Adieu Philippe Rouyer

Adieu Philippe Rouyer

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Une fin d’année bien triste… Nous avons appris la mort de ce professeur d’anglais à l’Université Bordeaux-Montaigne qui était aussi critique de théâtre et connaissait très bien le spectacle contemporain. Et il avait été à l’origine de la Maison des Arts dans cette université. Réalisé par Massimiliano Fuksas en 1995 à l’initiative de la Région Aquitaine, ce lieu de création et d’enseignement possède une salle de spectacle de  trois cent cinquante places et d’autres espaces pour les expositions et pratiques d’art graphique et sculpture. Et aussi des studios pour la création musicale, filmique et théâtrale.

Philippe Rouyer avait créé le département Arts et spectacle à Bordeaux 3 où il dirigea le D.U.S.T. , un poste où lui succéda Jean-Yves Coquelin et il était animateur à Radio-Campus dans l’émission Au Pays du Théâtre. Depuis la création de Sigma où nous l’avions connu, il n’avait jamais raté une édition de ce festival mythique créé et dirigé par Roger Lafosse. C’était un homme fin et très cultivé avec lequel il était bon de parler théâtre, littérature et cinéma. Professeur émérite, il continua à écrire et à faire des interviews.
Ce Bordelais ne craignait d’avoir parfois la dent dure mais savait apprécier les bons spectacles et le dernier article qu’il a écrit, était en octobre dernier, une critique élogieuse sur Le Tiers Temps au Théâtre des Beaux-Arts à Bordeaux, mise en scène de Guy Lenoir (voir Le Théâtre du Blog).  » Je l’avais connu, dit-il, vers 1970 et à l’époque, il avait déjà de solides compétences en scénographie. Passionné par le théâtre élisabéthain, il avait monté des comédies musicales anglaises d’une rare qualité avec des étudiants en anglais.
Nous nous sommes souvent retrouvé à des spectacles et bien sûr à Sigma pour lequel une année, il avait conçu un séminaire de travail théâtral: Les voix-voies, avec des gens de théâtre comme le dramaturge Jean Vauthier mais aussi des psychiatres et psychanalystes dont le remarquable Maurice-David Matisson qui a écrit Les Mises en scène du théâtre et du Psychodrame et qui avait témoigné au procès Papon… Philippe avait un savoir-faire universitaire très costaud et donnait généreusement traductions de l’anglais et conseils. En 89, il avait fait éditer l’adaptation de Roméo et Juliette par Sony Labou Tansi que j’avais mis en scène au Congo. Autant dire que nous lui devons tous beaucoup, à Bordeaux comme ailleurs.Nous perdons un enseignant intègre, un chercheur de qualité et un ami fidèle.. »

Adieu, Philippe et merci pour tout ce que tu auras apporté au théâtre contemporain.

Philippe du Vignal

Les obsèques de Philippe Rouyer auront lieu au Crématorium, 4 route de la Loubère, Montussan (Gironde), le mardi 3 janvier à 17 h 30.


Archive pour décembre, 2022

Trois clowns par la compagnie Les Bleus de travail

©@Christophe Frossard-Alfonsi

©@Christophe Frossard-Alfonsi

Trois clowns par la compagnie Les Bleus de travail

Alexandre Demay, Daniel Péan et Sylvain Granjon sont les initiateurs de cette compagnie en 1999. Puis, ils ont développé à Archaos, au Cirque Plume et au Cirque de rue Zindare, etc. é un langage du corps avec les techniques du cirque, du burlesque mais aussi parfois du théâtre.
Laurent Barboux, à l’origine équilibriste sur fil souple et clown, a ensuite appris le métier de tailleur de pierre et a été compagnon du tour de France puis a de nouveau rejoint le cirque. Avec Alexandre Demay et Gérard Blom, il a monté un trio d’acrobates qui joue dans les cirques et music-halls en Europe.
Lionel Becimol ESTAirbus, et Alexandre Demay est Marcel !Avec l’Envolée Cirque qu’il a cofondée, il est équilibriste sur fil souple et sur les mains. Il enseigne au C.N.A.C. et à l’Académie Fratellini ( voir Le Théâtre du Blog). Instigateur de ce spectacle, (à droite sur la photo), il y est Monsieur Lô, un clown blanc, en chemise à jabot et coiffé d’un chapeau-cône à rebord qui sait raconter des histoires. Impressionnant et à l’impeccable rigueur en maître de cérémonie mais aussi très drôle, il sait envoûter une salle.
Lionel Becimol (Airbus), lui, est acteur et clown.Il a étudié au Conservatoire national de Cracovie mais est aussi musicien (percussions) et chanteur. Il a joué entre autres, (excusez du peu!) au Théâtre de l’Unité d’Hervée de Lafond et Jacques Livchine, au Théâtre de la Licorne et chez Philippe Adrien. Il enseigne aussi l’art du clown et l’improvisation au C.N.A.C. et à l’Ecole du Samovar.
Alexandre Demay, acrobate et clown, est Marcel. Après un passage à l’école Alexis Gruss, il devient voltigeur dans un trio d’acrobates, puis chez Archaos et au cirque Plume. Il a ensuite fondé la compagnie des Bleus de travail et a créé entre autres 
Les Histoires de Marcel, Les Solistes, Fascination du Désastre, Americanne Drim et Hors Cadre. Et récemment MarcELLE et La Fée, des solos de clown. Bref, ils ont tous les trois un solide parcours.

Les clowns font des entrées soit de très courtes comédies farcesques ou des parodies d’artistes venant de quitter la piste, à partir d’un simple argument. Mieux vaut donc mieux avoir plusieurs cordes à son arc et une puissance comique à toute épreuve: c’est un travail à deux  voire trois mais sans filet… Ici, ces vieux complices évoquent aussi les plus célèbres des clowns disparus comme entre autres Footit et Chocolat, les Fratellini, Pierre Etaix, en concluant à chaque fois avec un air goguenard : morts. «Plutôt, disent-ils, les jouer, leur rendre hommage en les pillant. Nous prenons à notre compte ce qui a fait le succès de leurs cabrioles, leurs gamelles, leurs apprentissages de la vie et du monde, leurs lueurs, leurs camaraderies nuancées de leurs luttes de pouvoir et leur appétit de public surtout. »

Deux viennent donc du cirque et le troisième, du théâtre et  ils s’interrogent sur leur fonction aujourd’hui et sur ce curieux métier qui a pour but de faire naître le rire à leurs propres dépens mais sans même être sûrs d’y réussir à tous les coups… « N’est-ce pas du théâtre? En fait, c’est plus simple que ça, disent-ils, nous sommes clowns. Nous sommes dans la piste. Nous avons la parole. Nous posons des questions. Nous n’y répondons pas, nous jouons. ». Nous sommes rassemblés là en trio par envies de mêler nos façons de faire. Nous ne nous préoccupons plus trop de savoir si nous sommes des clowns de cirque ou de théâtre. »

