Pourpre, spectacle musical d’après l’œuvre de Souad Labbize, conception, mise en scène et voix d’Isabelle Fruleux, composition originale, voix et oud de Kamilya Jubran
Pourpre, spectacle musical d’après l’œuvre de Souad Labbize, conception, mise en scène et voix d’Isabelle Fruleux, composition originale, voix et oud de Kamilya Jubran
Femmes, à pleine voix : le Théâtre des Quartiers d’Ivry-Centre Dramatique National et le Théâtre Antoine Vitez dans cette même ville s’associent pour soutenir les créations d’autrices et metteuses-en-scène qui embrassent la cause féministe. Après Pourpre, on pourra aussi découvrir Delphine et Carole, puis Féminines au T.Q.I. et enfin Niquer la Fatalité au Théâtre Antoine Vitez. Souad Labbize, née à Alger il y a cinquante-sept ans où elle a vécu, avant d’habiter en Allemagne puis à Tunis et maintenant à Toulouse, est une poétesse, romancière et traductrice d’arabe/français et son recueil de poèmes Je franchis les barbelés a reçu le Prix de la poésie Méditerranée. Très sensible à la question de l’égalité hommes/femmes et à la domination patriarcale qu’elle a subie et dont elle a réussi à se détacher... Son récit poétique Enjamber la flaque où se reflète l’enfer est aussi et surtout une interrogation intime sur le viol qu’elle a subi à neuf ans et elle veut apporter un témoignage comme victime d’une agression sexuelle.
« Ce conte musical fait de variations où les couleurs s’allient aux modulations du oud et où le récit se décline en chants et poèmes. (…) Chez Souad Labbize, la langue est un lieu de réappropriation de soi. Ses envolées poétiques font face aux brûlures de l’Histoire, refusent la charge mortifère des traditions et appellent à un renouveau où féminin et masculin comme Nord et Sud sont un seul et même ensemble. » Ici, les extraits de textes de Souad Labbize qui traitent des questions de domination masculine et de viol sont dits par Isabelle Fruleux. Née à Marseille, d’ascendance martiniquaise, chinoise et polonaise, elle a mis en scène et interprété des textes comme ceux de Lydie Salvayre, Patrick Chamoiseau, Edouard Glissant… toujours en relation avec une composition musicale. Elle a aussi joué dans des séries télévisées et au théâtre sous la direction de Jean-René Lemoine dans Ecchymose, Le Voyage vers Grand-Rivière, La Cerisaie. Kamilya Jubran, compositrice et musicienne l’accompagne au oud. Au milieu du plateau noir, trône le bel instrument dont elle jouera…
Arrive dans la pénombre, une silhouette de jeune femme entièrement couverte de trois draps blancs qu’elle accrochera à des fils. En longue robe rouge foncé, elle a une belle présence et dira avec une remarquable diction, visible ou à demi visible derrière ces draps, ces extraits de textes. Mais mieux vaut ne pas être trop difficile: il y a beaucoup d’erreurs dans ce spectacle: d’abord une sonorisation inutile -surtout dans cette petite salle mais c’est une mode actuelle!- qui efface les nuances vocales, un côté hiératique et souvent figé de l’actrice, une tendance à l’esthétisation, voire au surlignage (projection de fenêtre en hauteur pour souligner l’enfermement de la femme? Eclairages approximatifs et rouges pour dire le tragique, etc.). Et nous n’avons pas été convaincus par le rapport chant/musique de Kamilya Jubran.
Même si le thème développé ici avec ce solo est d’actualité, on est vraiment trop loin du compte côté expression orale et gestuelle, et malgré quelques belles images, cette petite heure nous a semblé longuette. «Il y a parfois, dit Souad Labbize, entre un poème et ses futurs acquéreurs -car tout lecteur devient copropriétaire d’un legs poétique- la voix d’une passeuse de mots comme vous, Isabelle Fruleux, qui montez sur scène vêtue de l’âme d’une Isis rassemblant les fragments d’un corps dispersé.» Sans doute mais faudrait-il encore que cette passeuse soit vraiment mise en scène et que cet ensemble de textes fasse l’objet d’une véritable dramaturgie… il y a ici comme une valse-hésitation entre la mimésis (imitation) et la diégésis (récit poétique), concepts qui remontent à Platon et à Aristote. Et il n’y a pas vraiment d’interaction entre le texte et une musique peu convaincante. Bon, c’était une première et les choses peuvent évoluer mais il y a encore du travail. A suivre…
Philippe du Vignal
Jusqu’au 22 janvier, Théâtre Antoine Vitez, 1 rue Simon Dereure, Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne). T. : 01 46 70 21 55.
Éclairages : le 14 janvier à 18h, avec Nadia Yala Kisukidi, philosophe franco-congolaise, spécialiste des études post-coloniales et le 21 janvier à 18h, avec Souad Labbize.