Juste la fin du monde de Jean-Luc Lagarce, mise en scène de Mohammed Issolah

Juste la fin du monde de Jean-Luc Lagarce, mise en scène de Mohammed  Issolah

En 90 à Berlin ,grâce à une bourse Léonard de Vinci, l’auteur avait écrit cette pièce devenue-culte, alors qu’il se savait condamné par le sida. Elle a été mise en scène plusieurs fois, est entrée au répertoire de la Comédie-Française, a été traduite et mise au programme du Bac puis de l’agrégation de lettres il y a dix ans. Et adapté au cinéma, entre autres par Xavier Dolan en 2016. Nous avions connu Jean-Luc Lagarce quand il avait superbement monté La Cantatrice chauve d’Eugène Ionesco. Il nous avait apporté une photo du spectacle. Impressionnant de maigreur, il aurait bien voulu prendre un café mais n’en avait pas le temps. Nous devions nous revoir mais il est mort peu de temps après..

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L’auteur a défini les personnages avec précision: Louis (trente-quatre ans) qui s’est éloigné de sa famille pendant des années, arrive d’une grande ville pour voir sa mère (soixante-et un ans), sa sœur Suzanne (vingt-trois ans), son frère Antoine (trente-deux ans comme sa femme Catherine) que Louis ne connait même pas puisqu’il n’était pas venu à leur mariage. En fait, il est là dans la maison de son enfance à la campagne, pour annoncer sa sa mort prochaine, ce qu’il ne le fera finalement pas. Louis sent bien qu’il est toléré plus que vraiment accueilli sauf par sa jeune sœur.
Les autres vont lui reprocher son absence et Antoine deviendra vite agressif : selon Catherine, il lui reproche à de ne pas s’intéresser à lui. Donc, au menu du jour : solitude de la mère veuve, angoisses, tensions et manque de communication entre les enfants et la femme d’Antoine. Lui a toujours a le verbe haut surtout dans le long monologue de la fin, alors que Louis se réfugie dans le silence. Malaise général… Les choses ne pourront guère évoluer et il  partira pour aller mourir seul face à son destin, loin des siens!

Un thème bien connu au théâtre : le fis ou la fille qui revient dans une famille qui a évolué et qui ne le reconnaît plus… Antoine et Catherine auraient voulu que leurs deux enfants qui sont chez leur grand-mère maternelle, voient leur oncle. Et Antoine, jaloux de Louis -il n’a pas connu la vie que ce dernier a pu avoir en ville… et très macho, ira jusqu’à interdire à sa jeune sœur Suzanne d’être heureuse de revoir Louis. Elle, est sans doute déçue qu’il ne l’ait pas prévenue,  aurait bien voulu aller le chercher à la gare en voiture. Suzanne pense que Louis les méprise un peu et comme il est allé faire sa vie loin de chez eux, il a dû réussir : «Lorsque tu es parti /je ne me souviens pas de toi/ je ne savais pas que tu partais pour tant de temps. (…) Ce n’est pas bien que tu sois parti. »
La mère, elle, préfère Louis à Antoine -et cela doit se sentir nettement- malgré sa longue absence. Et avec Suzanne, le courant ne passe pas bien entre eux sans doute à cause de leur différence d’âge, et avec sa mère, les relations sont aussi tendues. Et elle dira à Louis « qu’ils voudront t’expliquer mais ils t’expliqueront mal, car ils ne te connaissent pas, ou mal. » 

Bref, rien n’est dans l’axe dans cette famille où l’arrivée de Louis va servir de révélateur: la température monte vite dans ce lieu unique qu’est la salle à manger et ce grave malaise persistera jusqu’au bout. Et comme dira la mère : «La journée se terminera ainsi comme elle a commencé, sans nécessité, sans importance. »
Rien de grave, du moins en apparence sinon, juste la fin du monde comme dit le titre avec une certaine ironie. Et Louis qui n’a plus beaucoup de temps à vivre, ne l’avouera jamais aux siens… Il n’y a ici aucune communication ou si peu: donc de courts dialogues et plutôt de longs monologues où chacun a du mal à dire vraiment ce qu’il pense et ressasse ses vieilles frustrations. Entre un prologue et un épilogue où seul alors Louis parlera. Il a peur que les siens ne l’aiment plus et il est venu les voir, parce qu’il éprouve une certaine culpabilité : »Cette absence d’amour fit toujours plus souffrir les autres que moi.  »

