Odyssée, la conférence musicale de Julie Costanza et Jean-Baptiste Darosey, mise en scène de Stéphanie Gagneux

Odyssée, la conférence musicale de Julie Costanza et Jean-Baptiste Darosey, mise en scène de Stéphanie Gagneux

On nous annonce «la fameuse histoire de l’Odyssée racontée, chantée et dansée par deux interprètes qui jouent quinze personnages». Cela valait peut-être le coup d’y aller voir de plus près… Sur la fameuse petite scène du Théâtre de la Huchette où se jouent toujours chaque soir depuis 57 (soit quelque 19.000 représentations!) La Leçon et La Cantatrice chauve d’Eugène Ionesco… fraîchement accueillis sept ans plus tôt au Théâtre des Noctambules, près de la Sorbonne.
L’Odyssée (plus souvent que L’Iliade) a fait l’objet de très nombreuses adaptations au théâtre et cette «conférence musicale» a pour but de raconter vite fait en les résumant, les aventures d’Ulysse  après la fin de la guerre de Troie jusqu’à son retour à Ithaque… Télémaque, le fils dUlysse et de Pénélope cherche à avoir des nouvelles de son père. Dans la petite île, les prétendants au remplacement d’Ulysse convoitent la belle Pénélope , font des festins.
Puis nous entendrons le récit d’Ulysse chez le roi Alcinoos, ses aventures avec Circé et sa lutte avec le monstrueux Cyclope. Puis comment il se laissera séduire par la belle Calypso et restera avec elle sept ans… Puis enfin le retour d’Ulysse à Ithaque où, déguisé en mendiant, il se fait reconnaître par les siens, massacre les prétendants et retrouve Pénélope vingt ans après l’avoir quittée pour aller combattre à Troie…

 

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Julie Costanza et Jean-Baptiste Darosey ont tiré de la très fameuse épopée «une version inédite, concentrée et explosive!» (sic). Inédite et concentrée? Soit, mais explosive ? Peut-être pas au meilleur sens du terme… Sur le petit plateau, un tableau à feuilles avec des illustrations des personnages, une ancienne carte Vidal-Lablache années cinquante de la Méditerranée mais difficilement lisible en fond de salle avec plots de couleur et petits bateaux aimantés que l’acteur va déplacer pour montrer le voyage d’Ulysse. Et quelques cubes avec dans l’un, les marionnettes des prétendants, et dans un autre, celle de Télémaque. Et une voile de bateau et une rame. Un ensemble scénographique un peu encombrant et pas très réussi… Et la metteuse en scène aurait pu nous épargner ces clichés du théâtre contemporain que sont des fumigènes à gogo et des lumières stroboscopiques…

Jean-Baptiste Darosey raconte plutôt bien et avec une excellente diction cette Odyssée. Et il chante quelques couplets avec sa complice Julie Costanza. Il y a aussi parfois un quiz sur les personnages auquel les enfants répondent avec enthousiasme. Les acteurs jouent, ou du moins, représentent faute de temps, une quinzaine de personnages dont le Cyclope, les dieux Hermès et Athéna née de la tête de Zeus, déesse de la raison mais aussi de la stratégie militaire et de la sagesse… Et bien sûr, Ulysse et Pénélope etc. Il y a quelques bons mais courts moments mais cette conférence dite musicale est trop approximative dans sa dramaturgie et sa mise en scène un peu racoleuse. Le retour d’Ulysse -pourtant un moment d’anthologie !- est bâclé. Dommage…
Le compte n’y est donc pas tout à fait. Quand on veut monter une adaptation de L’Odyssée, mieux vaut la faire avec rigueur et nous ne vous conseillons pas celle-ci. On est loin, très loin de L’Odyssée pour une tasse de thé de Jean-Michel Ribes et tout récemment de la fabuleuse et poétique version imaginée et mise en scène avec L’Iliade de Pauline Bayle, il y a quelques années (voir Le Théâtre du Blog). Mieux vaut pour les enfants lire ou relire : L’Odyssée dans la célèbre collection Contes et Légendes chez Nathan.

P. S. Nous aurions apprécié ne pas entendre des bruits de perceuse dans le fond de la salle. Les très jeunes spectateurs ont aussi, et surtout, droit aux meilleures conditions de représentation…

Philippe du Vignal

Théâtre de la Huchette, 25 rue de la Huchette, Paris (Vème). T. : 01 43 26 38 99.


Archive pour décembre, 2022

La grande Magie d’Eduardo De Filippo, traduction d’Huguette Hatem, mise en scène d’Emmanuel Demarcy-Mota

La grande Magie d’Eduardo De Filippo, traduction d’Huguette Hatem, mise en scène d’Emmanuel Demarcy-Mota

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L’intrigue semble plutôt simple et dans les règles de la comédie. Pour rejoindre son amant, une femme accepte qu’un magicien de passage, à qui l’homme a glissé une petite somme d’argent, la fasse  « disparaître». Mais on verra ensuite qu’il sera plus difficile de la faire réapparaître. En attendant, le «dottore», le «professore », bref, le magicien sous son masque de savant prestigieux, tend au mari une boîte assez petite où sa femme serait enfermée. Et il lui dit de ne l’ouvrir que s’il est sûr de sa fidélité, sinon elle disparaîtra à jamais. De quoi hésiter….

Les choses deviennent d’autant plus compliquées qu’Emmanuel Demarcy-Mota a inversé les rôles: ici, ce n’est plus l’épouse qui disparaît mais le mari, enlevé par une audacieuse séductrice. La pièce d’origine assigne à la femme un rôle plus traditionnel d’objet: transaction de l’amant, mainmise du mari qui la garde -même à son corps défendant- prisonnière d’une boîte… Cette adaptation du texte ouvre de nouvelles pistes. 
Avant l’événement, nous entendons les récriminations et la froideur de Calogera à l’égard de son mari. Mais ensuite, peu à peu l’inquiétude, un sentiment de regret et ’une certaine culpabilité la dominent. L’a-elle assez aimé ? Prise dans la spirale du doute, elle se demande s’il faut croire ce magicien, ou sa propre intuition et sa confiance dans le réel. Une belle partition pour Valérie Dashwood.

