Le Procès, adaptation du roman de Franz Kafka, mise en scène d’Andreas Theocharis, Vangelis Felouzis et Andreas Kokakis  

Le Procès, adaptation du roman de Franz Kafka, mise en scène d’Andreas Theocharis, Vangelis Felouzis et Andreas Kokakis

Ce livre édité en 1925, après la mort de l’écrivain praguois de langue allemande, relate les mésaventures de Joseph K. (on ignore son nom de famille complet). Il se réveille un matin et, pour une raison obscure, sera arrêté et soumis aux rigueurs de la Justice. Ce Procès est une critique du système judiciaire, machine anonyme à broyer les individus. Avec des juges, avocats, policiers… tous gangrenés par la corruption et la bureaucratie. Mais une analyse plus fine relève d’autres thèmes récurrents chez Franz Kafka: absurdité et inhumanité du monde moderne, totalitarisme, aliénation de la subjectivité, ce dont le philosophe et sociologue Herbert Marcuse (1898-1979) parle dans L’Homme unidimensionnel…

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Dès le début, ce récit illogique est augmenté par ce qui arrive à Joseph K. L’absurde total semble désigner chez Franz Kafka un vide rationnel dans le monde, dans la mesure où tout a été englouti par une hyper-rationalisation. L’Ecole de Francfort, notamment Theodor W. Adorno, verra ce processus comme l’avènement d’un monde totalitaire et devenant inhumain, car hostile à la subjectivité. L’homme n’a plus alors d’autre choix que de se fondre dans la foule…
J. K. -qui n’a  pas de nom!- est à vrai dire insaisissable et énigmatique : l’homme en général est opaque pour lui-même  et je est un autre. Une thématique approfondie par Martin 
Heidegger dans Etre et Temps où  il décrit le monde public, comme une dictature du : on, et une forme d’inauthenticité. Chez Kafka, autrui est le bourreau, comme il le sera dans Huis-Clos de  Jean-Paul Sartre. Son anti-héro, vit dans l’inauthenticité. Accusé sans doute à tort, il finit par abdiquer et se persuadera qu’il est coupable. Alors qu’il pourrait s’échapper du tribunal, J. K. préfère se laisser tuer après  s’être laissé dominer par une société qui l’a objectivé et rivé dans sa culpabilité. Il a abandonné toute volonté de vivre et sera abattu comme un chien.On reconnaît ici des thèses développées par Nietzsche sur le dernier homme, ou celles de Sartre sur la mauvaise foi. 

Cela se passe au sous-sol du théâtre-laboratoire de recherche Koryvantes. Dans la pénombre, salle et scène ne font qu’un et forment un univers kafkaïen engendrant angoisse et terreur.
Le public, en témoin oculaire, fait l’expérience de la situation absurde et du cauchemar vécu par M. K.. A la lumière des bougies et dans une pénombre qui dissimule et dévoile à la fois une scène-labyrinthe où se déroule chaque séquence. Ici, le temps se dilate avec de longs silences éloquents mais avec aussi des bruits et des musiques qui augmentent la peur. 

Andreas Kokakis (Joseph K. ) et Andreas Theocharis qui incarne de façon aussi remarquable les autres personnages du roman, réussissent à nous transporter dans l’univers suffocant de Franz Kafka. Et la scène du peintre (Andrea Theocharis) dans son vieil atelier -la seule en couleurs- est d’une grande beauté… comme les autres dans la pénombre, entre autres celle du fouet symbolisant très bien la cruauté, pour arriver au coup de feu du dénouement.  A distance des acteurs, nous avons fait le plein d’émotions et ce rituel scénique serait sans doute apprécié par le public d’un grand festival comme, entre autres, celui d’Avignon…    

Nektarios-Georgios Konstantinidis

Théâtre Koryvantes, 78 rue Myllerou, Athènes, T. : 0030 2155404045. 

