Da d’Hugh Leonard, traduction d’Andonis Galeos, mise en scène de Petros Zoulias

Da d’Hugh Leonard, traduction d’Andonis Galeos, mise en scène de Petros Zoulias

Scénariste et acteur irlandais, Hugh Leonard (1926-2009) a aussi écrit plus de dix-huit pièces, deux essais et de nombreux textes pour le cinéma et la télévision. Dans les années soixante et soixante-dix, il adapte pour la télévision plusieurs classiques de la littérature anglaise.  Da (papa) créée en 1973 à l’Olney Theatre Center d’Olney (Maryland) a été jouée off-off-Broadway à l’Hudson Guild Theatre en 1978, avant de l’être à Broadway.
Un très grand succès traduit en plusieurs langues, mis en scène dans le monde entier et qui a valu à son auteur le Tony Award et le Drama Best Award de la meilleure pièce. Da a ensuite été adaptée au cinéma en 1988 avec Martin Sheen et Barnard Hughes.

©  Elina Giounanli

© Elina Giounanli

Cette auto-fiction met en valeur les relations père- fils et parents enfant, des relations fortes et complexes. La phrase-clé de la pièce ?« J’ai soixante-dix ans et à mon âge, avoue Dram, je ne suis sûr que d’une chose. Les parents ne doivent pas être parfaits. Il suffit d’aimer leur enfant. N’oublie jamais ça .»

Après la mort de son père adoptif, Charlie (Hugh Leonard), un écrivain qui vit à Londres depuis longtemps, retourne dans sa maison où il vécut enfant, à Dalkey près de Dublin. Il la voit remplie de fantômes, notamment ceux de ses parents et de lui enfant, puis adolescent. Son père, un petit bonhomme cocasse et fou, pense que pour l’Irlande Churchill, n’est pas l’homme adéquat. La mère, de celles qui supportent leur destin, essaye d’être autoritaire. L’Américaine du village trouble les cœurs par sa beauté aguichante… Et Charlie (vivant) parle avec des morts et tout au long de la pièce,revit des moments du passé. La figure de son père le suit partout et le hantera jusqu’au dénouement. Il n’arrive jamais à se débarrasser de lui et cette présence/absence va peser sur sa sa vie. Le flashback est utilisé ici d’une manière exemplaire et la pièce vacille entre réalité, et images-souvenirs, cauchemars, bons et mauvais moments… que chacun peut reconnaître comme les siens…

Ici, le metteur en scène fait une lecture efficace de la pièce et met l’accent sur le conflit intérieur de Charlie, la quête de son identité et ses doutes. Le décor montre les limites entre réalité présente et réminiscences et les comédiens ont un jeu chargé d’émotion qui nous a profondément touché. Grigoris Valtinos incarne avec douceur et mélancolie ce père qui reconnaît ses défauts. Mihalis Oikonomou (Charlie), Maria Kallimani (la Mère) et Giorgos Souxes (Dram) sont aussi excellents dans ce spectacle de grande qualité, soutenu par les belles mélodies d’Evanthia Reboutsika. 

Nektarios-Georgios Konstantinidis

Théâtre Ilissia, 4 rue Papadiamantopoulou, Athènes, T. : 0030 2107210045

https://www.youtube.com/watch?v=K5Q4FAPEuQk

 


Archive pour novembre, 2022

Zakir Hussain et Niladri Kumar

Zakir Hussain et Niladri Kumar

Zakir Hussain et Niladri Kumar  dans actualites

© Théâtre de la Ville

En vieil habitué du Théâtre de la Ville à Paris, Zakir Hussain revient  pour deux représentations au Théâtre des Abbesses. Nous avions pu l’entendre comme accompagnateur au tabla, des plus éminents musiciens classiques d’Inde comme Shivkumar Sharma au santur, et Haprirasad Chaurasia à la flûte bansur. Ils ont, il y a quelques années, bouleversé le public.
Et Zakir Hussain nous a aussi depuis quinze ans  révélé nombre de talents: Niladri Kumar (sitar) et Dilshad Khan (sarangi), les violonistes Ganesh et Kumaresh et le remarquable flûtiste Sashang.

Ustad Zakir Hussain -soixante et onze ans- est une icône de la musique indienne. Ustad : maître en persan mais ce titre se décline dans tout l’Orient, et de l’Inde à l’Asie centrale et du Sud-Est. Fils d’Alla Rakha, (1919-2.000), ustad lui-même, considéré comme un des plus grands joueurs de tabla du XX ème siècle et célèbre dans le monde entier pour avoir été le partenaire et l’alter ego de Ravi Shankar, le maître du sitar. Il a hérité de son père une poly-rythmique flamboyante et un tempo infaillible. Les tablas, instrument percussif de base sont composés de deux fûts, l’un en bois dur, aigu, l’autre en cuivre, grave et permettent d’entrecroiser un nombre infini de phrasés..

 Cette maîtrise l’a amené d’abord au cœur de la grande musique classique indienne, avec  des collaborations variées pour All India Radio. Mais en 1975, il acquiert une stature internationale quand il est choisi par le guitariste John Mac Laughlin pour devenir un des piliers de son groupe Shakti (1975-77) et pour le suivre à travers le monde dans ses différentes formations, entre autres: Remember Shakti (1992-94). Une collaboration qui a largement fait connaître la musique indienne moderne en Occident. A partir de là, Zakir Hussain jouera avec les grands noms du jazz : Jan Garbarek, Dave Holland, Tito Puente, Pharoah Sanders, Chalrles Lloyd, Joe Zawinul… ou de la pop : George Harrison, Van Morrison, Mickey Hart, Jefferson Starship et même Earth, Wind and Fire !

Star internationale, il a commencé à faire des tournées à douze ans, et a donné quelque cent cinquante concerts par an. Il a aussi enregistré un grand nombre de disques. Avec cette double identité indienne et occidentale, il est une personnalité de Bollywood où il a réalisé la musique de plusieurs films. Cette célébrité ne l’a jamais empêché d’être promoteur de talents. Comme avec son école de percussions, comme plusieurs CD en témoignent.

