La Petite Boutique des horreurs d’Alan Menken, musique d’Howard Ashman, direction musicale de Maxime Pascal, mise en scène de Valérie Lesort et Christian Hecq

La Petite Boutique des horreurs d’Alan Menken, musique d’Howard Ashman, direction musicale de Maxime Pascal, mise en scène de Valérie Lesort et Christian Hecq

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© S. Brion

 Chez Mushnik, le fleuriste, les affaires vont mal… Lui et ses employés Audrey et Seymour vivotent, comme le dit la première chanson Dans ton Ghetto. Jusqu’au jour où une plante étrange, tombée du ciel un jour d’éclipse et élevée par Seymour, attire la clientèle. Le jeune fleuriste désormais célèbre voit tous ses vœux exaucés, à condition de nourrir le végétal, de plus en plus avide de chair humaine… Mushnik l’adopte et Audrey lui tombe dans les bras. Mais à quel prix ?

Cette comédie musicale culte créée à New York en 1982, dans une petite salle du off-off Broadway, est tirée du film Little Shop of Horrors de Roger Corman, scénario de Charles Griffith (1960) et inspiré d’une nouvelle de H.G. Wells. L’auteur Howard Ashman et le compositeur Alan Menken, figures majeures des studios Disney, adaptèrent cette fable à la scène.

Ici, La Petite Boutique des horreurs avec un livret en  français,  a été adapté et mise en scène par Alain Marcel au Déjazet puis au théâtre de la Porte Saint-Martin en 1986. Aujourd’hui nous entendrons ces chansons  avec la nouvelle orchestration d’Arthur Lavandier.  Maxime Pascal, directeur musical, explique ce choix par le devenir symphonique en germe dans la musique d’Alan Menken : «En 82, La Petite Boutique des horreurs mobilisait un groupe formé des guitares, basses et clavier électriques, avec le piano-où j’entends une influence très forte du big band-l’orchestre comprend donc aujourd’hui un big-band mais avec des cordes.»

 Le compositeur américain, de formation classique et célèbre pour ses musiques des dessins animés de Walt Disney, mélange ici styles et influences. Sa partition est un catalogue des tendances jazz, rock’n’roll et pop des années cinquante-soixante. La Plante a un langage très jazz et le chœur à l’antique des Skid Row Supremes, un trio évoquant les groupes de chanteuses afro-américaines, flirte avec le gospel.

Sous la baguette de Maxime Pascal à la tête de son ensemble Le Balcon, la musique tourne rond et sonne bien. Elle pourrait prétendre à quelques tubes, malgré les paroles désuètes des airs mais paraît bien sage, comparée aux résonances pop et rock de Starmania. Ce travail musical de grande qualité est ici magnifié par la mise en scène de Valérie Lesort et Christian Hecq qui créent un univers foutraque, fortement connoté années soixante-dix, avec costumes stylisés à outrance par Vanessa Sannino. Ils nous avaient enchantés avec Le Domino noir et Le Voyage de Gulliver (voir Le Théâtre du Blog) et ont ici réalisé une mise en images éblouissante, et impulsé une fluidité au jeu des chanteurs-acteurs. Rien de gore dans ce conte macabre en deux actes où tout est lisse en apparence… Mais il ne faut pas s’y fier.

Audrey Vuong a transposé le quartier juif du scénario original, à un carrefour au milieu de nulle part et la devanture du fleuriste devient une station-service reconvertie en boutique. Avec feux tricolores en permanence à ce coin de rue. Pour plus d’étrangeté, apparaissent des éléments scéniques ambulants, comme le fauteuil d’Orin Scrivello, le dentiste sadique qui courtise et martyrise Audrey. Sorte d’Elvis Presley de pacotille, il sera la première victime de la Plante et l’objet du premier crime de Seymour dont le sang ne suffisait plus à nourrir la fleur carnivore… La créature parle et chante style rythm’n’ blues par la voix de Daniel Njo Lobe, un habitué des doublages qui rend de plus en plus agressive la marionnette géante de Carole Allemand. Gueule de dinosaure et feuillage tentaculaire ( trois mètres de hauteur, et huit de racines articulées) nécessitant trois manipulateurs et qui va occuper bientôt toute la boutique.

Marc Mauillon interprète avec nuances un Seymour timide, un peu lâche et ambigu… comme sa voix qui passe de ténor à baryton. Secrètement amoureux d’Audrey, il se laisse corrompre par la plante qui crie famine- « Nourris moi  » est son leitmotiv-, pour arriver à ses fins. Judith Fa est une Audrey pétillante de candeur dans ses  tenues rose bonbon années soixante-dix. Elle adopte une tessiture plus grave que le soprano de Maria dans West Side Story qu’elle avait aussi chantée. Elle joue parfaitement l’oie blanche et son rêve américain d’un pavillon de banlieue, dans Au Cœur du vert et est accompagnée d’appareils ménagers géants sur pieds, portés par les danseurs. Effet assuré.

 Mushnik, le seul personnage juif qui subsiste du film de Roger Corman, est incarné par Lionel Peintre, baryton. Ses airs empruntent à la musique traditionnelle du ghetto, sans qu’il pousse son personnage vers la caricature, à l’inverse du surprenant Damien Bigourdan (baryton) qui prête ses talents d’acteur et de crooner à Orin Scrivello, un personnage plus décalé qu’inquiétant. Les irrésistibles Skid Row Supremes Crystal (Sofia Mountassir), Chiffon (Laura Nanou) et Ronnette (Anissa Brahmi) jouent et commentent l’action, changent de costume selon les scènes.