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Le magicien qui a les clés est réellement prodigieux : d’autant plus grand qu’il est petit, et d’autant plus vrai, qu’il invente et qu’il ment. Pirandellien. Otto Marvuglia se crée lui-même à la mesure de ses besoins, ou plutôt de la nécessité qui fait de lui beaucoup plus qu’un amuseur de foire. Ses petits tours assez faciles et banals, suffisent à l’amusement des clients de l’hôtel et à assurer son gagne-pain : ce que la mise en scène rend avec soin. Mais le jour de la tragédie, la misère et une dette obligent le magicien à un grand saut dans l’inconnu. Faire disparaître le mari et on verra plus tard. Et ce «plus tard» contraignant l’amènent à une grande découverte: le temps est une illusion et tout est illusion. Non, madame, votre mari n’a pas été absent quatre ans, mais dix minutes.

La Grande magie ne peut être qu’une pièce de théâtre et non un roman : il ne s’agit pas de raconter une affaire passée mais d’agir en sorte qu’elle se passe. Cette comédie sur l’illusion du temps a besoin de la durée de la représentation pour exister. Deux heures, ressenties comme quatre… Mais le spectacle n’est pas trop long et il y a ici le temps mental nécessaire à la construction de l’incroyable imbroglio mis en place par le magicien, pour ne pas perdre la face et essayer de maîtriser… ce qu il n’a plus la possibilité de maîtriser. Chaque étape, effacée par la suivante, rend nécessaire une nouvelle trouvaille même si le public, lui aussi, risque de perdre pied dans la durée.

Mais Serge Maggiani, magistral, va le guider tout au long du chemin. Otto Marvuglia apparaît ainsi en monsieur tout le monde, puis revêt l’habit de lumière un peu usé de l’artiste forain, transcendé par la nécessité de faire tenir jusqu’au bout son imposture. Pauvre manipulateur de pauvres objets, il se découvre peu à peu un formidable métaphysicien, auquel l’acteur offre une immense dignité. Il n’y a plus de petit escroc mais un infatigable travailleur de la pensée. Être ou ne pas être… Et les autres personnages ? La pièce ne se réduit pas au duo entre Madame Di Spelta et son magicien. Il y a une alternance entre les scènes dans les coulisses où se fignole la mécanique du métier, l’hôtel avec un serveur manifestement complice, et des vacanciers, peu attentifs aux  numéros de magie  et plus curieux d’ un éventuel drame conjugal. Ils devraient représenter la réalité, nous ramener à une société, à une chronologie, mais non, le magicien a déréglé le temps une fois pour toutes. Tous pris dans le vacillement du monde qu’il a provoqué…

Nous ne sommes pas pas dans un théâtre de l’absurde mais dans l’inconsistance d’un monde qui a perdu le nord. Cela peut se comprendre : dans l’Italie de l’après-guerre en 1948 à Naples, il y a la pauvreté et les souvenirs du fascisme proche avec sa grande illusion tout juste vaincue. Comment croire au réel? Cette Grande Magie est une comédie tragique inépuisable et d’une profondeur saisissante. Impossible que le mari se trouve dans le coffret, et impossible aussi qu’il ne s’y trouve pas. Et quand l’homme revient, défait de ses amours passagères, son épouse préfère garder la boîte contenant espoir et amour peut-être, ce que le réel et le retour au temps que les horloges mesurent, ne sauraient lui rendre.

Nous ne ferons pas une description plus concrète de la mise en scène et du décor: l’image de la mer avec son mouvement perpétuel et jamais le même, celle du bric-à-brac du magicien et de la terrasse anonyme de l’hôtel. Mais nos lecteurs comprendront que nous puissions être saisis par le vertige de l’analyse. Le sensible et l’émotion sont là, d’une qualité toute particulière pour un enjeu finalement tout simple: comment ce pauvre magicien à trois sous, «dottore» aux abois derrière sa façade savante, convaincu et grandi par ses propres arguments. Comment sa victime qui, elle, n’est pas convaincue mais se laisse entraîner, vont-il s’en sortir ? Passionnant.

Christine Friedel

Jusqu’au 8 janvier, Théâtre de la Ville-Espace Pierre Cardin, 1 avenue Gabriel, Paris (VIII ème). T. : 01 42 74 22 77.

Le Suicidé de Nicolaï Erdman, traduction d’André Markowicz, mise en scène de Jean Bellorini 

Le Suicidé de Nicolaï Erdman, traduction d’André Markowicz, mise en scène de Jean Bellorini 

En annonçant la pièce comme un «vaudeville soviétique», le directeur du T.N.P. entend souligner le style enlevé de Nicolaï Erdman. Il a mis  à profit l’accalmie de la crise sanitaire et a proposé à ses acteurs et musiciens, cette farce politique macabre. Situé dans les années trente en U.R.S.S.,  nous renvoie aussi  de plein fouet au présent.
« Nous entrerons dans cette histoire comme dans un cabaret, dit Jean Bellorini. Une troupe de dix-sept personnes viendra raconter l’odyssée de  Sémione Sémionovitc, dit Podsekalnikov » En pleine nuit, il réveille sa femme, Maria Loukianovna, dite Macha
. II a faim et réclame du saucisson de foie. Chômeur et sans ressources, Sémione lui reproche, comble d’humiliation, de le rationner… Une dispute éclate et il menace d’attenter à ses jours. Macha et sa belle-mère, Serafima Ilinitchna, le prennent au mot et appellent à l’aide. Dans l’immeuble communautaire, la nouvelle se répand. C’est alors une course poursuite de Macha dans les couloirs  à la recherche de son mari.  Elle va réveiller leur voisin Kalabouchkine, Alexandre Pétrovitch (Marc Plas).  Flairant un suicide, il prévient les gens qui, en monnayant son intermédiaire, pourraient tirer profit de ce geste funeste…

