Lorsque l’enfant parait d’André Roussin, mise en scène de Michel Fau

Lorsque lenfant parait d’André Roussin, mise en scène de Michel Fau

André Roussin (1911-1987) d’origine marseillaise, on l’a oublié fut pourtant  à l’origine  de la politique de décentralisation théâtrale. Et cet auteur un peu oublié aujourd’hui fut reconnu dans les années cinquante-soixante avec des pièces à grand succès comme La petite Hutte avec la grande Suzanne Flon, Les œufs de l’autruche, Nina, Bobosse que François Périer joua plus de mille cinq cent fois! Et,  dans son discours de réception à l’Académie-Française en 74, André Roussin dit certaines vérités toujours d’actualité: «En effet, le Français qui n’aime pas qu’on lui en impose, réagit traditionnellement devant la dignité de votre compagnie, en laissant entendre ironiquement que l’âge moyen d’un académicien est légèrement au-dessus de trente-cinq ans… Or, Messieurs (…)  les bons esprits ont quelques raisons de s’assombrir et de considérer la vie humaine comme un des cercles de l’enfer, vous avez voulu grossir parmi vous le nombre de ceux qui déjà représentaient ici le genre de théâtre si décrié par notre temps, la comédie. » Sans doute une pique bien acérée contre André Malraux, ministre de la Culture sous de Gaulle, qui ne supportait pas son théâtre…

Et c’est justement pour la comédie que le public vient ici. Charles Jacquet (Michel Fau), ministre de la Famille, marié depuis vingt-cinq ans et père de deux grands enfants, apprend, la veille d’une élection, que son épouse, Olympe (Catherine Frot), est enceinte : «La situation est celle-ci : je mène une campagne -assez bruyante, disons-le- et je triomphe par deux votes de l’Assemblée, l’un : la suppression des maisons de tolérance, l’autre : l’augmentation des peines qui frappent l’avortement. Là-dessus, on apprend qu’après vingt-et un ans sans maternité, tu attends un enfant. Et cela commence à se savoir naturellement au moment de la prochaine campagne électorale.
Je vois tout de suite la façon dont mes adversaires utiliseront la chose: pour prêcher d’exemple, me faisant le premier prêtre de ma religion, je me suis brusquement jeté sur ma femme pour consolider ma situation politique et affermir mon portefeuille. Je suis tourné en ridicule et toi, tu passes pour une victime du devoir. Nous sommes ridicules tous les deux. Et officieusement – je veux dire dans le monde et dans les couloirs de la politique, tu passes pour la maîtresse de Roger ou d’un autre et tu me fais endosser une paternité à laquelle je suis seul à croire. Je suis deux fois grotesque. »

 

©x

©x

Cette réplique de la pièce créée en 1951 est un peu longue mais résume bien un quiproquo à propos d’ un possible avortement, très sulfureux à l’époque: .. Les deux enfants de Charles Jacquet risquent aussi d’être parents, hors toutes les règles de la bourgeoisie de l’époque. Michel Fau a mis la pièce en scène dans un intérieur bourgeois cossu, en rouge et bleu assez cinglants et tout en perspective, mais avec tous les codes du boulevard. Et il joue très juste ce ministre dont il fait la première victime de ce dérèglement aux convenances…

Catherine Frot, irrésistible en  épouse de ministre prête à tout pour garder son rang, symbolise la bourgeoisie prétentieuse et discriminatoire qui perdure aujourd’hui sous un autre masque. «J’aime mieux m’amputer d’un enfant à naître que de faire la moindre ombre à la famille française. Les classes laborieuses doivent être vertueuses, sinon qu’est-ce qu’il leur restent!»
Mais les autres rôles ne sont pas à la hauteur et seul Maxime Lombard donne une épaisseur à un personnage de vieil anarchiste qui veut déshériter son fils Charles. Le public rit volontiers à ce succès de la rentrée. André Roussin a une écriture très fine et il fait dire à ses personnages des horreurs sur les différences entre classes sociales, malheureusement encore très actuelles. Nous avons passé un bon moment dans ce théâtre privé, longtemps dirigé par Yvonne Printemps et Pierre Fresnay auxquels s’est associé dix ans François Périer…

Jean Couturier

Théâtre de la Michodière, 4 bis rue de la Michodière, Paris (II ème). T. :  01 86 47 68 62.