Avec leurs coiffures exubérantes et leurs robes rutilantes, elles rappellent Diana Ross et ses Supremes, ou d’autres groupes féminins noirs des années soixante, quand elles chantent Chez-nous:  «Dans notre banlieue, pas d’moyens d’transport/On bouff’ comme des porcs (…) En ville, on est aux ordres des patrons… etc.» Un temps, elles représentent les classes laborieuses, laissées pour compte de l’ascension sociale à laquelle aspirent Seymour et Audrey. Puis, de fil en aiguille, elles se rangent du côté de la Plante, tout de vert vêtues…

 Ces artistes venus d’horizons différents : opérette, théâtre, comédie musicale… nous offrent un spectacle plus amusant qu’effrayant. Valérie Lesort et Christian Hecq, avec une mise en scène bien huilée, ne prétendent pas faire une relecture sociologique de l’œuvre dans le contexte américain, même si comme le rappelle le musicologue Marc Jensen : « Etroitement liée à l’expérience musicale et raciale américaine, notamment en ce qui concerne la formation très spécifique du rock ‘n’ roll, Little Shop of Horrors se présente en 1982 comme une métaphore rétrospective des résistances de la société américaine dès 1960, avant l’avènement du Civil Rights Act en 1968. »

Les metteurs en scène ne soulignent pas la morale édifiante de ce conte cruel qui nous fait froid dans le dos, à un moment où l’Humanité prend lentement conscience des méfaits de son ubris, après avoir voulu domestiquer la nature. Ils nous invitent surtout à voir et entendre avec plaisir ces chanteurs, danseurs, musiciens et marionnettistes. A chaque spectateur de trouver son bonheur et son chemin dans cette Petite Boutique des horreurs, délicieusement rétro…

Mireille Davidovici

Jusqu’au 25 décembre, Opéra-Comique, 1 place Boieldieu Paris (II ème). T. : 01 70 23 01 31.

Les 5 et 6 avril, Opéra de Dijon (Côte-d’Or).

 


Archive pour décembre, 2022

Le Manteau, d’après Nicolas Gogol, traduction d’Eric Prigent, conception et réalisation de Serge Poncelet et Guy Segalen

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Le Manteau, d’après Nicolas Gogol, traduction d’Eric Prigent, conception et réalisation de Serge Poncelet et Guy Segalen

Le génie de l’humour mélancolique, c’est lui. Et Dostoïevski ne s’y était pas trompé, qui a vu ses abîmes. Pour les enfants d’aujourd’hui, Gogol, par suite de cascades sémantiques et phonétiques, est devenu synonyme de simple d’esprit. S’il l’est, simple, c’est par sa compassion envers ceux que le Christ évoque dans les Béatitudes et envers Akaki, le gratte-papier.


Dans un ministère quelconque à Saint-Pétersbourg (qui n’avait encore ni perdu ni retrouvé son nom), travaille un humble copiste très scrupuleux, très assidu et très pauvre. Son manteau, une «vieille robe de chambre», rapiécé, terni et craqué aux coutures, lui attirait quolibets, moqueries et vilains tours de ses collègues, jusqu’au jour où … En se privant de pain,  Akaki s’offre à grand peine un manteau neuf qui fait tourner la tête de tout le ministère mais dans l’autre sens cette fois.Pour lui, c’est une histoire d’amour, sentimentale, physique, vitale. Oui mais… Ce jour-là, le jour de la tragédie, sera celui de sa passion, aux deux sens du terme.

Akaki Akakiévitch Bachmathkine sort le soir avec son manteau bien aimé, se retrouve comme un hibou dans une soirée mondaine où… on le lui volera.Et il s’usera en vaines démarches pour obtenir justice.

Pourquoi raconter cette histoire qu’on peut lire partout ? Parce qu’elle est irrésistible : la plus simple et la plus tragique. Et les auteurs du spectacle n’y ont pas résisté. Dans une scénographie minimale et pertinente : une toile, peinte par Anne-Marie Petit, évoquant la Neva et ses quais façon Marc Chagall, un bureau d’écolier mobile à surprises et quelques cintres, cela suffit… Serge Poncelet se lance, à cœur joie et en acrobate d’une maîtrise parfaite, dans les espoirs et désespoirs d’Akaki, comme dans les personnages du tailleur ou des collègues persifleurs.
C’est un théâtre du corps, nourri du mime et du jeu de clown, dans l’outrance, l’énergie et la précision. (on passera sur quelques excès de voix).
Un théâtre physique, hors des modes, beau, non pas « comme l’antique » mais fondé sur une vraie tradition, celle qu’Ariane Mnouchkine revendique dans son film Molière, et ses spectacles, entre autres : L’Île d’or, actuellement au Théâtre du Soleil. Une soirée pas ordinaire, forte et touchante avec , au centre, moteur de la performance, la voix de Nicolas Gogol…

Christine Friedel

Jusqu’au 18 décembre, Théâtre de l’Opprimé, 78-80 rue du Charolais, Paris (XIIème), Réservations : theatreyunque@wanadoo.fr

 

Lorsque l’enfant parait d’André Roussin, mise en scène de Michel Fau

Lorsque lenfant parait d’André Roussin, mise en scène de Michel Fau

André Roussin (1911-1987) d’origine marseillaise, on l’a oublié fut pourtant  à l’origine  de la politique de décentralisation théâtrale. Et cet auteur un peu oublié aujourd’hui fut reconnu dans les années cinquante-soixante avec des pièces à grand succès comme La petite Hutte avec la grande Suzanne Flon, Les œufs de l’autruche, Nina, Bobosse que François Périer joua plus de mille cinq cent fois! Et,  dans son discours de réception à l’Académie-Française en 74, André Roussin dit certaines vérités toujours d’actualité: «En effet, le Français qui n’aime pas qu’on lui en impose, réagit traditionnellement devant la dignité de votre compagnie, en laissant entendre ironiquement que l’âge moyen d’un académicien est légèrement au-dessus de trente-cinq ans… Or, Messieurs (…)  les bons esprits ont quelques raisons de s’assombrir et de considérer la vie humaine comme un des cercles de l’enfer, vous avez voulu grossir parmi vous le nombre de ceux qui déjà représentaient ici le genre de théâtre si décrié par notre temps, la comédie. » Sans doute une pique bien acérée contre André Malraux, ministre de la Culture sous de Gaulle, qui ne supportait pas son théâtre…

