Dark was the night,texte et mise en scène d’Emmanuel Meirieu

Dark was the night, texte et mise en scène d’Emmanuel Meirieu

FRA - THEATRE - DARK WAS THE NIGHT

© Pascal Gély

Le metteur en scène s’intéresse aux laissés pour compte: des clochards anonymes dans Les Naufragés ou des orphelins du socialisme dans La Fin de l’Homme Rouge, d’après le roman de Svetlana Alexievitch (voir Le Théâtre du blog). Ici, il dresse un tombeau, au sens littéraire du terme, à Blind Willie Johnson (1897-1945), chanteur de gospel mort dans la misère, qui a été refusé à l’hôpital, parce qu’il était noir, pauvre et aveugle. Paradoxalement, son nom est gravé dans l’histoire de la conquête spatiale: sa chanson Dark was the Night, Cold was the Ground (Sombre était la nuit, froid était le sol) figure sur un disque trente-trois tours en or. C’est l’ un des vingt-sept extraits de musique du monde inclus dans le  Voyager Golden Record. Il comporte des informations et des pistes audio pour représenter la diversité de la vie sur Terre et a été fixé sur les sondes Voyager 1 et Voyager 2 qui ont été lancées dans l’espace en 1977.

Ce gospel fait partie des vingt-sept musiques, des cent dix-huit photos prises sur la Terre et salutations d’humains en cinquante langues. Le tout destiné à témoigner du meilleur de notre planète auprès d’éventuels extra-terrestres que le vaisseau pourrait rencontrer en traversant les espaces interstellaires grâce à l’assistance gravitationnelle des planètes croisées en chemin. A partir de cette histoire, Emmanuel Meirieu a tissé une double narration, celle de François, témoin alors qu’il avait sept ans, du lancement de Voyager à Cap Canaveral et qui fut l’une des voix enregistrées sur le fameux Golden Record. Devenu apiculteur, il est confronté aujourd’hui à la disparition de ses abeilles et à la maladie de Charcot qui le paralyse lentement. La pièce nous emmène aussi à Beaumont (Texas), où est mort Blind Willie Johnson. Des hommes fouillent le cimetière Blanchette, devenu un terrain vague, à la recherche de la sépulture du chanteur, enterré là parmi de nombreux descendants d’esclaves. 

En guise de prologue, sur un rideau de scène est projeté un dessin naïf et coloré,puis un film commenté par la voix de François enfant où on voit le lancement de la fusée Titan, mêlé à des réminiscences des années soixante-dix: le jeu Pac-Man, Marie Myriam remportant le concours de l’Eurovision avec L’Oiseau et l’Enfant, des vues de la Terre prises par la NASA, des photos et films de la famille du garçon… Après cette entrée en matière nostalgique, le rideau s’ouvre sur un décor somptueux, signé Seymour Laval et Emmanuel Meirieu. À jardin, une forêt et des ruches, où s’activent l’apiculteur et son assistant. A cour, une décharge jonchée de déchets de plastique, où s’affairent deux hommes noirs: l’un fredonnant d’étranges mélopées, l’autre sondant le sol et exhumant des pierres tombales de fortune, pour reconstituer les sépultures des malheureux enterrés là. Il espère trouver celle de Willie Johnson car le guitariste autodidacte qui construisit son instrument avec des boîtes de cigares est l’idole de son fils. 

Ces univers se répondent, discrètement enveloppés d’images projetées au lointain, sur des musiques de Raphaël Chambouvet qui s’est inspiré de morceaux du disque de la NASA. Une douce ambiance de fin du monde règne sur ces collines boisées où les acteurs  évoluent dans un équilibre précaire, représentants d’une humanité blessée, dans un monde en souffrance.  Cette pièce délicate et intelligente où rien n’est laissé au hasard s’essouffle, sans doute par manque de concision. Et le récit un peu mièvre de la fabrication du disque d’or a du mal à trouver sa place dans cette narration bipolaire. Mais ces destins croisés sur fond de conquête spatiale nous touchent.«Un petit pas pour l’homme, un grand bond pour l’humanité.» aurait dit Neil Armstrong, quand il a posé le pied sur la lune le 20 juillet 1969. Une utopie qui n’a plus cours aujourd’hui…

Dark was the Night, Cold was the Ground a été choisi par Timothy Ferris, conseiller de la NASA : «La chanson concerne une situation à laquelle Johnson a été confronté: la tombée de la nuit sans endroit pour dormir.»  Aujourd’hui, on a dressé un monument à la mémoire du bluesman au cimetière Blanchette. Sa musique a été utilisée dans la bande originale de L’Evangile selon Saint Mathieu de Pier Paolo Pasolini et Ry Cooder s’en est inspiré pour Paris, Texas (1984) de Wim Wenders. Le cinéaste allemand lui a consacré un documentaire The Soul man. La guitare « slide » donne à ce spectacle, malgré des longueurs, des sonorités mélancoliques. 

