Les Etoiles, texte et mise en scène de Simon Falguières
Les Etoiles, texte et mise en scène de Simon Falguières
Nous vous avions parlé (voir Le Théâtre du Blog) du Nid de cendres, une longue mais formidable épopée scénique de ce jeune auteur et metteur en scène qu’il a créée au dernier festival d’Avignon et qui sera prochainement reprise au Théâtre des Amandiers dans une version plus courte et une intégrale.
Ici, Ezra, un jeune poète, vit avec ses parents et son oncle Jean dans une petite maison. « J’étais né de Pierre et de Zocha. D’un amour sans étreinte. D’un amour inégal comme toujours. J’étais né, seul enfant, dans une maison blanche, au fond d’une impasse que l’on nommait : l’allée aux Cerisiers. J’ai grandi sans frère. J’ai grandi avec l’Oncle Jean, le frère de maman. L’Oncle Jean avait un front trop grand. On le disait bête. Il n’avait jamais pu sortir, jamais pu lire, jamais pu serrer une femme dans ses mains, dans ses pattes. L’Oncle Jean avait des pattes pour bâtir seulement des meubles ou bien des figures de bois. Des visages qu’il peignait avec du charbon et des gouaches tôt le matin avant de faire les petites tâches. »
Et il les nomme : Madame le soleil, Monsieur la mer, Madame la guerre, Madame la poésie. Un jour, la mère d’Ezra meurt. L’oncle Jean fabrique le cercueil, le père jardinier arrange des fleurs, mais Ezra ; le jour de l’enterrement, il lui est impossible de dire quelques mots au micro sur celle qu’il vient de perdre à jamais. Sarah, une voisine amoureuse du jeune poète, lui offre un oiseau noir mais il chante seulement dans la nuit noire et sous le ciel étoilé.
Anéanti par ce deuil, Ezra va s’enfermer dans sa chambre et sur une sorte de lit blanc-radeau, commence alors pour lui un voyage onirique d’une cinquantaine d’années où il retrouvera des personnages extravagants dont Sarah, son amante, Macha, leur fille d’Ezra, Kowagountata Papo, Ezra enfant: Elle s’appelle Kowagountata Papo ! Zocha: Qui c’est ça ? Kowagountata Papo ? Ezra enfant: C’est une déesse ! La même que Poséidon ! La déesse de la mer mais chez les Indiens ! Zocha: Mais c’est un homme Poséidon, mon chéri… Avec une grosse barbe et un gros trident d’homme. Ezra enfant: Ce n’est pas ce qu’a dit tonton Jean. »Il y a aussi Le Chien, L’Oiseau Nuit que lui offre Sarah, Le Roi et la Reine de conte, devenus projectionniste et caissière d’un cinéma minable sur une île suédoise, Ingmar Bergman que joue Simon Falguières, Monsieur Dieu et Madame Leponcois.
Mais Un jour, la mère d’Ezra meurt. L’oncle Jean fabrique le cercueil, le père jardinier arrange des fleurs, mais Ezra ; le jour de l’ enterrement, il lui est impossible de dire quelques mots sur celle qu’il vient de perdre à jamais.
Grâce à une direction d’acteurs très serrée, tous ces personnages hors normes sont curieusement tout à fait crédibles. C’est un peu la marque de fabrique de Simon Falguières. Merveilleusement interprétés par John Arnold et Agnès Sourdillon qui, entre autres, interprètent le Père et la Mère, mais aussi par Mathilde Charbonneaux, Simon Falguières, Charlie Fabert, Pia Lagrange, Stanislas Perrin et Emma Lagrange.
Impossible mais surtout inutile de raconter cette pièce où l’espace et le temps se bousculent dans une saga baroque, celle d’un monde imaginaire que s’est construit Ezra.Nous vous laisserons le plaisir de découvrir ce conte poétique qui a a pour thèmes essentiels, la quête du bonheur mais aussi l’acte de création. Un conte dans la lignée de Peer Gynt, à la fois comédie farcesque mais aussi épopée.
Ici, aucun temps mort et les épisodes s’enchaînent avec fluidité comme dans Le Nid de cendres. Et il y a un moment formidable: celui d’un court-métrage tourné en super 8 avec les acteurs de la pièce projeté sur un grand drap tenu par deux grande barres de bois. « La pièce est placée sous l’égide d’Ingmar Bergman, cinéaste mais aussi metteur en scène et directeur de théâtre que je joue ici dit Simon Falguières et que j’aime passionnément. Il adorait les marionnettes, il y jouait étant enfant, comme le petit Ezra. Fanny et Alexandre, film que j’aime le plus au monde, déjà présent dans Le Nid de cendres. Et nous le retrouvons ici. Bergman est même présent, au-delà du personnage que j’incarne dans la pièce, dans ma façon de travailler. Dans Laterna Magica, il décrit son rapport à la répétition, à la préparation de ses créations et je me suis rendu compte que ma façon de travailler en était très proche. Tout était très préparé en amont, presque de façon maniaque pour que, dans cette forme très dessinée, les acteurs et actrices puissent vibrer. »
Nous nous perdons quelquefois dans ce dédale poétique mais cela fait partie du jeu.. Simon Falguières réussit à nous y emmener, grâce aussi à la très remarquable scénographie d’Emmanuel Clolus qui avait aussi imaginé celle du Nid de cendres, avec un extérieur qui s’ouvre pour donner vie à la chambre d’Ezra. Il y a de belles sculptures totems, une armoire faisant aussi office de porte. Le dispositif rappelle la devenue mythique réalisation jardin/rue conçue par Christian Bérard pour L’Ecole des femmes, mise en scène de Louis Jouvet. Et il lui offre un merveilleux terrain de jeu avec portes, fenêtres éclairées, le tout manipulé à vue par les acteurs et les techniciens. Emmanuel Clolus a bien saisi toute la poésie du texte et il lui offre le tremplin nécessaire pour se déployer.
Scénographie, direction d’acteurs au cordeau et virtuosité du jeu, unité de la mise en scène avec, tous de grande qualité: les lumières de Léandre Gans, la création sonore de Valentin Portron et les costumes de Lucile Charvet. Le public, majoritairement jeune, ce qui est rare de nos jours au théâtre, accepte très vite de se laisser embarquer dans cette odyssée et il y a eu juste une désertion. Certes, il faut aller jusqu’à la Cartoucherie (et ce jour-là, point de navette!) et même s’il y a quelques moments un peu moins solides, ne ratez pas l’occasion de voir ce spectacle qui porte haut les couleurs d’un théâtre poétique, tout près de celui d’un Valère Novarina…En ces temps mouvementés, ce ballon d’oxygène offert par Simon Falguières n’est pas un luxe. Et si vous le pouvez, allez jusqu’à Nanterre, voir la version courte, ou mieux mais la version longue et originale du Nid de cendres.
Philippe du Vignal
Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes. Métro: Château de Vincennes + navette gratuite. T. : 01 43 28 36 36.
Au Théâtre des Amandiers, Nanterre (Hauts-de-Seine): Le Nid de Cendres -La Genèse, du 11 au 16 mai (trois heures) Et en intégrale, les 18 mai et 20 mai à 11 h (en treize heures entractes compris).
Le texte, lauréat de l’Aide à la création de textes dramatiques Artcena, est publié chez Actes-Sud Papiers.