http://theatrekoryvantes.blogspot.com/2022/11/h.html


Archive pour 6 décembre, 2022

Comédiens, livret d’Eric Chantelauze, mise en scène de Samuel Sené

Comédienslivret d’Eric Chantelauze, mise en scène de Samuel Sené

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© Philippe Escalier

Cette comédie musicale convoque habilement le théâtre dans le théâtre, avec une mise en abyme où une parodie de vaudeville glisse vers une tragédie. A Paris, au lendemain de la dernière guerre, Pierre, metteur en scène, Coco, son épouse et Guy qui remplace un acteur accidenté, s’apprêtent à jouer Au Diable vauvert. Ils vont inaugurer un nouveau théâtre mais le décor n’est pas arrivé, Guy ne sait pas son texte…  Avant le lever de rideau, il leur faut encore répéter et la tension monte entre Pierre, metteur en scène de province qui joue aussi un mari cocu, et sa femme qui interprète une épouse infidèle. La représentation commence mais coup de théâtre …

 Sur la musique de Raphaël Bancou, les chansons lestes d’Eric Chatelauze collent au style de la comédie un peu ringarde dont nous voyons quelques scènes-clés. Entre les scènes encore en répétition, se joue une autre pièce : le passé parisien de Coco ressurgit et dérange le couple qu’elle forme avec Pierre. La jalousie s’insinue avec l’irruption de la Desdémone d’Othello, un rôle qu’un ancien amant propose à Coco…

 Dans un décor de bric et broc, Pierre improvise une mise en scène à l’image d’un théâtre de tréteaux d’antan. Nous rions des gags et vieilles ficelles de cette comédie à quatre sous en préparation. Un exercice difficile réussi à la perfection et cette parodie est joyeusement interprétée par Marion Preïte, en coquette outrée. Elle chante aussi bien qu’elle joue et ce rôle lui a valu le Trophée de la comédie musicale en 2018. A ses côtés, Cyril Romoli, excellent pianiste, s’amuse à interpréter plusieurs personnages caricaturaux. Fabian Richard incarne un mari jaloux, à l’inverse du cocu aveuglé par l’amour de la pièce…

Comédiens, attribué à Léon Roussin, un auteur fictif du XlX ème siècle, s’inspire de Paillasse, opéra en deux actes de Ruggero Leoncavallo, père de l’opéra vériste, qui a été créé en 1892 à Milan et dont l’argument serait tiré d’un fait divers jugé par le père de l’auteur : l’histoire d’une troupe itinérante en Calabre. Son directeur, fou de jalousie, confond son rôle de Paillasse, mari bafoué de la commedia dell’arte, avec sa vie personnelle et tuera sa femme en pleine représentation.

La pièce renoue avec la tradition du théâtre dans le théâtre et la mise en scène alterne les codes de l’écriture comique de cette époque et celle, réaliste, de la représentation. Les allers et retours entre deux styles de jeu -outré pour le vaudeville, et terre à terre pour les scènes contemporaines- sont très bien maîtrisés par Samuel Sené. Il forme un trio bien rôdé avec ce metteur en scène, Eric Chantelauze et Raphaël Bancou. Comédiens, créé au Théâtre de la Huchette en 2018, se joue en alternance avec Contretemps, réalisé par la même équipe, et qui promet autant de plaisir. Une belle fin d’année musicale à l’Artistic Théâtre…

Mireille Davidovici

Jusqu’au 25 décembre, Artistic Théâtre, 45 bis, rue Richard Lenoir, Paris (XlX ème). T. : 01 43 56 38 32.

 

C’est un Métier d‘homme, texte : L’Oulipo, direction artistique d’ Hervé Le Tellier conception et interprétation : David Migeot, Denis Fouquereau. Texte l’Oulipo, auteurs : Michèle Audin, Paul Fournel, Jacques Jouet

© GiovanniCittadini Cesi

© Giovanni Cittadini Cesi

C’est un Métier d‘homme, texte de L’Oulipo, direction artistique d’Herbé Le Tellier, conception et interprétation de David Migeot, Denis Fouquereau,Texte l’Oulipo, auteurs: Michèle Audin, Paul Fournel, Jacques Jouet, Hervé Le Tellier, Clémentine Mélois, Ian Monk et David Migeot, Denis Fouquereau

