Et si tu danses,texte de Mariette Navarro, chorégraphie de Marion Lévy (à partir de quatre ans)

Et si tu dansestexte de Mariette Navarro, chorégraphie de Marion Lévy (à partir de quatre ans)

 C’est la première fois que la chorégraphe crée une pièce pour de très jeunes spectateurs et elle a imaginé avec l’autrice un spectacle interactif : une invitation à danser…Un promeneur entre lentement et se délestant de ses godillots et de son sac à dos, va ramasser des cailloux qui jonchent le plateau. Il est ramasseur de pierres, dit-il, et son histoire a commencé ici. Il s’appelle Poucet et explique comment ces cailloux l’ont aidé à traverser son enfance. Il s’adresse directement aux enfants : comme eux, quand il était petit, il lui est arrivé de se perdre dans un supermarché ou de se couronner les genoux en tombant de vélo… Autant de petits bobos ou chagrins qui ont laissé des cicatrices en souvenir et les très jeunes spectateurs sont invités à s’y reconnaître.

ET-SI-TU-DANSES_01b-1-1024x683

© Julie Mouton

Le danseur leur demande par exemple de se souvenir de leurs peurs, d’en parler, ou les incite à imiter sa gestuelle ou à lui montrer un mouvement qu’il intègrera à la chorégraphie …. «J’ai grandi encore./ Je suis devenu plus grand que mes parents,/ Le vent n’arrivait plus à me soulever/ Mais il avait encore envie de jouer avec moi. /Il m’a appris la Danse des sept lieues./Comment c’était ?/ Comment il fait déjà le vent ? / Tu peux m’aider ?»

Pour écrire ce solo, Mariette Navarro s’est inspirée des anecdotes d’enfance racontées par le danseur Stanislas Siwiorek. L’histoire du Petit Poucet court en filigrane mais ici, pas de parents « abandonneurs », ni d’ogre… Juste de minuscules dangers à affronter et Poucet ne ramasse des pierres que pour aider les autres à retrouver le chemin de leurs réminiscences. «C’était toujours la même histoire avec moi : toujours je me perdais, toujours je me retrouvais. Un coup de vent : perdu. Un deuxième coup de vent : retrouvé. »
Au fil du texte, un peu trop abondant par rapport aux moments dansés, Stanislas Siwiorek nous offre un solo léger  et il s’envole comme plume au vent, tout à son bonheur de bouger et partager son histoire et ses sensations…

Marion Lévy est, entre autres, directrice du Rebond, un lieu de création artistique à Pommerit-le-Vicomte (Côtes-d’Armor). Depuis quelques années, elle mène un travail régulier avec Mariette Navarro, pour réaliser des spectacles qui mêlent danse et texte. Et si tu danses créé au festival Odyssées en Yvelines, est une petite forme à jouer partout, sans lumière ni décor. La présence des enfants suffit à faire advenir la pièce: « Vous êtes une jolie forêt de visages, leur dit Stanislas Siwiorek. C’est plus joli avec vous, ici. Je suis content que tu sois là, petite forêt d’enfants. Tu es comme une forêt d’arbres, en mieux. » Et la petite forêt de bouger avec lui, mue par ce désir spontané de courir et danser propre à l’enfance et que bien des adultes semblent avoir oublier.

 Mireille Davidovici

Du 25 au 29 janvier, Théâtre de la Ville-Espace Cardin, 1 avenue Gabriel, Paris (VIII ème). T. 01 42 74 22 77.

Du 8 au 10 février, Festival Nijinskid, Saint-Herblain et en Loire-Atlantique ;  du 14 au 17 février, L’Orange bleue, Eaubonne (Val-d’Oise) ; du 20 février au 4 mars, Côté Cour, Besançon (Doubs) et dans la région.

Du 13 au 17 mars, L’Empreinte, Brive (Corrèze) ;  du 20 au 24 mars, La Passerelle, Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor) ; les 24 et 25 mars, Centre Houdremont, La Courneuve (Seine-Saint-Denis) ; du 29 au 31 mars, Théâtre de Saint-Maur-des-Fossés (Val-de-Marne). 

Du 3 au 5 avril, Le Totem, Avignon (Vaucluse); du 12 au 15 avril, Opéra de Paris (Paris XII ème)) ; du 17 au 20 avril, Théâtre-Sénart, Lieusaint (Seine-et-Marne) ; du 24 au 28 avril, Le Moulin du Roc, Niort (Deux-Sèvres).

Du 2 au 5 mai, Paimpol, Programmation du Théâtre du Champ au Roy, Guingamp (Côtes-d’Armor) ; du 9 au 12 mai, La Passerelle, Saint-Brieuc et du 16 au 17 mai, Théâtre du Champ au Roy, Guingamp (Côtes- d’Armor) ; du 23 au 27 mai ,Très tôt théâtre, Quimper (Finistère)


Archive pour janvier, 2023

(Rivage à l’abandon) Médée-Matériau, Paysage avec Argonautes d’Heiner Müller, mise en scène de Matthias Langhoff

Rivage à l’abandon, Médée-Matériau et Paysage avec Argonautes d’Heiner Müller, traduction de Jean Jourdheuil et Heinz Schwarzinger, mise en scène de Matthias Langhoff

FB3612A8-DD0F-489B-B0F2-FAEACC7255F7Mêlée, un mythe qui a toujours hanté les écrivains et sur lequel le dramaturge allemand (1929-1995) n’a cessé de travailler. Il y a juste quarante ans quand nous avions eu le bonheur de l’interviewer, il a avait enfin écrit Rivage à l’abandon, Médée matériau et Paysage avec Argonautes, un triptyque qu’il avait monté au Schauspielhaus de Bochum, avec Matthias Langhoff. Le grand metteur en scène qui avait créé Richard III  en 1995, l’a repris en 2021 (voir Le Théâtre du Blog), avec déjà Marcial Di Fonzo Bo, Frédérique Loliée, et Catherine Rankl pour la scénographie et les costumes. Avec eux, il a donc conçu ce spectacle  à la Comédie de Caen, maintenant joué au Théâtre de la Commune à Aubervilliers

