La terre entre deux mondes de Métie Navajo, mise en scène de Jean Boillot

La Terre entre deux mondes de Métie Navajo, mise en scène de Jean Boillot

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© Sylvain Martin

 «Ils ne sont pas venus nous coloniser, nous l’étions déjà. Ils ont de l’argent pour acheter des permis, avec les permis, ils achètent la forêt, avec la forêt, ils font des champs de soja. Et quand la terre n’a plus rien à donner, ils partent en chercher d’autres ailleurs, et nous, nous restons avec la terre nue et morte comme cimetière… »
Ainsi parle le père de Cécilia, paysan indien spolié de ses terres par des communautés chrétiennes mennonites à la langue bizarre, vivant retranchées du monde. Cécilia doit trouver sa place entre son père qui appelle la pluie avec des chants d’oiseaux, Amalia, fille des colons chez qui elle travaille et le fantôme de sa grand-mère, symbole d’une culture maya, qui refuse de disparaître…  Amalia et Cécilia se lient d’amitié et partiront à l’aventure… 

 Métie Navajo a écrit cette pièce à la suite d’une résidence au Mexique, dans la région de Campeche où des artistes maya lui ont fait rencontrer des paysans. Elle a écouté les histoires familiales : «déforestations massives, culture intensive, cancers liés aux pesticides…  » Elle a aussi découvert, avec surprise, les communautés mennonites, descendant de familles néerlandaises, allemandes, russes, rejetées par l’église chrétienne pour leurs croyances proches de celles des anabaptistes.

La mise en regard de ces cultures, face au progrès qui avance avec un projet de chemin de fer constitue l’arrière-plan de cette pièce. Sans pour autant en faire du théâtre documentaire. l’autrice a transformé son enquête en une fiction avec des personnages attachants, dans des univers contrastés. A chacun son langage: le français teinté d’espagnol du père côtoie le maya et ses fricatives de la grand-mère, et l’afrikaans des Mennonites, aux sonorités germaniques… La dramaturgie devient sonore et ce concert des langues contribue à l’originalité de la pièce. On peut regretter que Métie Navajo en dise parfois trop, au risque de brouiller les pistes.

Jean Boillot rend justice à cette écriture: sans artifice, il impulse aux comédiens un jeu direct et efficace. Et Laurence Villerot grâce à une scénographie épurée, souligne la précision de la mise en scène, avec un découpage géométrique de l’espace, sans qu’il y ait besoin de changement de décor. La création-lumière d’Ivan Mathis et les paysages sonores de Christophe Hauser suggèrent chaque lieu (la maison de Cécilia, celle d’Amalia, la forêt…).
Un beau spectacle tout public d’une heure quarante, qui devrait gagner en rythme et en concision au fil des représentations, si on resserre certaines scènes.

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 8 novembre dans le cadre des Théâtrales Charles-Dullin, au Théâtre Jean Vilar, 1 place Jean Vilar, Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne). T. : 01 55 53 10 60.

Du 16 au 18 novembre, NEST, Thionville (Moselle) ; 1er décembre, Bords 2 Scènes Vitry-le-François (Marne) ; 8 décembre, EMC, Saint-Michel-sur-Orge (Essonne).

La pièce est publiées aux Editions Espace 34.


Archive pour novembre, 2022

La Cerisaie d’Anton Tchekhov, traduction d’André Marcowitz, mise en scène de Daniel Jeanneteau et Mammar Benranou

La Cerisaie d’Anton Tchekhov, traduction d’André Marcowitz, mise en scène de Daniel Jeanneteau et Mammar Benranou

Un spectacle créé au Shizuoka Performing Arts Center à Tokyo. Le metteur en scène et directeur du T2G à Gennevilliers a collaboré avec la compagnie de Satoshi Miyagi pour Anéantis  de Sarah KaneLa Ménagerie de verre  de Tennessee Williams, Les Aveugles de Maurice Maeterlinck. Avec des acteurs japonais et français. Daniel Jeanneteau a choisi de monter La Cerisaie  qu’il préférait à Oncle Vania, même, dit-il, s’il connaissait mal cette dernière pièce du grand dramaturge créée quelques mois avant sa mort en 1904 à Badenweiler en Allemagne. Il fut enterré à Moscou. Sur le wagon où avait voyagé son cercueil salué par une foule immense, était inscrit: transport d’huîtres fraîches….

© ©Jean-Louis Fernandez_

© Jean-Louis Fernandez

Lioubov, une actrice plus toute jeune, arrive de Paris où elle vivait avec son amant depuis cinq ans, juste après que Gricha, son petit garçon s’était noyé. Tourmentée par son passé, coincée entre sa vie parisienne et sa vie en Russie où elle retrouvera sa chambre dans la maison d’enfance si chérie. Très endettée, elle continue quand même à dépenser sans compter. Il y a là Gaïev, son frère et Varia, sa fille adoptive qui a géré le domaine en son absence, Lopakhine, un riche homme d’affaires, Douniacha, la domestique, Boris, un propriétaire voisin ruiné mais aussi Piotr Trofimov, l’étudiant qui avait été le précepteur de son fils Gricha, Épikhodov, le comptable et Firs, le vieux valet de chambre .

Lopakhine, fils de serfs mais déjà jeune propriétaire foncier et hommes d’affaires averti, met plusieurs fois en garde Lioubov et Gaïev contre un risque de faillite totale et pour rembourser leurs dettes, leur offre d’acheter toute la propriété pour en faire des lotissements… en coupant toute la cerisaie et rasant sa chère maison… Niet catégorique de Lioubov vent debout contre ce projet. La vente aura lieu donc en août mais Lioubov n’a aucune possibilité d’emprunt et la grosse somme d’argent offerte par sa grande-tante à Gaiev ne suffirait même pas à rembourser les intérêts des dettes ! Et cette comédie prend alors des allures de tragédie : ici, la situation est irréversible et Lioubov inconsciente quand il s’agit d’argent, sait alors qu’elle a déjà perdu la partie.

On est donc fin août et Lioubov fait une fête avec  orchestre pour danser, le jour mêmede la vente aux enchères. Lopakhine arrive avec Gaïev et, quand Lioubov demande qui a acheté le domaine, il avoue que c’est lui. Lioubov est anéantie et Ania essaie de la rassurer et lui dit que maintenant l’avenir sera plus clair.. Une grande victoire personnelle pour Lopakhine et une catastrophe pour Lioubov: on met en caisses les meubles de la famille qui va quitter le domaine pour toujours. (La maison d’enfance d’Anton Tchekhov fut achetée et détruite par un homme riche que sa mère considérait comme son ami !)