Et c’est justement pour la comédie que le public vient ici. Charles Jacquet (Michel Fau), ministre de la Famille, marié depuis vingt-cinq ans et père de deux grands enfants, apprend, la veille d’une élection, que son épouse, Olympe (Catherine Frot), est enceinte : «La situation est celle-ci : je mène une campagne -assez bruyante, disons-le- et je triomphe par deux votes de l’Assemblée, l’un : la suppression des maisons de tolérance, l’autre : l’augmentation des peines qui frappent l’avortement. Là-dessus, on apprend qu’après vingt-et un ans sans maternité, tu attends un enfant. Et cela commence à se savoir naturellement au moment de la prochaine campagne électorale.
Je vois tout de suite la façon dont mes adversaires utiliseront la chose: pour prêcher d’exemple, me faisant le premier prêtre de ma religion, je me suis brusquement jeté sur ma femme pour consolider ma situation politique et affermir mon portefeuille. Je suis tourné en ridicule et toi, tu passes pour une victime du devoir. Nous sommes ridicules tous les deux. Et officieusement – je veux dire dans le monde et dans les couloirs de la politique, tu passes pour la maîtresse de Roger ou d’un autre et tu me fais endosser une paternité à laquelle je suis seul à croire. Je suis deux fois grotesque. »

 

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Cette réplique de la pièce créée en 1951 est un peu longue mais résume bien un quiproquo à propos d’ un possible avortement, très sulfureux à l’époque: .. Les deux enfants de Charles Jacquet risquent aussi d’être parents, hors toutes les règles de la bourgeoisie de l’époque. Michel Fau a mis la pièce en scène dans un intérieur bourgeois cossu, en rouge et bleu assez cinglants et tout en perspective, mais avec tous les codes du boulevard. Et il joue très juste ce ministre dont il fait la première victime de ce dérèglement aux convenances…

Catherine Frot, irrésistible en  épouse de ministre prête à tout pour garder son rang, symbolise la bourgeoisie prétentieuse et discriminatoire qui perdure aujourd’hui sous un autre masque. «J’aime mieux m’amputer d’un enfant à naître que de faire la moindre ombre à la famille française. Les classes laborieuses doivent être vertueuses, sinon qu’est-ce qu’il leur restent!»
Mais les autres rôles ne sont pas à la hauteur et seul Maxime Lombard donne une épaisseur à un personnage de vieil anarchiste qui veut déshériter son fils Charles. Le public rit volontiers à ce succès de la rentrée. André Roussin a une écriture très fine et il fait dire à ses personnages des horreurs sur les différences entre classes sociales, malheureusement encore très actuelles. Nous avons passé un bon moment dans ce théâtre privé, longtemps dirigé par Yvonne Printemps et Pierre Fresnay auxquels s’est associé dix ans François Périer…

Jean Couturier

Théâtre de la Michodière, 4 bis rue de la Michodière, Paris (II ème). T. :  01 86 47 68 62.

Luis Olmedo, un parcours…

Luis Olmed, magicien

-Quel a été votre parcours ?

 

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Je me souviens avoir regardé une émission: Nada x Aquí, avec Jandro, Piedrahíta, Jorge Blass Junke et Inès; j’ai alors su que je ferai de la magie. Je ne voulais pas savoir par curiosité mais pour faire! Mais quand un ami m’a montré un tour, je lui ai demandé comment je pourrais apprendre et il m’a conseillé Cartomagia fondamental (1993) de Vicente Canuto. J’ai donc commencé avec ce livre et j’ai aussi lu ensuite La magie d’Ascanio. Je regardais tout ce que je pouvais sur YouTube et ce que faisaient des magiciens proches de moi. J’ai aussi revu avec d’autres yeux…toutes les émissions de Nada x aquí.

Par chance, j’ai rencontré des gens très généreux et d’excellents professeurs m’ont beaucoup aidé comme Dani Daortiz, Juan-Luis Rubiales, Miguel Ajo, Gabi Pareras… Certains sont devenus des amis comme Mario López ou Pipo Villanueva avec lesquels je travaille sur quelques idées. Mais pour être honnête, je me suis parfois demandé si ce que je faisais était d’un niveau suffisant: une bonne chose pour avancer et continuer à apprendre…

-Et aujourd’hui?

Je joue pour des magiciens. En Espagne,avec mon spectacle de close-up dans les théâtres et festivals avec images-caméra. Je fais des conférences et anime des ateliers mais je travaille aussi chez des particuliers et pour des entreprises.

-Qui a vous a influencé et pour réussir, que faut-il surtout ?

Des artistes comme Dani Daortiz, Juan Tamariz, Juan Luis Rubiales… et bien sûr, Gabi Pareras. Je suis attiré par les styles poétiques, clairs et directs pour le public et j’ai aussi été influencé par le photographe Chema Madoz, le dramaturge Ramón María del Valle-Inclán, le compositeur Hans Zimmer, les peintres Pablo Picasso et René Magritte, et le magicien Miguel Angel Gea. Passion, travail et partage de connaissances : c’est essentiel.  Il faut aussi être critique envers soi-même. Nous vivons un très bon moment pour la magie. Les nouvelles générations travaillent dur. Et Internet est un moyen efficace pour se connecter avec les autres et avoir de nouvelles façons de faire.
Mais nous devons être patients et choisir ce que nous lisons et regardons! Nous sommes submergés d’informations et alors nous oublions parfois l’essentiel. Très important aussi: lire, regarder et écouter en dehors de la magie: si notre propre monde est plus grand, nous pouvons donc générer d’autres sensations…

Sébastien Bazou

Entretien réalisé le 30 novembre.