Dans une première partie, le public, limité à quelque soixante-dix personnes, est invité à voir une installation comme dans un musée d’art contemporain mais avec gardiens -hommes ou femmes-  en jupe uniforme strict et gants blancs. Matthias Langhoff, assis à une petite table, vérifie le bon déroulement de l’opération. On peut entendre, diffusée par un ancien magnéto, une œuvre radiophonique (1984) de vingt minutes environ du poète et compositeur Heiner Goebbels, magistralement créée à partir de quelques courts extraits de Rivage à l’abandon/  Heiner Müller y parle d’une Allemagne en ruine, celle qu’il a connue juste après la guerre- il n’avait pas vingt ans…Et les images de villes en ruine sont toujours longtemps présentes dans la mémoire individuelle. Pour nous, Bezons (Val-d’Oise) et ses environs… Heiner Goebbels avait fait lire ces phrases à une cinquantaine de Berlinois dans les bars, trains de banlieue, rues, métros, etc. puis, il  les a associées aux bruits de la vie quotidienne. D’où un texte incompréhensible, qu’on soit allemand ou français… mais un matériau d’une force implacable.
Il y a sur des praticables roulants que vont déplacer les acteurs, de très grande photos: celles d’anciens bâtiments industriels en bord de mer: une image glaçante… Et il y a aussi celle d’une femme en robe blanche flottant au vent en dix exemplaires qui ressemble à la Médée que nous allons voir. Et une grande toile magistrale signée Catherine Rankl :un petit bateau enfoncé dans une gangue de béton, avec, à côté, une sculpture-sans doute d’homme politique- renversée et cassée. Soit un autre monde effacé depuis la chute du mur de Berlin mais encore fortement ancré dans la mémoire collective. Dans une vitrine,  un petit bateau en carton,  comme indiqué sur le cartel, celui des Argonautes et de Jason, le mari de Médée qui voulaient aller retrouver la Toison d’or. Dans une autre, un paquet des  cigarettes Josetti Casino populaires en Allemagne de l’Est….

©P. Gély

©P. Gély

Puis nous entrons dans la seconde partie de la salle, quelques rangées de sièges et les mêmes grandes images décrites plus haut. Mais aussi à jardin un portrait d’Heiner Müller jeune, allumant une cigarette à côté d’un panneau :interdiction de fumer, une grosse gazinière blanche avec une chaise, et devant nous, sur une quinzaine de mètres, comme dans son Richard III, une étroite voie ferrée sur un ballast de cailloux blancs avec à un bout, un petit arbre mort, planté dans une poussière grise. Une installation artistique parfaitement maîtrisée et en leitmotiv la musique de La Paloma, une célèbre chanson, interprétée notamment par Nana Mouskouri, écrite par le compositeur basque Sebastián Iradier vers 1863.
Projetées en photo ou vidéo, des femmes vêtues de la même robe blanche que Médée dans un univers désolé, des plages de Normandie avec touffes d’herbes sous le vent mais aussi un blockhaus graffité, un char… Et dans un atelier de décors,on voit une grande toile peinte en cours de création.Médée, superbement interprétée par Frédérique Loliée qui a appris de sa nourrice la trahison de Jason, rugit de colère. Désespérée: «La cendre de tes baisers sur les lèvres/ Entre les dents le sable de nos années/Sur la peau rien que ma sueur/Ton souffle la puanteur d’un autre lit/ Un homme donne la mort à sa femme en cadeau d’adieu/Ma mort n’a pas d’autre corps que le tien/ Si tu es mon mari je suis encore ta femme/Que ne puis-je de mes dents, de l’arracher ta putain.»
Bref, une Médée qui reste fière et prête à se venger par un meurtre sacrificiel, celui de ses enfants, symbolisés ici par deux boîtes d’aliment pour chiens dont elle pressera ente ses mains le contenu qui tombera sur les rails. Quelle image! Et elle savoure déjà sa future vengeance sur Jason… Sur la grosse cuisinière des années cinquante, chauffe en paix une cafetière et Jason est là. Médée enlève sa robe blanche, et presque nue, se laisse caresser. Dernier plaisir sensuel avant le crime qu’elle va commettre? A Jason, elle donnera cette robe, empoisonnée si elle est portée par une autre femme, pour qu’il l’offre à Créuse, sa nouvelle amoureuse.

Puis tout se passe comme si Médée,  dont Matthias Langhoff met en relief le corps, imposait une dernière fois sa sexualité avant une mort programmée et elle va ouvrir d’un coup de couteau,  un carton de lait qu’elle se répand sur la tête. Autre fantastique et très impressionnante image, d’une grande simplicité mais qu’on ne peut oublier! Le versement d’une libation purificatrice(quelques gouttes d’huile d’olive, vin ou lait est un très ancien rite de l’Antiquité et est encore pratiqué en Afrique). Matthias Langhoff sait nous offrir ce type d’images théâtrales et est l’un des seuls metteurs en scène actuels, avec Tadeusz Kantor bien sûr, à créer aussi une scénographie.
Ensuite, les gardiens (Claudio Cosemo et Laura Lemaître) absolument muets, vont faire tourner les praticables sur lesquels se trouvent les écrans et le panneau peint.
Retour en silence sur les images précédentes, comme pour dire que cette histoire est malgré tout bouclée? Dernier volet de cette courte mais très dense création: Marcial Di Fonzo Bo, assis dans le petit bateau au centre de la scène, dit magnifiquement, avec parfois une certaine ironie, Paysage avec Argonautes :  » Le sang séché /Fume sous le soleil/Le théâtre de ma mort / Avait déjà commencé quand j’étais entre les montagnes/Entouré de mes compagnons tués sur cette pierre. » (…) Puis il chantonnera lui aussi, La Paloma. En une heure et trois moments, aucune faille, aucun temps mort dans cette pièce fondée sur de fortes images picturales qu’accompagnent un univers sonore très élaboré, des photos et les textes-poèmes d’Heiner Müller. Un travail d’expert réalisé avec un soin extrême, sur le temps et l’espace, à mi-chemin entre la peinture, la vidéo, l’installation d’arts plastiques et le théâtre. Matthias Langhoff, depuis quarante ans que nous voyons ses formidables créations, est toujours là où on ne l’attend pas… Et ici, Polyphème, le Cyclope, règle en uniforme la circulation à un carrefour: le passage en bois  qui sert à faire traverser la voie ferrée aux spectateurs..