Dans la tradition satirique d’un Nicolas Gogol, Nicolaï Erdman convoque un défilé de personnages hauts en couleurs:  archétypes pathétiques des anciennes classes sociales qui défendent leur existence, bouleversée par le régime soviétique. Aristarque Dominikovitch (Damien Zanoly) demande à Sémione de mourir au nom de l’intelligentsia, menacée de disparition: «Aujourd’hui plus que jamais, dit-il, nous avons besoin de défunts idéologiques.» Puis Cléopatra (Liza Alegria Ndikita), une femme délaissée qui espère regagner son amant, à condition que Sémione se tue par amour pour elle… Et un écrivain pontifiant (Gérôme Ferchaud), un prêtre hypocrite (Julien Gaspar-Oliveri) et le boucher Pougatchov, défenseur du petit commerce (Mathieu Delmonté). Emporté malgré lui dans ce bal macabre, Sémione entrevoit la gloire posthume qu’on lui fait miroiter.
Sur le
vaste plateau nu, reproduit à plus petite échelle les ateliers de décors au T.N.P. quelques meubles et accessoires viennent encadrer les scènes: une porte que l’on franchit, un mur qui restreint l’aire de jeu modulable… Les personnages s’égarent au lointain dans les appartements collectifs, comme avalés par l’obscurité. Puis apparaissent quelquefois en gros plan sur un écran, grâce à une caméra qui les filme avec parcimonie et à bon escient.
Ces images en noir et blanc, style néo-réaliste, tranchent avec l’espace vide. L’aire de jeu se resserre, à mesure que le temps s’accélère, à l’approche du supposé passage à l’acte du «héros». Omniprésents dès le départ,
Anthony Caillet (cuivres) Marion Chiron (accordéon) et Benoît Prisset (percussions) rythment cette mise en scène chorale et accompagnent aussi les airs populaires russes entonnés par les comédiens, jusqu’à un morceau des Talking Heads…

Sémione, un revolver sur la tempe et seul face à la mort, s’interroge dans un poignant monologue sur le sens de la vie,: «Abordons la seconde sous l’angle philosophique. Qu’est-ce qu’une seconde ? Tic-tac. Et ce qu’il y a entre le tic et le tac, c’est un mur. Oui, un mur, c’est à dire le canon du revolver. (…) Et donc, le tic, jeune homme, c’est encore tout, et le tac, jeune homme, c’est déjà rien. Vous comprenez… »  Ce fameux tic-tac résonnera par la suite dans une course haletante contre la montre:  Semione demande l’heure à tout bout de champ, quand il est attablé à l’avant-scène avec ceux qui, adossés à un grand mur gris pour un banquet d’adieux alcoolisé, espèrent tirer profit de son suicide. Mais, coup de théâtre magistral, Sémione, n’ayant plus rien à perdre, que sa vie, vaincra enfin la peur et se sentira libre.

Car la peur règne, dans l’Union Soviétique des années vingt. Nicolaï Erdman en sait quelque chose, victime lui-même d’une politique répressive. Le Suicidé, écrit en 1928, est interdit avant même d’être joué, malgré le succès de sa première pièce Le Mandat. Son auteur est arrêté parce qu’il signé un poème satirique sur Staline. Envoyé trois ans en déportation puis assigné à résidence, il abandonnera sa carrière de dramaturge -une sorte de suicide artistique- et ses deux pièces resteront longtemps interdites. «Le Suicidé, écrivait Peter Brook, raconte l’histoire d’un homme à qui la Révolution n’a pas apporté ce qu’il attendait. »
Comme Nicolas Erdman, Ossip Mandelstam, mort en Sibérie, ou son ami Vladimir Maïakowski qui se suicida en 1930. Mikhaïl Boulgakov, autre victime de la censure, apparaît dans cette mise en scène avec une lettre écrite à Staline en 1938: «Je vous demande de tout cœur de permettre à Erdman de rentrer à Moscou, de travailler librement en tant qu’homme de lettres, et de sortir de l’état de solitude et d’oppression mentale où il se trouve ». Une lettre lue par Tatiana Frolova, metteuse en scène russe exilée en France depuis cette année et qui a été invitée par Jean Bellorini à participer au spectacle. Un parallèle saisissant entre ces exils à un siècle d’écart. 

THEATRE - LE SUICIDÉ

©J. Parisot

François Deblock est ce Sémione Sémionovitch fiévreux aux  monologues métaphysiques. D’abord transparent, il prend consistance au fil de la pièce avec, en point d’orgue, une virulente diatribe libératoire et un coup de téléphone au Kremlin… drôle à la manière des blagues soviétiques. Clara Mayer incarne Maria Loukianovna, cette épouse inquiète, poursuit son mari mais est dépassée par les événements. Et Jacques Hadjaje, sans forcer la dose, joue une belle-mère compatissante.
Dans des costumes colorés signés Macha Makeïeff, cette galerie des personnages prend corps grâce à un travail choral. En un défilé incessant, les sobres éléments de décor créés par Véronique Chazal, apparaissent et disparaissent.

Malgré sa noirceur, Le Suicidé est un hymne à la vie, lancé par un Sémione Sémionovitch dérisoire, debout en caleçon sur une table : «Camarades, je ne veux pas mourir: ni pour vous, ni pour eux, ni pour une classe, ni pour l’humanité, ni pour Maria Loukianovna. Dans la vie, vous pouvez être des gens très chers, des bien-aimés, des proches. Même les plus proches. Mais devant la mort, que peut-il y avoir de plus proche, de plus aimé, de plus cher que son bras, que sa jambe, que son ventre ? Je suis amoureux de mon ventre, camarades. Je suis amoureux fou de mon ventre, camarades.» Et l’histoire de ce petit homme se démenant dans le chaos, reste une critique virulente de l’oppression.

Le Suicidé nous ramène brutalement à la réalité, avec une  fin inouïe: on annonce à l’assemblée le suicide d’un certain Pétounine, quand apparait le rappeur russe Ivan Petunin. Il nous adresse un message vidéo publié sur Telegram le 25 septembre. Ce jeune artiste, opposé à la mobilisation partielle pour aller faire la guerre en Ukraine, s’est jeté cinq jours plus tard, du haut de l’immeuble où il vivait à Krasnodar: «Je ne suis pas prêt à tuer pour quelque raison que ce soit et quand vous verrez cette vidéo, je ne serai plus en vie. » (…) De toute façon, ma dernière décision est de savoir comment je vais mourir. Que je sois tué par des gens que nous avons attaqués et rester dans l’histoire comme quelqu’un qui a soutenu ce qui se passe, ou exprimer ma dernière protestation.(…) Nous sommes devenus les otages d’un fou qui nous donne seulement le choix entre l’armée et la prison». Après les rires, un grand froid saisit le public. Mais le plaisir était là.