Archive pour 14 décembre, 2022

Luis Olmedo, un parcours…

Luis Olmed, magicien

-Quel a été votre parcours ?

 

©x

©x

Je me souviens avoir regardé une émission: Nada x Aquí, avec Jandro, Piedrahíta, Jorge Blass Junke et Inès; j’ai alors su que je ferai de la magie. Je ne voulais pas savoir par curiosité mais pour faire! Mais quand un ami m’a montré un tour, je lui ai demandé comment je pourrais apprendre et il m’a conseillé Cartomagia fondamental (1993) de Vicente Canuto. J’ai donc commencé avec ce livre et j’ai aussi lu ensuite La magie d’Ascanio. Je regardais tout ce que je pouvais sur YouTube et ce que faisaient des magiciens proches de moi. J’ai aussi revu avec d’autres yeux…toutes les émissions de Nada x aquí.

Par chance, j’ai rencontré des gens très généreux et d’excellents professeurs m’ont beaucoup aidé comme Dani Daortiz, Juan-Luis Rubiales, Miguel Ajo, Gabi Pareras… Certains sont devenus des amis comme Mario López ou Pipo Villanueva avec lesquels je travaille sur quelques idées. Mais pour être honnête, je me suis parfois demandé si ce que je faisais était d’un niveau suffisant: une bonne chose pour avancer et continuer à apprendre…

-Et aujourd’hui?

Je joue pour des magiciens. En Espagne,avec mon spectacle de close-up dans les théâtres et festivals avec images-caméra. Je fais des conférences et anime des ateliers mais je travaille aussi chez des particuliers et pour des entreprises.

-Qui a vous a influencé et pour réussir, que faut-il surtout ?

Des artistes comme Dani Daortiz, Juan Tamariz, Juan Luis Rubiales… et bien sûr, Gabi Pareras. Je suis attiré par les styles poétiques, clairs et directs pour le public et j’ai aussi été influencé par le photographe Chema Madoz, le dramaturge Ramón María del Valle-Inclán, le compositeur Hans Zimmer, les peintres Pablo Picasso et René Magritte, et le magicien Miguel Angel Gea. Passion, travail et partage de connaissances : c’est essentiel.  Il faut aussi être critique envers soi-même. Nous vivons un très bon moment pour la magie. Les nouvelles générations travaillent dur. Et Internet est un moyen efficace pour se connecter avec les autres et avoir de nouvelles façons de faire.
Mais nous devons être patients et choisir ce que nous lisons et regardons! Nous sommes submergés d’informations et alors nous oublions parfois l’essentiel. Très important aussi: lire, regarder et écouter en dehors de la magie: si notre propre monde est plus grand, nous pouvons donc générer d’autres sensations…

Sébastien Bazou

Entretien réalisé le 30 novembre.

(https://luisolmedo.com/

Los Años, (Les Années), texte et mise en scène de Mariano Pensotti (en espagnol, surtitré en français)

Los Años, (Les Années), texte et mise en scène de Mariano Pensotti (en espagnol, surtitré en français)

Cet auteur-metteur en scène argentin a étudié le cinéma, les arts visuels et le théâtre à Buenos Aires, en Espagne et en Italie. Et il a fondé, il y a dix-sept ans, le Grupo Marea avec la scénographe Mariana Tirantte, le musicien Diego Vainer et la productrice Florencia Wasse. Il met en scène ses textes et crée aussi des installations in situ, entre fiction et réalité. Et il avait présenté El pasado es un animal grotesco et Cineastas au festival d’Automne à Paris en 2003.

Dans cette fiction, Mariano Pensotti pose une question philosophique vertigineuse: comment imaginer notre vie à l’horizon 2050? Quand tout ce qui fait le quotidien actuel aura muté, voire inexorablement disparu… comme la majorité des spectateurs dans cette salle? Et comment voir aussi notre présent à distance.