Attention, ce spectacle, supérieurement intelligent, n’a rien de «réjouissant» et n’est sans doute pas tout public (encore que? N’y emmenez tout de même pas votre vieux cousin ou votre vieille cousine!). Et quand Catherine Ranlk, filmée dans l’atelier prononce une phrase finale et prémonitoire : Paysage avec Argonautes présuppose les catastrophes auxquelles travaille l’humanité actuelle. La contribution du théâtre pour les prévenir ne peut être que leur représentation. », règne alors un silence absolu et le public est sous le choc…
Rigueur absolue de la mise en scène, interprétation impeccable, scénographie de tout premier ordre, maîtrise absolue du geste théâtral où rien n’est laissé au hasard, relation exemplaire -et c’est très rare- entre images et le texte: le spectacle peut sembler parfois sec à quelques moments mais c’est vraiment du grand Langhoff, passionnant à plus d’un titre et qui mériterait amplement d’être repris. Au cas où… Ne le ratez surtout pas.
Il faut espérer qu’il y aura au moins une captation de cette magistrale leçon de théâtre pour les élèves des écoles d’art et de spectacle, comme pour les jeunes critiques qui, probablement, n’ont jamais vu de spectacles du grand dramaturge et metteur en scène allemand… Marie-José Malis a bien fait de l’inviter et s’il reste par hasard une place, n’hésitez surtout pas.

Philippe du Vignal

Jusqu’au 2 février,Théâtre de la Commune-C.D.N., Aubervilliers (Seine Saint-Denis).

Du 22 au 26 février, Teatro Piemonte Europa, Turin (Italie).

Le texte est publié aux Editions de Minuit.

On n’est pas là pour disparaître d’Olivia Rosenthal, adaptation et mise en scène de Mathieu Touzé

On n’est pas là pour disparaître d’Olivia Rosenthal, adaptation et mise en scène de Mathieu Touzé

©x

© Christophe Raynaud de Lage

Après Une Absence de silence, adapté du roman Que font les Rennes après Noël ? et créé à la Ménagerie de verre en 2021, le metteur en scène nous présente un nouvelle pièce de l’écrivaine au Théâtre 14 qu’il dirige avec Edouard Chapot. Un solo d’une force rare, avec un comédien exceptionnel.

Monsieur T., atteint d’Alzheimer, a, en 2004, poignardé sa femme de cinq coups de couteau. A partir ce fait-divers, Olivia Rosenthal ne nous livre pas un documentaire mais une plongée vertigineuse dans la conscience trouée de cet homme et le désarroi de son entourage: femme, filles, soignants…

L’adaptation respecte la structure feuilletée du roman: on navigue d’un personnage à l’autre grâce à la voix off de Marina Hands, en appui au récit de Yuming Hey aux prises avec l’esprit errant du malade mais jouant aussi tous les discours qui commentent son état, y compris celui de l’autrice. Au centre du plateau  pendant une heure quinze, il incarne le malade et son entourage avec d’infimes variations tonales, comme noyé dans un réseau polyphonique, diffusé autour de sa propre voix. Il est ce Monsieur T : ce «Je en perdition, parmi les dires des autres hantant son esprit malade, dans une dépossession de soi-même. « Ce matin-là, il a su qu’il allait/ soit la tuer soit vendre la maison,/ la tuer ou vendre la maison/ je vais la tuer ou vendre la maison/ il a su qu’il n’en pouvait plus de cette situation/ même s’il ne savait pas bien de quelle situation exactement il s’agissait … »

Yuming Hey, dans une lumière très blanche quasi clinique, est comme enrobé dans les vidéos abstraites de Justine Emard : silhouettes évanescentes et grouillements neuronaux qui s’effacent puis renaissent. Nous avions vu cet artiste associé au Théâtre 14, dans Actrice de Pascal Rambert, ou dans le Mowgli du Jungle Book de Robert Wilson, un rôle qui lui valut le prix Jean-Jacques Lerrant 2020 du Syndicat de la critique. Sa présence et sa voix ambigüe lui permettent d’incarner avec naturel tous les personnages, sans composer. De son passage à l’école internationale de cirque Annie Fratellini, il a gardé, malgré son immobilité sur scène, une forte intensité corporelle. Il a une présence insolite et nous emmène dans l’univers flou de cet être en dérive, malgré une entrée en matière redondante avec écrit sur l’écran, le cas de Monsieur T.

«On n’est pas là pour disparaître, écrit Olivia Rosenthal, a pour but de m’accoutumer à l’idée que je pourrais être, un jour ou l’autre, atteinte par cette maladie ou que, plus terrible encore, la personne avec qui je vis, pourrait aussi en être atteinte.» Une réflexion à laquelle nous invite cette mise en scène précise et sensible.

Mireille Davidovici

Jusqu’au 18 février, Théâtre 14, 20 avenue Marc Sangnier, Paris (XIV ème). T. : 01 45 45 49 77.

Les 16 et 17 mars, Théâtre de Sartrouville (Yvelines).

On n’est pas là pour disparaître est publié chez Gallimard.

 

Bérénice de Racine, mise en scène de Muriel Mayette-Holtz


Bérénice de Racine, mise en scène de Muriel Mayette-Holtz


Sans doute la pièce de Racine la plus belle et la plus souvent jouée depuis qu’elle a été redécouverte à la fin du XIX ème siècle. L’histoire, simple, est celle d’un triangle amoureux. En cinq actes et en alexandrins , elle  a été créée en 1670.«Titus qui aimait passionnément Bérénice, dit Racine, et qui même, à ce qu’on croyait, lui avait promis de l’épouser, la renvoya de Rome, malgré lui et malgré elle, dès les premiers jours de son empire. »