Et il est venu ici avec Niladri Kumar né en 1973 dans l’Ouest du Bengale et qualifié de  master of sitar. Après une solide formation auprès de son père, lui-même sitariste et élève de Ravi Shankar, il donne des concerts à six ans et est l’auteur de seize disques. Un incontournable de la musique de films de Bollywood, qui en vieux compère de Zakir Hussain, participe à plusieurs de ses formations. Le joueur de tabla le présente avec humour comme un virtuose modeste : «Il faut toujours se méfier de ces jeunes, je ne suis même pas sûr de pouvoir le suivre. » en se qualifiant, lui, de simple accompagnateur. Et le sitariste joue en virtuose d’un instrument électrifié qu’il a fabriqué lui-même. Grâce à une prise de son remarquable, il fait entendre des harmoniques complexes, avec un savoir-faire mélodique et rythmique. Dans la cour des grands…

 En une heure et quart, ils se livrent à des assauts foudroyants, sans jamais perdre le sens d’une musicalité très fine. Chacun offre un moment de bravoure et le public, très attentif, éclate de joie. Au cours du tala, dernière partie du morceau où le tempo s’accélère encore, ils jouent à une vitesse rarement atteinte en musique classique indienne. Enfin c’est l’explosion et le public est debout ! Un sacre pour Niladri Kumar, poussé dans la lumière sur le devant de la scène par un Zakir Hussain restant dans l’ombre. Et ils nous offrent un court morceau pour finir la soirée et satisfaire un public de connaisseurs: beaucoup d’Indiens, bien sûr, autour de leur ambassadeur en ce soixante-quinzième anniversaire de l’indépendance de leur pays…

Jean-Louis Verdier

Concert entendu le 31 octobre au Théâtre des Abbesses, place des Abbesses, Paris (XVIII ème). T. : 01 42 74 22 77.

Le 5 novembre, Cosmopolite, Oslo (Norvège). Et à partir du 12 novembre, à Minnesota, San Diego, Portland, New York (Etats-Unis)

La Mer de Poséidon en caddie de Vhan Olsen Dombo, mise en scène d’Audrey Bertrand, par le collectif la Bande à Léon

 

La Mer de Poséidon en caddie de Vhan Olsen Dombo, mise en scène d’Audrey Bertrand, par le collectif la Bande à Léon

 En mer, deux pêcheurs sont à la peine: «Nous n’avons encore rien pêché de la nuit, rien de comestible. Que des petits poissons. Dans ces eaux calmes et douces, je pêche déjà le désespoir de minuit. L’angoisse des pêches au visage grillé de sueurs froides. » Livreront-ils à temps le poisson au Super M ? L’orage menace. L’histoire se poursuit au supermarché: les clients attendent l’ouverture, se bousculent, s’engueulent tandis qu’à l’intérieur, le patron mobilise ses troupes et chante, crooner soutenu par le chœur des vendeurs et vendeuses, dans le registre de la comédie musicale: « Que flottent nos promotions en banderoles! /Nous sommes le temple de la vie.»

Visuel 3-

© Gaëtan Trovato

Mais rien ne va plus : aucun poisson sur les étals et les pêcheurs sont portés disparus ! Les clients arpentent les rayons et les employés s’affolent. Le patron, lui, essaye de faire diversion avec un show musical. Les poissons rouges achetés à la morgue pour approvisionner le magasin vont contaminer les humains qui se transforment en monstres… Dans cette apocalypse, le pêcheur revient et dénonce les dommages causés par un capitalisme prédateur et la surconsommation…

 Dans ce paradis de l’abondance devenu enfer, Robin Betchen, Sylvain Lablée, Marine Maluenda, Noé Pflieger et Antoine Quintard jouent alternativement vendeurs et clients avec dextérité, dans un ballet constant et rythmé par des projections vidéos omniprésentes sur tous les éléments du décor. En voix off, les témoignages de clients ou vendeurs et un extrait de Regarde les Lumières,mon amour d’Annie Ernaux : « Les super et hypermarchés ne sont pas réductibles à la “corvée des courses. Ils suscitent des pensées, fixent en souvenirs des sensations et des émotions…. »

«  Quoi de mieux, dit Audrey Bertrand, qu’Auchan, Carrefour, Lidl, Leclerc, Casino et tous leurs concurrents pour nous raconter des histoires qui nous poussent à réfléchir sur notre condition et nos choix. ». La Bande à Léon avec son projet L’hypermarché de la super-violence, a mené « des enquêtes quantitatives et questionnaires, au centre-ville de Brétigny et à la Croix-Blanche (Essonne) . Les témoignages, anecdotes, révoltes se sont fait nombreux et immédiats. » 

Le dramaturge congolais, auteur, slameur, performeur et acteur, a trouvé les mots pour en faire un délire poétique «par le ventre et la langue », comme il dit. Et, de ce carrefour des paradoxes, « grand rendez-vous humain, comme spectacle », selon Annie Ernaux, il fait un réjouissant capharnaüm. La Mer de Poséidon en caddie se situe entre théâtre documentaire, fiction fantastique et œuvre poétique.

La mise en scène a utilisé au mieux un espace scénique exigu mais, après la belle séquence des pêcheurs, trop d’éléments parasitent le spectacle et elle aurait pu nous épargner de nombreux témoignages et une saturation d’images projetées à tout va. L’enthousiasme et l’invention de la jeune équipe, la qualité du jeu, la beauté du texte sont un peu gâchés par un excès d’explicite. Le message serait mieux passé sans ce trop plein que l’écriture de Vhan Olsen Dombo a du mal à transcender. Mais ce travail peut évoluer et trouver sa juste mesure, entre réalisme et fantasmagorie.

 Mireille Davidovici

 Jusqu’au 26 novembre, Les Déchargeurs, 3 rue des Déchargeurs, Paris (Ier). T. 01 42 36 00 50.