©x

©x

Cela se passe à Buenos Aires en 2020. Une salle à vivre avec derrière une cuisine, et au-dessus une chambre, mais en deux exemplaires presque identiques. Côté jardin, un pianiste. Manuel, un jeune architecte perd son père et  lui-même va le devenir… Il réalise un documentaire sur un orphelin des quartiers très pauvres. Sur un écran au dessus de la scène, défilent des images d’immeubles Art Déco de la capitale argentine mais aussi celles d’un petit garçon errant et finissant par aller habiter dans l’appartement que son grand-frère a déserté. Il vit de rapines et grâce à l’architecte qui lui tiendra lieu de père, il pourra être inscrit à l’école où il aura gratuitement un petit déjeuner et un déjeuner. Le documentaire de Manuel avait eu un certain succès. Mais en 2050, on ne sait pas trop ce qu’est devenu ce petit garçon…

 Et il y a aussi un autre couple d’architectes…Lui, a soixante ans et vit en Allemagne avec sa compagne. Le monde a changé surtout dans les villes envahies par des animaux sauvages que des bénévoles  éliminent… Il essaye de renouer des relations avec sa fille. Elle a maintenant trente ans, et actrice, elle voudrait monter un spectacle sur la vie de son père quand elle n’était pas encore née… Ce serait un récital avec piano, un genre ancien quand l’Argentine était une colonie espagnole.
Les théâtres qui avaient connu une désaffection dans les années 2020 à cause de pandémies, sont à nouveau pleins: les gens veulent du vivant, ont assez des écrans et le cinéma a quasiment disparu… Il y a ici un très habile va-et-vient permanent entre présent, et futur au présent. La distance entre représentation et récit est ici particulièrement bien assumée, la narration comme le souhaite le metteur en scène, ajoute du sens et le libère effectivement de la nécessité de tout représenter. Un vieux procédé théâtral déjà bien connu d’Eschyle, Shakespeare, etc.
Les personnages, en circulant d’une époque à une autre, à la fois jeunes et déjà âgés, vivent une autre vie. Une mise en abyme permanente avec, à la fin, un texte en boucle qui revient comme en boomerang… Une sorte de dystopie séduisante et surtout très bien réalisée. Mais «s’il y a bien  quelque chose d’optimiste, dit Mariano Pensotti, c’est la capacité à créer de la fiction, et l’affirmation que l’on peut imaginer un futur différent.»

Oui, mais voilà, le flux d’informations est tel qu’on finit par décrocher quelquefois: deux lieux, avec des personnages qui passent sans cesse d’un salon à l’autre ou qui montent dans les chambres, de belles mélodies créées et jouées au piano par Diego Vainer qu’on a envie d’écouter, les images de détails architecturaux bien mis en valeur comme dans un livre d’art, rt celles de la vidéo de Martín Borini filmant avec tendresse la dérive de ce petit garçon marchant dans Buenos Aires et y vivant, le surtitrage du texte -à trop grande vitesse- et aussi les personnages très bien joués par Javier Lorenzo, Mara Bestelli, Bárbara Masso, Paco Gorriz et Julian Keck. Cela fait quand même beaucoup à la fois…
Alors à voir? Oui, malgré des réserves sur un texte parfois estouffadou et ces informations en trop grand nombre, pour la grande qualité de cette réalisation et la scénographie de Mariana Tirantte. Et ce n’est pas tous les jours que l’on a l’occasion de voir le spectacle d’un collectif argentin…

Philippe du Vignal

Spectacle vu le 13 décembre. Jusqu’au 18 décembre, Théâtre Nanterre-Amandiers, 7 avenue Pablo Picasso, Nanterre, (Hauts-de-Seine). T. : 01 46 14 70 00.



Nu, mise en scène de David Gauchard

Nu, mise en scène de David Gauchard

Ne vous attendez pas à voir du nu : ici on vous dévoile seulement les dessous de la profession de modèle vivant, avec quand même une petite surprise à la fin. Qui sont ces invisibles, pourtant exposés au regard des autres et représentés dans de nombreux chefs-d’œuvre dont La Naissance du monde de Gustave Courbet, souvent cité ici. Comment ces hommes et ces femmes affrontent-il les préjugés sur cette profession pas comme les autres?

Nu, mise en scène de David Gauchard dans actualites

© Dan Romaën,

David Gauchard donne voix une fois encore à l’insolite. Dans Maloya, il partait d’entretiens avec les habitants et musiciens de la Réunion pour pénétrer les rouages du maloya, langue identitaire de l’île désignant aussi sa musique. Et dans l’émouvant Time to tell, il mettait en scène le récit du jongleur Martin Palisse, atteint de mucoviscidose (voir Le Théâtre du Blog). Avec son équipe, il a rencontré une quinzaine de modèles et leurs paroles nous sont restituées en direct par Emmanuelle Hiron et Alexandre Le Nours. Au milieu du plateau, ils s’assoient tour à tour sur une sellette et branchent ostensiblement leurs oreillettes sur la bande-son des entretiens. Ils épousent mot pour mot les intonations de leur source et incarnent, au plus près, les rires, hésitations, silences ou éclats de voix. A chaque fois, ils annoncent les prénom et âge et adoptent des mimiques correspondant à ce qu’ils entendent.