(https://luisolmedo.com/

Los Años, (Les Années), texte et mise en scène de Mariano Pensotti (en espagnol, surtitré en français)

Los Años, (Les Années), texte et mise en scène de Mariano Pensotti (en espagnol, surtitré en français)

Cet auteur-metteur en scène argentin a étudié le cinéma, les arts visuels et le théâtre à Buenos Aires, en Espagne et en Italie. Et il a fondé, il y a dix-sept ans, le Grupo Marea avec la scénographe Mariana Tirantte, le musicien Diego Vainer et la productrice Florencia Wasse. Il met en scène ses textes et crée aussi des installations in situ, entre fiction et réalité. Et il avait présenté El pasado es un animal grotesco et Cineastas au festival d’Automne à Paris en 2003.

Dans cette fiction, Mariano Pensotti pose une question philosophique vertigineuse: comment imaginer notre vie à l’horizon 2050? Quand tout ce qui fait le quotidien actuel aura muté, voire inexorablement disparu… comme la majorité des spectateurs dans cette salle? Et comment voir aussi notre présent à distance.

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Cela se passe à Buenos Aires en 2020. Une salle à vivre avec derrière une cuisine, et au-dessus une chambre, mais en deux exemplaires presque identiques. Côté jardin, un pianiste. Manuel, un jeune architecte perd son père et  lui-même va le devenir… Il réalise un documentaire sur un orphelin des quartiers très pauvres. Sur un écran au dessus de la scène, défilent des images d’immeubles Art Déco de la capitale argentine mais aussi celles d’un petit garçon errant et finissant par aller habiter dans l’appartement que son grand-frère a déserté. Il vit de rapines et grâce à l’architecte qui lui tiendra lieu de père, il pourra être inscrit à l’école où il aura gratuitement un petit déjeuner et un déjeuner. Le documentaire de Manuel avait eu un certain succès. Mais en 2050, on ne sait pas trop ce qu’est devenu ce petit garçon…

 Et il y a aussi un autre couple d’architectes…Lui, a soixante ans et vit en Allemagne avec sa compagne. Le monde a changé surtout dans les villes envahies par des animaux sauvages que des bénévoles  éliminent… Il essaye de renouer des relations avec sa fille. Elle a maintenant trente ans, et actrice, elle voudrait monter un spectacle sur la vie de son père quand elle n’était pas encore née… Ce serait un récital avec piano, un genre ancien quand l’Argentine était une colonie espagnole.
Les théâtres qui avaient connu une désaffection dans les années 2020 à cause de pandémies, sont à nouveau pleins: les gens veulent du vivant, ont assez des écrans et le cinéma a quasiment disparu… Il y a ici un très habile va-et-vient permanent entre présent, et futur au présent. La distance entre représentation et récit est ici particulièrement bien assumée, la narration comme le souhaite le metteur en scène, ajoute du sens et le libère effectivement de la nécessité de tout représenter. Un vieux procédé théâtral déjà bien connu d’Eschyle, Shakespeare, etc.
Les personnages, en circulant d’une époque à une autre, à la fois jeunes et déjà âgés, vivent une autre vie. Une mise en abyme permanente avec, à la fin, un texte en boucle qui revient comme en boomerang… Une sorte de dystopie séduisante et surtout très bien réalisée. Mais «s’il y a bien  quelque chose d’optimiste, dit Mariano Pensotti, c’est la capacité à créer de la fiction, et l’affirmation que l’on peut imaginer un futur différent.»

Oui, mais voilà, le flux d’informations est tel qu’on finit par décrocher quelquefois: deux lieux, avec des personnages qui passent sans cesse d’un salon à l’autre ou qui montent dans les chambres, de belles mélodies créées et jouées au piano par Diego Vainer qu’on a envie d’écouter, les images de détails architecturaux bien mis en valeur comme dans un livre d’art, rt celles de la vidéo de Martín Borini filmant avec tendresse la dérive de ce petit garçon marchant dans Buenos Aires et y vivant, le surtitrage du texte -à trop grande vitesse- et aussi les personnages très bien joués par Javier Lorenzo, Mara Bestelli, Bárbara Masso, Paco Gorriz et Julian Keck. Cela fait quand même beaucoup à la fois…
Alors à voir? Oui, malgré des réserves sur un texte parfois estouffadou et ces informations en trop grand nombre, pour la grande qualité de cette réalisation et la scénographie de Mariana Tirantte. Et ce n’est pas tous les jours que l’on a l’occasion de voir le spectacle d’un collectif argentin…

Philippe du Vignal

Spectacle vu le 13 décembre. Jusqu’au 18 décembre, Théâtre Nanterre-Amandiers, 7 avenue Pablo Picasso, Nanterre, (Hauts-de-Seine). T. : 01 46 14 70 00.



Nu, mise en scène de David Gauchard

Nu, mise en scène de David Gauchard

Ne vous attendez pas à voir du nu : ici on vous dévoile seulement les dessous de la profession de modèle vivant, avec quand même une petite surprise à la fin. Qui sont ces invisibles, pourtant exposés au regard des autres et représentés dans de nombreux chefs-d’œuvre dont La Naissance du monde de Gustave Courbet, souvent cité ici. Comment ces hommes et ces femmes affrontent-il les préjugés sur cette profession pas comme les autres?

Nu, mise en scène de David Gauchard dans actualites

© Dan Romaën,

David Gauchard donne voix une fois encore à l’insolite. Dans Maloya, il partait d’entretiens avec les habitants et musiciens de la Réunion pour pénétrer les rouages du maloya, langue identitaire de l’île désignant aussi sa musique. Et dans l’émouvant Time to tell, il mettait en scène le récit du jongleur Martin Palisse, atteint de mucoviscidose (voir Le Théâtre du Blog). Avec son équipe, il a rencontré une quinzaine de modèles et leurs paroles nous sont restituées en direct par Emmanuelle Hiron et Alexandre Le Nours. Au milieu du plateau, ils s’assoient tour à tour sur une sellette et branchent ostensiblement leurs oreillettes sur la bande-son des entretiens. Ils épousent mot pour mot les intonations de leur source et incarnent, au plus près, les rires, hésitations, silences ou éclats de voix. A chaque fois, ils annoncent les prénom et âge et adoptent des mimiques correspondant à ce qu’ils entendent.

