Rimbaud, Cavalcades ! de Romain Puyuelo & Nicolas Vallée, mise en scène de Nicolas Vallée
Rimbaud, Cavalcades ! de Romain Puyuelo et Nicolas Vallée, mise en scène de Nicolas Vallée
Romuald, graphiste pour une marque de yaourts ( bon…!) mais a brutalement quitté une réunion en criant: «Je vais acheter un cheval et m’en aller.» Christelle, son assistante, lui apprendra qu’Arthur Rimbaud a aussi écrit ces mots en 1881 et lui laisse un recueil de ses œuvres qu’il va dévorer. Et ce livre a sauvé la vie à Romuald après des mois de dépression… Il achetèra un vélo pour aller sur les traces d’Arthur Rimbaud, direction Charleville-Mézières. En fait ici, un prétexte pour nous raconter la vie incroyable de l’auteur qui tout jeune lycéen, va s’enfuir de la maison de Vitalie sa mère qui, abandonnée par son mari militaire, l’élève seule avec Frédéric, Vitalie et Isabelle qui sera près de lui quand retour d’Afrique, blessé, il mourra après l’amputation d’une jambe à l’hôpital de Marseille, en 1891. Il avait trente-sept ans…
Dix ans avant, il avait écrit à sa famille depuis Harrar dans l’Ethiopie actuelle : «Vous êtes en été et c’est l’hiver ici, c’est-à-dire qu’il fait assez chaud, mais il pleut souvent. Cela va durer quelques mois. (..) Pour moi, je compte quitter prochainement cette ville-ci pour aller trafiquer dans l’inconnu. »
Romuald va, dit-il, va nous faire entrer « dans La Rimbaldie, peuplée de mystères, légendes,poèmes, biographes et analystes de textes qui ne sont jamais d’accord entre eux, et dont les habitants se nomment les Rimbaldiens. Et, je devins, à mon corps défendant, l’un des leurs. » Et l’ex-graphiste va nous raconter la vie de ce jeune homme pressé et sans le sou que découvre Georges Izambard, son nouveau professeur de rhétorique au lycée. À quinze ans, Arthur ne tient pas en place et quitte Charleville pour Paris, revient à Charleville, le plus souvent à pied puis va à Charleroi, Bruxelles, Douai… et revient à Charleville ! «Je veux être poète, et je travaille à me rendre voyant : vous ne comprendrez pas du tout, et je ne saurais presque vous expliquer. Il s’agit d’arriver à l’inconnu par le dérèglement de tous les sens. Les souffrances sont énormes, mais il faut être fort, être né poète, et je me suis reconnu poète. »Car Je est un autre. Si le cuivre s’éveille clairon, il n’y a rien de sa faute ».
Il veut être publié et a envoyé ses vers à Théodore de Banville, poète reconnu. Et va donc débarquer à Paris. Ernest Delahaye, son meilleur ami, a organisé une lecture par des acteurs de l’Odéon pour dire Le Bateau ivre. Arrivé à la gare de l’Est, Rimabaud réussit à aller rue Nicolet à Montmartre chez Verlaine qui l’a invité. Il a vingt-sept ans, est marié avec Mathilde et vit avec elle chez ses parents. Mais le bel Arthur va séduire Paul Verlaine et le forcera, sans état d’âme à quitter son épouse enceinte pour aller vivre avec lui….
Ils partiront pour Arras, puis pour la Belgique. Mais Mathilde va à Bruxelles avec sa mère pour récupérer son mari. Mais les amants partiront pour Londres où Verlaine jaloux tire un coup de revolver sur Rimbaud et s’en va… Arthur le supplie de revenir. A peu de choses près, on se croirait chez Eugène Labiche mort en 88, donc presque en même temps que Rimbaud… Mais ce n’est pas fini, à Bruxelles, dans le portefeuille de Rimbaud, la police découvert des écrits de Verlaine où il parle de son homosexualité, de ses antécédents communards et de la tentative de meurtre sur Rimbaud. Il sera condamné à deux ans de prison dont il ne fera qu’un. Il y écrit ses fameux: »Le ciel est, par-dessus le toit, Si bleu, si calme ! Un arbre, par-dessus le toit, Berce sa palme. »
Puis Arthur Rimbaud partira pour l’Afrique…Mais Romuald avoue que Christelle avait raison : «Tu ne pourras jamais refaire toute la route d’Arthur Rimbaud avec ton vélo ! » Et il n’ira donc pas à Londres où Arthur a écrit Les Illuminations, ni à Milan, ni Vienne et Rotterdam… » Je ne tenterai pas le voyage jusqu’à l’île de Java où il avait été mercenaire pour les Indes Néerlandaises. Tant pis pour Gibraltar, Naples, Suez, Brême, Hambourg, Cologne, Copenhague, Stockholm, Gêne, Lugano, Alexandrie, et Chypre. Je n’ai pas besoin de partir à Aden pour voir la maison ou il était employé d’un marchand de café.
Je ne referai pas le périple qu’il a fait avec sa caravane de chameaux quand il vendait des armes à Ménélik, Roi du Choa. Marcher 15 à 40 kilomètres par jour sous un soleil de plomb ? (…) Je ne retournerai pas au Harar, sur les traces du Rimbaud, commerçant. Vendeur de peaux de bêtes, casseroles, cruches, soie brute, cretonne damassée, mérinos, flanelle, lainages, (…) Je n’aurai jamais pu porter une ceinture d’or de huit kilos autour de la taille. »
Mais en quelques lignes, tout est dit et ainsi finit le récit de la triste Odyssée d’un immense poète devenu à vingt ans aventurier et assoiffé d’or. Romain Puyuelo qui avait remarquablement mis en scène Les Pompières poétesses (voir Le Théâtre du Blog) a une belle présence et s’empare e cette vie rocambolesque avec gourmandise avec une impeccable diction (merci à son maître Pierre Debauche..) et réussit à nous la faire partager sans aucun temps mort. Une belle performance…
Mais Nicolas Vallée aurait pu nous épargner des éclairages colorés plus qu’approximatifs et sa direction d’acteurs laisse à désirer : Romain Puyuelo en fait parfois des tonnes et le génial Bateau ivre qui clôt le spectacle, n’est malheureusement pas bien dit et devrait être retravaillé d’urgence. A ces réserves près, cette plongée en une heure dans la vie et parfois l’œuvre d’Arthur Rimbaud vaut le détour.
Plus d’un siècle après sa mort, la vie incroyable de cet immense poète n’en finit pas de nous ébranler, aussi fortement que son œuvre. Prochain épisode: un solo de Jacques Livchine. Lui, est récemment parti en Ethiopie sur les traces de Rimbaud. A suivre, mais ce sera d’abord à Audincourt, tout près de Montbéliard…
Philippe du Vignal
Jusqu’au 7 février, Théâtre Essaïon, 6 rue Pierre au Lard, Paris ( IV ème). T. : 01 42 78 46 42.