Politic(h)ien d’après Le Bréviaire des Politiciens de Jules Mazarin, adaptation et mise en scène de François Jenny

Politic(h)ien d’après Le Bréviaire des Politiciens de Jules Mazarin, adaptation et mise en scène de François Jenny

 

Politic(h)ien d’après Le Bréviaire des Politiciens de Jules Mazarin, adaptation et mise en scène de François Jenny dans actualites

© Camille Millerand

Cette «dramadie clownesque» prend sa source dans les préceptes rédigés par le cardinal italien tout au long d’une vie politique agitée. Protégé de Richelieu, ministre de Louis XIII et plus tard de Louis XIV, le «gredin de Sicile», mal aimé du peuple et des nobles, a mis dans ces conseils toute son expérience: de son ascension sociale, à ses nombreux revers, notamment pendant la Fronde.

Sous le masque d’un clown blanc, le comédien et metteur en scène donne une intemporalité à ce recueil de préceptes: «Vous y trouverez, écrit Umberto Eco, plein de gens que vous connaissez pour les avoir vus à la télé ou rencontrés en entreprise. » (…) « Nous avons là un modèle de stratégie démocratique à l’âge de l’absolutisme ! » (…) « En bref : 1. Simule. 2. Dissimule. 3. Ne te fie à personne. 4. Dis du bien de tout le monde. 5. Prévois avant d’agir. »

Visage blanchi et lèvres maquillées contrastent avec le sérieux d’un costume-cravate, uniforme des grands de ce monde, hommes d’affaires ou politiques. Un langage corporel ambigu qui permet en même temps de jouer les importants. Il prodigue conseils à ses pairs et ordres à sa domestique, et tourne en dérision son personnage.

Ce comique sous-jacent est redoublé par la présence en contrepoint d’une servante muette, sorte d’Auguste au féminin. Feignant la docilité, Marine Barbarit obéit à ses moindres gestes, mais glisse des clins d’œil complices à la salle. Elle prendra ensuite plus d’assurance dans son insubordination, en se mettant du côté des rieurs.

On reconnaît dans cette adaptation, réalisée à partir de la traduction de Florence Dupont, éminente latiniste, l’expérience de clown de François Jenny: ses guides furent la Klown Kompanie et les Colombaioni. Grâce à sa formation et à sa pratique de musicien -entre autres dans l’ensemble de musique baroque La Chapelle Rhénane à Strasbourg- ,il impulse le juste rythme à ce texte ardu et brut, la plupart du temps adressé à l’impératif, comme si Mazarin parlait à un élève, ou mieux à l’auditoire attentif que nous sommes…

Le Cardinal, en digne héritier de son compatriote Machiavel, décortique sans états d’âme, les règles issues de sa propre observation qui président à l’ascension sociale et politique. En particulier, la prudence et l’hypocrisie : «Que ton visage n’exprime rien, sinon une éternelle affabilité. » Se connaître soi-même, se contrôler et « connaître la grammaire des hommes »  est indispensable comme la tempérance : «Les grands de ce monde marchent à pas mesurés. »  « Ne te mets pas facilement en colère.» « Entraîne-toi à simuler chacun des sentiments qu’il peut t’être utile de manifester, jusqu’à en être comme imprégné. Ne dévoile à personne tes sentiments réels. Farde ton cœur comme on farde un visage.» « Il n’y a pas d’amis quand on marche vers le pouvoir. »

 Aucune allusion au Bien et au Mal, ni à Dieu ni à la foi, dans ce Bréviaire, malgré son titre et la condition de prélat de l’auteur. Il faut seulement être efficace et la conclusion est sans ambiguïté : «Simule et dissimule.» Un cynisme qui fait froid dans le dos et qui n’a rien à envier à celui de nos politiciens. Ce spectacle d’une heure dix, bien huilé et tout en finesse, est là pour nous en convaincre.

 Mireille Davidovici

 Jusqu’au 26 novembre, Les Déchargeurs, 3 rue des Déchargeurs, Paris (Ier). T. : 01 42 36 00 50.

 Le texte de la pièce est publié aux éditions Café Clima.

 

Les Croquis de Nanterre et d’ailleurs, imaginés par Cécile Garcia Fogel avec la Belle Troupe des Amandiers

Les Croquis de Nanterre et d’ailleurs,  imaginés par Cécile Garcia Fogel avec la Belle Troupe des Amandiers

En prenant la direction du Théâtre des Amandiers, Christophe Rauck souhaitait poursuivre son action pédagogique initiée au Théâtre du Nord à Lille, avec Cécile Garcia Fogel. Il a donc mis sur pied une formation en deux ans, ouverte à des comédiens en voie de professionnalisation: «La Belle Troupe est un lieu de pratique (…), où les jeunes artistes jouent des spectacles, travaillent avec ceux de la programmation sur des stages de quatre à six semaines, et s’essaient à leurs propres travaux. »
Ils ont ainsi participé à des ateliers et à des lectures programmées par le théâtre et présenteront en janvier et février, une forme courte mise en scène par Simon Falguière, une sorte de bande-annonce de son épopée théâtrale Le Nid de cendres (voir Le Théâtre du Blog).

 Ces Croquis de Nanterre s’inspirent des très réussis Croquis de voyage des élèves de l’Ecole du Nord qui nous avaient baladés en des lieux insolites (voir Le Théâtre du blog). Cécile Garcia Fogel, convaincue à juste titre que les voyages forment la jeunesse, avait proposé aux élèves de troisième année, cette expérience initiatique, sous le parrainage de Jean-Pierre Thibaudat, homme de théâtre et grand voyageur : « Je les ai aidés à préciser leurs objectifs, dit-il et à leur retour, j’ai donné quelques conseils sur leur textes et leurs réalisations, sans jamais les guider.»

 Une moisson sans doute inégale mais qui a attiré un nombreux public. Chez la plupart de ces jeunes acteurs, il y a un beau travail de diction et de voix effectué sous la houlette de leur directrice pédagogique dont nous avions admiré la performance vocale dans Trézène Mélodies de Yannis Ritsos (voir Le Théâtre du blog).
L’atelier des Amandiers est conçu comme un lieu d’apprentissage, de transmission et partage, pour expérimenter, se confronter aux autres, se frotter au théâtre, à la vie.  Le contrat: pendant trois semaines, les douze comédiens, partis sans téléphone ni connexion, sont allés dans Nanterre, en Île-de-France ou dans la France rurale.
Bref, un voyage d’initiation façon 2.022 à la rencontre d’inconnus dans les rues et parcs de viles ou villages tout aussi inconnus, à la découverte d’autre chose mais surtout de soi-même. Puis ils ont dévoilé au public, douze ébauches de spectacles courts. Dénominateur commun: quelques lumières et accessoires, une dramaturgie parrainée par Jean-Pierre Thibaudat et une mise en scène basiques mais rigoureuses. Le nombre de spectateurs étant limité à quelques dizaines dans le hall  d’accueil, la salle provisoire et celle de répétitions, ou l’extérieur. Le bâtiment principal historique étant fermé au public et faisant pour encore deux ans l’objet d’une rénovation totale.