Sans doute influencés par l’Auguste du clown Grock, devenu un personnage à part entière et jouant comme eux de la musique mais aussi par les très fameux Colombaïoni que nous avions découverts en 75 à Aix-Ville ouverte aux saltimbanques, une opération magistralement créée par Jean Digne et Charles Nugue, très populaire avec numéros et attractions un peu partout dans les rues d’Aix. Devenus célèbres vers 1970, ils étaient issus d’une famille de jongleurs, funambules et acrobates et clowns, Romano, Mario, Nani, Willy et Carlo Colombaioni et leur père Alfredo ont joué dans plusieurs films de Federico Fellini La Strada, Amarcord, Fellini Roma, Casanova et bien sûr Les Clowns Improvisateurs et bonimenteurs, nés dans une tradition renouvelée de la commedia dell’ arte, Carlo et Romano formeront un trio avec Alberto, leur beau-frère. Puis le duo Carlo/Alberto jouera dans toute l’Europe. Encomplet veston, peu maquillés, ils vont reprendre les entrées traditionnelles clownesques comme Petite abeille donne-moi du miel. où le clown crache brusquement un paquet d’eau sur son partenaire. Mais hors piste et sur une scène ou dans la rue, avec une certaine théâtralisation de leurs personnages.  Influencés par Dario Fo dont ils avaient joué La signora è da buttare. Il y avait chez chez eux une réflexion sur le clown et une sorte de mise en abyme qu’on retrouve ici où la virtuosité a rendez-vous avec l’intelligence.

Alexandre Demay, Laurent Barboux et Lionel Becimol se critiquent gentiment entre eux sur leur façon de faire puis dans une belle virtuosité gestuelle, jonglent avec une pile d’assiettes, font circuler une chaise toute seule, se mettent en équilibre l’un sur l’autre, jouent de plusieurs instruments… Mais nous ne nous dévoilerons pas leurs gags fondés sur la surprise et ils font hurler de rire les enfants). Il y a ici une réelle connivence et une formidable unité de jeu entre ces vieux complices dont tous les gags sont parfaitement rodés. Il y a bien quelques temps morts et des longueurs et le spectacle gagnerait à être resserré de quelques minutes… Bref, à être mieux mis en scène et mieux éclairé. Le Théâtre Trévise (qui va être refait), qui a un très mauvais rapport scène/salle : on ne voit pas le sol du plateau) n’est pas le lieu idéal pour ce type de spectacle. Mais bon, ne faisons pas la fine bouche, ces trois clowns réussissent à faire rire une salle entière et par les temps qui courent, cela ne se refuse pas…

Philippe du Vignal

P. S. : Là ce n’est pas drôle du tout mais ne ratez pas à l’entrée de la rue de Trévise, il y a deux grandes photos avec les textes bouleversants des coordinatrices des associations d’aide aux victimes d’une explosion de gaz il y a juste quatre ans. Elles n’ont toujours pas été relogées dans leurs immeubles en partie détruits. Quatre personnes dont deux pompiers aveint été tuées et quelque deux cent autres ont été, soit blessées physiquement soit très choquées et ont perdu leur logement. Plusieurs immeubles de cette rue et un autre dans la rue proche Sainte-Cécile sont donc, vu le danger, toujours interdits d’accès.
Madame Hidalgo,  maire de Paris, avait d’abord refusé de contribuer à un fonds d’indemnisation par crainte que cela ne soit vu comme une reconnaissance de faute… Bravo, et comme tout est très long dans notre douce France, les victimes n’ont pu obtenir une réparation immédiate… et attendent toujours. Cela se passera encore à Paris en 2023. Comme dit Philippe Meyer, nous vivons une époque moderne!

Spectacle vu au Théâtre Trévise, 14 rue de Trévise, Paris (IXème). T. : 01 48 65 97 90. Les représentations reprendront du 29 janvier au 28 mars, les samedis, dimanches et lundis.

Voyage voyage par la compagnie Féérie sur glace

Voyage voyage par la compagnie Féerie sur glace

Un argument énoncé en off par une voix féminine sur le ton dramatique d’un conte pour enfants : «Au cœur d’un village lointain, il y avait une étoile étrange et merveilleuse qui avait le pouvoir de faire régner la magie de Noël. Une étoile parée de cinq pierres mystérieuses de couleur différente et provenant de cinq univers totalement inconnus. On savait que tous les ans, au moment de Noël, cette étoile s’illuminait grâce à ces petites pierres et procurait ainsi une joie immense, des rêves et du bonheur à tous les habitants du village. Enfin, pas tout à fait… iI y avait, aigri et méchant, un nommé d’Oscar qui restait insensible à cet esprit de Noël. À vrai dire, il détestait voir tous ces gens heureux et bienveillants.
Parce qu’il était orphelin de naissance ou qu’il était inconsolable après le décès de sa chère épouse disparue tragiquement un soir de Noël ? Vous connaissez les motifs de la méchanceté et de la colère d’Oscar qui préférait rester seul, détesté par tous. Mais un soir, la veille de Noël, il voulut détruire l’esprit de fête en volant les pierres magiques. Mais, grâce la grande et talentueuse voyante Héléna envoya Sophie, sa fille courageuse et téméraire à la poursuite d’Oscar, guidée dans sa quête par les pouvoirs surnaturels d’un oiseau d’or appelé Cyril.»

©Nicolas Villodre

©Nicolas Villodre

Julian, en pardessus sombre, silhouette Nosferatu et catogan, les yeux maquillés de noir comme les mauvais garçons au temps du cinéma muet, incarne Oscar, c’est à dire le mal (ou le mâle). Il fait une entrée théâtrale côté jardin, fusant sur la glace, attaché-case à la main pour transporter sans doute les dites pierres précieuses. Suivent solos, pas de deux et plus, par Aude, Vanessa, Alexandra, Thomas, Lindsay, Allyson, Marine, Alexia, François, Céline, Émilie, Emma, Eugénie, Magali, Ophélie, Célia, Justin. Dans de formidables tableaux, entre patinage et cabaret, cirque et gymnastique, danse et pantomime. Le tout savamment mis en scène et chorégraphié par Laurent Porteret, ancien membre de l’équipe française de patinage puis soliste, entre autres, dans les spectacles d’Holiday on ice.