Bérénice, la reine de Judée et le futur empereur romain vivent ensemble mais; à la mort de son père, Vespasien, les cartes vont être rebattues. Ill sait que «Rome, par une loi qui ne se peut changer, N’admet avec son sang aucun sang étranger ». Et il lui faudra choisir entre le mariage et le  pouvoir…
Antiochus, l’ami de Titus, secrètement amoureux de Bérénice depuis longtemps, lui avoue son amour. Titus lui demande alors d’accompagner Bérénice mais elle refusera de suivre Antiochus. Titus expliquera les raisons de son choix politique mais dit qu’il veut aussi mourir. Et après un chassé-croisé permanent, très habile de Racine, il se retrouvent tous les trois ensemble: Antiochus dit aussi à Titus, son amour pour Bérénice et qu’il souhaite aussi mourir.  Racine confie à la pauvre Reine de Judée, le jugement final: tous les trois vivront séparés, dans le souvenir de cet amour malheureux qu’ils ne pourront jamais oublier. Et chacun ira seul vers son destin. C’est la seule tragédie du grand dramaturge qui finit sans mort violente même si cette fin est violente en elle-même…

 

© Sophie Boulet

© Sophie Boulet

Cela commence mal: un jeune ouvreur rappelle l’action ( sic !) mais précise que Racine le dira mieux que lui (resic !) et demande d’éteindre les portables. Dans une chambre sous-éclairée, un lit et deux appliques assez laides comme dans un hôtel de troisième ordre-la moquette est fripée un peu partout et sur une ligne oblique, de larges baies vitrées dont on ouvrira et refermera plusieurs fois les voilages, une porte à jardin et l’autre à cour. Style Nighthawks, le célèbre tableau aux lignes géométriques (1942) avec aplats d’ocre brun d’Edward Hopper . Une œuvre qui a inspiré nombre de cinéastes dont Wim Wenders. Nous avons connu Rudy Sabounghy mieux inspiré… et nous sommes ici dans une chambre clairement définie comme chambre et non pas dans un lieu de passage comme celui entre l’appartement de Titus et celui de Bérénice, indiqué par Racine lui-même. Ce qui fausse les choses.

Carole Bouquet en jupe vert foncé et escarpins ne semble pas être très à l’aise et on ne voit guère le couple qu’elle forme avec Titus (Frédéric de Goldfiem en chemise blanche et costume noir. Jacky Ido (Antiochus), Augustin Bouchacourt (Paulin, confident de Titus) et Eve Pereur, (Phénice, la confidente de Bérénice),  eux aussi entièrement en noir… Les Dieux savent pourquoi
Tous assez raides et statiques. Et il faut se pincer pour croire Titus amoureux de Bérénice et réciproquement. Pas un sourire, pas l’ombre d’une réelle affection sauf à de rares instants. Et comment croire au désespoir d’Antiochus quand son interprète s’écroule à terre !
Les reprises ne sont jamais faciles mais ici,
la direction d’acteurs laisse plus qu’à désirer : au milieu de la salle, on entend mal les acteurs qui ne respectent guère les alexandrins, sauf Jacky Ido. Et Muriel Mayette-Holtz croit bon d’ajouter une musique enregistrée pléonastique et comme on dit «d’ambiance» signée Cyril Giroux Et parfois même en fin d’acte, elle est plus forte comme pour accentuer l’expression des sentiments. Comme si la musique des vers raciniens ne se suffisait pas à elle-même !Et au cas où nous n’aurions pas bien assimilé, la metteuse en scène nous en ressert quelques uns cette fois enregistré mais pas mieux dits ! Tous aux abris…. Le plus ennuyeux dans cette affaire :nous n’avons guère ressenti d’émotion à entendre ce texte, pourtant une des plus belles pièces d’amour du théâtre français. Cela fait quand même beaucoup d’erreurs.

Bon, on va -encore nous dire que c’était la première et une reprise, que la salle était loin d’être pleine, ce qui n’aidait pas les acteurs mais, comme le dit très justement notre amie Christine Friedel, au théâtre il n’y a pas d’excuses, comme aussi dans toute création qu’elle soit artistique, ou non. Et la scène où Bérénice préfère quitter le palais royal romain, ressemble à une B.D caricaturale : deux valises sans aucun doute vides car très légères quand Paulin les emporte, sont prêtes à côté du lit où Muriel Mayette-Holz a imaginé que Bérénice et Titus ont fait l’amour pour la dernière fois : elle, allongée en nuisette et soutien-gorge noirs et lui, aussi dans le lit mais  resté en costume de ville! On n’allait quand même pas inviter le public à voir l’empereur de Rome en slip! Tiens, du grain à moudre pour Mitou! Et ensuite, bien entendu comme chacun sait, le public niçois ou parisien, n’est jamais très malin et ne comprend vite que si on lui a montré longtemps les choses ! On a donc ensuite enlevé les draps et le dessus de lit! Quelle vulgarité…. Et voilà comment on ravale le grand Racine au rang d’un médiocre boulevard.

Que sauver de ce désastre? Ce n’est vraiment pas un bon spectacle et même la formidable scène où Bérénice s’effondre, n’est pas bien traitée : «Je n’écoute plus rien, et pour jamais adieu. Pour jamais ! Ah Seigneur, songez-vous en vous-même Combien ce mot cruel est affreux quand on aime ? Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous, Seigneur, que tant de mers me séparent de vous?/ Que le jour recommence et que le jour finisse,/Sans que jamais Titus puisse voir Bérénice,/ Sans que de tout le jour, je puisse voir Titus ? »  Inutile donc d’aller voir cette mise en scène vraiment trop approximative et Muriel Mayette était plus à l’aise dans les trois pièces de Carlo Goldoni (voir Le Théâtre du Blog) qu’elle avait présentées dans cette même salle. Dommage…

Philippe du Vignal

Jusqu’au 19 février, La Scala, 13 boulevard de Strasbourg, Paris (X ème). T. : 01 40 03 44 30. boulevard de Strasbourg
75010 Paris 
Téléphone : +33 (0)1 40 03 44 30

Tendresse Molotov (Tu ternura Molotov) de Gustavo Ott, traduction de Stamatis Polénakis, mise en scène de Georgia Iliopoulou

Tendresse Molotov (Tu ternura Molotov) de Gustavo Ott, traduction de Stamatis Polénakis, mise en scène de Georgia Iliopoulou

Cet auteur vénézuélien de soixante ans qui a écrit quelque trente-trois pièces éditées, jouées et traduites en plusieurs langues, est aussi metteur en scène et directeur du Théâtre San Martin de Caracas. Il dénonce sans cesse la corruption et la délinquances omniprésentes dans son pays. Conçue juste après les attentats du 11 septembre aux Etats-Unis, cette pièce est marquée par le traumatisme mais aussi par les idées toutes faites qu’ils ont engendrées. 