A la fin, Louis mort dit simplement dans un beau monologue :«Après, ce que je fais, /je pars./ Je ne reviens plus jamais. Je meurs quelques mois plus tard, /une année tout au plus.» Egaré en montagne la nuit, il dit qu’il suit une voie ferrée sur un viaduc dominant une vallée et qu’il va «pousser un grand et beau cri, un long et joyeux cri qui résonnerait dans toute la vallée «Je me remets en route avec seul le bruit de mes pas sur le gravier. /Ce sont des oublis comme celui-là que je regretterai. »
La pièce a quarante ans maintenant, et si on a pu lui reprocher de nombreux monologues, elle a acquis ses parts de noblesse dans le théâtre contemporain. Mohamed  Issolah transpose ce texte, en Algérie: les personnages ont des prénoms arabes et cela se passe pendant le hirak: les grandes manifestations hebdomadaires entre 2019 et 21 qui avaient eu lieu pour protester contre la candidature d’Abdelaziz Bouteflika très malade à un cinquième mandat présidentiel.

Installé à Paris depuis douze ans, Lounès (Fayçal Safi) revient à Alger pour annoncer sa mort prochaine à sa Mère (Baya Belal), Antoine est devenu Hakim, son frère (Yazid Aït Hamoudi) et Catherine son épouse: Kahina (Amel Hanifi), Suzanne est Sarah, sa sœur (Saffiya Laabab). Une salle à manger dans un immeuble dix-neuf cent du temps de la colonisation figuré par quelques châssis blancs couverts par endroits de terre rouge foncé; Une grande table nappée de blanc avec cinq chaises.
A mi-parcours, des draps sont tendus où seront projetées des images tout à fait impressionnantes de foules dans Alger, avec nuées de fumigène suffocants sans doute pour figurer les gaz lacrymogènes. Merci bien! Et Mohamed Issolah aurait pu nous les épargner, d’autant qu’ils restent longtemps dans la salle!

Cela dit, c’est une mise en scène honnête mais où la direction d’acteurs n’est pas au rendez-vous: Saffiya Laabab boule souvent son texte et on la comprend mal comme Faycal Safi à la diction approximative, alors que le texte de Jean-Luc Lagarce devrait être ciselé… Yazid Aït Hamoudi lui crie souvent trop Mais Amel Hanifi. et Baya Belal qui a longtemps travaillé avec Ariane Mnouchkine s’en sortent mieux…Il y a de beaux moments comme ce repas pris en commun et dominé par La Mère ou le long (un peu trop long) monologue de Hakim à la presque fin.

Mais l’ensemble assez décevant, mériterait d’être retravaillé. A la décharge des comédiens, nous n’étions que quatorze spectateurs… Le théâtre de Jean-Luc Lagarce n’attirerait-il plus le public? Lequel a visiblement tendance à déserter les petites salles où les places sont quand même chères: ici, 27 € et tarif réduit, c’est quand même: 18 €, ce qui par les temps qui courent, est dissuasif.. Dans ce cas, pourquoi ne pas baisser le prix certains jours de façon à avoir des salles bien remplies, ce qui aiderait les acteurs… En fait, tout se passe aussi, comme si le public voulait avoir une garantie sur ce qu’il veut voir et si possible, avec un ou plusieurs acteurs connus grâce au cinéma, genre Adèle Haenel…

Philippe du Vignal

Jusqu’au 30 décembre, Théâtre de Belleville, 11 passage Piver, Paris ( XIème). T. : 01 48 06 72 34.