Philippe du Vignal et Mireille Davidovici

Batania de Gabriel Gozlan-Hagendorf

© Geraldine Aresteanu

© Geraldine Aresteanu

 Des vêtements épars, un chariot de super-marché renversé: les restes d’un camp de migrants dispersés par la police : la jungle de Calais où le comédien s’est engagé comme bénévole auprès de l’association humanitaire Utopia 56. (batania : couverture, en arabe. Un des mots qu’il a le plus entendu, comme une demande d’accueil. Mais qu’en est-il de la France ; terre d’asile?

Il décrit ces plages brumeuses, ces gens au bord du monde, en attente d’un passage en Angleterre: « Le hurlement des sirènes qui déchirent le froid (…) Ecoute, mon frère le ressac, (…) Regarde les pieds lourds et humides de ceux qui ont échoué… » Un texte lyrique sans excès et un jeu d’acteur qui transcendent le pathos. Une jeune femme lui donne la réplique et raconte l’enfer de son voyage, sa vie volée, son corps violé… dans un dialogue tenu. Batania évite les stéréotypes et révèle une belle intensité d’écriture.

Mireille Davidovici

 

©Geraldine Aresteanu

©Geraldine Aresteanu

L’Hair du temps de Raphaëlle de la Bouillerie

 «A vingt six ans, j’ai décidé de mettre un terme à ma capillo-frilosité et mort aux poils ! » A Nanterre, puis dans la Creuse, la jeune femme a visité des salons de coiffure. Transformée par le rasoir, les ciseaux, les colorations, elle s’est filmée, puis a recueilli les paroles de professionnels et s’est initiée à leur vocabulaire. Avec trois de ses camarades emperruquées, elle montre des images des coupes qu’elle a subies et nous présente une plongée tonique hilarante dans le monde du capillaire : une comédie qui décoiffe, même si elle reste pour l’instant à l’état de croquis…

M.D.

 Il en faut peu pour être heureux de Lawrence Davis

©Geraldine Aresteanu

©Geraldine Aresteanu

Le jeune acteur endosse le personnage du Fou du jeu de tarot, un fou chantant, rimaillant, joyeux. Coiffé d’un abat-jour troqué contre une autre trouvaille, il entraîne le public dans une déambulation autour du chantier du théâtre… Il a exploré Nanterre, rencontré des gens de toute sorte et vécu sans un sou en poche, d’échanges: objet contre nourriture ou autre objet. Il narre son périple en vers chantés. Le voyage du Fou du jeu de tarot, d’arcanes mineures en arcanes majeures, vers Le Monde, carte n° 21 ! A la manière des surréalistes, il trace son chemin au hasard des cartes… Une belle proposition méritant d’être affinée…

M. D.

 Le Cœur de l’Algeco de Jules Chagachnanian

 

© Geraldine Aresteanu

© Geraldine Aresteanu

Il a planté sa tente devant le chantier du théâtre en reconstruction, y a vécu trois semaines et rencontré ceux qui y travaillent: de l’ouvrier, au maître d’oeuvre. Il a tenu son journal de bord qu’il nous lit, assis devant sa tente qui est toujours dressée.
Il parle théâtre, urbanisme, ennui, errance. Peaufinant son écriture, il nous livre un texte très élaboré, qu’il a fait imprimer sous le titre : Les Compagnons.Mais pourquoi une simple lecture? On ne voit pas ici de proposition théâtrale.

M.D.


©Geraldine Aresteanu

©Geraldine Aresteanu

Le Vélo hollandais de Myrthe Vermeulen

Cela se passe dans le foyer chaleureux du théâtre réalisé par le scénographe Alain Lagarde, juste à côté du bar. Il y a là une jeune femme venue des Pays-Bas et ses parents près d’elle qui ont son âge…Elle raconte comment ils se sont connus et beaucoup aimés à Amsterdam mais aussi comment, malheureusement quand elle avait six ans, sa mère roulant à vélo a été écrasée par un camion. La Police arrive et annonce la chose que bien des gens ont vécue un soir paisible de vacances.
Une histoire simple et poignante, issue d’un fait divers et cette tragédie intime rejoint l’universel.
En à peine vingt minutes, un remarquable condensé de vie et de mort, avec, dans le fond, une inscription sur fond noir à la peinture blanche faite lentement: Beyond…, à mesure que la pièce avance. A partir d’une dramaturgie efficace et d’un bon texte, Myrthe Vermeulen au beau sourire et ses camarades savent discrètement créer l’émotion. Sans aucun doute la plus aboutie et la meilleure des croquis vus ici…

Philippe du Vignal

Manger l’âme Creusede Jeanne Fuchs

 

© Geraldine Aresteanu

© Geraldine Aresteanu

Cela se passe devant une trentaine de spectateurs dans le grand Foyer du théâtre. Soit figurées par deux tables,la cuisine de son amie Martine où Jeanne Fuchs invite le public à la préparation du gâteau de pommes de terre, un plat typique sous diverses formes dans le Berry, le Limousin mais en région napolitaine.. Sur les tables, les ingrédients nécessaires : pommes de terre, farine, beurre, œufs, sel, etc.
L’acte en train de se faire, une vieille idée de performance comme
La Construction d’un fauteuil Louis XV, imaginée dans les années soixante-dix par le Polonais Wieslaw Hudon et réalisée en silence par deux véritables tapissiers à partir d’une carcasse en une heure à peine.
Et ici appliquée à la confection d’un plat bien connu en pays . Oui, mais rien n’est vraiment dans l’axe: pommes de terres coupées crues, mélangées vite fait à de la farine et des œufs.. Le tout soi-disant porté ensuite à cuire au bar du théâtre et ressortant quelques minutes plus tard sous forme d’une tourte dans un moule en papier d’alu. Bref, cette performance n’en était pas une du tout. Dommage.
Erreur de tir ! Et rien, une heure après ,n’avait été débarrassé ! Gérer la nourriture -on ose espérer que les restes de cette préparation n’ont pas été mis à la poubelle mais aussi l’espace et le temps jusqu’au bout d’une forme, même très courte, cela s’apprend aussi. Dommage !

