La Petite Boutique des horreurs d’Alan Menken, musique d’Howard Ashman, direction musicale de Maxime Pascal, mise en scène de Valérie Lesort et Christian Hecq

La Petite Boutique des horreurs d’Alan Menken, musique d’Howard Ashman, direction musicale de Maxime Pascal, mise en scène de Valérie Lesort et Christian Hecq

8 La Petite boutique des horreurs DR

© S. Brion

 Chez Mushnik, le fleuriste, les affaires vont mal… Lui et ses employés Audrey et Seymour vivotent, comme le dit la première chanson Dans ton Ghetto. Jusqu’au jour où une plante étrange, tombée du ciel un jour d’éclipse et élevée par Seymour, attire la clientèle. Le jeune fleuriste désormais célèbre voit tous ses vœux exaucés, à condition de nourrir le végétal, de plus en plus avide de chair humaine… Mushnik l’adopte et Audrey lui tombe dans les bras. Mais à quel prix ?

Cette comédie musicale culte créée à New York en 1982, dans une petite salle du off-off Broadway, est tirée du film Little Shop of Horrors de Roger Corman, scénario de Charles Griffith (1960) et inspiré d’une nouvelle de H.G. Wells. L’auteur Howard Ashman et le compositeur Alan Menken, figures majeures des studios Disney, adaptèrent cette fable à la scène.

Ici, La Petite Boutique des horreurs avec un livret en  français,  a été adapté et mise en scène par Alain Marcel au Déjazet puis au théâtre de la Porte Saint-Martin en 1986. Aujourd’hui nous entendrons ces chansons  avec la nouvelle orchestration d’Arthur Lavandier.  Maxime Pascal, directeur musical, explique ce choix par le devenir symphonique en germe dans la musique d’Alan Menken : «En 82, La Petite Boutique des horreurs mobilisait un groupe formé des guitares, basses et clavier électriques, avec le piano-où j’entends une influence très forte du big band-l’orchestre comprend donc aujourd’hui un big-band mais avec des cordes.»

 Le compositeur américain, de formation classique et célèbre pour ses musiques des dessins animés de Walt Disney, mélange ici styles et influences. Sa partition est un catalogue des tendances jazz, rock’n’roll et pop des années cinquante-soixante. La Plante a un langage très jazz et le chœur à l’antique des Skid Row Supremes, un trio évoquant les groupes de chanteuses afro-américaines, flirte avec le gospel.

Sous la baguette de Maxime Pascal à la tête de son ensemble Le Balcon, la musique tourne rond et sonne bien. Elle pourrait prétendre à quelques tubes, malgré les paroles désuètes des airs mais paraît bien sage, comparée aux résonances pop et rock de Starmania. Ce travail musical de grande qualité est ici magnifié par la mise en scène de Valérie Lesort et Christian Hecq qui créent un univers foutraque, fortement connoté années soixante-dix, avec costumes stylisés à outrance par Vanessa Sannino. Ils nous avaient enchantés avec Le Domino noir et Le Voyage de Gulliver (voir Le Théâtre du Blog) et ont ici réalisé une mise en images éblouissante, et impulsé une fluidité au jeu des chanteurs-acteurs. Rien de gore dans ce conte macabre en deux actes où tout est lisse en apparence… Mais il ne faut pas s’y fier.

Audrey Vuong a transposé le quartier juif du scénario original, à un carrefour au milieu de nulle part et la devanture du fleuriste devient une station-service reconvertie en boutique. Avec feux tricolores en permanence à ce coin de rue. Pour plus d’étrangeté, apparaissent des éléments scéniques ambulants, comme le fauteuil d’Orin Scrivello, le dentiste sadique qui courtise et martyrise Audrey. Sorte d’Elvis Presley de pacotille, il sera la première victime de la Plante et l’objet du premier crime de Seymour dont le sang ne suffisait plus à nourrir la fleur carnivore… La créature parle et chante style rythm’n’ blues par la voix de Daniel Njo Lobe, un habitué des doublages qui rend de plus en plus agressive la marionnette géante de Carole Allemand. Gueule de dinosaure et feuillage tentaculaire ( trois mètres de hauteur, et huit de racines articulées) nécessitant trois manipulateurs et qui va occuper bientôt toute la boutique.

Marc Mauillon interprète avec nuances un Seymour timide, un peu lâche et ambigu… comme sa voix qui passe de ténor à baryton. Secrètement amoureux d’Audrey, il se laisse corrompre par la plante qui crie famine- « Nourris moi  » est son leitmotiv-, pour arriver à ses fins. Judith Fa est une Audrey pétillante de candeur dans ses  tenues rose bonbon années soixante-dix. Elle adopte une tessiture plus grave que le soprano de Maria dans West Side Story qu’elle avait aussi chantée. Elle joue parfaitement l’oie blanche et son rêve américain d’un pavillon de banlieue, dans Au Cœur du vert et est accompagnée d’appareils ménagers géants sur pieds, portés par les danseurs. Effet assuré.

 Mushnik, le seul personnage juif qui subsiste du film de Roger Corman, est incarné par Lionel Peintre, baryton. Ses airs empruntent à la musique traditionnelle du ghetto, sans qu’il pousse son personnage vers la caricature, à l’inverse du surprenant Damien Bigourdan (baryton) qui prête ses talents d’acteur et de crooner à Orin Scrivello, un personnage plus décalé qu’inquiétant. Les irrésistibles Skid Row Supremes Crystal (Sofia Mountassir), Chiffon (Laura Nanou) et Ronnette (Anissa Brahmi) jouent et commentent l’action, changent de costume selon les scènes.