Lopakhine a déjà commencé à faire couper les cerisiers quand la famille est encore là mais il s’excuse et arrête l’abattage. Carlotta, la domestique qui ne sait plus où elle en est, prie la famille de la garder.  Les bagages (ici des valises modernes aux couleurs violentes très laides!) sont déjà prêts dans l’entrée et la famille ira prendre le train pour Moscou. Mais oubliera le vieux Firs, malade, qui a toujours travaillé dans cette maison. Il voit bien qu’on l’abandonné.. On entend au loin le bruit des haches… Quel scénario! Et cette pièce bouleversante du grand dramaturge a une portée universelle.

Depuis plus de trois quarts de siècle qu’elle est jouée en France, tout critique de théâtre en a de merveilleux souvenirs: pour nous, il y eut les mises en scène avec des distributions exemplaires: à commencer par celle de Jean-Louis Barrault en 54. Il avait bien vu les choses à une époque où le théâtre de Tchekhov était encore peu joué… Et ensuite Peter Brook avait imaginé une mise en scène lumineuse, avec juste quelques meubles et accessoires. Giorgio Strehler  lui, en avait conçu une toute aussi lumineuse, avec un petit train électrique circulant dans la chambre des enfants, (que tout le monde recopia longtemps sans scrupule!) qui était devenue culte. Suivirent celles de Peter Stein (95), puis de Stéphane Braunschweig, d’Alain Françon (en 98, puis en 2009 avec Jean-Paul Roussillon exceptionnel dans Firs et qui devait mourir peu après,  celle de Christian Benedetti dans une version « TGV », mais d’une belle efficacité. Chacune remarquable dans un style différent avec décor réaliste ou pas, mais où, chaque fois, le public était au bord des larmes…

Une scénographie signée Daniel Jeanneteau avec des nuages en vidéo que traversent parfois de grands oiseaux noirs -une belle image- comme pour dire l’imminence de cette catastrophe familiale et qui  se noirciront pour disparaître complètement à la fin. Mais ici, plus de cerisaie en fleurs, plus de meubles de famille, samovar, costumes russes, etc. Sur un grand plateau habillé de tissu, quelques chaises et la mythique armoire dans la chambre d’enfants, figurés par des volumes en tringles de fer façon Bob Wilson. Et  côtés cour et jardin, pour dire l’intérieur de la maison, un rideau en tulle gris que les acteurs rouleront puis enlèveront. Pour figurer le jardin, ils apporteront juste un banc en bois et un coussin. Bref, une grande épuration…
«Nous nous sommes laissés guidés, dit-il, par Tchekhov, par son sens de l’économie dans le représentation. Son théâtre est toujours très tenu, loyal au service d’un propos plus vaste et plus diffus qu’il veut révéler par des indices, un propos plus important que l’histoire elle-même. » Et aux meilleurs moments, on peut admirer, visiblement inspirée du théâtre nô, l’élégance de cette gestuelle lente et précise comme dans un rêve. Là, Daniel Jeanneteau sait faire…

Oui, mais voilà dans cette épure très graphique, où est passée la blanche cerisaie? Où est passé le poids des morts qui hantent toute la pièce: la seule d’Anton Tchekhov où il n’y ait pas de suicide ou de meurtre ? Où est le personnage complexe de Lioubov, incapable de renoncer à ce domaine et d’en faire le deuil mais aussi impuissante à tout essayer pour le sauver? Où est l’énergie et la soif d’en découdre chez Lopakhine, fils de serfs, indifférent à cette maison d’un passé qui n’est pas le sien: il a une revanche sociale à prendre et se projette dans le futur. Désolé, mais ici, nous n’avons pas trouvé « cette densité qui n’est pas dans le dialogue mais dans le silence, dans la vie qui s’écoule », comme le disait avec raison Jean-Louis Barrault. 

Par ailleurs, et cela pose vraiment problème: la direction d’acteurs est aux abonnés absents. Et les micros H.F en banalisant les choses, une fois de plus n’arrangent rien. Les Français sont quelque part mais où? Au début, on entend à peine Philippe Smith (Lopakhine) qui semble épuisé et triste. Et Axel Bogousslavski n’était pas disponible, Daniel Jeanneteau a demandé à Stéphanie Béghain de jouer le vieux Firs. Pourtant, il ne manque pas d’acteurs âgés capables de tenir ce rôle essentiel et si convoité. Là aussi, surtout à la fin, on entend à peine cette actrice reconnue  mais qui n’est pas très à l’aise. Du coup, la scène finale pourtant sublime, est ratée… Et il n’y a guère d’unité de jeu, chacun jouant sa partition. Quant aux Japonais, en particulier Kazunori Abe (Gaev), ils en font souvent des tonnes. Seule, malgré la barrière de la langue, Haruyo Hayama s’en tire bien: elle a une vraie présence et sa Lioubov est touchante et déchirée par ce qui lui arrive.

Cette réalisation peut encore évoluer mais, même si la sincérité et la compréhension de la pièce par Daniel Jeanneteau ne peuvent être mises en doute, ce décapage en règle, avec juste, dit-il, «les corps et la parole » est décevant et cette mise en scène trop statique et surtout fondée sur des images, ne rend finalement pas service à cette Cerisaie qui reste peu lisible. Les professeurs des collégiens ou lycéens qu’ils y emmèneront, auront intérêt à bien leur expliquer la pièce pour qu’ils la comprennent bien et, si possible, à leur passer la vidéo de la mise en scène exemplaire de Peter Brook. Cela peut être un bon exercice de dramaturgie comparée…
Au moins, nos amis japonais seront contents d’entendre leur langue et le public français  goûtera ce texte sublime qu’on relit avec toujours avec plaisir, même quand il est surtitré… Pour le reste, autant en emporte le vent d’hiver.

Philippe du Vignal

Jusqu’au 28 novembre, T2G Théâtre de Gennevilliers-Centre Dramatique National, avenue des Grésillons, Gennevilliers (Seine-Saint-Denis). T. : 01 41 32 26 26. (navette gratuite pour le retour sur Paris).

Du 8 au 14 décembre, Théâtre des Treize Vents-Centre Dramatique National de Montpellier (Hérault).