©x

©x

Daniel, un avocat d’une quarantaine d’années, veut avoir un enfant avec sa femme Victoria, présentatrice de nouvelles à la télévision. Suivant sa température, ils font donc l’amour à des moments prédéterminés. Pourtant, ni lui, ni l’impulsive Victoria ne semblent gênés par cette relation qui semble harmonieuse jusqu’au moment où un paquet arrive à la maison. Tout ce qu’elle a «perdu» il y a douze ans, en fuyant une relation un peu forcée, est retrouvé par un honorable employé et arrive à la maison. Au programme : révélation de secrets et aventures suspectes réprimées qui pourraient avoir des conséquences explosives. 

C’est une étude sur les relations et les secrets qui les minent, sur la nature humaine et les bouleversements, les rêves niés et les contradictions de chacun, la privation et le rejet. Des retours en arrière montrent les actions et le psychisme de ce couple. Tendresse Molotov débute comme une pièce de boulevard, agréable et légère puis se transforme en critique sociale et en drame. Ce couple formaté par les médias, bourré de préjugés, peureux et xénophobe, est obsédé par l’idée que tous les Arabes sont des terroristes. Bref, aussi ridicule qu’effrayant. Georgia Iliopoulou a réussi à créer une sorte de thriller comique avec conflits explosifs et quelques monologues. Les personnages sont ici des symboles de la société. Nicolas Tsichlas (Daniel) et Zachari Achileopoulou (Victoria) créent une sorte de chimie relationnelle mais avec humour et à un rythme enlevé. Un bon spectacle joué dans ce petit théâtre de Patras où ont lieu beaucoup de choses intéressantes…

 Nektarios-Georgios Konstantinidis

Théâtre Act, 65 rue Yerokostopoulou, Patras, T. : 0030 2610272037.

Photomaton a été publiée aux Solitaires intempestifs (2003).

Portrait, chorégraphie de Mehdi Kerkouche

Portrait, chorégraphie de Mehdi Kerkouche

© J. Benhamou

© J. Benhamou

Chaque soir, pour la compagnie EMKA et son chorégraphe, les applaudissements d’un public debout. Ce spectacle plein d’humour, a été créé au dernier festival Suresnes-Cités Danse. Dans le paysage culturel hexagonal, on veut souvent donner un sens profond, et parfois ennuyeux, aux chorégraphies… Mais cette pièce d’une heure nous emporte dans une bulle de légèreté et de joie. Ici, une famille imaginaire de neuf personnages en costumes gris, toutes générations confondues, avec la célèbre danseuse Amy Swanson qui perpétue les techniques d’Isadora Duncan, est regroupée dans un rectangle pour une photo de groupe originale. Lucie Antunès signe la musique de tableaux style hip-hop, contemporain, house, jazz…

Mehdi Kerkouche, ce touche à-tout de trente-six ans : cinéma, télévision, comédie musicale, publicité… a en 2020, a lancé, avec ses vidéos “confinées», devenues virales, le festival numérique On danse chez vous pour venir en aide aux personnels soignants pendant la crise sanitaire. Une action renouvelée en 21 et 22 a permis aux lieux culturels qui avaient été fermés de survivre et il a récolté vingt-cinq mille euros, via la diffusion numérique auprès de la Fondation de France pour aider les étudiants en situation de précarité. Aujourd’hui, eux et les personnels soignants ont déjà été oubliés et la vie a repris son cours normal dans une économie libérale… aux perspectives plutôt sombres.

A la fin de ce Portrait (de famille), Mehdi Kerkouche vient saluer avec ses interprètes sur une musique des années quatre-vingt et nous offre une dernière danse joyeuse. Ce chorégraphe plein d’enthousiasme et d’énergie créatrice a pris la suite de Mourad Merzouki à la tête du Centre Chorégraphique National de Créteil et présente ici sa troisième pièce. Reste à savoir si Mehdi Kerkouche aura les moyens de ses ambitions dans un contexte économique fragile. Il vient aussi de réaliser des chorégraphies de pour Neneh Superstar, un film de Ramzi Ben Sliman où il montre les difficultés qu’a une petite fille noire qui veut entrer à l’Ecole de ballet de l’Opéra…

Jean Couturier

Le spectacle a été présenté du 18 au 21 janvier à Chaillot-Théâtre National de la Danse, 1 place du Trocadéro, Paris (XVI ème). T: 01 53 65 30 00.

Le Voyage dans la lune, féerie en quatre actes de Jacques Offenbach, direction d’orchestre d’Alexandra Cravero, mise en scène de Laurent Pelly

Le Voyage dans la lune, opéra-féerie en quatre actes de Jacques Offenbach, direction d’orchestre d’Alexandra Cravero, mise en scène de Laurent Pelly

Créé au Théâtre de la Gaîté-Lyrique en 1875, cette œuvre inspiré des romans de Jules Verne,  De la Terre à la Lune et Au Centre de la Terre est une belle découverte. «Olivier Mantei et Sarah Koné ont voulu créer une vraie production lyrique pour les jeunes interprètes de la Maîtrise populaire de l’Opéra-Comique, dit Laurent Pelly. Jacques Offenbach s’est rapidement imposé mais le choix était plus compliqué, les thèmes de ses œuvres n’étant souvent pas destinés à de jeunes interprètes… Le Voyage dans la Lune, cette féérie poétique, nous a semblé adaptée. »

Le roman paru en 1865 est d’une réelle prémonition poétique : «Toute l’étendue de la sphère céleste, fourmillant d’étoiles et constellations d’une pureté merveilleuse, à rendre fou un astronome. D’un côté, le Soleil, comme la gueule d’un four embrasé, disque éblouissant sans auréole, se détachant sur le fond noir du ciel. De l’autre, la Lune lui rejetant ses feux par réflexion, et comme immobile au milieu du monde stellaire. Puis, une tache assez forte, qui semblait trouer le firmament et que bordait encore un demi-liséré argenté : c’était la Terre. Çà et là, des nébuleuses massées comme de gros flocons d’une neige sidérale, et du zénith au nadir, un immense anneau formé d’une impalpable poussière d’astres, cette voie lactée, au milieu de laquelle le Soleil ne compte que pour une étoile de quatrième grandeur ».
Les jeunes artistes ont une présence impressionnante. Ils sont au premier acte, le peuple de la Terre sous le règne du Roi Vlan, puis les Sélénites, habitants de la Lune, costumés par Laurent Pelly qui semble avoir été inspiré par André Courrèges qui lança en 64 une collection  printemps-été : The Moon Girl