 Mireille Davidovici

Spectacle vu le 16 décembre. Jusqu’au 20 janvier, Théâtre National Populaire, 8 place Lazare-Goujon, Villeurbanne (Rhône). T. : 04 78 03 30 00.

Les 27 et 28 janvier, Opéra de Massy (Essonne).

Du 9 au 18 février, MC93-Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis, Bobigny, en accueil avec le Théâtre Nanterre-Amandiers.

Les 1er et 2 mars, La Coursive-Scène Nationale, La Rochelle (Charente-Maritime); le 9 mars, Espace Jean Legendre-Théâtre de Compiègne (Oise); du 16 au 18 mars, La Criée, Théâtre National de Marseille (Bouches-du-Rhône)

Les 12 et 13 avril, Maison de la Culture d’Amiens (Somme).

Le texte est publié aux Solitaires Intempestifs.


Poquelin II de Molière, mise en scène deJan Bijvoet, Jolente De Keersmaeker, Damiaan De Schrijver, Els Dottermans, Bert Haelvoet, Willy Thomas et Stijn Van Opstal

Poquelin II de Molière, mise en scène et jeu de Jan Bijvoet, Jolente De Keersmaeker, Damiaan De Schrijver, Els Dottermans, Bert Haelvoet, Willy Thomas et Stijn Van Opstal

Dans Poquelin I, le TG Stan avait joué une sélection de textes, librement inspirés de plusieurs pièces de Molière, surtout des farces. Ici, une estrade en bois, style spectacle de tréteaux: un véritable mythe du théâtre contemporain depuis que Jacques Copeau il y a plus d’un siècle en avait installé un à Paris, place Saint-Sulpice, donc juste à côté du Vieux-Colombier qu’il dirigeait.
Cette estrade étant éclairée en dessous (pour faire chico?) et au-dessus, par un dispositif de barres lumineuses blanc fluo et placée devant la scène où il y a quelques lustres.  Mais aussi des fauteuils et chaises dépareillées, couverts d’un rideau rouge et d’une toile en plastique transparent qui seront retirés pour la seconde partie. Et où les acteurs seront assis, quand ils ne joueront pas sur l’estrade.

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©x L’Avare

Le public est assis devant et sur les côtés. Sept acteurs en costumes actuels et sans unité, burlesques et foutraques pour jouer tous les rôles de L’Avare et du Bourgeois gentilhomme. Ou  du moins un texte très coupé, avec parfois des répliques ajoutées par les TG Stan adressées au public. Le personnage principal étant dans ces pièces, un père de famille accroché à ses pouvoirs et souvent ridicule. Attirés par le sexe féminin, Harpagon et M. Jourdain ont malgré tout, des côtés émouvants.

«Ils incarnent des personnages type très exagérés, dit Jolente De Keersmaeker. Leur comportement à chacun est tellement extrême, particulièrement dans L’Avare, que cela crée de la distance. On se dit souvent que c’est impossible ! Je pense que c’est le pouvoir de ces textes : ils mettent en jeu des situations dans l’outrance, ce qui nous fait exploser de rire. Le rire que cela déclenche n’est pas uniquement gratuit, il est aussi amer… Ces stéréotypes sont des personnages de théâtre qui parlent de l’être humain dans sa profondeur, mais avec des traits clairs, avec des couleurs fortes. »
Le public comprend vite que les acteurs et réalisateurs du TG Stan, un collectif  flamand fondé en 89 et auteur de dizaines de spectacles créés à partir de textes d’auteurs aussi différents que Brecht, Schnitzler, Wilde Tchekhov, Reza, Pinter, von Mayenburg… ont surtout misé, en jouant ces pièces à la suite et sans entracte, sur l’occasion «d’exhiber la mécanique de la dramaturgie de Molière». Après tout, pourquoi pas? Et comme le français n’est pas leur langue maternelle, leur accent flamand, parfois prononcé, donne une couleur et une étrangeté (la fameuse distanciation brechtienne!) à ces textes bien connus et qui ont quatre siècles.
Pas mal vu… Mais, de là à dire, comme ils le font sans état d’âme que c’est « comme cela qu’on dépoussière un texte »… Vous avez dit : un poil prétentieux? Cet
Avare, à part quelques ajouts, est respecté si on veut : le TG Stan y a quand même fait de sacrées coupes, ce qui en modifie parfois le sens. Mais sinon le spectacle aurait duré  encore plus de trois heures sans entracte ni pause… comme ici. Il aurait été plus malin de présenter seulement L’Avare en deux heures…. La mise en scène est précise et les auteurs/acteurs, plus tout jeunes, ont du métier et cela se voit. Mais ils voudraient, si on a bien compris, que le public croit à une certaine improvisation. Difficile! Tout ici est soigneusement millimétré, en particulier les entrées comme les sorties qui se font quelquefois par la salle, un procédé plus qu’usé.
Le traitement appliqué à ces textes de Molière: scènes courtes, loufoquerie des costumes, non-incarnation véritable du personnage, jeu avec le public… ) fonctionne du  moins au début  avec cette adaptation de
L’Avare, cette pièce-culte dont tout jeune élève d’une école française connait au moins le personnage principal et souvent même quelques répliques. Et nous entendons, au premier acte, un nouveau texte, vivant et adapté à la réalisation de ce collectif. L’acteur qui joue Harpagon et Jolente De Keersmaeker (Elise, sa fille) ont un jeu précis et efficace… Et il y a une bonne scène entre Cléante, le fils d’Harpagon et Marianne, son amoureuse qu’Harpagon convoite. Bref, ce n’est pas un Avare grandiose et qui fera date mais cette heure et demi passe à peu près…

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©x Le Bourgeois Gentilhomme

Pas d’entracte et suit aussitôt Le Bourgeois Gentilhomme, une pièce contemporaine (1670) de L’Avare. Mais d’un tout autre genre  et clairement indiquée: comédie-ballet, avec, au premier acte, Monsieur Jourdain, un maître de musique, un maître à danser, trois musiciens, deux violons, quatre danseurs. Et de nombreux intermèdes et ballets, pas loin d’un comédie musicale actuelle. Bien entendu, on n’est pas obligé de tout garder et ici ne restent que les trois premiers personnages. Puis il y a ici une leçon (revisitée) que donne le maître d’escrime à M. Jourdain, qui ne manque pas de saveur…
Mais de nombreuses scènes sont escamotées (il faut tenir le rythme!). Et, pour le dîner où il invite Dorimène, la marquise qu’il va essayer de séduire, un valet apporte dans une brouette des légumes, un faisan, une oie, des fruits, une langouste toute rouge… Le tout en plastique -et sans doute volontairement laid- déversé sur l’estrade. Mais  là, aucun véritable burlesque et c’est raté.
Comme la dispute entre madame Jourdain très jalouse et son mari, ou l’arrivée du grand Mamamouchi avec des costumes de récup, bricolés avec morceaux de plastique brillants mais, là aussi, très laids. Il y a ici un côté facile, racoleur et franchement pas drôle… dont les lycéens placés sur les côtés n’ont pas été dupes: ils ont à peine applaudi, alors qu’ils étaient attentifs et riaient à L’Avare!