Mireille Davidovici

Jusqu’au 14 décembre, Théâtre des Quartiers d’Ivry-Centre Dramatique National, Manufacture des Œillets, 1 place Pierre Gosnat, Ivry-sur-Seine. T. 01 43 90 11 11

Le 10 janvier, Quai des Arts, Argentan (Orne) ; 12 janvier, Scène nationale de Dieppe (Seine Maritime); les 17 et 18 janvier, Les Scènes du Golf, Théâtres de Vannes et Arradon (Morbihan) ; les 20 et 21 janvier, Théâtre L’Air Libre, Rennes (Ille-et-Vilaine) ; les  24 et 25 janvier, Espace Malraux, Chambéry (Savoie); du 31 janvier au 4 février, Les Célestins, Lyon (Rhône).

Le 7 février, Le Carré, Château-Gontier (Mayenne); du 15 au 19 février, Comédie de Genève (Suisse) ; le 21 février,  Maison des Arts, Thonon (Haute-Savoie).

Du 9 au 19 mars, Les Gémeaux, Scène nationale de Sceaux (Hauts-de-Seine) ; le 21 mars, Scène nationale de Bayonne (Pyrénées-Atlantiques)   

 

 


Archive pour 12 décembre, 2022

Exécuteur 14 d’Adel Hakim, conçu en collaboration avec Elsa Gallès et Julien Basler

Exécuteur 14  d’Adel Hakim, conçu en collaboration avec Elsa Gallès et Julien Basler0

La ville est en ruines et ce dernier survivant d’une guerre civile raconteson enfance paisible même s’il y avait déjà des tensions entre Adamites et Zélites. Maistrès vite a surgi une guerre civile entre clans rivaux sur fond d’extrémisme religieux avec bombardements, exécutions arbitraires…

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Une fois de plus, la guerre s’installe et il faudra faire avec! Sortir dans la rue malgré les snipers, continuer à vivre dans les ruines. L’homme devient l’un des guerriers fanatiques chez les Adamites et apprend à haïr pour exterminer les Zélites. Bourreau ou victime, il ne sait plus trop! Sans doute les deux, la guerre ne fait aucune distinction! Et il revoit l’arrivée des Exécuteurs qui exterminent sans état d’âme tout ce qui vit. Puis à la fin, il s’étend sur le sol et fait une dernière prière pour qu’il n’y ait plus, jamais plus, de bombes.

«Emmener le spectateur, détail après détail, événement après événement, écrivait Adel Hakim, reconstitution après reconstitution, dans un voyage, en compagnie de cet individu, un voyage vers un pays inconnu, complexe, protéiforme. Et tenter d’établir une carte de ce monde qui se trouve être celui de la terreur. Ce n’est pas un récit, ce n’est pas une histoire.C’est une expérience qui est proposée.» L’auteur et metteur en scène malheureusement disparu il y a déjà cinq ans, était né dun père égypto-libanais et d’une mère italienne.  De par ses origines comme à la suite de ses études en philo, il avait pu longuement réfléchir sur le sens de la guerre et pourquoi et comment elle arrivait. A l’écoute de son texte, on repense aussi à la belle réplique d’Ulysse à Hector dans La Guerre de Troie n’aura pas lieu de Jean Giraudoux : «Vous êtes jeune Hector ! A la veille de toute guerre, il est courant que deux chefs d’Etats en conflit se rencontrent dans quelque innocent village.( …) Ils ne trouvent dans le visage d’en face aucun trait qui justifie la haine (… ) Et ils ont vraiment combles de paix, de désirs de paix. (…) Et le lendemain pourtant éclate la guerre. »

Adel Hakim avait créé en 91 Exécuteur 14  avec le grand Jean-Quentin Châtelain qui y excellait et quarante ans après, ce texte garde sa puissance et son actualité… Surtout depuis un an déjà avec l’invasion brutale de l’Ukraine. Le texte n’a pas vieilli, mais comme notre amie Christine Friedel l’avait déjà remarqué quand Tatiana Vialle avait remonté la pièce au Théâtre du Rond-Point (voir Le Théâtre du Blog), l’intrusion de mots anglais comme entre autres: cool, trop souvent répétés, date un peu. Antoine Basler est un acteur expérimenté qui a joué entre autres avec Matthias Langhoff ou Benno Besson.
Ici, si nous avons bien compris, il n’y a pas de mise en scène revendiquée et cela se voit. Pourquoi ce lais rouge trop prégnant qui mange l’espace de l’acteur? Pourquoi cette alternance de phrases hurlées au micro et d’autres chuchotées face public mais à la diction plus qu’approximative. (Nous sommes peut-être tombés sur une mauvaise représentation, cela arrive et il n’y avait que seize spectateurs ce samedi soir et cela n’aide pas un acteur…) Mais 
Exécuteur 14 exige une diction sans failles. Pourquoi cette intrusion d’Antoine Basler dans la salle et ce jeu avec une spectatrice? Un procédé usé et qui, ici, ne fonctionne pas.
Il y a quand même un court mais très beau moment à la fin quand l’acteur est allongé au sol : on entend alors cette fois très bien dit le texte en voix off. Malheureusement, le reste du texte- sans aucun doute un des meilleurs solos du théâtre contemporain- qui a été joué dans de nombreux pays, ne bénéficie pas de la même attention. Dommage…

Philippe du Vignal

Théâtre des Déchargeurs, 3 rue des Déchargeurs, Paris ( Ier). T. : 01 42 36 00 50.

 

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