Nu, mise en scène de David Gauchard

Nu, mise en scène de David Gauchard

Ne vous attendez pas à voir du nu : ici on vous dévoile seulement les dessous de la profession de modèle vivant, avec quand même une petite surprise à la fin. Qui sont ces invisibles, pourtant exposés au regard des autres et représentés dans de nombreux chefs-d’œuvre dont La Naissance du monde de Gustave Courbet, souvent cité ici. Comment ces hommes et ces femmes affrontent-il les préjugés sur cette profession pas comme les autres?

Nu, mise en scène de David Gauchard dans actualites

© Dan Romaën,

David Gauchard donne voix une fois encore à l’insolite. Dans Maloya, il partait d’entretiens avec les habitants et musiciens de la Réunion pour pénétrer les rouages du maloya, langue identitaire de l’île désignant aussi sa musique. Et dans l’émouvant Time to tell, il mettait en scène le récit du jongleur Martin Palisse, atteint de mucoviscidose (voir Le Théâtre du Blog). Avec son équipe, il a rencontré une quinzaine de modèles et leurs paroles nous sont restituées en direct par Emmanuelle Hiron et Alexandre Le Nours. Au milieu du plateau, ils s’assoient tour à tour sur une sellette et branchent ostensiblement leurs oreillettes sur la bande-son des entretiens. Ils épousent mot pour mot les intonations de leur source et incarnent, au plus près, les rires, hésitations, silences ou éclats de voix. A chaque fois, ils annoncent les prénom et âge et adoptent des mimiques correspondant à ce qu’ils entendent.

Nous entrons ainsi de plain-pied dans ces vies, avec anecdotes et réactions des proches face à leur choix…. Et ces modèles démentent les idées reçues : «La vulnérabilité n’est pas dans la nudité, mais dans l’immobilité » pour Maud (trente trois ans). «C’est désexualisé», dit Maxime (quarante-trois ans). « Le modèle, c’est sacré, tu fais rien avec le modèle.» confirme Luc (quarante-neuf ans). Ils parlent beaucoup de la relation qui se crée avec leur public, fiers de participer à une œuvre d’art . Et Mireille, à soixante-quinze ans, se voit comme «une fleur dans un jardin et celui qui peint, c’est le jardinier». En posant, elle a «trouvé son clown» et «c’est une richesse. »
Camille (vingt-deux ans) parle de «la force qu’elle réussit à dégager» et «du dessin qui capte l’essence de sa personne». Pour Sylvie (quarante-huit ans ans) poser nue, c’est une réparation et une liberté après les violences sexuelles qu’elle a vécues. On entend aussi un jeune prostitué qui a pu se reconstruire, redonner une dignité à son corps et devenir lui-même un artiste. Il est aussi question de précarité: Jean-Charles (soixante ans) évoque une grève quand la Ville de Paris a interdit le «chapeau», après les séances de pose mal payées : «modèle d’art est un métier de non-droit.»

Ce théâtre documentaire n’oblitère pas la créativité des acteurs: il y a du jeu entre ce que disent les sujets et la partition qu’ils en donnent. «Ici, dit Alexandre Le Nours, la pensée du personnage se déploie en même temps que je la dis… Mon rôle est de filtrer les mots que j’entends à travers mon espace émotionnel et transmettre, avec mon corps et ma voix, les fulgurances et hésitations des témoignages. » Nous voyons ces personnes ainsi exister devant nous dans leur vérité. Le metteur en scène les fait défiler sur une sellette mais des intermèdes et déplacements rompent la monotonie des témoignages.

Alexandre Le Nours et Emmanuelle Hiron en viennent à se poser mutuellement la question de la nudité sur scène. Ce qui fut pour David Gauchard le point de départ de Nu. Quand il a monté Ekaterina Ivanovna de Leonid Andreiev, les producteurs lui demandèrent comment il allait gérer la scène où la femme d’un grand politicien de la Douma pose nue sur une sellette lors d’une soirée mondaine. Les didascalies de l’époque (1906) stipulent que l’actrice devait jouer nue. «Certains lieux, dit le metteur en scène, reçoivent des lettres agressives du public, de certaines associations ou enseignants quant à leurs choix de programmation. C’est une vrai problème.»

Le spectacle, loin d’être théorique, démonte avec générosité, émotion et humour, un sujet tabou. Pour le sociologue Arnaud Alessandrin qui accompagne cette création, «Traduire quelque chose de l’expérience des modèles nus, c’est mieux comprendre la place du corps nu dans nos sociétés tiraillées par des questions morales, esthétiques et de genre ou rapport à l’intime. »

 Mireille Davidovici

 Jusqu’au 27 décembre, Théâtre de Belleville, 6 passage Piver, Paris (XIème) T. : 01 48 06 7234.

Le 11 février Scène 55, Mougins  (Alpes-Maritimes).

Le 21 mars, Les Scènes du Jura, Lons-le-Saulnier (Jura) ; les 28 et 29 mars, Musée d’art et d’histoire de Saint-Lô en partenariat avec le Théâtre de Saint-Lô (Manche) ; le 31 mars, Scène Nationale de Dieppe (Seine-Maritime).

Et le 16 mai, Le Pont des arts, Cesson-Sévigné (Ille-et-Vilaine).

 

 

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