This is how you will disappear, conception, mise en scène, chorégraphie et scénographie de Gisèle Vienne
This is how you will disappear, conception, mise en scène, chorégraphie et scénographie de Gisèle Vienne
Ce spectacle, créé en 2010 au festival d’Avignon, ne déroge pas à l’univers étrange de l’artiste franco-autrichienne. Formée l’École supérieure nationale des arts de la marionnette, elle transcende les disciplines pour réaliser un théâtre où se côtoient plusieurs langages.
Sur le plateau jonché de feuilles mortes, une vaste forêt. Des fourrés, émergent une gymnaste et son entraîneur. La frêle athlète plie mais ne rompt pas sous le joug de l’homme. Il n’y va pas de main morte et la manipule comme une poupée de caoutchouc. Elle, imperturbable, s’applique à faire des sauts avant et arrière, et autres figures impressionnantes de yoga Iyengar, quand, non loin se profile l’ombre noire d’un rôdeur… Le moniteur (Jonathan Schatz) part à sa poursuite.
L’angoisse monte en même temps que le brouillard envahit la forêt en larges volutes et gagne les premières rangées de spectateurs. s La musique de Stephen O’Malley et Peter Rehberg, présente depuis le début en sourdes nappes sonores, s’amplifie et, sous les lumières de Patrick Riou, les «sculptures de brume», signées de l’artiste japonaise Fujiko Nakaya, font varier le paysage en une série de tableaux à la Caspar David Friedrich du plus bel effet.
La gymnaste (Nuria Guiu Sagarra) nage avec grâce dans cette matière impalpable, la survole puis y disparaît avec lenteur (comme dit le titre de la pièce). L’image de cette forêt aux vapeurs inquiétantes s’impose longuement, avant qu’un troisième personnage ne sorte du bois, un zombie aux allures romantiques à la Iggy Pop, interprété par un Jonathan Capdevielle à la voix distordue par un dispositif sonore.La jolie rêverie sylvestre vire au cauchemar et le beau prince n’a rien de charmant…. Peu de mots dans cette pièce où tout est laissé à l’imagination. Les quelques textes -en anglais- de Dennis Cooper sont traduits sur écran et les voix diffusées en différé sont ainsi dissociées des corps, comme si elles ne leur appartenaient plus et donne distance et froideur à ces tableaux.
« Questionner la perception, c’est questionner les systèmes de domination et leur déploiement, dit Giselle Vienne. Cette pièce, comme tout mon travail, cherche ainsi aussi à comprendre ce que nous ne sommes pas éduqués à voir et à entendre.» L’artiste nous plonge dans une forêt fantasmée mais rendue par une esthétique hyperréaliste avec des arbres évidés puis reconstitués.
Autour de l’athlète parfaite, une violence sournoise s’insinue, représentée par les figures symboliques et antagoniques du mâle protecteur mais brutal : l’entraîneur, et de l’assassin violeur en rock-star décadente… L’irruption de la brume permet de glisser d’un espace naturaliste à un univers onirique renvoyant à une forêt mythologique comme celle des contes. On peut imaginer, qu’à travers ces expériences sensorielles et spatiales, des allusions au Petit Chaperon rouge croisant le Grand Méchant Loup et les Chasseurs protecteurs – d’ailleurs présent dans le dernier tableau-. Nous pensons aussi à Marie Trintignant tuée par son compagnon, ou à la joggeuse de Milly-la-Forêt, violée puis tuée par un rôdeur…
Dans cette atmosphère délétère, le jeu des interprètes oscille entre figures et personnages. Le temps s’étire mais Giselle Vienne persiste dans une imagerie orchestrée par la lumière, le son et les corps et… perd les spectateurs en route, une fois passée la magie des trente premières minutes. Entre mouvement et immobilité, parole et silence, le fil dramaturgique s’estompe et nous laisse quelque peu dans le brouillard. Il faudra attendre le magnifique épilogue: un vol de rapaces et de flèches, et des poupées immobiles, grandeur nature, pour retrouver les belles sensations de départ. This is how you will disappear nous offre une part de rêverie troublante… Malgré une perfection esthétique, la forte présence des interprètes et l’univers personnel singulier de la metteuse en scène, ce spectacle ne nous a pas tout à fait convaincus. Mais d’autres en jugeront sans doute autrement.
Mireille Davidovici
Jusqu’au 15 janvier, Théâtre National de la Colline, en co-réalisation avec Chaillot-Théâtre National de la Danse, 15 rue Malte-Brun, Paris (XX ème) T. : 01 44 62 52 52 . Les 2 et 3 mars, MC2, Grenoble (Isère).