ne surtout pas changer au moment décisif où l’on passe des répétitions, à la représentation: l’acteur risque d’y perdre tous ses repères spatiaux, tactiles, ses appuis, son jeu…
En attendant, ils font avec. Charles et Stan laissent toute liberté à leurs jeux d’enfants, tendresses brutales, bagarres de cour de récréation. Au point de s’énerver contre le bric-à-brac accumulé en fond de scène. Blague : pour éviter qu’on parle d‘un spectacle « qui ne casse rien » ? Mieux, d’un spectacle « à tout casser » ? Ils se permettent même une rapide scène de cul –pourquoi refuser le mot, puisque nous avons vu la chose, à nu ? »- Et plutôt du côté jeu de gamins, que du trouble.
Mais trouble il y a, comme dans toutes les histoires de couple. Comment se peut-il, qu’à un moment, on ne se connaisse plus ? Que les pensées et les émotions de l’un, deviennent muettes pour l’autre ? Avec le temps, dirait Leo Ferré… Pascal Rambert écrit comme on respire, sur, pour, et avec le théâtre. Deux Amis passe par le dialogue quotidien, bref et nu, la rêverie intime, les grandes envolées de colère, la spirale infernale de la jalousie. Chaque mot dit par le jaloux lui-même creusant profondément le puits dans lequel il se noie… Ce pourrait être une pièce de boulevard mais non, on n’a pas le temps, il y a toujours urgence, l’amour (grande question chez Pascal Rambert ) n’attend pas.
Quoi encore ? Ce nouveau duo, après Clôture de l’amour (Audrey Bonnet et Stanislas Nordey) et Sœurs (Marina Hands et Audrey Bonnet) joue sur le même postulat : l’acteur garde son nom : ce n’est pas un rôle, ce n’est même pas son propre rôle. Avec ce qu’il est mais que nous n’appellerons pas ses outils, il entre de plain pied dans un texte fait pour lui . Et avec ce que sa personnalité, sa relation avec l’auteur, leur amitié, sans doute, lui ont donné. En un mot, l’acteur nourrit l’auteur, et réciproquement , en une belle histoire d‘anthropophagie mutuelle. Il y a bien quelques moments où cela piétine, où il y a trop de mots et où on fatigue, mais c’est à prendre ou à laisser. Et les spectateurs sont déjà embobinés, sauf exception : quelques-uns quittent discrètement la salle.. Et l’on n’en voudra pas à l’auteur d’être malin, et encore moins aux acteurs. Parce qu’ils sont vraiment là tous les deux et tout le temps. On dira que c’est la moindre des choses, encore faut-il que cette exigence soit tenue. Ici, ni triche, ni complaisance, chacun donne son timbre de voix, sa souplesse ou ses maladresses, se respiration avec une totale générosité. Cette histoire d’amour, du théâtre aussi, finit bien : le public applaudit chaleureusement.
Christine Friedel
Théâtre du Rond Point, 2 bis avenue Frankin D. Roosevelt, Paris (VIII ème), jusqu’au 3 décembre. T. : 01 44 95 98 00.
À suivre : trois pièces de Pascal Rambert bientôt à l’affiche :
Du 1 er au 4 février, 3 Annonciations, Chaillot-Théâtre National de la danse .
Du 2 au 18 février, Ranger, avec Jacques Weber.
Et du 7 au 17 février, Perdre son sac, avec Lyna Khoudri, Théâtre des Bouffes du Nord, Paris (X ème).