Un spectacle rythmé avec des tubes extraits de la variété américaine comme, entre autres, Santa, can’t you hear me de Kelly Clarkson et Ariana Grande, Lule Lule par le Barcelona Gipsy Balkan Orchestra, Pirates of the Caribbea par 2Cellos ; une version récente, piano-voix de Voyage voyage, une chanson de Jean-Michel Rivat et Dominique Dubois immortalisée en 1987 par Desireless, la chanteuse aux cheveux coupés en brosse, signature des années quatre-vingt.
Mais aussi
Arrival of the Birds par The Cinematic Orchestra and The London Metropolitan Orchestra  le Boléro de Maurice Ravel dans la version de la chanteuse Angélique Kidjo, The Skeleton dance par Kids Learning Songs English, L’Oiseau par Armand Amar et Guillaume Begni,  Boogie wonderland par Earth, Wind and Fire , Le Dernier jour du disco par Juliette Armanet ; Theory of everything, une musique de relaxation  ou encore Ne partez pas sans moi, un air de la Star Academy…

 Techniquement parlant, la barre est placée très haut. Patineurs et patineuses (90% ) enchaînent des figures non imposées, sinon pour les besoins de la cause sportive et du plaisir pur. Un véritable plaisir pour le public de tout âge et origine sociale, assis sur les gradins de la piste transformée en théâtre à l’italienne (coulisses et loges derrière des draps noir en fond de scène). Les plus aguerris des artistes réalisant sauts de valse, boucles, doubles et triples axels, lutz, salchows, pirouettes, arabesques, laybacks, sauts de carre, etc. Prenant au sens étymologique : patin et skate, le chorégraphe utilise les pas de la marche quotidienne, (patein, en grec :marcher ) et le surplace, l’immobilité ; skate, en néerlandais: os des membres inférieurs dont étaient faites les lames de patin avant leur fabrication en acier. Dans une amusante danse macabre, en deuxième partie les patineuses glissent en combinaison imprimée de squelettes. Et garçons et filles posent leurs mains au sol, alternent saltos et glissades sur les rotules ou font le grand écart.

À la différence des programmes courts de compétition, ce gala en deux parties est riche et varié, avec un entracte permettant aux artistes de souffler et se faire masser les chevilles… et au public de se réchauffer au bar. Voyage combine patinage individuel, danses de couple, danses sociales ou de salon, portés peu orthodoxes, voire inédits (avec prises par les pieds et donc de risque chez les cavalières), patinage synchronisé à peine démarqué des «chorus lines» chères à Broadway… aaux parcours en tout sens et à vitesse variable.
Voyage est le thème de cette soirée qui emprunte aussi à l’art forain populaire avec manèges, montagnes russes et auto-tamponneuses. Mis à part les costumes masculins endeuillés, les autres signés Nadine, Marcela et Rosy) sont chamarrés,et saturés de couleur, voire sexy.  La bande originale on ne peut plus contemporains, a été cueillie sur les radios F. M. ou dans les clubs de nuit et bien sûr, des plus entraînantes pour le final de ce spectacle exceptionnel..

Nicolas Villodre

Jusqu’au 1er janvier, Accor Arena, 8, boulevard de Bercy, Paris ( XII ème).

Rimbaud, Cavalcades ! de Romain Puyuelo & Nicolas Vallée, mise en scène de Nicolas Vallée

Rimbaud, Cavalcades ! de Romain Puyuelo et Nicolas Vallée, mise en scène de Nicolas Vallée

Romuald, graphiste pour une marque de yaourts ( bon…!) mais a brutalement quitté une réunion en criant: «Je vais acheter un cheval et m’en aller.» Christelle, son assistante, lui apprendra qu’Arthur Rimbaud a aussi écrit ces mots en 1881 et lui laisse un recueil de ses œuvres qu’il va dévorer. Et ce livre  a sauvé la vie à Romuald après des mois de dépression…  Il achetèra un vélo pour aller sur les traces d’Arthur Rimbaud, direction Charleville-Mézières. En fait ici, un prétexte pour nous raconter la vie incroyable de l’auteur qui tout jeune lycéen, va s’enfuir de la maison de Vitalie sa mère qui, abandonnée par son mari militaire, l’élève seule avec Frédéric, Vitalie et Isabelle qui sera près de lui quand retour d’Afrique, blessé, il mourra après l’amputation d’une jambe à l’hôpital de Marseille, en 1891. Il avait trente-sept ans…
Dix ans avant, il avait écrit à sa famille depuis Harrar dans l’Ethiopie actuelle : «Vous êtes en été et c’est l’hiver ici, c’est-à-dire qu’il fait assez chaud, mais il pleut souvent. Cela va durer quelques mois. (..) Pour moi, je compte quitter prochainement cette ville-ci pour aller trafiquer dans l’inconnu. »

@ François Vila

@ François Vila

Romuald va, dit-il, va nous faire entrer « dans La Rimbaldie, peuplée de mystères, légendes,poèmes, biographes et analystes de textes qui ne sont jamais d’accord entre eux, et dont les habitants se nomment les Rimbaldiens. Et, je devins, à mon corps défendant, l’un des leurs. » Et l’ex-graphiste va nous raconter la vie de ce jeune homme pressé et sans le sou que découvre Georges Izambard, son nouveau professeur de rhétorique au lycée. À quinze ans, Arthur ne tient pas en place et quitte Charleville pour Paris, revient à Charleville, le plus souvent à pied puis va à Charleroi, Bruxelles, Douai… et revient à Charleville ! «Je veux être poète, et je travaille à me rendre voyant : vous ne comprendrez pas du tout, et je ne saurais presque vous expliquer. Il s’agit d’arriver à l’inconnu par le dérèglement de tous les sens. Les souffrances sont énormes, mais il faut être fort, être né poète, et je me suis reconnu poète. »Car Je est un autre. Si le cuivre s’éveille clairon, il n’y a rien de sa faute ».
Il
veut être publié et a envoyé ses vers à Théodore de Banville, poète reconnu. Et va donc débarquer à Paris. Ernest Delahaye, son meilleur ami, a organisé une lecture par des acteurs de l’Odéon pour dire Le Bateau ivre. Arrivé à la gare de l’Est, Rimabaud réussit à aller rue Nicolet à Montmartre chez Verlaine qui l’a invité. Il a vingt-sept ans, est marié avec Mathilde et vit avec elle chez ses parents. Mais le bel Arthur va séduire Paul Verlaine et le forcera, sans état d’âme à quitter son épouse enceinte pour aller vivre avec lui….
Ils partiront pour Arras, puis pour  la Belgique. Mais Mathilde va à Bruxelles avec sa mère pour récupérer son mari. Mais les amants partiront pour Londres où Verlaine jaloux tire un coup de revolver sur Rimbaud et s’en va… Arthur le supplie de revenir. A peu de choses près, on se croirait chez Eugène Labiche mort en 88, donc presque en même temps que Rimbaud… Mais ce n’est pas fini, à Bruxelles, d
ans le portefeuille de Rimbaud, la police découvert des écrits de Verlaine où  il parle de son homosexualité, de ses antécédents communards et de la tentative de meurtre sur Rimbaud. Il sera condamné à deux ans de prison dont il ne fera qu’un. Il y écrit ses fameux: »Le ciel est, par-dessus le toit, Si bleu, si calme ! Un arbre, par-dessus le toit, Berce sa palme. »
Puis Arthur Rimbaud partira pour l’Afrique…Mais Romuald avoue que Christelle avait raison : «Tu ne pourras jamais refaire toute la route d’Arthur Rimbaud avec ton vélo !  » Et il
n’ira donc pas à Londres où Arthur a écrit Les Illuminations, ni à Milan, ni Vienne et Rotterdam…  » Je ne tenterai pas le voyage jusqu’à l’île de Java où il avait été mercenaire pour les Indes Néerlandaises. Tant pis pour Gibraltar, Naples, Suez, Brême, Hambourg, Cologne, Copenhague, Stockholm, Gêne, Lugano, Alexandrie, et Chypre. Je n’ai pas besoin de partir à Aden pour voir la maison ou il était employé d’un marchand de café.
Je ne referai pas le périple qu’il a fait avec sa caravane de chameaux quand il vendait des armes à Ménélik, Roi du Choa. Marcher 15 à 40 kilomètres par jour sous un soleil de plomb ? (…) Je ne retournerai pas au Harar, sur les traces du Rimbaud, commerçant. Vendeur de peaux de bêtes, casseroles, cruches, soie brute, cretonne damassée, mérinos, flanelle, lainages, (…) Je n’aurai jamais pu porter une ceinture d’or de huit kilos autour de la taille. »
Mais en quelques lignes, tout est dit et ainsi finit le récit de la triste Odyssée d’un immense poète devenu à vingt ans aventurier et assoiffé d’or.
Romain Puyuelo qui avait remarquablement mis en scène Les Pompières poétesses (voir Le Théâtre du Blog) a une belle présence et s’empare e cette vie rocambolesque avec gourmandise avec une impeccable diction (merci à son maître Pierre Debauche..) et réussit à nous la faire partager sans aucun temps mort. Une belle performance…