Vous pouvez donc vous épargner sans dommage ces trois heures qui n’en finissent pas. Le public, majoritairement pas très jeune comme dans tous les théâtres, était partagé : les uns riaient facilement, du moins au début et les autres, pas du tout… Tout se passe comme si les membres du TG Stan avaient eu envie de se faire plaisir et d’essayer quelques recettes, mais sans tenir vraiment compte des spectateurs, même s’ils s’adressent souvent à eux.
Il y a finalement, avec ce n’importe quoi hissé au rang d’esthétique, un manque de générosité  et ce genre de d’invention est plié d’avance… Poquelin II aurait du rester un travail de laboratoire et ne pas être joué dans un théâtre et être cornaqué par le Festival d’automne. Qui a vu et fait venir ce spectacle? Le quatre-centième anniversaire de notre dramaturge préféré méritait mieux que cette écriture de plateau qui ne dit pas son nom! Dommage et le traitement systématiquement farcesque à bon compte, montre ici ses limites. Nous avons connu le le TG Stan plus inspiré, et il aurait intérêt à se renouveler…

Philippe du Vignal

Le spectacle a été joué jusqu’au 18 décembre, au Théâtre de la Bastille, 76 rue de la Roquette, Paris ( XI ème). T. : 01 43 57 42 14.

Et moi aussi, je suis Barbara, de Pierre Notte et Pauline Chagne, mise en scène de Jean-Claude Mouveaux

Et moi aussi, je suis Barbara, de Pierre Notte et Pauline Chagne, mise en scène de Jean-Claude Mouveaux

Deuxième avatar : pourquoi ne pas continuer après Et moi aussi ,je suis Catherine Deneuve. Succès déjà ancien (2005) « que le temps passe vite », encore une chanson internationale autant que durable, entre pleurs de rire etlarmes d’émotion. Dans une famille sans père, va savoir si ça aide ou si ça n’aide pas, une fille se prend pour Catherine Deneuve. Oui, sur la table de la cuisine, avec Maman en tablier qui ne comprend rien à rien et fait des fautes de français que les enfants relèvent avec sévérité. La divinité, l’idole vous pénètre alors, s’incorpore en vous, et vous devenez Elle, la perfection incarnée, Catherine Deneuve. Miracle d’être au plus haut de soi-même en devenant une autre.

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©xThibaut Darnat

Cette fois, c’est Barbara, la longue dame brune qui a envahi pour de vrai la comédienne chanteuse Pauline Chagne. Au point qu’elle a fini par lui ressembler, à moins que ce soit cette ressemblance (frappante) qui ait guidé sa passion et l’ait conduite à réclamer à Pierre Notte sa Barbara. C’est là le « plus » d’un auteur vivant : écrire pour une comédienne, avec elle, modifier un texte pour le lui ajuster, là, maintenant, tout de suite, composer des chansons pour la troupe, avec Clément Walker Viry, que l’on aperçoit de temps en temps derrière son piano.
Comédie, drame, le tout en musique : la vraie Barbara chante, enregistrée, puis très vite la comédienne prend sa place, s’empare de sa voix, parfaite avec ses aigus en verre filé, ses graves, brefs et sensuels avec juste une petite brisure ici ou là, contrôlée au millimètre. Cela ne s’arrête pas au chant et Pauline Chagne prend la voix et les paroles de sa star, telles que recueillies par la presse, ses manies de plateau : « si on touche ma robe, je ne peux pas chanter, je ne peux pas… « , ses petits gestes superstitieux et sacrés, le célèbre fauteuil à bascule, un flirt griffu avec les régisseurs…

Dans l’emblématique cuisine, notre nouvelle Barbara attend L’Homme qui doit venir, elle rêve à son aigle noir, et c’est un poulet qui arrive sur la table, c’est son frère le mutique qui vient retrouver la famille au moment où l’on s’y attendait le moins. Quant à la sœur, elle se prend pour leur mère dont la minuscule carrière de chanteuse s’est effacée avec le temps, la vie, le départ du père… De quoi se cacher sous la table et se scarifier. Et tout tacher se sang, c’est malin ! « C’est du propre ! », crie la mère, entre cuisine et lessive, lessive et cuisine, et marre de tout ça. Cependant, impériale, Barbara chante. La mise en scène est à la hauteur : bourrée d’énergie et d’invention, droit dans la cible. Honneur aux filles d’abord, vu leur importance dans la pièce. Pauline Chagne joue une Barbara hallucinante, dotée en supplément d’un humour à la hauteur de ce mimétisme.
Flore Lefèbvre des Noëttes, en mère abyssale et fragile qui n’en peut plus de ses enfants mais qui ferait tout pour aller les repêcher chacun au fond de son trou. Grande gueule, elle ose tout, brandir un couteau au-dessus d’un poulet en plastique, dégouliner de crème anglaise (pour l’île flottante) et d’attendrissement vite séché sur fond de malheur avalé.
Marie Nègre, en auto-mutilatrice tranquille au joli brin de voix, impose peu à peu le personnage discrètement étrange de la sœur. Tout cela n’empêche pas le frère (Jimmy Bregy) de trouver sa place, juste comme la pièce manquante du jeu. Le tout sous le regard libre et audacieux du metteur en scène Jean-Charles Mouveaux, vieux complice de Pierre Notte, cultivant avec lui la vertu qui consiste à y aller… Cela donne un spectacle qui ne se laisse enfermer dans aucun genre repéré et nous emmène des éclats de rire, au silence parfait de l’émotion partagée. Au fond, c’est peut-être la même chose.
Un grand huit désinvolte et très investi à la fois, qui tient la route depuis sa création en Avignon off ( 2018) et qui devrait se jouer encore un certain temps. Pour tester la souplesse et la résistance du théâtre de Pierre Notte, venir deux heures plus tôt voir une autre reprise tout aussi réjouissante : Mauvaise petite fille blonde. Décapage garanti, voir (Le Théâtre du Blog)…

Christine Friedel

Studio Hébertot,  47 boulevard des Batignolles, Paris (XVIIème), jusqu’au 3 février. T. : 01 42 93 13 04.