Ph. du V.

Frère et sœur d’ Elise de Gaudemaris

© Geraldine Aresteanu

© Geraldine Aresteanu

C’est à une sorte d’équation sentimentale à la fois douce et tendre à laquelle la jeune actrice nous convie. Un grand frère et sa petite sœur -dix-sept ans de différence- vont essayer de la résoudre ensemble…
Ils ont trois semaines pour essayer de se connaître mieux. «L’amitié, c’est être frère et sœur, deux âmes qui se touchent sans se confondre, les deux doigts de la main, disait Victor Hugo. » Mais, que se passe-t-il, quand l’un et l’autre se rencontrent mais ne se connaissent pas du tout. Ces jeunes acteurs le disent avec beaucoup de sensibilité et pudeur.
La seule jeune fille qui soit de Nanterre, a écrit un texte à la fois juste et vrai. En dix-huit minutes, à l’ombre de Marcel Proust et d’Alfred de Musset, bien des choses ont été dites sur les rapports souvent compliqués entre frère et sœur.

Ph.du V. 

La Recherche ou plus lu que toi, pauvre conne de Rosa-Victoire Boutterin

©  Geraldine Aresteanu

© Geraldine Aresteanu

Une table sur le grand plateau où la jeune femme raconte sa découverte et son errance dans Illiers, le fameux Combray, village où se trouve toujours la maison de la tante Léonie de Marcel Proust qui raconte son enfance et sa relation avec sa mère dont il réclamait la présence le soir avant de se coucher. Et maintenant officiellement dénommé Illiers-Combray…Où Rosa-Victoire Boutterin nous emmène dans une courte ballade.
La jeune actrice,
très à l’aise sur cet immense plateau, nous parle aussi de Cabourg, la Balbec du roman et des amours et un de ses camarades est là vers la fin .
Qu’est-ce que c’est, le temps perdu? Avec de temps à autre, des phrases de Marcel Proust dont elle a le livre à la main. L’embryon d’un futur solo… En tout cas, 
Rosa-Victoire Boutterin qui a, elle aussi, une diction irréprochable et une belle sensibilité, sait faire entendre sa voix et rendre cette visitation proustienne souvent émouvante…

© Geraldine Aresteanu

© Geraldine Aresteanu

Les six Veillées de Paul Thouret

Toujours sur le sol noir de ce même plateau nu, il y a, côté jardin, une petite tente éclairée à l’intérieur. Cela est censé être arrivé dans la campagne berrichonne, donc tout près de Nohant où George Sand avait une superbe maison qui existe toujours et qu’on peut visiter.
Un jeune homme sac au dos, traverse la scène de jardin à cour, et de cour à jardin. Seul, il cherche, dit-il, à rencontrer cette célèbre George Sand et tombe sur une dame plus très jeune qui marche avec une canne et qui se présente comme étant Aurore Dupin, alias George Sand.
Pourquoi pas et peut-être une belle idée mais il aurait fallu aboutir à une forme qui tienne la route. Ici, le dialogue est d’une rare banalité et, même si ces quelque treize minutes passent vite, cette pauvre anecdote n’offre pas grand intérêt.
Les jeunes apprentis-acteurs de vingt-cinq ans ne sont pas toujours faciles à diriger et Cécile Garcia Fogel le sait bien. Et ici, la machine est grippée et ne fonctionne pas.

Les douze Fantômes d’Alcide d’Axel Godard

©Geraldine Aresteanu

©Geraldine Aresteanu

Dernière étape, la nuit tombe doucement…Nous filons vers la salle de répétitions. Sur le plateau, une table de cuisine et une sorte de cabine en toile à roulettes. Un grand jeune homme rentre de voyage.. Il est allé jusque dans les Pyrénées et raconte à sa mère qu’il a réalisé les fameux douze travaux d’Hercule.
Et comme des enfants, nous écoutons ce que nous avons lu autrefois dans la collection
Contes et Légendes et qu’on nous a montré sur les fameux vases grecs à figures noires au Musée du Louvre…
Une série de travaux déjà en partie évoqués par Homère: é
touffer le redoutable lion de Némée, tuer l’hydre de Lerne dont les têtes tranchées repoussaient sans cesse, ramener vivant l’énorme sanglier d’Erymanthe, capturer la biche de Cérynie aux sabots d’airain et aux bois d’or, nettoyer les gigantesques écuries du roi Augias, tuer les oiseaux du lac Stymphale aux plumes d’airain.dompter le taureau du roi crétois Minos qu’il n’avait pas voulu sacrifier à  Poséidon, capturer les juments de Diomède, les mangeuses d’hommes, rapporter la ceinture de la reine des Amazones, vaincre Géryon,le géant aux trois corps et lui voler son troupeau de bœufs, rapporter les fameuses pommes d’or du jardin des Hespérides. Et enfin peut-être la plus connue : descendre jusqu’aux Enfers et enchaîner Cerbère, le chien aux trois têtes.

Sa mère attentive et protectrice lui sert un petit déjeuner, pour obtenir tous les détails de sa fabuleuse épopée. Avec une impeccable diction, Axel Godard qui, dit-il, a fait 2.100 kms sur les traces de ces héros mythiques, a vite fait d’emmener le public avec lui. Et sa camarade sait aussi très bien lui donner la réplique.
Malgré l’heure tardive, on reprendrait bien une petite louche de cette histoire de voyage aussi poétique, recommandée par Jean-Pierre Thibaudat et que nous avons savourée.