Mais Nicolas Vallée aurait pu nous épargner des éclairages colorés plus qu’approximatifs et sa direction d’acteurs laisse à désirer : Romain Puyuelo en fait parfois des tonnes et le génial Bateau ivre qui clôt le spectacle, n’est malheureusement pas bien dit et devrait être retravaillé d’urgence. A ces réserves près, cette plongée en une heure dans la vie et parfois l’œuvre d’Arthur Rimbaud vaut le détour.
Plus d’un siècle après sa mort, la vie incroyable de cet immense poète n’en finit pas de nous ébranler, aussi fortement que son œuvre. Prochain épisode: un solo de Jacques Livchine. Lui, est récemment parti en Ethiopie sur les traces de Rimbaud. A suivre, mais ce sera d’abord à Audincourt, tout près de Montbéliard…

 Philippe du Vignal

Jusqu’au 7 février, Théâtre Essaïon, 6 rue Pierre au Lard, Paris ( IV ème). T. : 01 42 78 46 42. 

Qui a tué mon père d’Édouard Louis, traduction de Stela Zoumboulaki, mise en scène de Christos Théodoridis

Qui a tué mon père d’Édouard Louis, traduction de Stela Zoumboulaki, mise en scène de Christos Théodoridis

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Une histoire fragmentée de colère et résistance avec, au centre, l’amour et l’humain. Un jeune homme revient après des années d’absence chez son père qu’il retrouve complètement détruit par des années de travail à l’usine. Il s’interroge sur sa relation avec lui, sur les mécanismes sociaux qui ont fait de son enfance, une blessure. Et il réfléchit aux conditions qui détruisent les corps de milliers d’ouvriers. «L’histoire de ton corps accuse l’histoire politique. » Dans ce roman autobiographique (2018), le politique rejoint l’intime et se racontent ici les corps des hommes marqués par l’Histoire. Un vibrant appel à la transformation du monde, en commençant par la main tendue d’un fils à son père.

Qui a tué mon père n’est pas une question mais une accusation. L’auteur dresse la liste de ceux qu’il juge responsables de la destruction du corps paternel. Selon lui, les présidents comme Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande, Emmanuel Macron… ont mené des réformes qui ont abimé la vie des plus démunis. Il dit vouloir faire entrer par vengeance ces noms de politiques dans l’Histoire. Louis critique ici la croyance populaire selon laquelle la Culture à l’école serait aux antipodes de l’affirmation d’une identité sexuelle masculine.

Dans cet espace de domination selon lui, s’y soumettre équivaudrait à avoir une identité sexuelle féminine. Rien d’étonnant, puisque dans les représentations littéraires de l’école, le premier de la classe s’oppose au cancre. Le premier séduit très peu, alors que le second est le symbole de la masculinité révoltée contre l’ordre établi. Un cancre est considéré plus viril. L’échec scolaire semble correspondre à un idéal de la masculinité, alors que la réussite est associée à la féminité, mais pas uniquement.
Les ouvriers, dont l’histoire politique n’est pas encore écrite dans les manuels d’histoire, subissent le même sort que la masculinité qui se construit en marge des systèmes éducatifs. Cette littérature veut dénoncer l’acte oppressif d’une Histoire excluant les pauvres, les personnes racisées ou les minorités sexuelles.

Est-ce une pièce de théâtre? Plutôt un récit adressé et il y a donc théâtre. Edouard Louis commence par un beau préambule: «Si c’était un texte de théâtre, c’est avec ces mots-là, qu’il faudrait commencer : un père et un fils sont à quelques mètres l’un de l’autre dans un grand espace vide.»Exactement ce que nous voyons  et Christos Théodoridis, avec de grandes qualités d’évocation, parle avec une douceur amère, de la violence homophobe. Un hangar vide est transformé en salle de théâtre, soit un vaste espace avec  peu d’objets, un grand lit, un frigo, un micro-ondes et quelques ustensiles de cuisine. À travers des fragments mémoriels, les comédiens interprètent ce monologue viscéral en alternant les personnages du fils, du père et des autres personnages.
Le spectacle commence par un très long silence: face à face, Denis Makris sur le lit et Giorgos Kissandrakis debout. Le texte se raconte à travers les corps, les voix et surtout le regard. «Regarde-moi» répètent-ils souvent. Et ils soulignent le droit pour chacun d’être différent et  aussi ce qu’il veut être. Une gestualité et une expression exemplaire avec panache et conviction pour dire les mots de ce roman-pamphlet. Tantôt parole fracassante, tantôt simple murmure, ce texte frontal d’une grande intensité nous étreint. Et tout ce qu’il énonce, est parfaitement audible…

Nektarios-Georgios Konstantinidis

 ΠΛΥΦΑ, 39 rue Korytsas, Athènes, T. : 00306938690612

https://www.youtube.com/watch?v=e9Ojn4y8eGo 

Contemporary Dance 2.0 ,chorégraphie d’Hofesh Shechter

Contemporary Dance 2.0 ,chorégraphie d’Hofesh Shechter

«Quelle danse définit notre époque?», se demande le chorégraphe qui entend explorer les pratiques des danseurs en boîte de nuit : «Le clubbing  permet aux jeunes de se connecter à leur corps, de lâcher prise et de communiquer avec les autres par la danse.» Avec huit jeunes artistes de la Shechter dance company, il revisite cette pièce survitaminée, créée en 2019 avec le Göteborgsoperans Danskompani, en Suède.