Avec leurs coiffures exubérantes et leurs robes rutilantes, elles rappellent Diana Ross et ses Supremes, ou d’autres groupes féminins noirs des années soixante, quand elles chantent Chez-nous:  «Dans notre banlieue, pas d’moyens d’transport/On bouff’ comme des porcs (…) En ville, on est aux ordres des patrons… etc.» Un temps, elles représentent les classes laborieuses, laissées pour compte de l’ascension sociale à laquelle aspirent Seymour et Audrey. Puis, de fil en aiguille, elles se rangent du côté de la Plante, tout de vert vêtues…

 Ces artistes venus d’horizons différents : opérette, théâtre, comédie musicale… nous offrent un spectacle plus amusant qu’effrayant. Valérie Lesort et Christian Hecq, avec une mise en scène bien huilée, ne prétendent pas faire une relecture sociologique de l’œuvre dans le contexte américain, même si comme le rappelle le musicologue Marc Jensen : « Etroitement liée à l’expérience musicale et raciale américaine, notamment en ce qui concerne la formation très spécifique du rock ‘n’ roll, Little Shop of Horrors se présente en 1982 comme une métaphore rétrospective des résistances de la société américaine dès 1960, avant l’avènement du Civil Rights Act en 1968. »

Les metteurs en scène ne soulignent pas la morale édifiante de ce conte cruel qui nous fait froid dans le dos, à un moment où l’Humanité prend lentement conscience des méfaits de son ubris, après avoir voulu domestiquer la nature. Ils nous invitent surtout à voir et entendre avec plaisir ces chanteurs, danseurs, musiciens et marionnettistes. A chaque spectateur de trouver son bonheur et son chemin dans cette Petite Boutique des horreurs, délicieusement rétro…

Mireille Davidovici

Jusqu’au 25 décembre, Opéra-Comique, 1 place Boieldieu Paris (II ème). T. : 01 70 23 01 31.

Les 5 et 6 avril, Opéra de Dijon (Côte-d’Or).

 


Archive pour 15 décembre, 2022

Le Manteau, d’après Nicolas Gogol, traduction d’Eric Prigent, conception et réalisation de Serge Poncelet et Guy Segalen

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Le Manteau, d’après Nicolas Gogol, traduction d’Eric Prigent, conception et réalisation de Serge Poncelet et Guy Segalen

Le génie de l’humour mélancolique, c’est lui. Et Dostoïevski ne s’y était pas trompé, qui a vu ses abîmes. Pour les enfants d’aujourd’hui, Gogol, par suite de cascades sémantiques et phonétiques, est devenu synonyme de simple d’esprit. S’il l’est, simple, c’est par sa compassion envers ceux que le Christ évoque dans les Béatitudes et envers Akaki, le gratte-papier.


Dans un ministère quelconque à Saint-Pétersbourg (qui n’avait encore ni perdu ni retrouvé son nom), travaille un humble copiste très scrupuleux, très assidu et très pauvre. Son manteau, une «vieille robe de chambre», rapiécé, terni et craqué aux coutures, lui attirait quolibets, moqueries et vilains tours de ses collègues, jusqu’au jour où … En se privant de pain,  Akaki s’offre à grand peine un manteau neuf qui fait tourner la tête de tout le ministère mais dans l’autre sens cette fois.Pour lui, c’est une histoire d’amour, sentimentale, physique, vitale. Oui mais… Ce jour-là, le jour de la tragédie, sera celui de sa passion, aux deux sens du terme.

Akaki Akakiévitch Bachmathkine sort le soir avec son manteau bien aimé, se retrouve comme un hibou dans une soirée mondaine où… on le lui volera.Et il s’usera en vaines démarches pour obtenir justice.

Pourquoi raconter cette histoire qu’on peut lire partout ? Parce qu’elle est irrésistible : la plus simple et la plus tragique. Et les auteurs du spectacle n’y ont pas résisté. Dans une scénographie minimale et pertinente : une toile, peinte par Anne-Marie Petit, évoquant la Neva et ses quais façon Marc Chagall, un bureau d’écolier mobile à surprises et quelques cintres, cela suffit… Serge Poncelet se lance, à cœur joie et en acrobate d’une maîtrise parfaite, dans les espoirs et désespoirs d’Akaki, comme dans les personnages du tailleur ou des collègues persifleurs.
C’est un théâtre du corps, nourri du mime et du jeu de clown, dans l’outrance, l’énergie et la précision. (on passera sur quelques excès de voix).
Un théâtre physique, hors des modes, beau, non pas « comme l’antique » mais fondé sur une vraie tradition, celle qu’Ariane Mnouchkine revendique dans son film Molière, et ses spectacles, entre autres : L’Île d’or, actuellement au Théâtre du Soleil. Une soirée pas ordinaire, forte et touchante avec , au centre, moteur de la performance, la voix de Nicolas Gogol…

Christine Friedel

Jusqu’au 18 décembre, Théâtre de l’Opprimé, 78-80 rue du Charolais, Paris (XIIème), Réservations : theatreyunque@wanadoo.fr

 

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