De qualité inégale, cette série de petites formes brutes a attiré un large public. Peu ou pas de scénario, un thème personnel issu d’un voyage, un plateau nu ou endroit du théâtre non destiné à la représentation, très peu d’accessoires, mise en valeur du jeu d’un ou de plusieurs jeunes acteurs seulement, durée limitée à une trentaine de minutes maximum : cet ensemble de codes a ici parfaitement fonctionné. A suivre… 

Ph. du V.

Ces croquis ont été présentés gratuitement le samedi 22 et le dimanche 23 octobre, au Théâtre des Amandiers, avenue Pablo Picasso, Nanterre (Hauts-de-Seine).

 

(La)Horde

We should have never walked on the moon  par la compagnie (La) Horde


Le titre de cette exposition performative est une phrase énigmatique et poétique qu’on attribue au danseur de claquettes, chanteur et chorégraphe Gene Kelly. Conserver la sentence en anglais sans doute pour faire plus authentique ou, probablement, plus universel… Cet apophtegme exprime moins le regret d’un rêve vieux comme le monde, annoncé par Jules Verne dans De la Terre à la Lune ou par Hergé dans On a marché sur la Lune et atteint en 1969 par des astronautes américains, que la vanité de vouloir à tout prix réaliser un fantasme.

 De Marius Petipa à Bejamin Millepied: ce  «petit pas» pour un homme, comme disait Neil Armstrong, en appelle d’autres : «des performances, installations et projections, (…) des corps vus, sentis, dansés, filmés, joués, mus, désirés ou violentés ». Le collectif (La) Horde : Marine Brutti, Jonathan Debrouwer et Arthur Harel voulant, ni plus ni moins, faire «entrer en collision l’esthétique des coulisses et la critique institutionnelle, le cube blanc et la salle obscure, la comédie musicale et l’émeute. » Vaste programme !

 Des visites guidées du Palais de Chaillot ou celui de Tokyo conçus, comme la tour Eiffel et l’art de Terpsichore, pour être éphémères, nous en avons connu d’autres. Ce qui nous permit de découvrir à Iéna, dans les années 90, la petite salle de cinéma arts déco qui servit à l’occasion de l’Exposition universelle de 1937. Luis Buñuel y programma des films en faveur des Républicains espagnols. La salle avait été conservée dans son jus avec fauteuils d’époque sentant le moisi mais a sans doute été rénovée depuis. Plus récemment, deux actrices nous firent faire une visite commentée des coulisses et sous-sols de Chaillot…

Des Tableaux d’une exposition de Moussorgski changeant la peinture en musique, on est progressivement arrivé à la « performance », art se passant d’objet ou c’est tout comme. Un mot anglais dérivé de l’ancien français: parformer, puis utilisé dans les milieux du turf, du sport et du théâtre. Victor Hugo l’emploie en ce sens dans L’Homme qui rit. Et très en vogue dans les années soixante et au delà…
Daniel Charles en a établi le corpus, à partir d’exemples pris dans les arts plastiques, interventions hors scène dans des galeries, musées ou de non-lieux, surtout à base d’actes (mot du vocabulaire de l’art dramatique). Enrichie par le verbe, parfois confondue avec la connotation linguistique du: «quand dire, c’est faire» de John Langshaw Austin, la performance remonte au cabaret à prétention artistique, décrit par Lionel Richard et aux mouvements des Zutistes et Fumistes chers à Alphonse Allais, à la Société des Joyeux, à celle des Hydropathes mais aussi aux spectacles du cabaret du Chat noir de Rodolphe Salis.

© N. Villodre

© N. Villodre

Les mouvements d’avant-garde ont apporté leur grain de sel avec les Serate futuristes, pièces Dada du Cabaret Voltaire, la poésie phonétique ou Zaoum d’Iliazd, les trouvailles surréalistes, le cinéma élargi et la danse discrépante lettristes, l’actionnisme viennois, les provocations d’une Valie Export, les « events » du mouvement  Fluxus et les happenings d’Allan Kaprow, l’Open Theatre de Joe Chaikin, et le Living Theatre de Judith Malina et Julian Beck, etc.
Cette «exposition performative» de (La)Horde est une rétrospective d’un travail amorcé par le trio depuis dix ans, avec morceaux choisis présentés sur des supports différents, fixes ou en mouvement, diffusés en boucle, occupant le terrain mis à disposition par, qu’on le veuille ou non, l’institution.

D’entrée de jeu, le public descend, au lieu de monter, le tapis rouge, les marches du grand escalier étant recouvertes d’un tapis cramoisi, un peu cramé sur les bords, une œuvre qui a pour titre Burning Stairs (2022). À peine arrivés, nous sommes attirés par Cascade Belmondo (2022)  une action avec un personnage roulant sur les marches, rattrapé par une patrouille de (faux) videurs évacuant manu militari, le resquilleur.
En bas, dans le hall, une inscription manuelle en tubes fluo comme chez Dan Flavin, le sculpteur  américain décédé la même année que Gene Kelly, nous est rappelé le titre de la soirée et le but de notre déplacement.

Au centre du Grand Foyer, lieu généralement réservé aux conférences de presse, aux animations… et activités limonadières, trône une limousine noire échappée d’un cartoon de Tex Avery ou d’un mariage chinois à Belleville. Graffitée d’un simple slogan en novlangue : We the people, comme le fut la Rolls de Serge Gainsbourg. Rappelant la Cadillac surréaliste de Salvador Dalí ou ce Taxi pluvieux (1938) vu jadis au musée de Figueras. La pluie arrosant l’intérieur de la voiture sert ici, par intermittence, de deuxième écran à une vidéo de (La) Horde projetée salle Jean Vilar.
La « perf » autour de la bagnole Demain est annulé (2019) a, pour interprètes muets, des acteurs, danseurs ou top-models, tous pris par leur rôle et une simple tâche à accomplir. Le reste étant un florilège du répertoire de déjà vu ailleurs, au Châtelet ou chez à l’Espace Cardin-Théâtre de la Ville.