SHECHTER-CD-2.0©ToddMacDonald-14

© Todd MacDonald

Quand le plateau s’illumine brutalement, le public est saisi par les corps en action, déjà poussés à l’extrême de leurs capacités physiques. Les quatre hommes et quatre femmes se fondent en un magma mouvant, solidaire, d’où un ou deux s’échappent brièvement. Ils se livrent à une succession de sauts, mouvements de tête et bras, à bout de souffle, sur les impulsions d’une boîte à rythme impitoyable. Pas loin de la transe qui porte le corps au-delà de lui-même. Parfois quelques reptations et disparitions dans le clair-obscur, leur permettent de reprendre haleine. Hofesh Shechter compose ses propres musiques: ici, une pulsation répétitive et heurtée, façon DJ et le chorégraphe, comme à son habitude, monte le son, à la limite pour les oreilles sensibles…

Le titre des cinq parties, séparées d’un noir sec, est annoncé sur des pancartes. Dans Pop, une séquence très animée, les danseurs sortent de la pénombre en plusieurs formations et souvent en deux groupes. Dans  With Feelings  (Avec émotions) les attitudes sont moins raides, les gestes s’arrondissent et la pénombre avale les corps pour les recracher. Dans Mother  (Mère), le groupe s’agite sans répit avec des insultes en anglais -réminiscences de Political Mother une pièce à succès ? que filmera Cédric Klapisch dans En Corps (voir Le Théâtre du blog). La quatrième partie, Contemporary Dance est plus ample: il y a du rituel dans ce recueillement momentané mais le cérémonial va se muer en une effervescence proche d’une transe où les danseurs sont comme électrifiés par la musique: le mouvement est poussé à son incandescence.  The End  clôt la pièce sur My way chanté par Frank Sinatra -adapté de Comme d’habitude une chanson de Claude François- La danse se calme alors et prend des allures de chœur façon music-hall.

D’une grande endurance, les interprètes se mettent au service de cette danse à l’état pur. Pour le chorégraphe, «C’est aussi une façon de briser l’espace sacré de la scène et une culture officielle qui se retranche souvent derrière sa propre sophistication.»  Avec ces pratiques festives d’aujourd’hui, Hofesh Shechter entend remonter aux racines primitives de la danse. Mais, en digne héritier de la Batsheva Dance Company où il fit ses débuts en Israël, il reste fidèle à son style fondé sur une puissante rythmique. 

Installé maintenant à Londres, il crée aussi des pièces pour de grandes compagnies comme récemment le Ballet de l’Opéra de Paris ( voir Le Théâtre du Blog). Nous le retrouverons avec sa troupe, programmé conjointement par le Théâtre de la Ville et la Philharmonie de Paris. Très « tendance», les créations d’Hofesh Shechter attirent les jeunes qui se reconnaissent dans cette grammaire incandescente où il porte le son et le mouvement à l’extrême. Même si certains n’adhèrent pas à cette esthétique, il faut se réjouir de voir un nouveau public découvrir avec enthousiasme une danse contemporaine généreuse et très construite, avec des interprètes exceptionnels.

Mireille Davidovici

Jusqu’au 5 janvier, Théâtre de la Ville-Les Abbesses, 31 rue de Abbesses, Paris (XVIII ème).

Du 6 au 8 janvier, Light Bach dances, Philharmonie de Paris, 221 avenue Jean Jaurès, Paris (XIX ème). T. 01 42 74 22 77.

Juste la fin du monde de Jean-Luc Lagarce, mise en scène de Mohammed Issolah

Juste la fin du monde de Jean-Luc Lagarce, mise en scène de Mohammed  Issolah

En 90 à Berlin ,grâce à une bourse Léonard de Vinci, l’auteur avait écrit cette pièce devenue-culte, alors qu’il se savait condamné par le sida. Elle a été mise en scène plusieurs fois, est entrée au répertoire de la Comédie-Française, a été traduite et mise au programme du Bac puis de l’agrégation de lettres il y a dix ans. Et adapté au cinéma, entre autres par Xavier Dolan en 2016. Nous avions connu Jean-Luc Lagarce quand il avait superbement monté La Cantatrice chauve d’Eugène Ionesco. Il nous avait apporté une photo du spectacle. Impressionnant de maigreur, il aurait bien voulu prendre un café mais n’en avait pas le temps. Nous devions nous revoir mais il est mort peu de temps après..

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L’auteur a défini les personnages avec précision: Louis (trente-quatre ans) qui s’est éloigné de sa famille pendant des années, arrive d’une grande ville pour voir sa mère (soixante-et un ans), sa sœur Suzanne (vingt-trois ans), son frère Antoine (trente-deux ans comme sa femme Catherine) que Louis ne connait même pas puisqu’il n’était pas venu à leur mariage. En fait, il est là dans la maison de son enfance à la campagne, pour annoncer sa sa mort prochaine, ce qu’il ne le fera finalement pas. Louis sent bien qu’il est toléré plus que vraiment accueilli sauf par sa jeune sœur.
Les autres vont lui reprocher son absence et Antoine deviendra vite agressif : selon Catherine, il lui reproche à de ne pas s’intéresser à lui. Donc, au menu du jour : solitude de la mère veuve, angoisses, tensions et manque de communication entre les enfants et la femme d’Antoine. Lui a toujours a le verbe haut surtout dans le long monologue de la fin, alors que Louis se réfugie dans le silence. Malaise général… Les choses ne pourront guère évoluer et il  partira pour aller mourir seul face à son destin, loin des siens!

Un thème bien connu au théâtre : le fis ou la fille qui revient dans une famille qui a évolué et qui ne le reconnaît plus… Antoine et Catherine auraient voulu que leurs deux enfants qui sont chez leur grand-mère maternelle, voient leur oncle. Et Antoine, jaloux de Louis -il n’a pas connu la vie que ce dernier a pu avoir en ville… et très macho, ira jusqu’à interdire à sa jeune sœur Suzanne d’être heureuse de revoir Louis. Elle, est sans doute déçue qu’il ne l’ait pas prévenue,  aurait bien voulu aller le chercher à la gare en voiture. Suzanne pense que Louis les méprise un peu et comme il est allé faire sa vie loin de chez eux, il a dû réussir : «Lorsque tu es parti /je ne me souviens pas de toi/ je ne savais pas que tu partais pour tant de temps. (…) Ce n’est pas bien que tu sois parti. »
La mère, elle, préfère Louis à Antoine -et cela doit se sentir nettement- malgré sa longue absence. Et avec Suzanne, le courant ne passe pas bien entre eux sans doute à cause de leur différence d’âge, et avec sa mère, les relations sont aussi tendues. Et elle dira à Louis « qu’ils voudront t’expliquer mais ils t’expliqueront mal, car ils ne te connaissent pas, ou mal. » 