Les Règles du Je(u) de Sam Holcroft,vtraduction de Sophie Magnaud, mise en scène d’Arnaud Anckaert

Les Règles du Je(u) de Sam Holcroft, traduction de Sophie Magnaud, mise en scène d’Arnaud Anckaert  

L’autrice, peu connue en France mais tout à fait reconnue outre-Manche, a écrit une dizaine de pièces et le grand Jean-Pierre Vincent disparu en 2.020 et qui fut un des professeurs d’Arnaud Anckaert, mit en scène Cancrelat, il y a dix ans. C’est, dans la veine bien connue du théâtre contemporain, depuis La Noce chez les petits bourgeois de Bertolt Brecht (1919), un repas de famille qui tourne mal, voire très mal. Ici, tout est prêt pour un grand déjeuner de Noël « dans une cuisine-salle à manger ouverte sur le séjour ou la véranda d’une maison familiale de grands-bourgeois. Avec deux entrées, l’une donnant sur le jardin, et l’autre sur le reste de la maison.» Arnaud Anckaert a fait un autre choix et les acteurs qui ne jouent pas une scène, s’assoient sur les banquettes de chaque côté du plateau.

Un peu brechtien et souvent vu, mais comme ils n’y restent jamais bien longtemps, cela n’a guère d’importance… Nappe sur une grande table, belles assiettes et verres à pied, cadeaux au pied d’un grand sapin en plastique avec guirlandes dorées et grosses boules rouges…«L’intérêt de mettre en scène Rules for living ou les règles du je(u),c’est apporter une réponse artistique à la crise de la covid-19 metteur en scène. (…) Une comédie ponctuée de règles s’appliquant aux personnages et aux situations. »

Affichées selon les didascalies, en projection sur le mur du fond, ces règles changent au fur et à mesure et cela apporte une certaine distance mais si le public ne les regarde pas vraiment, cela ne change pas beaucoup sa perception. Mais dit l’autrice, tous les personnages doivent les adopter. Règle 1 : Matthew doit être assis pour mentir. Règle 2 : Carrie doit être debout pour faire une blague. Règle 3 : Nicole doit boire pour contredire son interlocuteur. Adam doit prendre une voix ridicule pour dire la vérité.  Et Sam Holcroft précise :Quand il est indiqué qu’Adam doit prendre une voix ridicule ; quand il est honnête, l’acteur peut choisir d’adopter n’importe quel genre de pitrerie vocale : accent, intonation, parodie, raillerie, sarcasme, voix de bébé. Règle 5 : Édith, doit faire le ménage pour tenir sa langue….

Il y a donc cette Edith (Céline Dupuis) cette mère autoritaire, obsédée par la propreté qui vaporise sans cesse tous les meubles un produit antibactérien et essuie chaque bibelot. On est allé chercher à l’hôpital son mari Francis qui a soixante-dix ans (Roland Depauw). En fauteuil roulant, il a perdu la parole ou presque.
Mathew, leur fils, un avocat discret, bien habillé qui rêvait d’être acteur (Nicolas Cornille) a pour compagne depuis quelques mois, Carrie, la trentaine comme lui. Taille mannequin, perchée sur des escarpins et moulée dans une robe ultra-courte en tissu argenté pailleté (très remarquable Victoria Quesnel) en alternance avec Karine Pedurand. Volubile, sans cesse en mouvement et en représentation, roulant des hanches, elle veut que sa probable future belle-famille la remarque et dansotte pour séduire Mathiew (son plus grand souhait est qu’il la demande en mariage). Ils déballent cadeaux, gâteaux et bouteilles de vin et d’alcool qu’ils ont apportés.

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Mais Mathiew semble avoir des vues sur sa belle-sœur Nicole qui a un net penchant pour l’alcool (Fanny Chevallier). Mariée avec Adam, un juriste qui voulait être footballeur (Nicolas Postillon). Mais leur couple (la quarantaine) bat de l’aile et les deux frères se détestent mais restent courtois… jusqu’à l’explosion finale…Somme toute assez banals, ces six personnages vont régler leurs vieux comptes familiaux.
Cela ira crescendo jusqu’à une bataille rangée où ils se bagarrent et cassent tout dans une sorte de jubilation/perversion. Sapin déchiqueté, chaises et tables renversées, nappe violemment retirée de la table et dinde, desserts, verres, cadeaux et vaisselle, par terre..
A la fin, Emma, quatorze ans, la fille de Nicole et Adam, réveillée par le vacarme dans la salle à manger, arrive en pyjama et est sidérée par le foutoir général que sa famille a réussi à mettre le jour de Noël… Une scène étonnante : ce n’est plus les ados qui font une fête bruyante et se font surprendre par leurs parents mais l’inverse! Emma leur rappelle en quelques phrases bien senties, que leur conduite est inadmissible…

Ce délire total rappelle celui de certaines scènes de Georges Feydeau comme dans La Dame de chez Maxim. « Le comique disait-il, c’est la réfraction du drame.» Bien vu! Ici, à la fin, Carrie, Adam et Nicole, tous sérieusement alcoolisés et lessivés par ce lavage de linge sale, ont quitté la partie avec Emma.
Resteront ici Mathew et ses parents sous le choc … Et les didascalies sont très précises: «
Édith se met à nettoyer. La règle 5 s’affiche «Édith doit faire le ménage pour tenir sa langue.» – (Frottant une tâche au sol.) Oh! Regarde – ça va laisser une trace. Matthew. – On rangera plus tard, pourquoi tu ne viendrais pas t’asseoir avec nous? S’il te plaît… (Édith continue à nettoyer.) Maman, pour une fois, est-ce qu’on peut simplement s’asseoir et parler vraiment ? (…) Édith continue à nettoyer. Matthew mange. Ils mangent et nettoient jusqu’à la fin. » Joyeux Noël…

Côté bémols, cela criaille parfois mais devrait vite trouver son équilibre. Sans doute un peu trop longue (deux heures vingt), le texte mériterait quelques coupures. Mais la direction d’acteurs- tous très crédibles et remarquables- est parfaitement maîtrisée et la mise en scène d’Arnaud Anckaert où tout est cadré avec soin est sans aucun doute sa meilleure. Et cette première création en français de cette pièce- une belle réussite- sera jouée partout en France.  Surtout n’hésitez pas à aller la voir et il faut espérer qu’un théâtre parisien l’accueille aussi…

Philippe du Vignal

Le spectacle a été joué du 7 au 9 novembre à la Comédie de Picardie, Amiens (Somme). 

Le 15 novembre, Théâtre Jean Vilar, Saint-Quentin-en-Yvelines. Le 17 novembre, La Faïencerie, Creil (Oise). Les 24 et 25 novembre, Comédie de Béthune (Pas-de-Calais).