© S. Brion

© S. Brion

Les Sélénites ne connaissent pas l’amour : il va leur être apporté grâce à des pommes d’amour par un curieux trio venu de la Terre. Au premier acte, le roi Vlan (excellent Franck Leguérinel), décide d’assouvir le caprice du prince Caprice (Arthur Roussel): «Sur terre, tout m’importune, papa, je veux la Lune.» Cette terre, belle métaphore de notre époque, est remplie de déchets plastiques, (scénographie très réaliste de Barbara de Limburg.) Caprice est accompagné par son frère de lait, Microscope (Mateo Vincent-Denoble très juste en astronome). Comme dans le roman, propulsés par un canon, ils vont s’envoler pour la Lune. Au deuxième acte, Cosmos, le roi de la Lune, entouré par la reine Popotte et la princesse Fantasia, accueille les intrus.

Ici, les femmes sont employées comme ménagères ou sont des objets d’art! Mais l’amour de  Popotte et Microscope comme celui de Fantasia et Caprice, bouleverse l’ordre établi. Et au troisième acte, Cosmos vend sa fille au marché aux femmes… L’ordre de la Nature aussi est contrarié et au quatrième acte, une période de glaciation s’abat sur la lune. Les Sélénites et les trois Terriens se réfugient au creux d’un volcan et observent ensemble un magnifique lever de Terre. La musique d’Offenbach, légère et joyeuse, est interprétée par l’orchestre des Frivolités Parisiennes. Les solistes et le chœur de la Maîtrise populaire de l’Opéra-Comique ont des voix d’une belle musicalité et la jeune Ludmilla Bouakkaz est la révélation vocale de cette féerie d’un autre siècle. Mise en scène efficace de Laurent Pelly, assisté par Agathe Mélinand.

Jean Couturier

Jusqu’au 3 février, Opéra-Comique, 1 place Boieldieu, Paris (II ème). T. : 01 70 23 01 31

King Lear Syndrome ou les Mal élevés, écriture et mise en scène d’Elsa Granat, d‘après Le Roi Lear de William Shakespeare

King Lear Syndrome ou les Mal élevés, écriture et mise en scène d’Elsa Granat, d‘après Le Roi Lear de William Shakespeare

C’est l’histoire d’un vieux père qui a eu une attaque cardiaque (aujourd’hui, on dit A.V.C.) le jour du mariage de sa plus jeune fille, Cordelia. En prologue, il avait imaginé son propre enterrement : il va mourir, il meurt, mais non, on ne meurt pas, surtout au théâtre. Ses filles vont-elles s’occuper de lui et le recevoir chez elles ? Ni Cordelia, préférée et maudite, ni Regane, ni Goneril : pas la place, pas le temps, pas possible et les E.H.PA.D. (Etablissements Hôteliers pour Personnes Agées Dépendantes) sont faits pour ça: abriter la fin de vie des pères qui perdent la tête. Ce sera une autre vie, une nouvelle cour pour ce roi détrôné qui n’a jamais régné…

Elsa Granat s’écarte résolument de Shakespeare pour mieux retrouver son esprit, sa brutalité, sa poésie et son humour. Et elle met surtout le doigt au centre du tragique : la famille, bien sûr, nid de haines et d’amour, vitrine des incompréhensions qu’on finit par appeler : destin . La metteuse en scène, dans son adaptation, balaie adaptation balaie les gendres du Roi et elle fait de Gloucester, une femme (Bernadette Le Saché, parfaite) qui prend son fils unique tantôt pour Edmond, le bâtard glorieux, tantôt pour l’honnête et sensible Edgar. Cet autre désastre de la paternité reste à l’arrière-plan. Mais les filles ! Elsa Granat les sauve, en les ramenant au plus près de la vie des «vrais gens». Les aînées sont normalement soucieuses des questions d’héritage mais la plus jeune, rejetée par son père dans un moment de délire, veut reprendre sa place de petit clown chéri…

©Simon Gosselin

©Simon Gosselin

Et Lear? Il s’adapte au rythme des séances télé, goûters et activités d’éveil, infantiles, proposées avec grand sérieux par cet E.H.PA.D. Un spectacle mis en scène avec un regard à la fois satirique, très drôle et respectueux. L’aide-soignante est particulièrement touchante, tiraillée entre les hallucinantes prescriptions de son métier  formulées à haute voix :« Je dois faire ceci, je fais cela, madame X, je passe derrière vous, je vais vous toucher… » -et la conscience qu’elle a de l’absurdité du système. Une solution: elle chante. On verra aussi un médecin (lointaine incarnation de Kent, le fidèle des fidèles à son Roi ?) incapable de prononcer le mot : dégénérescence. C’est un champion de l’incertitude, très angoissant pour les familles qui, elles, voudraient des réponses sûres. Mais que répondre à l’inéluctable de la vieillesse?

La mis en scène n’esquive rien. Texte, jeu, scénographie de Suzanne Barbaud soignée et efficace dont chaque élément est bien pensé et parfaitement réalisé. Les interprètes, Laurent Huon (Lear) en tête, assument leur rôle avec une totale générosité, jusqu’au bout des coups de gueule, peignées entre filles, chansons de variétés qui remuent les émotions, et du silence. Elsa Granat a invité un groupe d’amateurs à rejoindre le spectacle et les a conduits, hommes et femmes -surtout des femmes car plus nombreuses en maison de retraite- à pratiquer le théâtre. Elles et ils jouent avec sobriété et justesse en s’appuyant sur un trait de comportement qui leur appartient et leur permet de dessiner un personnage. Cela fait partie de la réussite de ce King Lear Syndrome

Qui en sont les «mal élevés» ? Presque tout le monde, à l’exception d’une pensionnaire, vieille dame modèle. Personne n’écoute personne? Si, un peu. Ce n’est pas inéluctable et chacun a sa part de respiration et de générosité. Cela donne sa profondeur au spectacle, avec une vision juste et drôle, sans indulgence et sans résignation de la famille, de la vieillesse, de l’institution, d’une médecine qui ne peut pas tout, des mots d’amour arrivant à contretemps.