Bref, rien n’est dans l’axe dans cette famille où l’arrivée de Louis va servir de révélateur: la température monte vite dans ce lieu unique qu’est la salle à manger et ce grave malaise persistera jusqu’au bout. Et comme dira la mère : «La journée se terminera ainsi comme elle a commencé, sans nécessité, sans importance. »
Rien de grave, du moins en apparence sinon, juste la fin du monde comme dit le titre avec une certaine ironie. Et Louis qui n’a plus beaucoup de temps à vivre, ne l’avouera jamais aux siens… Il n’y a ici aucune communication ou si peu: donc de courts dialogues et plutôt de longs monologues où chacun a du mal à dire vraiment ce qu’il pense et ressasse ses vieilles frustrations. Entre un prologue et un épilogue où seul alors Louis parlera. Il a peur que les siens ne l’aiment plus et il est venu les voir, parce qu’il éprouve une certaine culpabilité : »Cette absence d’amour fit toujours plus souffrir les autres que moi.  »

A la fin, Louis mort dit simplement dans un beau monologue :«Après, ce que je fais, /je pars./ Je ne reviens plus jamais. Je meurs quelques mois plus tard, /une année tout au plus.» Egaré en montagne la nuit, il dit qu’il suit une voie ferrée sur un viaduc dominant une vallée et qu’il va «pousser un grand et beau cri, un long et joyeux cri qui résonnerait dans toute la vallée «Je me remets en route avec seul le bruit de mes pas sur le gravier. /Ce sont des oublis comme celui-là que je regretterai. »
La pièce a quarante ans maintenant, et si on a pu lui reprocher de nombreux monologues, elle a acquis ses parts de noblesse dans le théâtre contemporain. Mohamed  Issolah transpose ce texte, en Algérie: les personnages ont des prénoms arabes et cela se passe pendant le hirak: les grandes manifestations hebdomadaires entre 2019 et 21 qui avaient eu lieu pour protester contre la candidature d’Abdelaziz Bouteflika très malade à un cinquième mandat présidentiel.

Installé à Paris depuis douze ans, Lounès (Fayçal Safi) revient à Alger pour annoncer sa mort prochaine à sa Mère (Baya Belal), Antoine est devenu Hakim, son frère (Yazid Aït Hamoudi) et Catherine son épouse: Kahina (Amel Hanifi), Suzanne est Sarah, sa sœur (Saffiya Laabab). Une salle à manger dans un immeuble dix-neuf cent du temps de la colonisation figuré par quelques châssis blancs couverts par endroits de terre rouge foncé; Une grande table nappée de blanc avec cinq chaises.
A mi-parcours, des draps sont tendus où seront projetées des images tout à fait impressionnantes de foules dans Alger, avec nuées de fumigène suffocants sans doute pour figurer les gaz lacrymogènes. Merci bien! Et Mohamed Issolah aurait pu nous les épargner, d’autant qu’ils restent longtemps dans la salle!

Cela dit, c’est une mise en scène honnête mais où la direction d’acteurs n’est pas au rendez-vous: Saffiya Laabab boule souvent son texte et on la comprend mal comme Faycal Safi à la diction approximative, alors que le texte de Jean-Luc Lagarce devrait être ciselé… Yazid Aït Hamoudi lui crie souvent trop Mais Amel Hanifi. et Baya Belal qui a longtemps travaillé avec Ariane Mnouchkine s’en sortent mieux…Il y a de beaux moments comme ce repas pris en commun et dominé par La Mère ou le long (un peu trop long) monologue de Hakim à la presque fin.

Mais l’ensemble assez décevant, mériterait d’être retravaillé. A la décharge des comédiens, nous n’étions que quatorze spectateurs… Le théâtre de Jean-Luc Lagarce n’attirerait-il plus le public? Lequel a visiblement tendance à déserter les petites salles où les places sont quand même chères: ici, 27 € et tarif réduit, c’est quand même: 18 €, ce qui par les temps qui courent, est dissuasif.. Dans ce cas, pourquoi ne pas baisser le prix certains jours de façon à avoir des salles bien remplies, ce qui aiderait les acteurs… En fait, tout se passe aussi, comme si le public voulait avoir une garantie sur ce qu’il veut voir et si possible, avec un ou plusieurs acteurs connus grâce au cinéma, genre Adèle Haenel…

Philippe du Vignal

Jusqu’au 30 décembre, Théâtre de Belleville, 11 passage Piver, Paris ( XIème). T. : 01 48 06 72 34.

Lettre à Oreste d’Iakovos Kambanellis, mise en scène de Yannis Papayannis

Lettre à Oreste d’Iakovos Kambanellis, mise en scène de Yannis Papayannis

Dans ce monologue (1993), Clytemnestre ou l’actrice qui va jouer ce personnage (une distanciation chère à l’auteur) écrit à Oreste une lettre où elle dit son amour pour ses enfants, les conditions où ils sont nés et sa crainte pour la vie d’Electre. Elle sait que la mort l’attend mais voudrait qu’Oreste ne soit pas un parricide. Elle ne voit pas qu’il fera ce geste fatal! Cette œuvre pleine d’affection pour la reine et marquée par un ton féministe et c’est le chant d’une femme qui demande la fin de ses condamnations. Elle veut rétablir la vérité en jetant la lumière sur le mobile de son acte et dans cette lettre adressée à Oreste, dit quelle a été sa vie.
Soumise à un homme agressif et égoïste, elle a voulu sauver sa dignité avec un acte qui lui donnerait droit à un véritable amour en l’occurence : Egisthe. Cette lettre, écrite et réécrite sur scène, met l’héroïne à la place de l’écrivain. Théâtralité assurée : c’est une pièce de théâtre épique et Clytemnestre est là comme pour une répétition. Et selon l’auteur: « toute représentation, comme nous savons tous, est une hypothèse. »

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Le titre est déjà un commentaire méta-théâtral sur la tragédie et pas seulement du mythe des Atrides. Il implique une lectrice-émettrice et Clytemnestre est ici en même temps écrivaine et comédienne. Cette lettre, écrite et dite sur un ton de conversation et narratif, tend souvent vers le monologue intérieur mais aussi vers un dialogue vivant. L’auteur a déplacé le personnage de Clytemnestre, de l’univers tragique à celui du théâtre moderne avec de nombreux anachronismes : cigarettes, cendrier, papiers…

La relation entre Agamemnon et Clytemnestre, et les motifs de ses actes sont le thème de cette Lettre à Oreste qui est toujours à écrire… Une allusion faite à la richesse du mythe et en même temps, l’expression d’une confusion intérieure chez elle qui s’adresse à Oreste absent, et indirectement au public. Elle raconte ce qu’a été sa vie avec Agamemnon, son époux et le père de ses enfants et dit ses vérités sur les deux sexes. Une version anti-héroïque du mythe : Clytemnestre devient une femme au quotidien et pour elle, les lois de la Cité ont la même valeur que pour toutes les autres femmes. Face à l’image repoussante d’Agamemnon qui a une soif de domination exprimé envers sa femme, Égisthe représente pour la reine, l’autre aspect du sexe masculin. Il lui a appris que la vie n’est pas seulement une misère et qu’on peut la mener à son gré. Il est ici l’homme qui défend le matriarcat et les droits des femmes…. Ce spectacle, dont le texte a été traduit par Selma Ancira, a été présenté au Mexique en octobre, au festival Emillio Carballido, dans le cadre d’un hommage à l’écrivain grec.