Une table de conférence, un tableau blanc et un ordinateur: nous sommes prêts à écouter sagement ce qui va nous être « communiqué ». Du bruit dans la coulisse… Paire de skis sur l’épaule, apparaît un homme en tenue adéquate. Son métier? Descendeur.
Il oublie qu’il existe des descendeuses, ce que le titre du spectacle souligne avec une juste dose d’ironie. Avec un c
anevas immuable : « Mon métier consiste à… », avec une grille à suivre pas à pas, en développant la fierté virile liée à ce métier. Et où l’on se rend compte que la langue française, réputée la plus belle du monde pour sa clarté, sa précision et ses nuances subtiles, est encore plus riche qu’on le croyait. Puisque la même phrase, à peine modifiée, peut être dite par un skieur de l’extrême ou un écrivain, un buveur, un psychanalyste, voire même un « féministe qui fait rire la salle… aux dépens du féminisme.  Mais il faut se méfier des slogans simplificateurs faciles à retourner, et de l’anticonformisme au second degré: la double négation s’annulant, il y a risque de retour au conformisme dominant.

Evidemment, c’est drôle. Nous saluons le travail des Oulipiens et celui des acteurs qui agissent, persistent, et signent cet exercice avec leurs outils et moyens propres. Rappelons que L’Oulipo est le joli acronyme de l’Ouvroir de Littérature Potentielle et que ses mathématiciens-poètes n’admettaient dans leur cercle que ceux acceptant les écriture « à contrainte ».
Leurs papes fondateurs et immortels, dans les années soixante: Raymond Queneau et François Le Lionnais. Leur triomphe : La Disparition de Georges Perec qui a réussi à mener à bien toute une histoire, en éliminant la lettre e, la plus fréquente de la langue française. Leur moments joyeux : Les Papous dans la tête, une ancienne émission-culte de France-Culture. créée en 1984 par Bertrand Jérôme et animée par lui, avec Françoise Treussard. Puis après le décès Bertrand Jérôme en 2006, par elle seule jusqu’en 2018.
Le quotidien, les rituels hebdomadaires, mensuels et autres de L’Oulipo; pourvu qu’on y trouve une périodicité régulière (attention, pléonasme !) avaient pour objet d’inventer de nouvelles formes de contraintes d’écriture, et non de tortures, rassurons-nous. Encore que. Mais enfin, pour ce que l’on en sait, tout cela arrosé et bien nourri.

David Migeot et Denis Fouquereau ont trouvé là leur liberté. Le grand long, et le moins grand sans être petit, plutôt rond sans être une boule (contraste visuel raisonnable), alternent les rôles avec changements à vue directe, ou indirecte: une caméra de surveillance (on est moderne ou on ne l’est pas) nous transmet parfois sur l’écran ce qui se passe en coulisse. Un jeu savoureux, mais qui a ses limites. L’exercice de style, (si goûteux soient ceux de Raymond Queneau, est fondé  sur les idées reçues et les stéréotypes. La reconnaissance et l’identification du type étant fondée sur le plus grand dénominateur commun, à moins que ce ne soit le plus petit commun multiple, il faut donc en avoir gommé tous les variables et toutes les nuances pour le ramener à l’unité. Est-ce clair ?

Et du coup, (formule actuellement sur-employée, donc destinée à une proche obsolescence,  nous devons en rester à l’idée reçue. Chatouillée, grattée mais c’est tout. Nous sommes en droit d’attendre plus d’une représentation théâtrale. Ici, amusés, mais pas touchés, nous saluons le talent et le dégustons même, mais le spectacle ne pèse pas sur l’estomac : aucun problème de digestion intellectuelle…  Bref une bonne soirée, qui ne refera pas le monde. Et tout écrivain, même un collectif, peut se réclamer de Gustave Flaubert qui a donné toute leur dignité à ces fameuse idées reçues.  Le théâtre a-t-il le devoir d’être plus grand? On attendra un peu pour l’Outrapo, Ouvroir des Tragédie Potentielles.

Christine Friedel

Jusqu’au 4 décembre, Théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue Franklin D. Roosevelt, Paris (VIIIème). T. : 01 44 95 98 00

A lire: L’Autoportrait du descendeur dans Les Athlètes dans leur tête, de Paul Fournel (1988) éditions Ramsay, réédition Folio.
Françoise Treussard et collectif, Le Dictionnaire des Papous, Gallimard (2007).

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