Le spectacle est long (trois heures et demi) mais n’avons pas vu le temps passer et on s’y sent bien, tant il est riche et vrai. Mais vers la fin, quand s’installent sur le plateau de très belles images qui ramènent ce Lear vers les temps shakespeariens, nous avons faibli… En même temps, on comprend que le théâtre prend alors une autre fonction, consolatrice : non, le Temps n’existe pas, Shakespeare est de son siècle et du nôtre et plutôt que, de mort, on devrait parler de mémoire. Respect. Un spectacle à voir, évidemment.

Christine Friedel

Jusqu’au 29 janvier, Théâtre Gérard Philipe-Centre Dramatique National de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). T. :01 48 13 70 00.

Le 2 février au Théâtre-Scène Nationale de Mâcon (Saône-et-Loire), les 7 et 8 février, au Centre Dramatique National de Normandie-Rouen (Seine-Maritime).

 

 

 

Un Homme, d’après la nouvelle de Charles Bukowski,traduction et mis en scène de Gaël Leveugle

Franck Roncière

Franck Roncière

Un Homme, d’après la nouvelle de Charles Bukowski, traduction et mis en scène de Gaël Leveugle

 Dans la pénombre, apparaît la danse surprenante et désarticulée aux mouvements saccadés d’un homme en costume gris foncé et chapeau. De ce prologue, très physique, va jaillir l’histoire fragmentée et d’une théâtralité hors normes d’ « un homme », à l’image d’une boule de cristal à facettes. Fragile et aveuglante, obsessionnelle et tenace, comme le désir et ses addictions, ses mirages. La pièce est inspirée d’une nouvelle de l’auteur américain tirée de son recueil  Au Sud de nulle part (1973) : Constance, une bouteille de whisky à la main arrive dans la caravane de George. Elle vient de quitter son mari, Walter. La liberté de vivre une relation amoureuse avec George devient réalité. «Mais ce n’est pas parce qu’on veut, qu’on peut .» Dans sa mise en scène, se succèdent des tableaux scéniques  au rythme d’une déclinaison d’un même motif : La rupture.

Attente ou désir d’un paradis, perdu d’avance, «La main se tend vers un dieu mutique, disait Charles Bukowski, dans le film Bukowski, Born into This (2005), la main se tend vers la bouteille, la pilule, la poudre, nous sommes nés prisonniers de cette atroce fatalité. »Le spectacle reprend inlassablement, les mêmes phrases en voix off et se construit sous l’inspiration de diverses  poèmes ou nouvelles de l’écrivain poète. Gestes et déplacements identiques avec juste quelques ajouts plein d’esprit dans le jeu et les fragments de textes, variations scènographiques, ouvrent sur un univers  onirique du déséquilibre, d’une superbe force dramatique. Une performance parmi d’autres : la chute un à un des personnages sur un matelas, depuis un escabeau, et répétée en boucle fascine le public. Gestes et mime, danse, bruitage et musique de Pascal Battus sont plein d’harmonie et d’invention, en accord vibrant avec le contexte dramatique. La création sonore à partir d’objet hétéroclites, morceaux de polystyrène, métaux, bois… devient musique théâtrale et poétique, elle nous plonge dans une ambiance entre rêve, fantasme et violence.

Comme à partir d’un espace mental au bord d’un précipice : «Une chute à travers le ciel, un peloton d’exécution c’est le meilleur (…) Mes mains mortes, mon cœur mort, le silence, l’adagio de la pierre, le monde en feu, c’est le meilleur.  »écrivait déjà Charles Bukowski dans  Le Pire et le meilleur pour atteindre un espace identifiable : un modeste salon dans une caravane: «Dans les taudis de banlieue, c’est le pire.» Dès le début, et pendant une grande partie du spectacle, juste les corps, du son, de la musique et des lumières mais aucune parole en direct. Ce choix esthétique donne toute sa puissance  à cette subtile mise en scène. Il permet au rythme et à une intensité dramatique de prendre leur place  en ne cessant de s’amplifier. Et seul, au dernier tableau, Gaël Leveugle réintroduit un dialogue entre les personnages… La grise réalité retombe, sans surprise. La pièce traduite, écrite, scénographiée et mise en scène par cet artiste n’est pas une adaptation d’ « Un homme » mais plus exactement  un prolongement et/ou une excavation du texte original proche d’une transfiguration. Le travail scénique et la dramaturgie rendent le texte tout aussi actif que les acteurs, la lumière, la musique, à l’image de la batterie lorsque dans un même instant tous les instruments sont et se mettent en jeu… La théâtralité  reflète à merveille, l’originalité et l’artisanat, la recherche du travail artistique de Gaël Leveugle. Cette nouvelle n’est qu’un pré-texte, dit-il, à partir duquel: « Je commence, dit-il, à écrire le texte, assemblage d’éléments divers, compositions analogiques, figures variées… qu’on appelle une mise en scène. »

Avec cet objet singulier, poétique et chorégraphique, il réussit avec une intelligence rare à donner vie et présence au phénomène temporel qu’est un instant. Ou plus exactement, à l’Instant-même : «Par un artifice minimaliste, dit-il, nous suspendons le temps, pour nous consacrer à la narration de ce seul point, ce moment où l’on se lance vers l’autre, celui où l’on risque l’épiphanie de son désir. » Celui que vivent, avec à la fois angoisse et avidité, Constance, Georges et Walter. En ce sens, le procédé de répétition acquiert toute sa force artistique. Mais l’imagination de Gaêl Leveugle, d’une profonde finesse,  nous donne aussi la possibilité d’aller plus loin que le texte dont lui, metteur en scène et comédien (il joue dans toutes ses réalisations), s’est emparé. Il y a dans cette création, l’invention d’une langue théâtrale. De là il interroge la représentation comme la réception par un public ému par cette prise de risques et crée des scènes évocatrices et inoubliables. Charles Bukowski puis Gaël Leveugle savent exploiter le fameux triangle cher au boulevard : la femme, le mari et l’amant : dans la nouvelle,  comme dans cette pièce, il y a une brèche invisible, d’une violence bouleversante mais non triviale qui nous concerne tous: l’impossibilité de nos désirs de rompre avec la réalité.  