Le 1er décembre,Théâtre Jacques Carat, Cachan (Val-de-Marne). Le 3 décembre, L’Orange Bleue, Eaubonne (Val-d’Oise). Le 6 décembre,Théâtre des Sources, Fontenay-aux-Roses (Hauts-de-Seine) et le 8 décembre,Théâtre du Cormier, Cormeilles-en-Parisis (Val-d’Oise).

Du 18 au 20 janvier, Le NEST, Thionville (Moselle). Du 25 au 27 janvier, Le Phénix, Valenciennes (Hauts-de-France) et le 31 janvier, Le Manège, Maubeuge (Nord).

Du 8 au 10 février, L’Allende avec La Rose des Vents, Mons-en-Barœul (Nord). Le 2 mars, Maison Folie-Wazemmes, Lille (Nord).

Le 7 mars, La Tête Noire, Saran (Loiret). Les 14 et 15 mars, La Barcarolle, Arques (Pas-de-Calais).

Le 25 avril, Espace Jéliote, Oloron-Sainte-Marie, (Pyrénées-Atlantiques).

Le 4 mai, Théâtre Benno Besson, Yverdon-les-Bains et le 6 mai, Le Reflet, Vevey (Suisse).

Starmania de Michel Berger et Luc Plamondon, mise en scène de Thomas Jolly, chorégraphie de Sidi Larbi Cherkaoui

Starmania de Michel Berger et Luc Plamondon, mise en scène de Thomas Jolly, chorégraphie de Sidi Larbi Cherkaoui

 Le metteur en scène qui avait mis en scène Thyeste de Sénèque (2018) au festival d’Avignon, (voir Le Théâtre du Blog) s’est attaqué à ce monument créé pendant un mois au Palais des Congrès à Paris en 79, donc avant sa naissance.Le spectacle a connu plusieurs mises en scène en France et dans le monde. Une version-concert avait été donnée en 2005 à Paris avec des musiciens de l’orchestre de l’Opéra.

Thomas Jolly, de manière fluide et lisible, nous emporte aisément dans le monde futuriste de Monopolis proche du Métropolis de Fritz Lang. Ici, l’espace, avec hauts châssis mobiles, deux plateaux tournants et écrans pour projections- vidéo, baigne dans une orgie de lumières, quitte à provoquer des crises d’épilepsie. De la chorégraphie, nous retiendrons quelques beaux effets de groupe. Quant à la musique, jouée en direct, elle avait tendance à couvrir parfois les voix.

 Mais tous les personnages sont là, avec leurs mélodies incontournables : Quand on arrive en ville, Le Blues du businessman, Un garçon pas comme les autres, Les Uns contre les autres, Le Monde est stone, Besoin d’amour.  Côme, dans le rôle de Johnny Rockfort a du mal au début, à s’affirmer vocalement et la mémoire de Daniel Balavoine nous hante….Mais, avec SOS d’un Terrien en détresse, il réalise un tour de force vocal en chantant sur deux octaves et demi.
La serveuse automate Marie-Jeanne que jouait Fabienne Thibault à l’origine, est ici chantée par l’excellent Alex Montembault, révélation de cette soirée. Pureté vocale, belle présence : il fera sans doute une grande carrière…
Lilya Adad (Cristal) s’impose aussi, mais l’apparition de son hologramme nous rend un peu nostalgique de France Gall, la créatrice du rôle. S’ajoute à cette tribu, un personnage qui existait à l’origine, le Grand Gourou Marabout, chanté en 1978 par Michel Berger, le mari de France Gall. Luc Plamondon et Fabienne Thibault, seuls survivants de cette aventure exceptionnelle, assistaient à la représentation.

Mais les paroles du célèbre opéra-rock sur fond de terrorisme et totalitarisme,signées Luc Plamondon et dites par Zéro Janvier (joué ici par David Latulippe) sont… inquiétantes. «Cessons de nous priver pour le Tiers-Monde qui nous remerciera bientôt avec des bombes, assurons la survivance de la race blanche. Je suis pour l’Occident, l’homme de la dernière chance. »
« Mon intention était de proposer une narration lisible, dit Thomas Jolly, par-delà la vie autonome que les chansons ont acquise en quarante ans de succès. »Il réussit à faire revivre cet opéra-rock mythique et ce nouveau Starmania est promis à un succès certain et mérité, vu le travail accompli par les équipes artistiques et techniques. Le metteur en scène a démissionné du Centre Dramatique National-Le Quai à Angers, pour préparer la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques à Paris en 2024…

Jean Couturier

Jusqu’au 29 janvier, La Seine Musicale, île Seguin, Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine). T. : 01 74 34 54 00.
www.starmania-officiel.com

Après coup de Tadrina Hocking et Sandra Colombo, mis en scène de Christophe Luthringer

Après coup de Tadrina Hocking et Sandra Colombo, mise en scène de Christophe Luthringer

Les autrices ont écrit cette pièce (au titre cynique!) après avoir interrogé des personnes qui travaillent dans le milieu associatif, en lien avec les Délégations régionales aux droits des femmes et à l’égalité. Et elles ont aussi récolté des témoignages, se sont inspirées de livres et films. Le thème est hélas! très actuel : comment dans un pays dit civilisé, toutes classes sociales confondues, des épouses, compagnes ou ex, subissent des violences et chaque année, plus d’une centaine finissent par en mourir? Qui est coupable, ou du moins responsable ? Celles qui avaient honte et ont caché leur détresse ? Ceux et celles parmi les voisins et amis qui n’ont pas vu, ou voulu, voir ? Ou les services de police qui ont négligé le n ième signalement donné par la victime, celui de trop? Et comment trois amies peuvent-elles se retrouver après ce cauchemar ?

«Et si nous arrivions à faire rire ? disent Tadrina Hocking et Sandra Colombo.  Il faut affronter la question, parler de la mort violente qui peut arriver dans la vie, de la question de l’autre et de celles qui restent. Nous voulons entrer dans le vif du sujet par l’intermédiaire de la comédie qui nous est apparue comme un moyen efficace pour nous adresser au plus grand nombre. Le rire comme rempart et en étendard, le rire parce qu’il permet le partage, l’échange et fait passer la dureté, l’impensable, le cauchemar. Comme l’écrivait Bergson, le rire s’adresse à l’intelligence pure. » Bien vu…