Nous entrons ainsi de plain-pied dans ces vies, avec anecdotes et réactions des proches face à leur choix…. Et ces modèles démentent les idées reçues : «La vulnérabilité n’est pas dans la nudité, mais dans l’immobilité » pour Maud (trente trois ans). «C’est désexualisé», dit Maxime (quarante-trois ans). « Le modèle, c’est sacré, tu fais rien avec le modèle.» confirme Luc (quarante-neuf ans). Ils parlent beaucoup de la relation qui se crée avec leur public, fiers de participer à une œuvre d’art . Et Mireille, à soixante-quinze ans, se voit comme «une fleur dans un jardin et celui qui peint, c’est le jardinier». En posant, elle a «trouvé son clown» et «c’est une richesse. »
Camille (vingt-deux ans) parle de «la force qu’elle réussit à dégager» et «du dessin qui capte l’essence de sa personne». Pour Sylvie (quarante-huit ans ans) poser nue, c’est une réparation et une liberté après les violences sexuelles qu’elle a vécues. On entend aussi un jeune prostitué qui a pu se reconstruire, redonner une dignité à son corps et devenir lui-même un artiste. Il est aussi question de précarité: Jean-Charles (soixante ans) évoque une grève quand la Ville de Paris a interdit le «chapeau», après les séances de pose mal payées : «modèle d’art est un métier de non-droit.»

Ce théâtre documentaire n’oblitère pas la créativité des acteurs: il y a du jeu entre ce que disent les sujets et la partition qu’ils en donnent. «Ici, dit Alexandre Le Nours, la pensée du personnage se déploie en même temps que je la dis… Mon rôle est de filtrer les mots que j’entends à travers mon espace émotionnel et transmettre, avec mon corps et ma voix, les fulgurances et hésitations des témoignages. » Nous voyons ces personnes ainsi exister devant nous dans leur vérité. Le metteur en scène les fait défiler sur une sellette mais des intermèdes et déplacements rompent la monotonie des témoignages.

Alexandre Le Nours et Emmanuelle Hiron en viennent à se poser mutuellement la question de la nudité sur scène. Ce qui fut pour David Gauchard le point de départ de Nu. Quand il a monté Ekaterina Ivanovna de Leonid Andreiev, les producteurs lui demandèrent comment il allait gérer la scène où la femme d’un grand politicien de la Douma pose nue sur une sellette lors d’une soirée mondaine. Les didascalies de l’époque (1906) stipulent que l’actrice devait jouer nue. «Certains lieux, dit le metteur en scène, reçoivent des lettres agressives du public, de certaines associations ou enseignants quant à leurs choix de programmation. C’est une vrai problème.»

Le spectacle, loin d’être théorique, démonte avec générosité, émotion et humour, un sujet tabou. Pour le sociologue Arnaud Alessandrin qui accompagne cette création, «Traduire quelque chose de l’expérience des modèles nus, c’est mieux comprendre la place du corps nu dans nos sociétés tiraillées par des questions morales, esthétiques et de genre ou rapport à l’intime. »

 Mireille Davidovici

 Jusqu’au 27 décembre, Théâtre de Belleville, 6 passage Piver, Paris (XIème) T. : 01 48 06 7234.

Le 11 février Scène 55, Mougins  (Alpes-Maritimes).

Le 21 mars, Les Scènes du Jura, Lons-le-Saulnier (Jura) ; les 28 et 29 mars, Musée d’art et d’histoire de Saint-Lô en partenariat avec le Théâtre de Saint-Lô (Manche) ; le 31 mars, Scène Nationale de Dieppe (Seine-Maritime).

Et le 16 mai, Le Pont des arts, Cesson-Sévigné (Ille-et-Vilaine).

 

Au Non du père, écriture et mise en scène d’Ahmed Madani

@ariane catton

@ariane catton

Au Non du père, écriture et mise en scène d’Ahmed Madani

Le metteur en scène n’en est pas à son coup d’essai et avait déjà créé Face à leur destin (Illumination(s)F(l)ammes, Incandescences) où des jeunes des quartiers dits « sensibles » racontaient ce qu’était leur vie Cette fois, avec une jeune femme issue de la diversité comme on dit, il nous offre un spectacle des plus attachants, entre performance et théâtre, remarquablement dirigé et, sous des apparences un peu foutraques, très bien mis en scène.

Sur scène, côté jardin, un grand écran qui va transmettre quelques images de voyage. Deux plans de travail en inox avec une poèle pour faire des amandes grillées, des moules pour petits gâteaux au chocolat, et un four. Côté cour, des coffres métalliques servant de table pour l’ordinateur du metteur en scène qui va piloter les choses

Il commence par préciser qu’Anissa veut être seulement conteuse, et non actrice. Il avait recruté pour son précédent spectacle cette jeune femme franco-marocaine -mariée cinq enfants- qui serait née d’une rencontre imprévue dans un hôpital entre sa mère et un médecin qui avait bien prévenu qu’il ne voulait pas avoir d’enfant avec elle et, au cas où, ne le reconnaîtrait pas…