Nicolas Villodre

Un autre son de cloche

On a aussi pu voir  Lazarus, chorégraphié par Oana Doherty : onze danseurs et danseuses en costumes blancs, devant le film qui implorent, capitulent, accusent ou se défendent, sur une musique religieuse compassée. Un moment d’accalmie dans l’agitation ambiante. Dans la salle Firmin Gémier, trois pièces courtes sont jouées dans une scénographie tri-frontale. Low Rider: un danseur et une danseuse, agrippés à une carcasse de voiture télécommandée, vont chevaucher ce véhicule qui monte, descend et oscille sur ses roues…. Dix minutes d’assauts amoureux et d’exercices d’équilibre sur la monture qui se cabre, échappée d’un cimetière de voiture. Au loin, des chiens aboient…
Dans Weather is sweet (Le Temps est doux). Sur un terrain vague, évoluent trois couples changeant de partenaires, avec pas de deux érotiques, parfois violents : les corps se balancent, sollicitant le bassin et les hanches avec des mouvements de danse urbaine comme le « twerk ». Les interprètes multiplient les grands écarts et se frottent sensuellement les uns aux autres sur un plateau dépouillé.  Cette pièce maison, très bien réglée, a été longuement applaudie par le public.

Concerto, une reprise d’une chorégraphiecde Lucinda Childs sur un musique du Concerto for harpsichord and strings d’Henryk Górecki. Rigueur des neuf interprètes vêtus de noir dans les combinatoires géométriques et ruptures de rythme chers à l’artiste américaine: (La) Horde excelle aussi dans le minimalisme….Et au pied du grand escalier, Grime Ballet (Danser parce qu’on ne peut pas parler aux animaux), une chorégraphie de Cécilia Bengolea et François Chaignaud. Sur un genre musical anglais des années 2000 influencé par les musiques urbaines électroniques et le hip hop, les auteurs ont imaginé une courte pièce sophistiquée pour trois danseurs et une danseuse. Sur pointes dans des tenues « funky, » ils alternent ou mélangent gestuelles de danses classique et urbaine. Avec ce mixage inhabituel, la pièce questionne aussi le genre.

Un ensemble qui peut sembler chaotique… Mais un large public découvre une troupe qui « interroge la portée politique de la danse et cartographie les formes chorégraphiques de soulèvement populaire », des raves, aux danses traditionnelles et au jump-style. Il faut seulement accepter de se laisser dérouter..

Mireille Davidovici

 Jusqu’au 4 novembre, Théâtre National de Chaillot-Danse, 1 place du Trocadéro, Paris (XVI ème).

 

The Silence, texte et mise en scène de Falk Richter, traduction d’Anne Monfort

The Silence, texte et mise en scène de Falk Richter, traduction d’Anne Monfort

 «Dans notre famille, on n’a jamais parlé de…» C’est l’histoire répétée de la famille petite-bourgeoise européenne, peut-être aujourd’hui encore, dans une société où les mœurs et la parole se seraient libérés. Si ce n’était le coup de fouet en retour qu’on observe un peu partout pour maintenir bien solides les non-dits des pouvoirs.
«Se taire, dit Falk Richter, profite souvent au maintien des structures de pouvoir injustes et corrompues». Les violences intrafamiliales, comme on dit pudiquement, des coups, de l’enfant terrorisé enfermé dans le noir absolu ou jeté contre un mur, se passent dans le silence. Le père frappe, la mère, la sœur, témoins muets (témoins n’a pas de forme au féminin?) voient tout et ne disent rien. Et ça continue à l’extérieur, plus tard.

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Des voyous pas très au clair avec leur propre sexualité tabassent un “pédé“ devant un restaurant : silence. Personnel et clients attendent que la “bagarre“ se termine et négligent d’appeler la police. L’auteur le rappelle : dans le monde du patriarcat, le « droit à l’intégrité physique n’est pas garanti » ni aux femmes, ni aux homosexuels, ou à ceux qui ne sont pas “hétéro-normés“. Les deux premiers tiers de The Silence  sont une magnifique spirale qui revient à chaque tour sur les différents silences qui ont construit la jeunesse du narrateur, du châtiment violent, à l’émerveillement de The Silence, celui de la rencontre amoureuse entre deux garçons.

Cette « spirale de la violence » continue de générations en génération, le père détruit par la guerre, parce qu’il a tué lui-même, parce qu’il a vu les corps de ses camarades voler en éclats ; la mère détruite, parce qu’on ne lui a jamais appris à être femme, à faire l’amour, à aimer autrement que soumise à un homme et dans l’oubli d’elle-même. Et la violence sociale, étroitement imbriquée dans la violence familiale : Falk Richter se réfère à des auteurs comme Didier Éribon, Edouard Louis, Virginie Despentes qui travaillent sur cette plaie.

Ni plainte ni colère, en apparence, le dramaturge donne une ample respiration à ce qui n’est plus le souvenir brut et pas encore une fiction. Il a voulu «écrire sur un mode autobiographique sans rien poétiser, avec le plus de précision et d’honnêteté possible » et « préfère au vrai Falk Richter le personnage fictionnel de Falk que va jouer Stanislas Nordey ». Comédien parfait pour ce texte, il s’en empare avec l’appétit et l’humour qu’il faut, par exemple pour les scènes au téléphone -justement plutôt “téléphonées“- et qui marchent d’autant mieux.

L’acteur a une  longue amitié avec Falk Richter et a partagé le travail avec lui pour Je suis Fassbinder, (2016). Cela lui donne ici toute liberté d’apporter sa part, généreuse, à l’invention en direct de la fiction. À lui, sur scène, de faire craquer les silences. Y compris cette arme familiale et sociale qui consiste à faire un fantôme, d’une personne comme si elle n’existait pas. Il faut mettre au silence ce fils dangereux qui ose écrire et peut donc trahir, révéler des secrets, dont celui de sa propre homosexualité, et briser le silence de l’ordre établi.

À la veille de créer son spectacle, Falk Richter a enregistré sa mère, l’a questionnée sur sa vie à elle, sur son enfance à lui. Nous entendons le poids des non-dits, en un dialogue affectueux frisant parfois le déni : non, ce n’était pas ça du tout, non, je ne me souviens plus. Ce ne sont pas des mensonges mais une couverture: elle et son mari sont persuadés d’avoir exercé cette violence sur l’enfant «pour son bien ». L’auteur a recadré avec intelligence le document vécu dans la fiction pour en faire une source, et non un témoignage dans l’impossible procès de la famille.