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Cela se passe dans un chalet de montagne isolé et donc propre à des retrouvailles – un truc pas neuf au théâtre mais efficace- où quatre jeunes femmes, amies depuis l’adolescence, sont heureuses de se voir quelques jours, et avec une tendresse palpable. D’abord autour d’un vin chaud et d’un bon repas. Oui, mais… bien entendu; il y a un «mais» dans ce scénario bien ficelé et aux dialogues écrits avec soin.
L’une, Belinda en grande robe rouge, semble invisible et nous allons vite comprendre que, cette présente/absente ou cette morte/vivante, est morte sous les coups de son conjoint. Les morts, surtout les pères (Darios dans Les Perses d’Eschyle, puis le papa d’Hamlet chez Shakespeare, etc.) ont toujours hanté le monde du théâtre…. Tadrina Hocking et Sandra Colombo ont été bien éduquées…

La pauvre Belinda dit avoir commencé à avoir peur mais n’a pas voulu accepter les choses : « On ne peut pas avoir peur de celui qu’on aime plus que tout au monde. Ce n’est pas possible. Et puis j’avais honte. La honte et la peur, ça fait taire. Si seulementLe plus étrange, c’est que je me suis dit que tout ça était normal. Que c’était de l’amour, de la passion. Tout ne commence pas avec des coups. Oh ! Non. Ce serait trop facile. Trop évident. Personne ne se ferait prendre. C’est un long processus, une lente dégradation.»
Elle raconte que, très jaloux, Il (pas de prénom, donc plus universel) est allé la voir dans son cabinet de dentiste, qu’il l’a battue et lancée contre le mur et lui a fracassé le crâne. «Il m’a craché dessus et il est parti. J’ai voulu attraper mon portable pour demander de l’aide. Mais c’était trop tard. Trop tard. »

Pourtant ses amies n’ont pourtant rien vu venir et sont maintenant rongées par la culpabilité. Magali : «Non à moi ! Si j’avais pu changer le destin de Belinda? Hein ? Ambre : « C’est dingue, tu peux pas t’empêcher de toujours tout ramener à toi. Magali : Je vous ai menti. »
La reconnaissance de cette faute ou responsabilité partagée va être l’occasion d’un règlement de compte généralisé, tantôt dans une relative douceur, tantôt dans un affrontement assez violent entre ces jeunes femmes. Les non-dits du passé refont surface. Surtout quand Ambre arrive avec un sac de congélation empli des cendres de leur amie et qu’elle a volées… Bref, dans un cadre des plus chaleureux, la folie est en marche…
Aude Roman (Sophie), Valérie Moinet (Magali) ou Marie Le Cam en alternance, Tadrina Hocking (Ambre), Gwenda Gunthwasser (Belinda) arrivent sur le plateau vide au sol noir. où il y a seulement quatre pupitres tout aussi noirs. Rigoureusement alignés face public. Et elles commencent par lire leur texte, ou plutôt font semblant de lire. Les tablettes, une fois basculées, laisseront voir des verres posés sur des nappes Vichy rouge. Les amies boiront un vin chaud invisible puis les pupitres disparaîtront et deux d’entre eux réunis feront office de table. Bon, cette mise en scène, qui ne commence pas très bien, est assez approximative. Manque un plus d’intimité entre ces jeunes femmes et pourquoi avoir voulu ce grand plateau noir où tout est noir, même les quelques chaises? Pour faire tragique?

Mais Christophe Luthringer a bien dirigé ses actrices, toutes très crédibles et qui s’emparent avec gourmandise et efficacité de ces dialogues finement ciselés et à l’humour cinglant : «Ambre : Mais oui ! On va chez ses parents avec le sac congel : “Dring dring ! C’est Picard ! Veuillez nous excuser, mais compte-tenu du fait que vous n’avez pas pris en considération les souhaits de votre fille concernant sa mort, j’ai volé ses cendres, mais comme Sophie et Magali ne sont pas d’accord, je suis très embêtée. Alors voilà, je vous la rends ! Il y a pas tout mais vous avez le reste.”
C’est parfois un peu facile du genre: Sophie: «On ne tue pas les vaches ou les brebis pour avoir du lait. Alors pourquoi, tu manges pas de fromage ? Le fromage, quand même… c’est l’une des meilleures choses sur terre. Magali : « Tu crois qu’elle est bien traitée la vache qui fait ton fromage à raclette ? Et son petit ? Tu sais comment il a fini son bébé-vache ? Sophie : Je sais pas… je me suis jamais vraiment posé la question. Magali : Tu devrais. »

Bref, ces amies resteront unies mais il y aura comme un avant et un après dans leurs relations: nous sentons comme un brin de nostalgie chez elles après cette disparition tragique. Et semblent dire aussi Tadrina Hocking et Sandra Colombo, le fantôme de leur amie est bien présent; cela s’appelle sans doute vieillir et ainsi va la vie.  A l’extrême fin, on l’entend dire face public ces quelques mots: « Moi… je ne suis plus qu’une trace. Je m’appelle Belinda et je suis l’une des cent-dix huit femmes mortes sous les coups de leur conjoint ou ex-conjoint depuis le début de l’année 2022. » En ce domaine, notre douce France a bien du retard…
Silence impressionnant dans la salle. Les autrices réussissent sans inutile mélo avec intelligence, humour et sensibilité, à mettre le doigt où cela fait mal. En une heure et quelque, la messe est dite, et bien dite. Servie par des actrices expérimentées avec une interprétation à la fois généreuse et efficace. Et Aldo Gilbert a réalisé un bon travail sonore : bruit de couverts, ouverture d’une porte-fenêtre… Allez voir ce spectacle, pas loin d’un théâtre documentaire et dont le texte mériterait aussi une version agit-prop/théâtre de rue. Il ne peut laisser indifférent, même s’il mérite une mise en scène plus solide mais bon, c’était une première et les choses évolueront sûrement…

Philippe du Vignal

Spectacle vu le 6 novembre, au Carré Bellefeuille, rue Bellefeuille, Boulogne (Hauts-de-Seine).

Du 23 au 27 novembre, Théâtre de l’Opprimé, rue du Charolais, Paris (XII ème). Et ensuite en tournée.

We wear our wheels with pride and slap your streets with color…we said bonjour to satan in 1820… chorégraphie de Robyn Orlin

We wear our wheels with pride and slap your streets with color…we said bonjour to satan in 1820… chorégraphie de Robyn Orlin

 

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© Jérôme Séron

«Nous sommes fiers de nos roues et éclaboussons vos rues, de couleurs… Nous avons salué Satan en 1820…. » Un titre qui en dit long sur les conducteurs de rickshaw à Durban, auxquels Robyn Orlin a dédié cette pièce. Ils fascinèrent la chorégraphe sud-africaine encore enfant: « Je me demandais pourquoi les anges s’envolaient ainsi et réatterrissaient .»
C’était au temps de l’apartheid et la plupart étaient zoulous. Au XIX ème siècle, leurs ancêtres, des esclaves, tiraient en pousse-pousse les colons britanniques, débarqués depuis 1820 au Cap… Elle ressuscite ces as du pousse-pousse, en une joyeuse horde colorée avec six jeunes danseurs et les musiciens d’ukhoikhoi : Yogin Sullaphen et Anelisa Stuurman.

