Au Non du père, écriture et mise en scène d’Ahmed Madani
Au Non du père, écriture et mise en scène d’Ahmed Madani
Le metteur en scène n’en est pas à son coup d’essai et avait déjà créé Face à leur destin (Illumination(s), F(l)ammes, Incandescences) où des jeunes des quartiers dits « sensibles » racontaient ce qu’était leur vie Cette fois, avec une jeune femme issue de la diversité comme on dit, il nous offre un spectacle des plus attachants, entre performance et théâtre, remarquablement dirigé et, sous des apparences un peu foutraques, très bien mis en scène.
Sur scène, côté jardin, un grand écran qui va transmettre quelques images de voyage. Deux plans de travail en inox avec une poèle pour faire des amandes grillées, des moules pour petits gâteaux au chocolat, et un four. Côté cour, des coffres métalliques servant de table pour l’ordinateur du metteur en scène qui va piloter les choses
Il commence par préciser qu’Anissa veut être seulement conteuse, et non actrice. Il avait recruté pour son précédent spectacle cette jeune femme franco-marocaine -mariée cinq enfants- qui serait née d’une rencontre imprévue dans un hôpital entre sa mère et un médecin qui avait bien prévenu qu’il ne voulait pas avoir d’enfant avec elle et, au cas où, ne le reconnaîtrait pas…
Elle vivra pauvrement, dit-elle, avec sa seule mère qui, un jour, lui donnera une photo de ce père mais ensuite avouera que ce n’était pas lui. Alors qu’elle elle avait vécu toute son enfance en croyant dur comme fer que c’était bien son père.. Elle l’a toujours connu absent et n’en sait rien. Elle a donc toujours été à la recherche de son identité et de ses racines. Comment alors arriver à se construire ? Un jour elle voit un reportage sur TF1 : un boulanger-pâtissier à Collebrook, une petite ville au bout du New-Hampshire, se voit refuser la prolongation de son visa et celui de sa femme. Alors les habitants qui apprécient beaucoup ses baguettes et ses croissants, vont alors tout faire pour qu’ils aient ce foutu visa et ils y réussiront.
Fiction ? Réalité ? Anissa, mue il y a dix ans par une curieuse intuition, est sûre en voyant ce boulanger qu’il est bien son père. Ce que lui aurait confirmé sa mère à qui elle montre plusieurs fois l’enregistrement de l’émission. Elle trouve son adresse, lui écrit pour lui dire qu’elle veut aller le voir. Réponse polie mais absolument négative: il ne la recevra pas. Anissa décidera quand même d’aller là-bas et en parlera à Ahmed Madani. «Cette quête sonnait tellement juste, dit-il, que je lui ai proposé de l’aider et d’en faire un spectacle.» Il l’accompagnera donc avec un cadreur aux Etats-Unis. Arrivés à New York, ils seraient ensuite allés en voiture jusque dans le New Hampshire et auraient logé pas très loin de cette fameuse boulangerie. Difficile à croire mais si bien ficelé qu’après tout, cela se tient…
«Ce qui est projeté donne l’impression d’avoir été vécu, dit Ahmed Madani. (…) L’excès de vérisme laisse supposer que que l’œuvre se place dans une perspective de théâtre documentaire.» (…) « Mon choix a été de nourrir l’écriture du matériau brut de la vie des protagonistes aura été poussé au plus loin. » Anissa est déposée en voiture juste devant la boutique, et là, munie d’un gros bouquet de roses, elle franchit bien sûr avec appréhension les quelques mètres la séparant de la boutique… Mais nous ne vous dirons pas la suite.
Ahmed Madani demande au public de chercher ce qui est arrivé en fait, et comment cette histoire à rebondissements à peine crédible s’est finie… Une histoire où Anissa raconte cette recherche du père, mais aussi et surtout d’elle-même. Avec précision et générosité, tout en continuant à surveiller la cuisson de ses fondants au chocolat, dont elle a fait couler l’appareil d’une main experte avec une poche-douille dans un grand moule. Et Anissa secoue de temps en temps la poèle où les amandes vont lentement se caraméliser. Qu’elle offrira avec les fondants au public, après avoir avec répondu avec le metteur en scène, aux questions qu s’est posé en écoutant ce conte moderne.
Intelligence de la mise en scène, jeu très fin de celle qui répète qu’elle n’est pas une actrice.Oui, oui… mais elle a une singulière présence et une impeccable diction (parfois trop peut-être mais bon le trac, cela existe..) et que bien des interprètes quel que soit le genre, peuvent lui envier. En une heure, cette quête du père et de son identité et la préparation conjointe de ces pâtisseries, ont ébloui avec raison le public. «Ou commence le réel et où s’achève la fiction? (…) Fallait-il raconter ce qui s’était réellement passé, ou bien allions-nous devoir inventer une histoire», se demande Ahmed Madani. Finalement qu’importe, mais loin des spectacles accablants sur plusieurs heures et interminables où pas grand chose n’est dit, cet Au Non du père est tout à fait réjouissant et parfaitement rodé. S’il passe près de chez vous, dans les salles ou les établissements scolaires, surtout n’hésitez pas…
Philippe du Vignal
Spectacle vu le 11 décembre, au Théâtre de Belleville, 16 passage Piver, Paris (XI ème).