Darius de Jean-Benoît Patricot, mise en scène d’André Nerman

Darius de Jean-Benoît Patricot, mise en scène d’André Nerman

Une pièce que François Cognard et Catherine Aymerie jouent avec intelligence et finesse. Soit un drame vécu par des êtres hantés chacun par la mort qui les habite. Paul a perdu sa femme et en même temps, sa soif de création et voilà plus de huit ans qu’il végète dans son laboratoire aussi sinistre qu’un tombeau… Et il a aussi perdu son «nez»: l’instrument de travail du parfumeur, Bref, un phallus qui ne lui sert plus. Plus rien à inventer et à partager, plus de flagrance à proposer, bref, la vie pour lui s’est arrêtée…
Claire, elle, est une mère « sacrificielle »comme on dit. Elle a tout donné à son fils, son temps, sa vie, sa sexualité : Darius, sourd, muet et aveugle, est en fauteuil roulant et ne connait de la vie, que ce que sa mère lui donne. Seule la langue des signes le relie à elle, une langue qu’eux seuls connaissent, figés depuis toujours dans une inextricable et indissociable unité. Le père de Darius, lassé, a disparu. 

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Et puis soudain des lettres s’échangent entre Claire et Paul, ces accidentés de la vie. Une rencontre se produit entre eux comme par miracle, grâce au parfum retrouvé (Marcel Proust n’est jamais loin) et si particulier qu’il redonne vie et espoir à chacun. Une « correspondance » -aux deux sens du terme – naît, avec ses ombres et subtilités, avec sa grâce, entre ces êtres condamnés à la solitude et au silence. « L’amour, c’est donner ce qu’on n’a pas, à quelqu’un qui n’en veut pas», écrivait Jacques Lacan. Doublement négative, cette phrase souvent citée, n’est pas toujours bien comprise… Elle exprime ici de façon radicale ce sur quoi vont bientôt échouer les personnages. Paul va d’abord pouvoir revivre, retrouver sa créativité et inventer de nouveaux parfums. Il ira jusqu’à en appeler un : Dariusdu nom même de ce jeune homme handicapé et éteint. Des liens se créent entre Paul et Claire et, à l’acmé de leur correspondanceils s’étreignent chastement mais leur union s’arrêtera là. Pas de happy-end aux senteurs de musc ou de rose. Paul a trop idéalisé Claire et ne peut vivre que dans la sublimation de ses parfums.

La phrase énigmatique de Jacques Lacan rappelle une contradiction inhérente à la sexualité masculine. Comment désirer et aimer à la fois? Et unir l’amour courtois, à la sexualité biologique et sauvage ? Avec cette phrase suggérant un quiproquo, Jacques Lacan énonce à sa manière l’opposition que Freud avait notée dans Contribution à la psychologie de la vie amoureuse (1912). Il opposait le courant tendre et le courant sensuel chez l’homme, l’amour charnel et l’amour sublimé. « Là où ils aiment, ils ne désirent pas, et là où ils désirent, ils ne peuvent pas aimer. » Ici, le personnage de Claire reste le plus énigmatique et rien ne semble pouvoir la séparer de son enfant auquel elle a sacrifié sa vie. Seul un même parfum semble les unir, les entourer, comme dans une forteresse inaccessible. N’est-ce pas la folie maternelle qui la conduit jusqu’à Amsterdam où devant une vitrine, elle va demander pour son fils à une prostituée les soins sexuels qu’elle ne peut elle-même donner ?
C’est là peut-être le tournant de la pièce. La prostituée, Khania, assume toute la sensualité du jeune homme et lui révèle le corps érotique de la femme. Et elle réanimera aussi plus tard la créativité du parfumeur, « ce flaireur pervers » qui retrouve sur son corps toutes les émotions nécessaires à sa création. Tous les parfums d’Arabie n’ont pas le même sens …ni la même essence. « Il n’y a pas de rapport sexuel. », disait encore Jacques Lacan. Effectivement, il n’y a plus aucun rapport entre cette mère folle de son fils, et l’homme qui meurt de son rêve inachevé…

Jean-François Rabain

Ce spectacle a été joué au Théâtre Essaïon, 6 rue Pierre au lard, Paris (IV ème). T. : 01 42 78 46 42. 


Archive pour 10 décembre, 2022

Les Nuits enceintes, texte et mise en scène de Guillaume Béguin

Les Nuits enceintes, texte et mise en scène de Guillaume Béguin

©gattobigio inner

©Gattobigio Inner

Un beau titre et une belle histoire, pas neuve… Après une longue séparation, deux sœurs se retrouvent dans la propriété familiale délabrée, au milieu de bois pillés et de marais. Et près d’un chantier d’autoroute interrompu, en plein désastre. La Maison près de la fontaine, chantait Nino Ferrer en 1973… Mais l’écologie active, et même activiste, n’a ni temps ni place pour la nostalgie, face à la destruction des espèces, de l’air, de l’eau. Voilà pour le fond de l’affaire. Le théâtre est aussi invoqué comme sauveur des esprits, face à la colonisation des industries culturelles.

Tout irait bien si la mise en scène y trouvait sa force mais ce n’est pas le cas ! Déplacements erratiques dans une scénographie mal commode et peu parlante, effets de voix ou «numéros » hors sujet. Pour compenser l’indécision du texte?  Et les acteurs entrent par la salle, mais cela n’arrive pas à élargir l’espace… Objet métonymique révélateur, un sac à dos, rempli de billes de polystyrène ou autre matériau ultra-léger, que la sœur en visite posera au bout d’une longue scène de retrouvailles… Un accessoire emblématique d’un texte situé entre réalisme et féérie, entre objet et signe de cet objet. Comme si Guillaume Béguin lui-même ne croyait pas à son propre jeu…

Ici, nous trouvons -discrets rappels de La Cerisaie d’Anton Tchekhov- une sœur restée à la maison qui a baptisé son fils adoptif (?) et serviteur (?) Pierre : « petit moujik » . Mais aussi de La Mouette  avec le jeune écrivain Treplev et sa pièce sur l’âme universelle de la nature. Et on pense aussi un instant à Shakespeare et, à Bartleby, le personnage de la nouvelle éponyme d’Herman Melville (1853) avec sa phrase-refrain : «Je préférerais ne pas ». .
De la, vient sans doute vient l’échec de cette pièce. Deux longues heures durant, Guillaume Béguin ne choisit pas et n’incite pas le public à faire le travail. Sommes-nous trop sévère ? En tout cas, nous pouvons attendre autre chose, fort et bouleversant, du théâtre contemporain….

Christine Friedel

Jusqu’au 16 décembre, Théâtre Ouvert, 159 avenue Gambetta, Paris (XX ème). T. : 01 42 55 55 50.

 

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