 La chanteuse mène la danse avec sa voix chaude, profonde, parfois aigüe,  imposante et demande au public de participer à la mise en route de la représentation, en encourageant les interprètes par un  « humm » général, puis en simulant le balancement des passagers sur la banquette d’un cyclo-pousse. Les spectateurs de la salle Gémier s’agitent d’avant en arrière, en une vague joyeuse : «J’ai toujours eu ce besoin, de casser la barrière entre public et interprètes, dit Robyn Orlin. Qu’il se passe un échange… »  Ici, le mouvement crée la communication .

Emportés par cette fougue, les danseurs s’élancent et courent, rivalisant de virtuosité. Ils portent d’impressionnants casques aux cornes démesurées et leurs costumes éclaboussent  de couleurs le plateau. Captés par des caméras, leurs corps en mouvement se démultiplient grâce à des effets d’optique sur un écran à l’arrière-plan. Les artistes se suspendent à une longue barre horizontale, s’égayent en groupe ou en solos sur le grand plateau, entraînés par les percussions d’Yogin Sullphen et le chant pénétrant d’Anelisa Stuurman.

Ils disent l’histoire de ces amahashi (chevaux en zoulou), un sobriquet donné par les colons aux meneurs de pousse-pousse. A la fois, poétique et péjoratif, il traduit la condition de ces hommes noirs, transformés en bêtes de somme et ici magnifiés par ce ballet éclatant comme un feu d’artifice.

 Ce travail de mémoire emprunte aux danses traditionnelles d’Afrique du Sud, notamment les danses zoulou caractérisées par des envols et des chutes. Un style qui convient à ces «anges» à qui Satan n’a pas coupé les ailes, des ailes qu’en pourfendeuse du colonialisme, Robyn Orlin leur rend.

La « jeune danseuse très en colère » qu’elle était en 81, l’est restée et transmet son art et son engagement aux six jeunes interprètes de la Moving into Dance Mophatong, une des premières compagnies mixtes d’Afrique du Sud, fondée par Sylvia «Magogo» Glasser en 78, en résistance à l’apartheid. Des bourses ont permis à de centaines d’étudiants pauvres d’avoir une formation et beaucoup sont devenus des artistes à succès.

 Mireille Davidovici

 Le spectacle a été joué du 9 au 12 novembre, à Chaillot-Théâtre national de la danse, 1 place du Trocadéro, Paris (XVI ème).

La Galerie, mise en scène d’0livier Lépine, par Machine de cirque

La Galerie, mise en scène d’0livier Lépine, par Machine de cirque

Les arts plastiques et la danse s’invitent dans le nouveau spectacle de la compagnie québécoise. Sept acrobates explorent une galerie de peinture, aux toiles étonnamment vierges. Olivier Lépine, et son fondateur et directeur artistique Vincent Dubé, ont ici réuni le Quatuor Stomp et le Trio Moi, pour transformer cet espace chic en un joyeux méli-mélo.

Lyne Goulet  joue du saxophone, du triangle et de la voix, en une sorte de volapük, pour enrégimenter la troupe, pour enrégimenter la troupe. D’abord tirés à quatre épingles, comme ce lieu d’exposition, les circassiens se livrent à des acrobaties mesurées, dansent et jonglent élégamment… Marie-Michèle Pharand vient avec malice perturber les échanges complexes de massues blanches, révérées comme des pièces de musée.

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©Emmanuel Goulet

Mais la sagesse n’est pas le fort de ces artistes polyvalents qui vont passer de l’autre côté du miroir et du décor. Les lumières rougeoient derrière les châssis qui se déchirent et se démantèlent. Un ballet permanent d’éléments fait place à des numéros enchassés:  duo poétique (roue de Cyr/roue allemande avec Gaël Della Valle et Adam Strom;  saltos rebondissants sur une barre russe de Pauline Bonanni et Gaël Della Valle ; périlleuses envolées à la bascule coréenne ; empilements de corps sur les épaules du porteur Valdimir Lissouba, ou encore des pirouettes facétieuses et mains à mains virtuoses… Ces artistes réinventent les classiques du cirque contemporain en une danse fluide et désinvolte. Un mouvement perpétuel qui se conclut par un véritable bain de couleurs, pour recomposer une espace arc-en ciel. Vitalité et impertinence ont contaminé cette galerie d’art guindée.

 Issus pour la plupart des écoles de cirque de Québec ou de Montréal, certains sont aussi  passés par le Cirque du Soleil ou le Cirque Éloize. Jongleries inédites, acrobaties réglées comme une chorégraphie étourdissante à géométrie variable : un morceau de bravoure, avec humour en prime ! Un concentré de cirque vitaminé et drôle à voir pour le bonheur de tous.

 Mireille Davidovici

Jusqu’au 26 novembre, La Scala , 13 boulevard de Strasbourg, Paris (X ème). T. 01 40 03 44 30.

 

Céleste ma planète de Timothée de Fombelle, adaptation et mise en scène de Didier Ruiz

Céleste ma planète de Timothée de Fombelle, adaptation et mise en scène de Didier Ruiz (à partir de dix ans)

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©Emilia Stéfani-Law

Le jeune narrateur nous entraîne alors à la recherche de Céleste, dans les fumées toxiques de la tour-garage aux trois cent-trente étages où elle se cache, victime d’une maladie mortelle.
Sur la peau de la fillette s’inscrivent les stigmates d’une planète souffrante, polluée. La carte des forêts éradiquées s’y imprime en taches sombres…
Comment la retrouver, quand les dirigeants ont fait disparaître cette malade compromettante, témoin des maux qu’ils infligent à la Terre?
L’amoureux ne se laisse pas arrêter et mettra tout en œuvre pour la sauver. Mais les hommes entendront-ils l’alerte lancée par les symptômes de Céleste ?

