Poquelin II de Molière, mise en scène deJan Bijvoet, Jolente De Keersmaeker, Damiaan De Schrijver, Els Dottermans, Bert Haelvoet, Willy Thomas et Stijn Van Opstal
Poquelin II de Molière, mise en scène et jeu de Jan Bijvoet, Jolente De Keersmaeker, Damiaan De Schrijver, Els Dottermans, Bert Haelvoet, Willy Thomas et Stijn Van Opstal
Dans Poquelin I, le TG Stan avait joué une sélection de textes, librement inspirés de plusieurs pièces de Molière, surtout des farces. Ici, une estrade en bois, style spectacle de tréteaux: un véritable mythe du théâtre contemporain depuis que Jacques Copeau il y a plus d’un siècle en avait installé un à Paris, place Saint-Sulpice, donc juste à côté du Vieux-Colombier qu’il dirigeait.
Cette estrade étant éclairée en dessous (pour faire chico?) et au-dessus, par un dispositif de barres lumineuses blanc fluo et placée devant la scène où il y a quelques lustres. Mais aussi des fauteuils et chaises dépareillées, couverts d’un rideau rouge et d’une toile en plastique transparent qui seront retirés pour la seconde partie. Et où les acteurs seront assis, quand ils ne joueront pas sur l’estrade.
Le public est assis devant et sur les côtés. Sept acteurs en costumes actuels et sans unité, burlesques et foutraques pour jouer tous les rôles de L’Avare et du Bourgeois gentilhomme. Ou du moins un texte très coupé, avec parfois des répliques ajoutées par les TG Stan adressées au public. Le personnage principal étant dans ces pièces, un père de famille accroché à ses pouvoirs et souvent ridicule. Attirés par le sexe féminin, Harpagon et M. Jourdain ont malgré tout, des côtés émouvants.
«Ils incarnent des personnages type très exagérés, dit Jolente De Keersmaeker. Leur comportement à chacun est tellement extrême, particulièrement dans L’Avare, que cela crée de la distance. On se dit souvent que c’est impossible ! Je pense que c’est le pouvoir de ces textes : ils mettent en jeu des situations dans l’outrance, ce qui nous fait exploser de rire. Le rire que cela déclenche n’est pas uniquement gratuit, il est aussi amer… Ces stéréotypes sont des personnages de théâtre qui parlent de l’être humain dans sa profondeur, mais avec des traits clairs, avec des couleurs fortes. »
Le public comprend vite que les acteurs et réalisateurs du TG Stan, un collectif flamand fondé en 89 et auteur de dizaines de spectacles créés à partir de textes d’auteurs aussi différents que Brecht, Schnitzler, Wilde Tchekhov, Reza, Pinter, von Mayenburg… ont surtout misé, en jouant ces pièces à la suite et sans entracte, sur l’occasion «d’exhiber la mécanique de la dramaturgie de Molière». Après tout, pourquoi pas? Et comme le français n’est pas leur langue maternelle, leur accent flamand, parfois prononcé, donne une couleur et une étrangeté (la fameuse distanciation brechtienne!) à ces textes bien connus et qui ont quatre siècles.
Pas mal vu… Mais, de là à dire, comme ils le font sans état d’âme que c’est « comme cela qu’on dépoussière un texte »… Vous avez dit : un poil prétentieux? Cet Avare, à part quelques ajouts, est respecté si on veut : le TG Stan y a quand même fait de sacrées coupes, ce qui en modifie parfois le sens. Mais sinon le spectacle aurait duré encore plus de trois heures sans entracte ni pause… comme ici. Il aurait été plus malin de présenter seulement L’Avare en deux heures…. La mise en scène est précise et les auteurs/acteurs, plus tout jeunes, ont du métier et cela se voit. Mais ils voudraient, si on a bien compris, que le public croit à une certaine improvisation. Difficile! Tout ici est soigneusement millimétré, en particulier les entrées comme les sorties qui se font quelquefois par la salle, un procédé plus qu’usé.
Le traitement appliqué à ces textes de Molière: scènes courtes, loufoquerie des costumes, non-incarnation véritable du personnage, jeu avec le public… ) fonctionne du moins au début avec cette adaptation de L’Avare, cette pièce-culte dont tout jeune élève d’une école française connait au moins le personnage principal et souvent même quelques répliques. Et nous entendons, au premier acte, un nouveau texte, vivant et adapté à la réalisation de ce collectif. L’acteur qui joue Harpagon et Jolente De Keersmaeker (Elise, sa fille) ont un jeu précis et efficace… Et il y a une bonne scène entre Cléante, le fils d’Harpagon et Marianne, son amoureuse qu’Harpagon convoite. Bref, ce n’est pas un Avare grandiose et qui fera date mais cette heure et demi passe à peu près…
Pas d’entracte et suit aussitôt Le Bourgeois Gentilhomme, une pièce contemporaine (1670) de L’Avare. Mais d’un tout autre genre et clairement indiquée: comédie-ballet, avec, au premier acte, Monsieur Jourdain, un maître de musique, un maître à danser, trois musiciens, deux violons, quatre danseurs. Et de nombreux intermèdes et ballets, pas loin d’un comédie musicale actuelle. Bien entendu, on n’est pas obligé de tout garder et ici ne restent que les trois premiers personnages. Puis il y a ici une leçon (revisitée) que donne le maître d’escrime à M. Jourdain, qui ne manque pas de saveur…
Mais de nombreuses scènes sont escamotées (il faut tenir le rythme!). Et, pour le dîner où il invite Dorimène, la marquise qu’il va essayer de séduire, un valet apporte dans une brouette des légumes, un faisan, une oie, des fruits, une langouste toute rouge… Le tout en plastique -et sans doute volontairement laid- déversé sur l’estrade. Mais là, aucun véritable burlesque et c’est raté.
Comme la dispute entre madame Jourdain très jalouse et son mari, ou l’arrivée du grand Mamamouchi avec des costumes de récup, bricolés avec morceaux de plastique brillants mais, là aussi, très laids. Il y a ici un côté facile, racoleur et franchement pas drôle… dont les lycéens placés sur les côtés n’ont pas été dupes: ils ont à peine applaudi, alors qu’ils étaient attentifs et riaient à L’Avare!
Vous pouvez donc vous épargner sans dommage ces trois heures qui n’en finissent pas. Le public, majoritairement pas très jeune comme dans tous les théâtres, était partagé : les uns riaient facilement, du moins au début et les autres, pas du tout… Tout se passe comme si les membres du TG Stan avaient eu envie de se faire plaisir et d’essayer quelques recettes, mais sans tenir vraiment compte des spectateurs, même s’ils s’adressent souvent à eux.
Il y a finalement, avec ce n’importe quoi hissé au rang d’esthétique, un manque de générosité et ce genre de d’invention est plié d’avance… Poquelin II aurait du rester un travail de laboratoire et ne pas être joué dans un théâtre et être cornaqué par le Festival d’automne. Qui a vu et fait venir ce spectacle? Le quatre-centième anniversaire de notre dramaturge préféré méritait mieux que cette écriture de plateau qui ne dit pas son nom! Dommage et le traitement systématiquement farcesque à bon compte, montre ici ses limites. Nous avons connu le le TG Stan plus inspiré, et il aurait intérêt à se renouveler…
Philippe du Vignal
Le spectacle a été joué jusqu’au 18 décembre, au Théâtre de la Bastille, 76 rue de la Roquette, Paris ( XI ème). T. : 01 43 57 42 14.