Archive pour 25 décembre, 2022

Juste la fin du monde de Jean-Luc Lagarce, mise en scène de Mohammed Issolah

Juste la fin du monde de Jean-Luc Lagarce, mise en scène de Mohammed  Issolah

En 90 à Berlin ,grâce à une bourse Léonard de Vinci, l’auteur avait écrit cette pièce devenue-culte, alors qu’il se savait condamné par le sida. Elle a été mise en scène plusieurs fois, est entrée au répertoire de la Comédie-Française, a été traduite et mise au programme du Bac puis de l’agrégation de lettres il y a dix ans. Et adapté au cinéma, entre autres par Xavier Dolan en 2016. Nous avions connu Jean-Luc Lagarce quand il avait superbement monté La Cantatrice chauve d’Eugène Ionesco. Il nous avait apporté une photo du spectacle. Impressionnant de maigreur, il aurait bien voulu prendre un café mais n’en avait pas le temps. Nous devions nous revoir mais il est mort peu de temps après..

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L’auteur a défini les personnages avec précision: Louis (trente-quatre ans) qui s’est éloigné de sa famille pendant des années, arrive d’une grande ville pour voir sa mère (soixante-et un ans), sa sœur Suzanne (vingt-trois ans), son frère Antoine (trente-deux ans comme sa femme Catherine) que Louis ne connait même pas puisqu’il n’était pas venu à leur mariage. En fait, il est là dans la maison de son enfance à la campagne, pour annoncer sa sa mort prochaine, ce qu’il ne le fera finalement pas. Louis sent bien qu’il est toléré plus que vraiment accueilli sauf par sa jeune sœur.
Les autres vont lui reprocher son absence et Antoine deviendra vite agressif : selon Catherine, il lui reproche à de ne pas s’intéresser à lui. Donc, au menu du jour : solitude de la mère veuve, angoisses, tensions et manque de communication entre les enfants et la femme d’Antoine. Lui a toujours a le verbe haut surtout dans le long monologue de la fin, alors que Louis se réfugie dans le silence. Malaise général… Les choses ne pourront guère évoluer et il  partira pour aller mourir seul face à son destin, loin des siens!

Un thème bien connu au théâtre : le fis ou la fille qui revient dans une famille qui a évolué et qui ne le reconnaît plus… Antoine et Catherine auraient voulu que leurs deux enfants qui sont chez leur grand-mère maternelle, voient leur oncle. Et Antoine, jaloux de Louis -il n’a pas connu la vie que ce dernier a pu avoir en ville… et très macho, ira jusqu’à interdire à sa jeune sœur Suzanne d’être heureuse de revoir Louis. Elle, est sans doute déçue qu’il ne l’ait pas prévenue,  aurait bien voulu aller le chercher à la gare en voiture. Suzanne pense que Louis les méprise un peu et comme il est allé faire sa vie loin de chez eux, il a dû réussir : «Lorsque tu es parti /je ne me souviens pas de toi/ je ne savais pas que tu partais pour tant de temps. (…) Ce n’est pas bien que tu sois parti. »
La mère, elle, préfère Louis à Antoine -et cela doit se sentir nettement- malgré sa longue absence. Et avec Suzanne, le courant ne passe pas bien entre eux sans doute à cause de leur différence d’âge, et avec sa mère, les relations sont aussi tendues. Et elle dira à Louis « qu’ils voudront t’expliquer mais ils t’expliqueront mal, car ils ne te connaissent pas, ou mal. » 

Bref, rien n’est dans l’axe dans cette famille où l’arrivée de Louis va servir de révélateur: la température monte vite dans ce lieu unique qu’est la salle à manger et ce grave malaise persistera jusqu’au bout. Et comme dira la mère : «La journée se terminera ainsi comme elle a commencé, sans nécessité, sans importance. »
Rien de grave, du moins en apparence sinon, juste la fin du monde comme dit le titre avec une certaine ironie. Et Louis qui n’a plus beaucoup de temps à vivre, ne l’avouera jamais aux siens… Il n’y a ici aucune communication ou si peu: donc de courts dialogues et plutôt de longs monologues où chacun a du mal à dire vraiment ce qu’il pense et ressasse ses vieilles frustrations. Entre un prologue et un épilogue où seul alors Louis parlera. Il a peur que les siens ne l’aiment plus et il est venu les voir, parce qu’il éprouve une certaine culpabilité : »Cette absence d’amour fit toujours plus souffrir les autres que moi.  »