Elle vivra pauvrement, dit-elle, avec sa seule mère qui, un jour, lui donnera une photo de ce père mais ensuite avouera que ce n’était pas lui. Alors qu’elle elle avait vécu toute son enfance en croyant dur comme fer que c’était bien son père.. Elle l’a toujours connu absent et n’en sait rien. Elle a donc toujours été à la recherche de son identité et de ses racines. Comment alors arriver à se construire ? Un jour elle voit un reportage sur TF1 : un boulanger-pâtissier à Collebrook, une petite ville au bout du New-Hampshire, se voit refuser la prolongation de son visa et celui de sa femme. Alors les habitants qui apprécient beaucoup ses baguettes et ses croissants, vont alors tout faire pour qu’ils aient ce foutu visa et ils y réussiront.
Fiction ? Réalité ? Anissa, mue il y a dix ans par une curieuse intuition, est sûre en voyant ce boulanger qu’il est bien son père. Ce que lui aurait confirmé sa mère à qui elle montre plusieurs fois l’enregistrement de l’émission. Elle trouve son adresse, lui écrit pour lui dire qu’elle veut aller le voir. Réponse polie mais absolument négative: il ne la recevra pas. Anissa décidera quand même d’aller là-bas et en parlera à Ahmed Madani. «Cette quête sonnait tellement juste, dit-il, que je lui ai proposé de l’aider et d’en faire un spectacle.» Il l’accompagnera donc avec un cadreur aux Etats-Unis. Arrivés à New York, ils seraient ensuite allés en voiture jusque dans le New Hampshire et auraient logé pas très loin de cette fameuse boulangerie. Difficile à croire mais si bien ficelé qu’après tout, cela se tient…
«Ce qui est projeté donne l’impression d’avoir été vécu, dit Ahmed Madani. (…) L’excès de vérisme laisse supposer que que l’œuvre se place dans une perspective de théâtre documentaire.» (…) « Mon choix a été de nourrir l’écriture du matériau brut de la vie des protagonistes aura été poussé au plus loin. » Anissa est déposée en voiture juste devant la boutique, et là, munie d’un gros bouquet de roses, elle franchit bien sûr avec appréhension les quelques mètres la séparant de la boutique… Mais nous ne vous dirons pas la suite.

Ahmed Madani demande au public de chercher ce qui est arrivé en fait, et comment cette histoire à rebondissements à peine crédible s’est finie… Une histoire où Anissa raconte  cette recherche du père, mais aussi et surtout d’elle-même. Avec précision et générosité, tout en continuant à surveiller la cuisson de ses fondants au chocolat, dont elle a fait couler l’appareil d’une main experte avec une poche-douille dans un grand moule. Et Anissa secoue de temps en temps la poèle où les amandes vont lentement se caraméliser. Qu’elle offrira avec les fondants au public, après avoir avec répondu avec le metteur en scène, aux questions qu s’est posé en écoutant ce conte moderne.
Intelligence de la mise en scène, jeu très fin de celle qui répète qu’elle n’est pas une actrice.Oui, oui… mais elle a une singulière présence et une impeccable diction (parfois trop peut-être mais bon le trac, cela existe..) et que bien des interprètes quel que soit le genre, peuvent lui envier. En une heure, cette quête du père et de son identité et la préparation conjointe de ces pâtisseries, ont ébloui avec raison le public. «Ou commence le réel et où s’achève la fiction? (…) Fallait-il raconter ce qui s’était réellement passé, ou bien allions-nous devoir inventer une histoire», se demande Ahmed Madani. Finalement qu’importe, mais loin des spectacles accablants sur plusieurs heures et interminables où pas grand chose n’est dit, cet Au Non du père est tout à fait réjouissant et parfaitement rodé. S’il passe près de chez vous, dans les salles ou les établissements scolaires, surtout n’hésitez pas…

Philippe du Vignal

Spectacle vu le 11 décembre, au Théâtre de Belleville, 16 passage Piver, Paris (XI ème).

Du 9 au 12 janvier, Espace culturel Boris Vian, Les Ulis (Essonne).
Du 14 au 17 février,  Les Passerelles,  Pontault-Combault (Seine-et-Marne).
Du 6 au 11 mars,  L’Échandole, Yverdon-les-Bains (Suisse). Du 30 mars au 2 avril, Théâtre de Poche,  Bruxelles (Belgique).

La Vénus à la fourrure de Léopold von Sacher-Masoch, adaptation de Nikoleta Kotsaïlidou et Spyros Kyriazopoulos, mise en scène de Thanassis Kourlabas

La Vénus à la fourrure de Léopold von Sacher-Masoch, adaptation de Nikoleta Kotsaïlidou et Spyros Kyriazopoulos, mise en scène de Thanassis Kourlabas

Ce roman court érotique (1870) de l’écrivain allemand -dont le nom a donné naissance au terme: masochisme, a aussi inspiré le film éponyme de Roman Polanski sorti en 2013. Au théâtre,  Christine Letailleur l’avait adapté en 2008 et  Guido Crepax en avait tiré une bande dessinée en 84. Dans cette autobiographie romancée, Séverin, jeune gentilhomme aux idéaux romantiques, voue une passion déraisonnable pour la figure antique de Vénus. Et quand il rencontre Wanda, une jeune femme à la beauté ensorcelante, elle lui apparaît comme l’incarnation de la déesse de l’amour. Entre eux, se noue une relation hors normes : il devient son esclave et en jouit. Uni par un contrat établissant sa soumission, Séverin suit sa Vénus à la fourrure, au gré d’un itinéraire qui les mènera des Carpates, à Florence. Mais peu à peu, leurs liens vont s’étioler et leurs rapports prendront une tournure dangereuse.