Porté par l’écriture simple et poétique de Timothée de Fombelle, Didier Ruiz a mis ce conte en dialogues pour trois comédiens : Hugues De la Salle joue un adolescent romantique mais néanmoins dégourdi, Delphine Lachetau incarne Céleste et les autres personnages féminins (la mère, la secrétaire) et Mathieu Dion se départage entre Briss, le docteur, le père de Briss.  Narration et action à suspense se déroulent dans un désert de tours vertigineuses, dans le style des B.D. de François Schuiten. La scénographie aérienne et élégante d’Emmanuelle Debeusscher met en valeur le graphisme futuriste et les images animées de Lucien Aschehoug: ses dessins sont projetés sur des toiles verticales mobiles, qui se déploient et se replient comme des voiles de navire. Et Adrien Cordier nous transporte dans un monde sonore, pas si éloigné du nôtre : sifflements des ascenseurs, claquements de portes, voix d’annonces, vrombissements des moteurs et rumeurs de la ville…

Cette histoire d’amour, contée avec légèreté en une heure et sans temps morts, n’a rien d’une bluette à l’eau de rose… Elle pointe l’urgence à agir pour sauver notre planète, symbolisée ici par Céleste. Une belle réussite qui incite à lire les romans de Timothée de Fombelle souvent couronnés de Pépites au salon du livre et de la presse jeunesse, mais aussi son tout dernier: Alma, le vent se lève! .

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 9 novembre à l’Espace Alain Poher, 7 avenue Auguste Duru, Ablon-sur-Seine (Val-de-Marne). T. : 01 45 97 53 11. Dans le cadre des Théâtrales Charles Dullin (jusqu’au 15 décembre).

Du 8 au 22 décembre, Théâtre Dunois, Paris (XIII ème).

Le 13 janvier, Théâtre de Chevilly-Larue (Val-de-Marne).

Les 21 et 24 avril, Maif Social Club, Paris (III ème).

Le 24 mai, Théâtre Traversière, Paris (XII ème).

 Céleste ma planète est publié aux éditions Folio junior/Gallimard jeunesse.

 

 

Les Gardiennes, texte et mise en scène de Nasser Djemaï

Les Gardiennes, texte et mise en scène de Nasser Djemaï

Depuis plusieurs mois, Victoria, une radiologue de presque cinquante ans, n’a pas vu sa mère Rose qui est en fauteuil roulant et ne parle plus… Elle vient lui annoncer qu’elle lui a enfin trouvé une place dans une institution médicalisée près de chez elle et pourrait donc  venir la voir plus souvent mais il y faut de l’argent et vendre l’appartement de Rose, le débarrasser des meubles et en confier la vente à une agence.

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©Luc Jennepin

Mais Victoria arrive un peu en intruse… Elle voit avec effroi que la chambre-salle à manger est, à peu de choses près, squattée par un trio de vieilles dames, les Gardiennes, ses amies et voisines qui ont organisé sa vie, et aussi leur vie: ménage approximatif mais préparation des repas, toilette de Rose, contrôle de tension et température, visite chez le médecin, promenades… Elles veillent à tout mais aussi à son moral: un capital de générosité inestimable. Victoria, elle, voudrait juste d’abord avoir un peu de calme et d’intimité avec Rose. Mais elle s’aperçoit que le trio infernal lui cache l’état de sa mère, que l’une d’elles lui a piqué son sac et les clefs de sa voiture… qu’elle retrouvera à la fourrière. Mutisme total de la supposée responsable! Et, cerise sur le gâteau, l’agence immobilière a reçu un appel: l’appartement ne serait plus à vendre. Bref, les Gardiennes ont organisé la Résistance…

Venue pour quelques jours, Victoria n’arrive pas à quitter cet appartement, même si elle n’a a pu entrer dans sa chambre à elle, fermée à clé où elle entend des voix et même des cris. Bref, la pauvre commence à avoir des hallucinations: ses objets ou sous-vêtements personnels disparaissent et réapparaissent sans explication… comme dans un cauchemar. Et plus tard, les trois vieilles dames en grande robe noire de sorcière, se mettront à danser une sinistre farandole. Une image qui doit emmener le public vers le fantastique…

Nasser Djemai a l’intelligence et le courage de parler de quasi-tabous dans le théâtre contemporain, mais aussi de situations que des millions de familles vivent au quotidien. Avant, les «vieux» mourraient assez vite mais la durée de la vie s’est allongée, les enfants travaillent dur, habitent loin et n’ont pas le temps de s’occuper d’eux ou sont déjà eux-même à la retraite et plus très vaillants. Alors que faire, quand leur père et/ou leur mère vivent seuls et deviennent dépendants ? Comment leur assurer une fin de vie correcte et décente, si possible à leur domicile et près de leurs proches et amis?
Ce que font, au mieux pour Rose, ces Gardiennes, anciennes ouvrières âgées mais dynamiques, autonomes et bien organisées, débrouillardes au quotidien: courses, ménage, toilette, repas, visites chez le médecin. Bref, un capital fragile (l’une d’elles fera un grave malaise ) mais inestimable! Ces trois-là ont eu un passé avec des espérances et des  luttes sociales communes qui les ont soudées à jamais:  un trésor de guerre dont elles sont fières, comme de leurs enfants qui ont pu profiter de l’ascenseur social….

Il y a longtemps qu’elles vivent dans l’immeuble, et même si le quartier s’est appauvri, elles préfèrent vivre sur ce territoire qui leur appartient et où elles ont leurs marques. Constituées en tribu féminine (plus aucun homme, même si l’une en souffre), ces vieilles amazones sont capables -au moins pour le moment- de s’occuper de leur amie handicapée mais aussi d’elles-mêmes: c’est tout cela qu’elles essayent de faire comprendre à Victoria… «Avec cette fable fantastique, dit Nasser Djemaï, j’aimerais représenter les derniers vestiges d’un monde révolu. Je propose de plonger le spectateur dans un univers singulier, celui d’un temps élastique, un espace à part, avec ses règles, ses rites, son atmosphère et sa propre réalité. »

Une scénographie faite de meubles des années cinquante, avec un lit d’une place basculant, un bibliothèque avec de petits objets dérisoires, vestiges de la vie de Rose et une table encombrée de choses inutiles. Bref, le domaine de Rose, mais maintenant aussi celui de des trois Gardiennes, même si elle ont leur appartement. Nasser Djemaï comme dans ses autres pièces  (voir LeThéâtre du Blog), Vertiges, Héritiers puis Invisibles, a un regard lucide et sans doute unique dans le théâtre contemporain, sur la société actuelle et sur ces êtres qui gardent des liens de famille bien réels mais parfois difficiles.
Et il a fait jouer cette Rose muette et invalide par la danseuse Martine Harmel que l’on avait déjà vue dans Vertiges. A un moment, elle quittera son fauteuil roulant et se lancera dans un solo puis à la fin, emmènera ses Gardiennes dans un fantastique ballet de sorcières, à la limite du délire absolu.