Dans la dernière partie,, l’écriture perd de sa fermeté. Les personnages introduits, comme l’agent artistique, le compagnon du Richter-Nordey de fiction apportent un cadre social un peu satirique ; cela a son intérêt mais affaiblit la structure de la pièce. Mais le spectacle lui-même ne perd rien d’un aspect essentiel : sa qualité d’enfance. Le décor lui-même a quelque chose d’enfantin. La maison des parents est comme un jeu de cubes, avec un mur qui parle – où la vidéo de l’entretien avec la mère sont projetées -, un jardin en laine défrisée où le héros (ni l’auteur ni le comédien, ou les deux) vient planter sa tente d’enfant. Dans un coin, le bureau de l’auteur, tel qu’on le représente dans les bandes dessinées classiques : piles de papier, corbeille débordant de brouillons froissés, piles de livres écroulées… Nous entendons aussi après la mort d’un père qui jusqu’à bout n’a pas parlé, n’a jamais fait craquer la carapace, la libération des fantasmes meurtriers de l’enfant.
« L’écriture théâtrale est un espace qui me permet de comprendre ma famille mais aussi d’échapper… ». Elle donne la possibilité de «désapprendre» et défaire la maison où on a été formaté. C.Q.F.D; : la maison est un jeu de cubes et l’enfance sauve l’enfance.
C’est sans doute ce qui importe à Falk Richter : l’inquiétude pour l’avenir, pour une nature fragile et sensible, dont les humains font partie, dite avec la vitalité, la fraternité de Stanislas Nordey. Et on sort dans un état de bonheur paradoxal, si l’on pense à la dureté du sujet. ..

Christine Friedel

Jusqu’au 6 novembre, MC93 à Bobigny (Seine-Saint-Denis) . T.01 41 60 72 72

Spectacle créé au Théâtre National de Strasbourg le premier octobre. Le numéro 5 de la revue Parages, éditée par le T.N.S., est consacré à Falk Richter.

 

 

 

 

La Cascade ouvre un espace d’entraînement

La Cascade ouvre un espace d’entraînement

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© M.D.

Le festival d’Alba-la-Romaine, confié par le département de l’Ardèche aux clowns Les Nouveaux Nez venait d’ouvrir avec Les Colporteurs, La Cascade, Pôle national des Arts du Cirque, à Bourg-Saint-Andéol. Cette petite ville de sept mille habitants a un des rares sites consacrés à Mithra, culte populaire dans la sphère gallo-romaine, importé d’Iran et chassé par le christianisme. Une grande sculpture gravée dans la roche, entre deux résurgences d’une rivière souterraine, représente ce dieu tellurique, sacrifiant un taureau pour la renouveau de la Nature, sous l’égide du soleil et de la lune. Sous ses auspices, de jeunes circassiens, venus en nombre utiliser un nouvel espace d’entraînement, apportent un sang nouveau.

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© M.D.

 Le cirque a élu domicile en 2009 dans un ancien couvent, devenu le pensionnat de garçons Saint-Joseph, fermé neuf ans plus tôt. Avec assez d’espace pour accueillir bureaux et cinquante compagnies en résidence par an.Et une salle de spectacles de cent quatre-vingt places pour sorties de résidence et créations. Enfant du pays, Alain Reynaud a entrainé ses amis clowns, les Nouveaux Nez, réunis à la sortie du Centre national des Arts du Cirque (C.N.A.C.) en 1991 en Ardèche. Ils se sont implantés dans la menuiserie paternelle, contre l’avis de beaucoup de professionnels. « « Ce lieu est un ovni dans le paysage (…) dit Alain Reynaud. Je rêvais d’une maison ouverte, carrefour des arts autour du clown. ».
Depuis, malgré les sceptiques, La Cascade mène des actions sur tout le territoire avec notamment les festivals d’Alba-la-Romaine et des Préalables voir (
Le Théâtre du Blog) , des actions culturelles dans les écoles et les E.P.H.A.D. et une formation de clown. Mais en même temps, elle diffuse hors les murs ses propres créations et celle des résidents.

 Aujourd’hui, on inaugure un équipement construit dans la chapelle désaffectée du collège. Avec un volume et et une hauteur sous plafond permettant l’installation d’agrès, et une luminosité propices à l’entraînement. Les jeunes artistes, encore en formation ou frais émoulus d’écoles de cirque, se sont donné le mot et une quinzaine d’entre eux, sont venus après un chantier qui a duré deux ans. Xavier, porteur, issu de la trente-troisième promotion du C.N.A.C., Valentino, acrobate, de l’école Fratellini… Léna, voltigeuse main-à-main, s’oriente aussi vers la danse et le chant. Manu, en deuxième année du C.N.A.C. profite de ses vacances pour s’entraîner ici à l’accro-danse.

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le chantier © Daniel Michelon

Bastien, venu de l’école de cirque de Bordeaux construit un solo sur un mât chinois de 3 m, en travaillant sur la proximité avec le sol : « Il n’y a pas beaucoup d’endroit où on peut planter un mât. »Mara qui sort de Cadarts, une école de cirque à Rotterdam, est spécialiste de corde lisse et a rejoint le collectif T.B.T.F. (Too Busy to Funk) : vingt artistes installés autour de la Cascade.

«Trente ans de route ont défilé, une histoire humaine et artistique, dit Alain Reynaud, autour du personnage du clown, un lien à la transmission et au quotidien de l’artiste, au territoire et à ses habitants, inspirateurs de toute cette ouverture. »  L’équipe de la Cascade voit plus loin et suscite des rencontres en abritant une chorale, une enseignement de dessin et d’autres ateliers citoyens. Un maillage culturel autour d’un projet artistique exemplaire dans cette France périphérique.

 Mireille Davidovici

Le 28 octobre, La Cascade, 9 avenue Marc Pradelle, Bourg-Saint-Andéol (Ardèche). L’espace d‘entraînement est ouvert du lundi au vendredi.

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