Rabbit Hole de David Lindsay-Abaire, mise en scène de Vaggelis Lymberopoulos

 

Rabbit Hole de David Lindsay-Abaire, traduction de Christine Malakou, mise en scène de Vaggelis Lymberopoulos

 Becka et Harry ont perdu leur fils Danny dans un accident de voiture. Huit mois plus tard, ils doivent faire leur deuil, alors qu’autour d’eux, la vie continue … La sœur de Becka et sa mère, le jeune homme qui a renversé leur fils, essayent de leur offrir une consolation mais ils sombrent un peu plus chaque jour dans un trou noir qui les isole. Comment retrouver sa place dans le monde après la mort d’un enfant et vivre avec le poids de ce fantôme ?

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L’auteur américain ne nous place pas en temps réel avec le drame et n’en fait pas non plus un souvenir lointain enfoui, qu’une circonstance rappellerait douloureusement à la mémoire. Il situe son texte dans cet intervalle étrange et fait d’incessants allers et retours émotionnels où chacun essaie d’accepter l’inacceptable. Deux façons de comprendre le titre : trou de lapin et trou noir et cela fait sans doute la beauté de cette pièce créée en 2006 à New York. et qui a tout d’une chronique de la vie quotidienne d’une famille américaine meurtrie par une perte. Le trou noir est ce puits sans fond où on s’engouffre et qui absorbe tout, même la lumière mais c’est aussi une énergie invisible considérable qui rappelle celle de la vie.

Pour sa première mise en scène au théâtre, le cinéaste Vaggelis Lymberopoulos crée un spectacle intime avec des personnages d’un quotidien au naturalisme stylisé. Il révèle l’invisible pour donner du sens à tout ce qui existe entre les mots et une figure huma ine au mystère de cette énergie qui pousse chacun, à un moment de sa vie, à se relever et à faire un pas de plus. Les comédiens dévoilent les non-dits et le sens souterrain et font appel à la sensibilité. Nous sortons de la salle empreints d’une douce mélancolie, avec le sentiment qu’il y a toujours un lendemain, un rythme de vie très mystérieux et que tout continue… et nous incite à continuer !

Nektarios-Georgios Konstantinidis

Théâtre 104, 41 rue Evmolpidwn, Athènes, T. : 00302103455020

Mauvaise Petite Fille blonde, texte et mise en scène de Pierre Notte

Mauvaise Petite Fille blonde, texte et mise en scène de Pierre Notte

MAUVAISE PETITE FILLE BLONDE

© Marie Charbonnier

 Un spectacle singulier: une petite fille interprétée par un acteur dans toute sa maturité. Antonio Interlandi ne compose pas un personnage. Il est à l’ évidence, dès qu’il se plante en jupette rose à l’avant-scène, une petite fille indignée par l’injustice de ses parents. Magie du théâtre.

« Antonio est chanteur et danseur : sa voix et son corps sont des outils rares, précieux, dit Pierre NotteNous avons travaillé à une sorte d’incarnation brûlante.» Cette pièce était initialement écrite pour Catherine Hiegel qui voulait jouer une petite fille mais la crise du covid en a décidé autrement et nous découvrons cette fable grinçante sous un jour inattendu. La petite fille raconte : elle marchait dans la rue, en regardant un nuage, il avait une drôle de forme -de zizi, osera-t-elle dire, même si ce mot n’est pas permis- quand elle a renversé, par mégarde, la coupelle d’une mendiante. Sa mère la gifle,  lui demande de ramasser la monnaie éparse. Elle refuse : elle n’a pas fait exprès, elle le répète… Et la voilà accusée à tort et privée de goûter.

Cet événement anodin en entraîne d’autres en cascade, décryptés dans une logique enfantine, à l’aune de cet incident. Antonio Interlandi est devenu cette gamine de sept ans pleine de vie qui nous livre ses états d’âmes et réflexions, au premier degré. Elle imagine que son petit frère est à l’hôpital à cause d’une fourchette sale qu’elle lui a plantée dans la main… On l’accuse toujours, elle, des bêtises qu’il fait, alors, elle a tellement envie de le tuer! Comme Saphira, la petite Syrienne de l’école aux cheveux frisés qui sentent mauvais… Elle la déteste… Elle qui comme lui dit son père,  incarne un peu le France avec ses bouclettes blondes.  Alors, elle va se venger… Joyeuse et drôle, la petite fille  à qui l’on donnerait le bon Dieu sans confession, peut aussi être cruelle et dangereuse avec ses jugements à l’emporte-pièce… Pas si bête, mais méchante. Les démons qui couvent en elle sont lâchés et Pierre Notte nous dévoile ici l’innocence des bourreaux.

L’acteur révèle toutes les nuances de ce monologue logorrhéique et dit avec naturel les rancoeurs de cette enfant mais aussi les saillies poétiques et traits d’humour qui font la saveur et la légèreté de Mauvaise Petite Fille blonde. Immobile la plupart du temps, il esquisse quelques pas de danse entre les séquences, des respirations nécessaires à ce beau moment de théâtre. On peut aller aussi sans hésiter voir Moi aussi, je suis Barbara joué dans la même salle, à vingt-et-une heures (voir le Théâtre du blog).

Mireille Davidovici

 Jusqu’au 28 janvier, Studio Hébertot, 78 bis boulevard des Batignolles, Paris ( XVII ème). T. 01 42 93 13 04 78.