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Pour écrire ce roman, Léopold von Sacher-Masoch s’inspira de ses liaisons amoureuses, entre autres celle qu’il eut avec Anna Kottowitz qui lui inspira notamment La Femme séparée.
Avec Fanny von Pistor, il élabora pour la première fois, en 1869, un contrat où il s’engageait à être son esclave pour une durée de six mois. Et avec Aurora Rümelin, il en signa un sur dix ans et l’épousa en 1873. L’écrivain a su traduire son monde intérieur, scruter les désirs enfouis au plus profond des êtres.
Avant Freud, il sonde les rêves et les premiers émois sensuels de l’enfance. Loin du discours puritain et normatif, il a su questionner l’origine du désir, la sexualité, le rapport homme/femme à son époque et réinventa la relation amoureuse. Chez lui, ce n’est plus une jeune fille, l’héroïne d’un roman mais une femme d’expérience, partenaire et complice idéale qui saura, au plus fort de la tension érotique, se montrer à la fois cruelle et voluptueuse. S’inspirant des déesses de l’Antiquité et des tsarines, il aime à la parer de somptueuses fourrures et lui offrir des cravaches. Ses amantes avaient bien compris qu’il était de leur côté et plaidait en faveur de leur émancipation.
Léopold von Sacher-Masoch voit dans l’amour, une guerre des sexes et sait qu’une femme ne pourra devenir sa véritable partenaire et complice, que si elle s’affranchit des conventions morales et sociales et si elle a les mêmes droits que l’homme. Dans une relation maître/esclave inversée…

Les dialogues de cette adaptation, fidèles à l’esprit du roman, sont à la fois vifs et  pertinents, et leur auteur exalte la volupté mais sait aussi ménager le suspense. Sur le plateau semé des feuilles, au centre, une longue table-lit et deux chaises. Thanassis Kourlabas tout en noir, incarne Séverin et va en dévoiler tout le mystère et le vice. L’acteur forme un duo exceptionnel avec Amalia Ninou qui, en robe blanche, souligne les hésitations et les angoisses de Wanda. Thanassis Kourlabas a bien dirigé ses acteurs qui mettent en relief dans ce couple les nombreuses facettes de l’amour, en alternant joie et douleur…

 Nektarios-Georgios Konstantinidis

 Théâtre Anessis, 14 avenue Kifissias, Athènes. T. : 0030 2103625119

Dark was the night,texte et mise en scène d’Emmanuel Meirieu

Dark was the night, texte et mise en scène d’Emmanuel Meirieu

FRA - THEATRE - DARK WAS THE NIGHT

© Pascal Gély

Le metteur en scène s’intéresse aux laissés pour compte: des clochards anonymes dans Les Naufragés ou des orphelins du socialisme dans La Fin de l’Homme Rouge, d’après le roman de Svetlana Alexievitch (voir Le Théâtre du blog). Ici, il dresse un tombeau, au sens littéraire du terme, à Blind Willie Johnson (1897-1945), chanteur de gospel mort dans la misère, qui a été refusé à l’hôpital, parce qu’il était noir, pauvre et aveugle. Paradoxalement, son nom est gravé dans l’histoire de la conquête spatiale: sa chanson Dark was the Night, Cold was the Ground (Sombre était la nuit, froid était le sol) figure sur un disque trente-trois tours en or. C’est l’ un des vingt-sept extraits de musique du monde inclus dans le  Voyager Golden Record. Il comporte des informations et des pistes audio pour représenter la diversité de la vie sur Terre et a été fixé sur les sondes Voyager 1 et Voyager 2 qui ont été lancées dans l’espace en 1977.

Ce gospel fait partie des vingt-sept musiques, des cent dix-huit photos prises sur la Terre et salutations d’humains en cinquante langues. Le tout destiné à témoigner du meilleur de notre planète auprès d’éventuels extra-terrestres que le vaisseau pourrait rencontrer en traversant les espaces interstellaires grâce à l’assistance gravitationnelle des planètes croisées en chemin. A partir de cette histoire, Emmanuel Meirieu a tissé une double narration, celle de François, témoin alors qu’il avait sept ans, du lancement de Voyager à Cap Canaveral et qui fut l’une des voix enregistrées sur le fameux Golden Record. Devenu apiculteur, il est confronté aujourd’hui à la disparition de ses abeilles et à la maladie de Charcot qui le paralyse lentement. La pièce nous emmène aussi à Beaumont (Texas), où est mort Blind Willie Johnson. Des hommes fouillent le cimetière Blanchette, devenu un terrain vague, à la recherche de la sépulture du chanteur, enterré là parmi de nombreux descendants d’esclaves. 

En guise de prologue, sur un rideau de scène est projeté un dessin naïf et coloré,puis un film commenté par la voix de François enfant où on voit le lancement de la fusée Titan, mêlé à des réminiscences des années soixante-dix: le jeu Pac-Man, Marie Myriam remportant le concours de l’Eurovision avec L’Oiseau et l’Enfant, des vues de la Terre prises par la NASA, des photos et films de la famille du garçon… Après cette entrée en matière nostalgique, le rideau s’ouvre sur un décor somptueux, signé Seymour Laval et Emmanuel Meirieu. À jardin, une forêt et des ruches, où s’activent l’apiculteur et son assistant. A cour, une décharge jonchée de déchets de plastique, où s’affairent deux hommes noirs: l’un fredonnant d’étranges mélopées, l’autre sondant le sol et exhumant des pierres tombales de fortune, pour reconstituer les sépultures des malheureux enterrés là. Il espère trouver celle de Willie Johnson car le guitariste autodidacte qui construisit son instrument avec des boîtes de cigares est l’idole de son fils. 

Ces univers se répondent, discrètement enveloppés d’images projetées au lointain, sur des musiques de Raphaël Chambouvet qui s’est inspiré de morceaux du disque de la NASA. Une douce ambiance de fin du monde règne sur ces collines boisées où les acteurs  évoluent dans un équilibre précaire, représentants d’une humanité blessée, dans un monde en souffrance.  Cette pièce délicate et intelligente où rien n’est laissé au hasard s’essouffle, sans doute par manque de concision. Et le récit un peu mièvre de la fabrication du disque d’or a du mal à trouver sa place dans cette narration bipolaire. Mais ces destins croisés sur fond de conquête spatiale nous touchent.«Un petit pas pour l’homme, un grand bond pour l’humanité.» aurait dit Neil Armstrong, quand il a posé le pied sur la lune le 20 juillet 1969. Une utopie qui n’a plus cours aujourd’hui…

Dark was the Night, Cold was the Ground a été choisi par Timothy Ferris, conseiller de la NASA : «La chanson concerne une situation à laquelle Johnson a été confronté: la tombée de la nuit sans endroit pour dormir.»  Aujourd’hui, on a dressé un monument à la mémoire du bluesman au cimetière Blanchette. Sa musique a été utilisée dans la bande originale de L’Evangile selon Saint Mathieu de Pier Paolo Pasolini et Ry Cooder s’en est inspiré pour Paris, Texas (1984) de Wim Wenders. Le cinéaste allemand lui a consacré un documentaire The Soul man. La guitare « slide » donne à ce spectacle, malgré des longueurs, des sonorités mélancoliques. 

