Le Joueur d’échecs de Stefan Sweig, adaptation et mise en scène de Gilbert Ponté
Cette nouvelle été écrite par le grand écrivain autrichien qui s’est inspiré de sa vie quand, exilé à Rio de Janeiro entre 38 et 41, il jouait aux échecs. Bouleversé par l’avancée du nazisme en Europe, il se donnera la mort avec sa deuxième épouse Lotte Altmann en 42. Il avait soixante et un ans! Cette remarquable nouvelle a été publiée à titre posthume en 1943 et en France l’année suivante…
©Pierre François
Cela se passe sur paquebot qui fait route vers l’Argentine. Le narrateur, un Autrichien rencontre le champion mondial des échecs, Mirko Czentović. Orphelin taciturne, lent et mou, considéré comme peu intelligent, il a été élevé par le curé d’un village yougoslave qui chaque soir, fait avec un de ses amis officier une partie d’échecs. Mais il est demandé d’urgence pour aller donner les derniers sacrements à une mourante. L’officier demande alors à Mirko s’il veut achever la partie. Et cet adolescent le bat en quelques coups et ensuite bat aussi presque tout le monde. Le curé, très admiratif, l’envoie faire une formation à Vienne et à vingt ans le jeune devient champion du monde des échecs.
Le narrateur disputerait bien une partie contre ce Mirko Czentović. Il y a là entre autres amateurs, MacConnor, un riche ingénieur écossais qui lui demande aussi de disputer une partie contre eux. Le champion accepte s’il est payé et il bat ses adversaires jouant en équipe.
MacConnor acceptant encore de le rémunérer pour une revanche… Mais un inconnu, le docteur B. ,un homme intelligent et fin les conseille et… il y aura un match nul. Il dit qu’il n’a pas joué depuis plus de vingt ans… et qu’il est autrichien, comme le narrateur qu’il intrigue beaucoup. Une histoire singulière que celle de cet M. B. Cet avocat autrichien cacha des sommes importantes d’argent aux nazis qu après dénonciation, l’enfermèrent dans un hôtel de luxe sans qu’il ait puisse avoir aucun contact avec le monde extérieur et son gardien aura ordre de rester muet. Aucun papier, aucun stylo, aucun livre : il reste absolument seul plusieurs mois et subit ensuite des interrogatoires.
Mais un jour, alors qu’il attend dans une antichambre de voir un juge, il aperçoit, dans la poche d’une veste, un livre. Il le vole pour vaincre la la folie mais il s’agit d’un manuel d’échecs retraçant les coups joués à une coupe du monde. Avec des formules incompréhensibles, correspondant à la position des pièces sur un échiquier. Ce prisonnier va alors se fabriquer avec des boulettes de mie de pain les pièces du jeu et avec son drap quadrillé, un plateau. Puis il réussit à apprendre par cœur quelques parties. Puis à en jouer jouant mentalement les cent cinquante du livre. Et à jouer contre lui-même, mais il va devenir schizophrène. Il va se met à hurler et son gardien arrivera en pensant qu’il se dispute avec quelqu’un. Il perd alors connaissance et se réveille dans un hôpital où un médecin le fait libérer, en le diagnostiquant fou et donc sans intérêt pour les nazis. Mais Il lui conseille de ne jamais plus jouer aux échecs, pour éviter une rechute…
M. B. affrontera pourtant le silencieux Mirko Czentović. Et miracle, le champion balaye les pièces avant la fin de la partie, pour ne pas être vaincu mais accepte de disputer une revanche…. En jouant au maximum sur la lenteur (dix minutes pour chaque coup autorisé). M. B., désemparé et hésitant finit par rater un coup et se retire. «Dommage, dit alors Czentović, toujours aussi calme. L’offensive n’allait pas si mal. Pour un dilettante, ce monsieur est en fait remarquablement doué. »
En filigrane, dans ce récit à l’intrigue magistralement menée, Stefan Zweig nous parle de la période dramatique du nazisme que vit l’Europe. Ce personnage, champion du monde aux échecs, réussit formidablement, malgré son manque d’intelligence, mais incapable de réfléchir correctement, il se révèle dangereux même face à des ennemis intelligents, comme le docteur B. qui réussira pourtant à échapper aux griffes des nazis grâce à sa ruse, et à ne pas pas tomber dans la folie qu’ils lui ont programmée. Dans la petite salle voûtée aux murs de pierre nus datant de plusieurs siècles, Gilbert Ponté, seul en scène, dire ce texte qui a été souvent adapté au théâtre, notamment par André Salzet (voir Le Théâtre du Blog). Ici, aucun élément de décor qu’une caisse noire et l’image vidéo d‘un jeu d’échecs (redondante et tout à fait inutile). Et quelques effets de lumière. « L’espace vide, dit l’acteur citant Bertolt Brecht, permet d’éliminer tout ce qui peut rappeler l’imitation d’un lieu du monde, et de refuser la figuration. C’est un espace vierge où l’acteur peut reconstruire un univers autonome dans lequel il sera possible de recréer des signes caractéristiques » .
Gilbert Ponté maîtrise bien ce conte et sait donner vie à ces personnages emblématiques. Avec une excellente diction, il arrive à emporter son public dans cette petite cave où l’espace de jeu est chichement compté. Côté gestuelle, il en fait sans doute un peu trop et la dernière partie est moins convaincante, comme souvent dans les solos. Manque ici un directeur d’acteurs -Gilbert Ponté criaille parfois- mais aussi un vrai plateau où il aurait plus de place pour dire cette magistrale nouvelle, sans doute une des rares qui se prête vraiment à un jeu théâtral.
Philippe du Vignal
Jusqu’au 31 janvier, les lundis et mardis, Théâtre Essaïon, 6 rue Pierre aux lards Paris (IV ème). T. : 01 42 78 46 42.