Et, pour incarner, au sens fort du terme ce trio de Gardiennes, il a fait appel à un trio d’actrices exceptionnelles: Claire Aveline, Coco Felgeirolles et Chantal Trichet. Elles vont mener la vie dure à cette pauvre Victoria, incapable de lutter contre cet ouragan de volonté collective, même quand elle veut les virer de l’appartement.
Mais elle sera tout de même bien contente que l’une la console quand elle aura un coup de blues.
Gestuelle, diction, unité de jeu impeccables et il y a souvent des moments de théâtre très forts ! Toujours crédibles, elles sont sans cesse sur le plateau et à l’aise comme chez elles…
Il faut les voir, aussi futées que butées, régler son compte vite fait à cette Victoria, ou à un moment, silencieuses -un bloc de béton-quand elles ne veulent pas lui répondre. Bref, ces anciennes ouvrières savent ce que lutter veut dire et nous voyons tout de suite, qu’elles ne céderont jamais face à cette encore jeune radiologue attachée à la modernité-enfin celle qui lui convient- et qui veut tout régler à leur place.
Il y a un bémol: Victoria est le personnage-pivot censé déclencher la crise.Mais Sophie Rodrigues, qu’on entend souvent mal, semble endosser le rôle avec difficulté et n’arrive jamais à s’imposer. Bon, c’était la première mais il y a urgence et il faudrait revoir les choses.

Côté dramaturgie et réalisation, le texte, un peu bavard, patine vers la fin, comme si Nasser Djemaï n’arrivait pas à faire passer ce théâtre aux allures documentaires, à une fable teintée de fantastique, même s’il sait créer de belles images avec nuages (fumigènes en abondance!) et vidéos de ciel d’orage avec grondements de tonnerre.
A l’impossible, nul n’est tenu mais l’auteur et metteur en scène aurait dû s’arrêter à temps et nous épargner deux fausses fins. Dommage, car le spectacle a de grandes qualités: même trop long, il mérite d’être vu. Et, n’ayons peur des mots, tout proche d’un théâtre populaire.

Philippe du Vignal

Jusqu’au 25 novembre, Théâtre des Quartiers d’Ivry-Centre Dramatique National,  Manufacture des Oeillets, 1 place Pierre Gosnat, Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne). T.: 01 43 90 11 11. 

Le Volcan, Scène nationale du Havre (Seine-Maritime, les 29 et 30 novembre.

Théâtre-Scène conventionnée de Villefranche-sur-Saône (Rhône), le 9 décembre. MC2 de Grenoble-Scène nationale (Isère), les 14 et 15 décembre.

Centre Dramatique National de Normandie-Rouen, les 6 et 7 janvier. Théâtre de l’Union-C.D.N. du Limousin, Limoges (Haute-Vienne) du 11 au 13 janvier. Maison de la Culture de Bourges-Scène nationale (Cher), du 19 au 21 janvier. Théâtre de Sartrouville et des Yvelines-C. D. N., les 25 et 26 janvier.

Les Passerelles, Pontault-Combault (Seine-et-Marne), le 3 février. L’Estive-Scène nationale de Foix et de l’Ariège, le 7 février. Théâtre Molière de Sète-Scène nationale de l’Archipel de Thau (Hérault), le 10 février. MA-Scène nationale-Pays de Montbéliard (Doubs), le 28 février.

Théâtre du Nord-C.D.N. Lille-Tourcoing (Nord), du 16 au 18 mars.

Les Gardiennes ou Le Nœud du tisserand est édité chez Actes Sud-Papiers.

In a corner the sky surrenders unplugging archival journeys#(for Nadia !) ,chorégraphie de Robin Orlin

In a corner the sky surrenders unplugging archival journeys#(for Nadia !) chorégraphie de Robyn Orlin

 La chorégraphe sud-africaine donne des titres expressifs à ses pièces et récrée ici, avec Nadia Beugré, un solo qu’elle dansa en 1994 quand elle était encore étudiante à New York. Dans le Lower East Side à Manhattan, elle voit des sans-abris survivre  dans des cartons d’emballage: «Les rues sont un lieu de trafic de cartons, surtout ceux assez grands, pour des abris de fortune.» Dans un coin de rue, faute d’avoir trouvé un lieu, Robyn Orlin crée cette pièce qui sera ensuite présentée aux Etats Unis, en Afrique du Sud et Australie.

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© François Kohl

Chargée d’un barda de tissus et vêtements, Nadia Beaugré aborde un très grand carton qui deviendra sa cabane. Avec des gestes lents adressés à Cedrik Fermont, le musicien qui l’accompagne, comme aux spectateurs, dans un solo séducteur, elle déballe et remballe son bagage précaire, fait étalage de sa coiffure. Ses longues tresses dénouées deviennent, cognées au sol, des instruments de percussion, comme tout son corps quand elle rythme sa danse avec ses pieds. «C’est beau, beau», scande-t-elle, en nous faisant admirer sa tenue et son domaine…

 Robyn Orlin, qualifiée de «danseuse très en colère», «d’irritation permanente», répond ici calmement au scandale des sans-logis, en leur redonnant une dignité humaine. Mais la pièce ne fait pas dans le misérabilisme : Nadia Beaugré, clocharde céleste au port majestueux, est la reine du macadam. Elle manipule son carton tapissé de bleu, y entre et s’y délasse.  Impertinente et mutine, elle nous invite à visiter son « palais», comme elle dit, et le déplie en un tapis de danse azuré où elle évolue avec tonicité et harmonie, à la clarté de loupiotes, étoiles dans la nuit du plateau où tourne inlassablement un train électrique miniature. Robyn Orlin rappelle ainsi que les SDF sont des nomades qui se réfugient souvent aux abords, ou dans les gares et stations de métro.

 Nous admirons la beauté des gestes, découpés dans un faible halo de lumière, de la danseuse ivoirienne formée à la célèbre École des Sables de Germaine Acogny  dans la région de Dakar, où elle a appris les mouvements serpentins du torse. Elle joue ce solo pour le public, et avec lui, en l’invitant à participer. Il faut y entrer comme dans une sorte de poème dédié à Nadia.  On pourrait traduire (subjectivement) le titre par : « Dans un coin de rue, le ciel s’abandonne, libérant des souvenirs de voyage. »

 Mireille Davidovici

 Jusqu’au 12 novembre, Chaillot-Théâtre national de la danse, 1 place du Trocadéro, Paris (XVI ème). T. : 01 53 65 30 00.

Dans le cadre du Festival d’automne à Paris

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