Seul l’art peut prétendre à « la liquidation de la réalité » pour mieux l’apprivoiser  et nous rendre la faculté du désir et du rêve. Sans cela, comment regarder et entendre, rester debout face au tragique du chaos ? Un Homme nous fait aimer l’art de la scène dans ce qu’il a de plus exigeant : l’accession à une vision  du monde et de notre temps, à la beauté de l’art et la poésie. Les acteurs et musiciens Charlotte Cormanan, Julien Defaye, Pascal Battus, et Gaël Leveugle laissent éclater  avec esprit et invention, le pouvoir du Théâtre.  

 Elisabeth Naud 

Spectacle créé du 9 au 13 janvier, au Théâtre de l’Échangeur, 59 avenue du Général de Gaulle, Bagnolet (Seine-Saint-Denis. T. : 01 43 62 71 20.

La (nouvelle) Ronde, d’après La Ronde d’Arthur Schnitzler, écriture de Yann Verburgh , conception et mise en scène de Johanny Bert

La (nouvelle) Ronde, d’après La Ronde d’Arthur Schnitzler, écriture de Yann Verburgh , conception et mise en scène de Johanny Bert

La pièce qui fit scandale à sa création en 1920, est devenue un classique, mais étrille toujours, quelles que soient les joliesses de la mise en scène. La brutalité du désir, de son urgence à son épuisement, de l’appétit à la satiété, du Soldat à la Petite Bonne, de la Petite Bonne au Jeune Monsieur… Ici, se heurtent classes sociales, âges et fragilités. La chair est avide et triste, au bout du compte. Johanny Bert et Yann Verburg, inspirés par la dramaturgie circulaire et le mouvement perpétuel de La Ronde en donnent une version non édulcorée, mais moins amère, avec un regard vif sur les questions de sexualité dans notre société. Le spectacle s’ouvre sur l’allégorie de la caverne dans La République de Platon, mais retournée. Et paradoxe: ici, ce sont les ombres projetées, les marionnettes, les artifices, qui mènent à la connaissance du vrai. Sinon, à quoi bon, le théâtre ?

© Ch. Raynaud de Lage

© Ch. Raynaud de Lage

Cette (nouvelle) Ronde commence avec une jeune fille actuelle, délurée, indépendante et grande gueule, honteuse de n’être pas encore débarrassée d’une encombrante virginité et requérant à cet usage le premier venu. Alors, cela commence à tourner : entre la fille et un garçon, entre ce garçon stagiaire et son patron, entre, lui et son épouse qui va rencontrer un partenaire dans une boîte échangiste… LGBTQIA+ (Lesbiennes, gays, bisexuels, transsexuels, en questionnement, intersexuels, asexuels et autres), toutes les options existantes dans le monde réel sont là. Mais il ne s’agit pas d’une exposition universelle des différentes identités sexuelles revendiquées en sous-groupes. Mais au contraire, de la circulation de désirs changeants, surprises, plaisirs et amours.

Johanny Bert et Yann Verburgh ont enquêté, et au fil des rencontres, recueilli les témoignages de ceux qui ont bien voulu se confier. Mais ici l’emploi de la marionnette. change tout et autorise la plus grande liberté, sans voyeurisme…Elles sont capables de tous les excès visuels et de toutes les métaphores en action, « s’envoyer en l’air », grimper « au septième ciel », se disloquer de plaisir, perdre la tête, déployer un sexe masculin interminable et joyeux, et autres outrances pleines de vérité et terriblement humaines. Et quand apparaît un acteur prêtant son corps à un « humanoïde » à l’expression aussi limitée que celle de Siri (l’interlocuteur artificiel de certains téléphones), il passe très bien pour un robot. Belle inversion, avec son pesant d’humour. Cette vie intense que transmettent les poupées, on la doit au soin avec lesquelles elles sont fabriquées et habillées par Pétronille Salomé, virtuose, puis déshabillées, articulées, manipulées par les acteurs qui leur donnent voix et mouvement dans l’ombre. Ils viennent saluer à la fin et c’est juste. Durant tout le spectacle, on les devine tout en noir qui accompagnent, entourent, prennent dans leurs bras les marionnettes pour les mettre en avant et les faire jouer. Avec des gestes précis qui donnent au spectacle une bonne partie de sa tendresse : ici justement le propos de La Ronde.

Ce n’est pas gagné tout de suite : le prologue prend son temps,et dans la première scène on parle trop, alors que le jeu des marionnettes dit tout. Et l’écriture reste explicative et pesante. Puis cette La (nouvelle) Ronde prend son rythme et les scènes, leur intensité. Une belle invention plastique donne de plus en plus de charme au spectacle, avec, par exemple, au pays des fantasmes et des rêves (la boîte de nuit) une sorte de grand jouet, peluche consolatrice-doudou pour adultes-à supposer qu’on devienne adulte un jour. L’objet prend selon les angles de vision, l’allure de l’appareil génital masculin ou le schéma plus récemment décrit, et moins visible du clitoris, le tout avec grâce. Où l’on voit le fantasme rencontrer la fantaisie, et les marionnettes, s’émerveiller. Cela donne un spectacle culotté (et bien évidemment déculotté…) poétique, souvent drôle, parfois émouvant, libre surtout, et parlant à tous, même s’il n’est pas fait pour les enfants. Encore que… «Sérieux comme le plaisir», aurait dit Robert Benayoun, le réalisateur de ce film éponyme (1975).

Christine Friedel

Jusqu’au 28 janvier, Théâtre de la Ville-Théâtre des Abbesses, 21 rue des Abbesses, (Paris XVIII ème). T.: 01 42 74 22 77.

Théâtre 71, Malakoff (Hauts-de-Seine) dans le cadre du Festival Marto (Festival de Marionnettes et Théâtre d’Objets) les 15, 16 et 17 mars.

12345

DAROU L ISLAM |
ENSEMBLE ET DROIT |
Faut-il considérer internet... |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Le blogue a Voliere
| Cévennes : Chantiers 2013
| Centenaire de l'Ecole Privé...