 

Jamais plus, (Quand la jeunesse allemande se soulève, hommage à la Rose blanche), texte et mise en scène de Geoffrey Lopez

Jamais plus, (Quand la jeunesse allemande se soulève, hommage à la Rose blanche), texte et mise en scène de Geoffrey Lopez

 

Comme l’indique le sous-titre, ce monologue, interprété par Antoine Fichaux, raconte le destin tragique d’étudiants allemands entrés clandestinement en résistance contre le régime nazi. Leur organisation, La Rose blanche, fondée au printemps 1942 à Münich par Hans Scholl et Alexander Schmorell, refuse la dictature du III ème Reich et la guerre. Ils impriment des tracts qu’ils distribuent dans

© Léo Paget

© Léo Paget

plusieurs villes pour réveiller les consciences et alerter des crimes commis par les nazis : «Depuis la mainmise sur la Pologne, trois cent mille Juifs de ce pays ont été abattus comme des bêtes. C’est là, le crime le plus abominable perpétré contre la dignité humaine, et aucun autre dans l’Histoire ne saurait lui être comparé.» Ces étudiants seront presque tous arrêtés et, après des procès-éclairs, assassinés en 1943,

 Geoffrey Lopez, pour raconter cette histoire peu connue, introduit un personnage fictif, Franz Weissenrabe, condamné à mort dont on va suivre l’itinéraire jusqu’à la prison de Münich. Le jeune homme, la veille de son exécution, écrit à sa mère pour lui dire sa fierté d’avoir rompu avec les jeunesses hitlériennes et être entré en résistance. Il explique comment il a été séduit, enfant, par la nazisme, puis ce qui l’a amené à rejoindre un groupe d’étudiants antifascistes dont Hans et Sophie Scholl. Il relate leurs actions, le contenu des tracts qu’ils ont distribués aux quatre coins du pays, puis leur arrestation et le procès que présida Roland Freisler, juriste soumis au III ème Reich, venu spécialement de Berlin.

L’auteur,  dont c’est la troisième pièce, s’appuie sur des documents historiques et nous fait revivre, une heure durant, la brève existence de Franz. Antoine Fichaux incarne tout d’abord un adolescent convaincu de sauver l’Allemagne en suivant Hitler, son dieu. L’acteur se glisse dans la peau d’un garçon facilement endoctriné par ses professeurs et qui ira jusqu’à dénoncer son père… La prise de conscience est brutale et voilà le jeune homme luttant pour un autre idéal.

On le voit partir à contrecœur sur le front de l’Est et, quand il revient de Stalingrad, encore plus convaincu de la légitimité de ses actions. L’acteur se coule dans son personnage et, jusqu’au bout, grâce à l’écriture quasi-documentaire de Geoffrey Lopez, nous pouvons croire que ce Franz Weissenrabe fait partie de l’Histoire allemande, au même titre que Hans et Sophie Scholl, ses modèles. L’auteur lui prête les propos de Hans Scholl, adressés à ses geôliers: « Dans quelque temps, c’est vous qui serez à notre place. »

Nous assistons avec lui au procès et à la condamnation des membres de la Rose blanche pour «haute trahison et connivence avec l’ennemi, incitation à la haute trahison, atteinte à l’effort de défense». La mise en scène, très sobre, est fondée sur le texte et le jeu de l’acteur: Avec quelques accessoires, et un jeux de lumières, elle convoque les fantômes de ces résistants trop vite oubliés de ce côté-ci du Rhin. Un témoignage émouvant à la mémoire de ceux qui ont payé de leur vie, le courage de dire: non!

Au total,  seize membres du réseau furent exécutés ou déportés. Il faut entendre leur message : « Prouvez par l’action que vous pensez autrement ! Déchirez le manteau d’indifférence dont vous avez recouvert votre cœur! Décidez-vous avant qu’il ne soit trop tard.» Une parole universelle qui résonne dans cette petite salle, ouverte depuis 2007 dans le  grenier du Théâtre des Variétés.

 Mireille Davidovici

 Jusqu’au 26 mars, du jeudi au dimanche, Petit Théâtre de Variétés, 7 boulevard Montmartre, Paris (II ème). T. : 01 42 33 09

 

Balestra, écriture et mise en scène de Marie Molliens (recommandé à partir de sept ans)

Balestra, écriture et mise en scène de Marie Molliens (recommandé à partir de sept ans)

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Peggy Donck, la nouvelle directrice du Centre national des Arts du Cirque, a confié la mise en scène du spectacle de fin d’études à Marie Molliens, autrice maintenant bien connue dans le milieu circassien avec sa compagnie Rasposo, qui a donc dirigé cette trente-quatrième promotion. Et cette année exceptionnellement, Balestra a été joué sous le chapiteau du Centre à Châlons-en-Champagne. Lequel très bien conçu, ira ensuite en tournée. «Avec ce travail de création, j’aimerais,dit-elle, que les jeunes gens de cette promotion du C.N.A.C. s’emparent du cirque-théâtre de Rasposo:(…) Ils ont une jeunesse à inventer et à vivre.» Marie Molliens  veut que Balestra parle aussi de cet espoir-là.

Le spectacle commence par une fabuleuse image : tous les élèves en Pierrots blancs sagement assis sur les gradins du chapiteau… Suivront les numéros individuels comme cette jeune acrobate qui ouvre la fête. Ou collectifs comme ces garçons à la bascule coréenne, prenant de grands risques, malgré de très épais matelas pour les recevoir. Il y a, dans tous les cas, une belle solidarité et une réelle unité dans cette mise en espace réglée par Marie Molliens.
Difficile de privilégier certains numéros plutôt que d’autres… mais cette trente-quatrième promotion nous a paru être d’un haut niveau et d’un grand professionnalisme. Nombre de ces artistes venus de plusieurs pays donc de culture différente mais qui visiblement ont une réelle solidarité entre eux, savent aussi jouer d’un instrument -ce qui est toujours un plus dans une carrière artistique- et, par moments, nous offrent un petit air de musique.
Il faut tous les citer: Noa Aubry à la roue allemande (une double roue Cyr), Alice Binando à la corde lisse,
Tomás Denis Venezuela) et Yannis Gilbert (France) en acrodanse, Jef Everaert (Belgique) et Marisol Lucht (Allemagne-Chili) à la roue Cyr, Julien Ladenburger (France), jongleur, Elena Mengoni (Belgique) au trapèze ballant, Carolina Moreira Dos Santos (Brésil) tissus, Matiss Nourly(France), corde tendue, Pauline Olivier de Sardan (France) au mât chinois et ces garçons belges Niels Mertens, Thales Peetermans et Tiemen Praats, à la bascule coréenne.