Nous entrons ainsi de plain-pied dans ces vies, avec anecdotes et réactions des proches face à leur choix…. Et ces modèles démentent les idées reçues : «La vulnérabilité n’est pas dans la nudité, mais dans l’immobilité » pour Maud (trente trois ans). «C’est désexualisé», dit Maxime (quarante-trois ans). « Le modèle, c’est sacré, tu fais rien avec le modèle.» confirme Luc (quarante-neuf ans). Ils parlent beaucoup de la relation qui se crée avec leur public, fiers de participer à une œuvre d’art . Et Mireille, à soixante-quinze ans, se voit comme «une fleur dans un jardin et celui qui peint, c’est le jardinier». En posant, elle a «trouvé son clown» et «c’est une richesse. »
Camille (vingt-deux ans) parle de «la force qu’elle réussit à dégager» et «du dessin qui capte l’essence de sa personne». Pour Sylvie (quarante-huit ans ans) poser nue, c’est une réparation et une liberté après les violences sexuelles qu’elle a vécues. On entend aussi un jeune prostitué qui a pu se reconstruire, redonner une dignité à son corps et devenir lui-même un artiste. Il est aussi question de précarité: Jean-Charles (soixante ans) évoque une grève quand la Ville de Paris a interdit le «chapeau», après les séances de pose mal payées : «modèle d’art est un métier de non-droit.»

Ce théâtre documentaire n’oblitère pas la créativité des acteurs: il y a du jeu entre ce que disent les sujets et la partition qu’ils en donnent. «Ici, dit Alexandre Le Nours, la pensée du personnage se déploie en même temps que je la dis… Mon rôle est de filtrer les mots que j’entends à travers mon espace émotionnel et transmettre, avec mon corps et ma voix, les fulgurances et hésitations des témoignages. » Nous voyons ces personnes ainsi exister devant nous dans leur vérité. Le metteur en scène les fait défiler sur une sellette mais des intermèdes et déplacements rompent la monotonie des témoignages.

Alexandre Le Nours et Emmanuelle Hiron en viennent à se poser mutuellement la question de la nudité sur scène. Ce qui fut pour David Gauchard le point de départ de Nu. Quand il a monté Ekaterina Ivanovna de Leonid Andreiev, les producteurs lui demandèrent comment il allait gérer la scène où la femme d’un grand politicien de la Douma pose nue sur une sellette lors d’une soirée mondaine. Les didascalies de l’époque (1906) stipulent que l’actrice devait jouer nue. «Certains lieux, dit le metteur en scène, reçoivent des lettres agressives du public, de certaines associations ou enseignants quant à leurs choix de programmation. C’est une vrai problème.»

Le spectacle, loin d’être théorique, démonte avec générosité, émotion et humour, un sujet tabou. Pour le sociologue Arnaud Alessandrin qui accompagne cette création, «Traduire quelque chose de l’expérience des modèles nus, c’est mieux comprendre la place du corps nu dans nos sociétés tiraillées par des questions morales, esthétiques et de genre ou rapport à l’intime. »

 Mireille Davidovici

 Jusqu’au 27 décembre, Théâtre de Belleville, 6 passage Piver, Paris (XIème) T. : 01 48 06 7234.

Le 11 février Scène 55, Mougins  (Alpes-Maritimes).

Le 21 mars, Les Scènes du Jura, Lons-le-Saulnier (Jura) ; les 28 et 29 mars, Musée d’art et d’histoire de Saint-Lô en partenariat avec le Théâtre de Saint-Lô (Manche) ; le 31 mars, Scène Nationale de Dieppe (Seine-Maritime).

Et le 16 mai, Le Pont des arts, Cesson-Sévigné (Ille-et-Vilaine).

 

DAROU L ISLAM |
ENSEMBLE ET DROIT |
Faut-il considérer internet... |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Le blogue a Voliere
| Cévennes : Chantiers 2013
| Centenaire de l'Ecole Privé...