Yannis Papayannis, fidèle à l’esthétique du texte, souligne les conditions d’une répétition et la théâtralité. Sur scène trois cadres pendus et la robe rouge de Clytemnestre (un costume magnifique du grand Yannis Metzikof) attend la l’actrice qui va interpréter ce personnage. Sur scène, juste un bureau et un escabeau. Marianthi Sontaki excelle en Clytemnestre et, avec une remarquable gestuelle, elle met en valeur la dimension tragique et le message politique du texte. La lumière souvent rouge foncé fait allusion à la passion et au crime que souligne la musique de Platon Andritsakis. La dernière tirade de La Comédienne, est extraite du Souper, une pièce de l’auteur et rappelle les noms de toutes les femmes victimes des féminicides commis en Grèce ces dernières années. Un spectacle émouvant et de grande qualité…

 Nektarios-Georgios Konstantinidis

Spectacle créé sous l’égide de l’Académie d’Athènes et du Ministère de la Culture, vu le 20 décembre à l’ Apollon- Théâtre municipal de Patras, T. : 00302610273613

Rencontre avec Natalia Matsak et Sergeii Kryvokon, danseurs-étoiles du Ballet national d’Ukraine et sa directrice Liudmyla Movlenko

Rencontre avec Natalia Matsak et Sergeii Kryvokon, danseurs-étoiles du Ballet national d’Ukraine et sa directrice Liudmyla Movlenko

©  J. Couturier

© J. Couturier

Cet entretien, réalisé à l’occasion des représentations de Giselle  au Théâtre des Champs-Élysées, nous plonge dans la réalité d’une guerre aux portes de l’Europe. Poutine continue à perpétrer ses crimes dans toute l’Ukraine depuis le 24 février, après avoir annexé le Dombass et la Crimée. La plupart des nations occidentales ont, des années et pour raisons économiques, cautionné ses exactions dans plusieurs pays et se réveillent tardivement…

Malgré la guerre, les artistes, eux, continuent à jouer et à danser,  et ils donnent des représentations à but caritatif dans le monde entier. Ils font tout pour garder leur potentiel créatif et plusieurs groupes sont actuellement l’un au Japon, l’autre en France et le troisième à l’Opéra de Kiev même, où sera créée La Reine des neiges ce 23 décembre.
Au répertoire, en particulier, La Bayadère et Don Quichotte mais les œuvres russes en ont été exclues…

Natalia Matsak et Sergeii Kryvokon ne peuvent oublier la nuit du 24 février. « Nous allions danser La Bayadère à Kiev quand nous avons été réveillés par le bruit des bombes et les sirènes d’alerte. Pendant un mois, nous sommes restés plongés dans une totale sidération. Puis nous nous sommes habitués, disent-ils avec émotion, et nous avons recommencé à bouger avec deux objectifs précis: remonter un ballet et aider la population traumatisée.»

Certains membres de la troupe se sont engagés dans l’armée, mais eux préfèrent ne pas en parler. « Chaque jour, nous essayons tous de participer à un cours et à une répétition et les représentations dans la capitale ont repris le 21 mai. Quand tu vis aujourd’hui en Ukraine, tu es dans une autre dimension, beaucoup d’artistes et de compagnies ont disparu avec, parfois la destruction de leur théâtre. Et il y a des coupures d’électricité et d’eau qui sont dramatiques pour l’hygiène. Notre Opéra National maintient trois représentations par semaine, le vendredi à dix-sept heures et les samedi et dimanche, à quinze heures. Avec une jauge réduite à cinq cents spectateurs : nombre maximum que l’abri anti-bombes sous le théâtre peut accueillir ! »

Sarfati Productions a réalisé un montage financier pour faire venir une partie de la troupe: les couples de danseurs-étoiles: Natalia Matsak et Sergeii Kryvokon, Kateryna Alaieva et Oleksii Potiomkin, le corps de ballet et le chef Dmytro Morozov qui dirigera l’orchestre Prométhée.
Il ne faut pas hésiter à aller voir cette version classique de Giselle. L’art contre la guerre prend ici tout son sens…

Jean Couturier

Jusqu’au 5 janvier, dans le cadre de TranscenDanses, Théâtre des Champs-Élysées, 15 avenue Montaigne, Paris (VIII ème). T. : 01 49 52 50 50. www.transcendances.info

Oscav, la Statue vivante…

OSCAV - La statue vivante

Oscav, la Statue vivante…

Vasco José Milheiro Calhandro pratique l’art de la Statue vivante depuis quinze ans, sous le pseudonyme d’Oscav et parvient à «voyager » de façon immobile… Quand des pièces tombent dans son pot, cela lui permet d’avoir la concentration nécessaire pour rester de marbre.
Quand il a eu trois ans, ses parents déménagèrent à Ericeira, la belle terre et plage du Portugal où il y a grandi. Il a voyagé partout dans le monde et s’est inspiré de la « Statue vivante » au Brésil. Il y a vécu puis habita huit ans dans plusieurs pays et dix-neuf au Luxembourg. Récemment, il a été invité à travailler avec d’autres artistes pour des programmes télévisés. C’est un créateur d’instants et de souvenirs et c’est surtout pour lui dans les yeux des enfants, quand ils contemplent l’homme doré et immobile à la barre, que la valeur de son travail artistique, se comprend le mieux. A l’image qu’il crée, il ajoute des messages écrits tiré des la Bible avec lesquels à remercie ceux qui le récompensent. 

Quand il était étudiant en arts graphiques, à dix-sept ans il a commencé à faire de la magie et son professeur d’illusionnisme, était le propriétaire d’une imprimerie où il travaillait. Passionné par la magie, il aimait aussi les cirques, l’art du clown et tout ce qui était artistique. Et puis, à ses heures perdues et les week-ends, il allait à l’imprimerie prendre ses cours de magie, ce qui a lancé sa carrière artistique.
Aujourd’hui il a cinquante-six ans et il a commencé à s’intéresser à la Statue vivante au Brésil où il a vu pratiquer cette discipline exigeante qui fait aussi partie du domaine de la magie et il a essayé…« Au début, c’était très difficile, j’ai failli abandonner plusieurs fois au bout de dix minutes ! Être là pendant des heures et des heures sans bouger… Par exemple, cinq minutes représentent des heures pour nous! Parce que tout se passe et rien ne se passe en même temps… Et si la pièce ne tombe pas, on a l’impression d’être là depuis des heures et si elle tinte dans le pot, c’est comme un repos, un soulagement : notre travail a été reconnu. Et puis nous faisons encore cinq minutes. Et c’est toujours comme ça… Nous passons une journée entière, pratiquement à faire cinq puis cinq et encore cinq minutes de plus mais cela demande entraînement et concentration.