Mireille Davidovici

Jusqu’au 14 décembre, Théâtre des Quartiers d’Ivry-Centre Dramatique National, Manufacture des Œillets, 1 place Pierre Gosnat, Ivry-sur-Seine. T. 01 43 90 11 11

Le 10 janvier, Quai des Arts, Argentan (Orne) ; 12 janvier, Scène nationale de Dieppe (Seine Maritime); les 17 et 18 janvier, Les Scènes du Golf, Théâtres de Vannes et Arradon (Morbihan) ; les 20 et 21 janvier, Théâtre L’Air Libre, Rennes (Ille-et-Vilaine) ; les  24 et 25 janvier, Espace Malraux, Chambéry (Savoie); du 31 janvier au 4 février, Les Célestins, Lyon (Rhône).

Le 7 février, Le Carré, Château-Gontier (Mayenne); du 15 au 19 février, Comédie de Genève (Suisse) ; le 21 février,  Maison des Arts, Thonon (Haute-Savoie).

Du 9 au 19 mars, Les Gémeaux, Scène nationale de Sceaux (Hauts-de-Seine) ; le 21 mars, Scène nationale de Bayonne (Pyrénées-Atlantiques)   

 

 

Exécuteur 14 d’Adel Hakim, conçu en collaboration avec Elsa Gallès et Julien Basler

Exécuteur 14  d’Adel Hakim, conçu en collaboration avec Elsa Gallès et Julien Basler0

La ville est en ruines et ce dernier survivant d’une guerre civile raconteson enfance paisible même s’il y avait déjà des tensions entre Adamites et Zélites. Maistrès vite a surgi une guerre civile entre clans rivaux sur fond d’extrémisme religieux avec bombardements, exécutions arbitraires…

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Une fois de plus, la guerre s’installe et il faudra faire avec! Sortir dans la rue malgré les snipers, continuer à vivre dans les ruines. L’homme devient l’un des guerriers fanatiques chez les Adamites et apprend à haïr pour exterminer les Zélites. Bourreau ou victime, il ne sait plus trop! Sans doute les deux, la guerre ne fait aucune distinction! Et il revoit l’arrivée des Exécuteurs qui exterminent sans état d’âme tout ce qui vit. Puis à la fin, il s’étend sur le sol et fait une dernière prière pour qu’il n’y ait plus, jamais plus, de bombes.

«Emmener le spectateur, détail après détail, événement après événement, écrivait Adel Hakim, reconstitution après reconstitution, dans un voyage, en compagnie de cet individu, un voyage vers un pays inconnu, complexe, protéiforme. Et tenter d’établir une carte de ce monde qui se trouve être celui de la terreur. Ce n’est pas un récit, ce n’est pas une histoire.C’est une expérience qui est proposée.» L’auteur et metteur en scène malheureusement disparu il y a déjà cinq ans, était né dun père égypto-libanais et d’une mère italienne.  De par ses origines comme à la suite de ses études en philo, il avait pu longuement réfléchir sur le sens de la guerre et pourquoi et comment elle arrivait. A l’écoute de son texte, on repense aussi à la belle réplique d’Ulysse à Hector dans La Guerre de Troie n’aura pas lieu de Jean Giraudoux : «Vous êtes jeune Hector ! A la veille de toute guerre, il est courant que deux chefs d’Etats en conflit se rencontrent dans quelque innocent village.( …) Ils ne trouvent dans le visage d’en face aucun trait qui justifie la haine (… ) Et ils ont vraiment combles de paix, de désirs de paix. (…) Et le lendemain pourtant éclate la guerre. »

Adel Hakim avait créé en 91 Exécuteur 14  avec le grand Jean-Quentin Châtelain qui y excellait et quarante ans après, ce texte garde sa puissance et son actualité… Surtout depuis un an déjà avec l’invasion brutale de l’Ukraine. Le texte n’a pas vieilli, mais comme notre amie Christine Friedel l’avait déjà remarqué quand Tatiana Vialle avait remonté la pièce au Théâtre du Rond-Point (voir Le Théâtre du Blog), l’intrusion de mots anglais comme entre autres: cool, trop souvent répétés, date un peu. Antoine Basler est un acteur expérimenté qui a joué entre autres avec Matthias Langhoff ou Benno Besson.
Ici, si nous avons bien compris, il n’y a pas de mise en scène revendiquée et cela se voit. Pourquoi ce lais rouge trop prégnant qui mange l’espace de l’acteur? Pourquoi cette alternance de phrases hurlées au micro et d’autres chuchotées face public mais à la diction plus qu’approximative. (Nous sommes peut-être tombés sur une mauvaise représentation, cela arrive et il n’y avait que seize spectateurs ce samedi soir et cela n’aide pas un acteur…) Mais 
Exécuteur 14 exige une diction sans failles. Pourquoi cette intrusion d’Antoine Basler dans la salle et ce jeu avec une spectatrice? Un procédé usé et qui, ici, ne fonctionne pas.
Il y a quand même un court mais très beau moment à la fin quand l’acteur est allongé au sol : on entend alors cette fois très bien dit le texte en voix off. Malheureusement, le reste du texte- sans aucun doute un des meilleurs solos du théâtre contemporain- qui a été joué dans de nombreux pays, ne bénéficie pas de la même attention. Dommage…

Philippe du Vignal

Théâtre des Déchargeurs, 3 rue des Déchargeurs, Paris ( Ier). T. : 01 42 36 00 50.

 

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