A la fin, Louis mort dit simplement dans un beau monologue :«Après, ce que je fais, /je pars./ Je ne reviens plus jamais. Je meurs quelques mois plus tard, /une année tout au plus.» Egaré en montagne la nuit, il dit qu’il suit une voie ferrée sur un viaduc dominant une vallée et qu’il va «pousser un grand et beau cri, un long et joyeux cri qui résonnerait dans toute la vallée «Je me remets en route avec seul le bruit de mes pas sur le gravier. /Ce sont des oublis comme celui-là que je regretterai. »
La pièce a quarante ans maintenant, et si on a pu lui reprocher de nombreux monologues, elle a acquis ses parts de noblesse dans le théâtre contemporain. Mohamed  Issolah transpose ce texte, en Algérie: les personnages ont des prénoms arabes et cela se passe pendant le hirak: les grandes manifestations hebdomadaires entre 2019 et 21 qui avaient eu lieu pour protester contre la candidature d’Abdelaziz Bouteflika très malade à un cinquième mandat présidentiel.

Installé à Paris depuis douze ans, Lounès (Fayçal Safi) revient à Alger pour annoncer sa mort prochaine à sa Mère (Baya Belal), Antoine est devenu Hakim, son frère (Yazid Aït Hamoudi) et Catherine son épouse: Kahina (Amel Hanifi), Suzanne est Sarah, sa sœur (Saffiya Laabab). Une salle à manger dans un immeuble dix-neuf cent du temps de la colonisation figuré par quelques châssis blancs couverts par endroits de terre rouge foncé; Une grande table nappée de blanc avec cinq chaises.
A mi-parcours, des draps sont tendus où seront projetées des images tout à fait impressionnantes de foules dans Alger, avec nuées de fumigène suffocants sans doute pour figurer les gaz lacrymogènes. Merci bien! Et Mohamed Issolah aurait pu nous les épargner, d’autant qu’ils restent longtemps dans la salle!

Cela dit, c’est une mise en scène honnête mais où la direction d’acteurs n’est pas au rendez-vous: Saffiya Laabab boule souvent son texte et on la comprend mal comme Faycal Safi à la diction approximative, alors que le texte de Jean-Luc Lagarce devrait être ciselé… Yazid Aït Hamoudi lui crie souvent trop Mais Amel Hanifi. et Baya Belal qui a longtemps travaillé avec Ariane Mnouchkine s’en sortent mieux…Il y a de beaux moments comme ce repas pris en commun et dominé par La Mère ou le long (un peu trop long) monologue de Hakim à la presque fin.

Mais l’ensemble assez décevant, mériterait d’être retravaillé. A la décharge des comédiens, nous n’étions que quatorze spectateurs… Le théâtre de Jean-Luc Lagarce n’attirerait-il plus le public? Lequel a visiblement tendance à déserter les petites salles où les places sont quand même chères: ici, 27 € et tarif réduit, c’est quand même: 18 €, ce qui par les temps qui courent, est dissuasif.. Dans ce cas, pourquoi ne pas baisser le prix certains jours de façon à avoir des salles bien remplies, ce qui aiderait les acteurs… En fait, tout se passe aussi, comme si le public voulait avoir une garantie sur ce qu’il veut voir et si possible, avec un ou plusieurs acteurs connus grâce au cinéma, genre Adèle Haenel…

Philippe du Vignal

Jusqu’au 30 décembre, Théâtre de Belleville, 11 passage Piver, Paris ( XIème). T. : 01 48 06 72 34.

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