Même aujourd’hui, quand je m’arrête, ma colonne vertébrale et mes muscles me font mal. Au début, c’était pire, j’avais beaucoup de crampes la nuit, je prenais des boîtes et des boîtes d’ampoules de magnésium : la nuit, tout mon corps était en souffrance mais plus maintenant, fort heureusement.

Quand j’ai étudié la magie à Lisbonne à l’Associação de Ilusionistas, nous avions la possibilité de choisir plusieurs domaines. J’ai choisi la psychologie appliquée et cela m’a beaucoup aidé par la suite. Il y a beaucoup de physique et de mental dans cet art. Le physique vient et s’améliore avec le temps. Quand on reste dans une position immobile, on s’engourdit , moi le premier. Nous fonctionnons à l’envers. Nous devons surmonter et endurer l’engourdissement avec un peu de douleur et puis c’est normal. Beaucoup de gens ne peuvent le faire, surtout de façon répétée. On peut sans doute voir la Statue vivante comme un processus méditatif et de concentration. » Et quand il entend une pièce tomber, il sort de lui-même et remercie la personne en lui donnant un message. Il y a une coupure bienvenue et il arrive à récupérer et à se concentrer mentalement à nouveau.
Mais il fait aussi du bateau, du vélo ou va à la pêche ou au café. Il se balade aussi seul avec lui-même. Un événement l’a marqué : cela faisait des années qu’il n’avait pas vu un de ses collègues, lequel était venu du Luxembourg exprès pour le revoir. Et au lieu qu’une pièce tombe, c’est sa carte professionnelle à lui Oscav qui est apparue! Elle était restée au Luxembourg depuis quinze ans.
« J’ai pleuré dit-il, mon ami et sa femme ont pleuré et j’ai dû quitter mon rôle de statue pour les saluer. Parfois, il y a des gens qui pleurent quand je leur donne une message et j’essaie de le choisir selon la façon d’être de la personne. Quand je la récompense, cela fait aussi partie de on travail artistique et depuis quinze ans, je n’ai jamais vu un message jeté par terre et beaucoup me disent en passant : «J’en ai encore un dans mon portefeuille.»

Oscav est né à Lisbonne et toute sa famille est originaire d’Ericeira et il y a créé une statue faisant allusion à la mer. «J’ai l’impression d’être à la plage d’Ericeira et dans mon travail, j’essaie d’aller sur toutes les côtes du Portugal et de l’Europe en rapport avec la mer… Depuis que je suis petit, je vais à la plage des pêcheurs et j’ai appris à pêcher. Avec la pandémie, je suis retourné voir la mer que je n’avais pas revue depuis plus de vingt ans. Maintenant, je vais pêcher la semaine et le week-end je me produis dans la rue. La magie laisse la personne dans l’attente et est un peu différente de la Statue vivante, qui elle, est plus visuelle. «Je la fais léviter dans les airs, ce qui est un effet d’illusionnisme et les gens ne me regardent plus de la même façon. Je suis arrivé à ne pas bouger du tout et mon record a été réalisé à la maison en trois heures et quarante-sept minutes. Dans la rue, c’est plus difficile! Le record mondial a été obtenu par le Portugais António Santos qui est notre grand maître. Suspendu à une canne, il travaille généralement rua Augusta à Lisbonne et est inscrit au Guinness Book avec dix-sept heures sans bouger !

Il avait dix-neuf ans à l’époque et a adoré le Luxembourg qui avait une culture différente.Il est arrivé quand son maître l’a lancé dans le monde de l’illusion et Oscav pensait qu’à Ericeira, il ne pouvait pas faire la « Statue vivante » avec la magie. Alors il a pensé faire des acrobaties ce que font certains magiciens. » C’est là que je suis parti, dit-il, et que j’ai marché dans toute l’Europe. Ici un jour, demain là-bas, à Porto,à Salamanque, en Espagne, à Paris… et j’ai continué à marcher jour après jour et à faire l’illusionniste dans la rue et quand je suis arrivé au Luxembourg, j’ai trouvé de nombreux Portugais dans ce tout petit pays. Le temps passait tellement vite que je ne me suis même pas rendu compte que j’y étais resté dix-neuf ans ! »

Il a été inspiré par cette idée de statue vivante à Belo Horizonte. « J’ai vu dit-il, la statue d’une Evangéliste qui donnait des phrases bibliques. J’ai donc pensé que je pouvais faire ça pour remercier Dieu parce que je suis croyant. Mais j’écris aussi d’autres phrases qui passent bien, comme : «Plus on est reconnaissant, plus il nous arrive de bonnes choses.» Je pouvais ainsi aller plus loin, que simplement remercier la personne avec un geste. Comme je ne pouvais pas parler, j’ai alors adapté cette idée de message..» Mais, à cause de la crise du covid, ilest resté enfermé chez lui pendant trois mois. Avant cette époque, il travaillait rue Augusta à Lisbonne, au quotidien. Un jour, il y est arrivé mais elle était déserte et on n’ a pas voulu le laisser travailler. Et comme beaucoup d’autres, il a été obligé de rester à la maison !

Dans le domaine des Statues vivantes, il y a  de la concurrence, mais il est, dit-il, «l’ami de tout le monde. Il y a de la place pour tous et j’aime aussi d’autres Statues vivantes. Chez moi l’or, cela brille et attire l’attention. J’ai voulu en faire MA couleur: presque toutes les Statues vivantes sont soit verdâtres soit bronze. Il me faut environ une heure pour me peindre mais enlever tout cet or est pire. Je dois d’abord en retirer la majeure partie avec des lingettes, puis utiliser un démaquillant. Mais mon visage devient sombre et gras. Le reste part à la maison avec un bon bain…

 Pour Oscav, les gens apprécient et valorisent le street art. Cela dit-il, peut être une statue et aussi de la musique au violon, au saxo, etc. Tout art nous soulage intérieurement et est culture. Mais il y a des gens qui ne voient pas les Statues vivantes comme de l’art et qui ne nous prennent pas au sérieux. Mais je suis heureux, même si les jours passent et que j’en fais moins que je ne le voudrais. Avant la pandémie, je travaillais toute la semaine sans repos et maintenant seulement deux jours! Mes pauses, c’était toujours quand il pleuvait mais maintenant c’est différent. Même quand je travaille parfois la nuit, je recommence à penser et reste là, comme à l’arrêt et en retrait, à assister au mouvement des autres. « Maik Magic, dit-il, a été mon pilier dans ma vie et m’a lancé dans le domaine artistique.Je veux remercier affectueusement certains de mes collègues, en particulier,Serip, Lanydrack, Salguery, Anork, Dimas… Et aussi ma petite fille Isabel Gomes a été d’un grand soutien et m’a donné beaucoup de force. Sans elle, je me serais déjà perdu sur la route et je l’aime beaucoup. Plus nous sommes reconnaissants, plus de bonnes choses nous arrivent, c’est ma devise, et j’en ai toujours qui m’arrivent. »

Sébastien Bazou

Interview réalisée à Dijon le 18 décembre.

 

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