Il y a parfois quelques redites  et des numéros plus séduisants que d’autres, comme ceux qui se passent dans les airs mais l’ensemble, remarquablement bien coordonné et mis en scène avec rigueur mais aussi avec poésie par Marie Molliens, fait preuve d’une grand professionnalisme. Ce spectacle de fin d’études montre à l’évidence que ces quatorze jeunes gens auront bénéficié d’un solide enseignement.  N’en déplaise encore une fois à M. Laurent Wauquiez, ancien ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche,qui avait annoncé sans état d’âme, vouloir « fermer les formations fantaisistes comme celles des métiers du cirque et des marionnettistes », pour privilégier « des formations débouchant sur des vrais jobs ». Bravo! Mais il devrait savoir que c’est tout à l’honneur de la France de faire vivre et prospérer le C.N.A.C., établissement supérieur, oui, comme Normale Sup, et ceux où nombre de ces jeunes artistes ont d’abord fait leurs classes…
La Région Grand-Est leur
offre la possibilité d’un épanouissement professionnel mais aussi personnel sans lequel un spectacle comme celui-ci n’existerait même pas  et il y a toute une équipe derrière… Le partenariat engagé il y a plus de vingt ans avec le Centre National à Châlons-en-Champagne, est d’une grande importance, à la fois pour le rayonnement national mais aussi international, des arts du cirque…

 Philippe du Vignal

Spectacle vu le 30 novembre sous le chapiteau du Centre National des Arts du Cirque à Châlons-en-Champagne (Marne).

La Villette-Espace Chapiteaux, Paris ( XIX ème), du 25 janvier au 19 février.

Théâtre d’Elbœuf, Pôle national-Cirque de Normandie, dans le cadre du festival Spring, du 7 au 9 avril. Le Manège, Scène nationale, Parc de la Patte d’oie, Reims ( Marne), du 21 au 23 avril.

Uto-Pistes, en partenariat avec Les Nuits de Fourvière, festival international de la métropole de Lyon ( Rhône), Parc de Parilly, les 10 et 11 juin.

Et à la compagnie Rasposo
, 36 rue des Orfèvres, Moroges (Saône-et-Loire), un spectacle co-accueilli avec les Scènes nationales de l’ Espace des Arts-Chalon-sur-Saône, de l »Arc-Le Creusot et du Théâtre-Mâcon, les 30 juin, 1er et 2 juillet.

 Felice et Lily d’Hélène Karassavvidou, adaptation mise en scène de Katerina Polychronopoulou

 Felice et Lily d’Eleni Karassavvidou, adaptation mise en scène de Katerina Polychronopoulou


Berlin, 1942, donc en pleine guerre: Felice, une jeune femme juive, à l’esprit libre, dynamique, passionnée et rêveuse, n’hésite pas à provoquer et s’amuser, alors qu’elle risque d’être arrêtée à chaque instant. Lily, épouse d’un officier nazi et mère de quatre enfants… Elles se rencontrent et très attirées l’une par l’autre, vivront un amour passionné pendant dix-huit mois. Puis Felice sera envoyée à Terezin, un camp de concentration… Lily, hantée par cet amour, la cherchera en jusqu’au bout et aura recours à leurs souvenirs pour se consoler, mais ne réussira jamais à la retrouver, ni tout le bonheur qu’elle eut avec elle.

 

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L’histoire réelle de ces jeunes femmes, Aimée et Jaguar, une histoire d’amour d’Erica Fischer (1943) et,adapté de ce roman, un film de Max Färberböck (1999), ont inspiré Eleni Karasavvidou mais aussi la dangereuse montée actuelle du nazisme et des attentats racistes dans le monde et les attaques contre les femmes, les homosexuels, les personnes handicapées ou celles qui ont des particularités. L’auteure nous offre ici un documentaire scénique aux réminiscences douloureuses, à travers le récit de Lily et sa relation mouvementée avec Felice qui a défini sa vie et a aussi fondamentalement changé la façon dont elle percevait son pays, son idéologie et le monde qui l’entourait. Les souvenirs de la vieille Lily reviennent encore et encore dans sa mémoire, et donnent vie à des moments de bonheur et d’amour avec sa bien-aimée, perdue à jamais. Tout un monde est catalysé et un autre, nouveau, s’établit chez elle, alors que guerre, génocide, prohibition, violence et terreur s’imposent, nous rappelant que, pour changer, ce monde doit d’abord être peint en rouge… A la fois par le sang et par l’amour.

Katerina Polychronopoulou raconte l’histoire de Felice et Lily avec audace, sensibilité, tendresse et passion. Grâce aussi aux lumières et aux décors simples et fonctionnels, aux remarquables costumes et aux clins d’œil musicaux. Rythme serré, tension montant sans cesse jusqu’à un point culminant, gestuelle des comédiennes et leurs échanges de regard… tout cela crée un ensemble où est mise en lumière la sensualité des personnages, leur alchimie inattendue mais irrésistible, la tension dans leur couple, leur humour et leur désespoir, leurs émotions…Une époque aux menaces de mort permanentes et aussi partout l’envie de vivre sont ici traitées avec sensibilité. L’élément politique restant décisif et en parfaite harmonie avec le quotidien des héroïnes et la menace qui empoisonne leur amour et la terreur qui imprègne leur existence.

Dimitra Syrou interprète Lily à l’âge mûr avec une mélancolie et une acceptation de son destin tumultueux, un sens poignant de la résignation qui s’adoucit, quand elle regarde l’action prendre vie à travers ses souvenirs doux-amers.Dimitra Vamvakari (Lily, jeune) est sensible et touchante et Elena Tirea crée une Felice étonnante, sensuelle mais aussi drôle et fantasque, et en même temps tragique, avec toute une gamme d’émotions. Katerina Polychronopoulou a bien su mettre en valeur le talent de ses actrices et  avec de belles images,  nous offre aussi un plaisir esthétique subtil…

Nektarios-Georgios Konstantinidis

 Théâtre Vault, 26 rue Melenikou, Athènes. T. : 0030 213 0356472.

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