Un Mois à la campagne d’Ivan Tourgueniev, traduction de Michel Vinaver, mise en scène de Clément Hervieu-Léger
Un Mois à la campagne d’Ivan Tourgueniev, traduction de Michel Vinaver, mise en scène de Clément Hervieu-Léger
Ecrite en France entre 1847 et 1850, cette pièce précède celles de Tchekhov mais en a déjà le goût. « Son auteur,, dit Clément Hervieu-Léger, nous fait découvrir un microcosme où chaque être a sa part dans les perturbations sur la communauté et, où le moindre trouble intime d’un bouleverse tous les autres. Ce huis-clos fait écho, sans jamais parler de ce qui se passe autour, à un extérieur qui vient faire vaciller un ordre établi, fragile bien que séculaire, et traversé de l’intérieur par une profonde aspiration à la liberté de tous, dont Alexei est un révélateur.»
Ce petit monde de nantis s’ennuie : Natalia est mariée à Arkady, plus occupé par ses affaires que par son épouse. Rakitine voue un amour platonique à Natalia. Anna ,la mère d’Arkady, veille à ce que rien ne change dans ce microcosme au fragile équilibre, aidée par une gouvernante, Lizaveta.
Athanase, un célibataire endurci veut épouser Véra, une jeune innocente orpheline de dix-sept ans, adoptée par Natalia, et dont le docteur Ignace se fait le porte-parole. Durant toute la pièce comme chez Tchekhov, le docteur et ami de la famille, qui est aussi amoureux de Lizaveta, va observer les bouleversements dans ce petit monde. Et un séduisant tuteur, Alexei, venu de Moscou, s’occupe de Kolia ,le jeune fils de Natalia. Dans cette campagne tranquille, Natalia et Vera tombent amoureuses d’Alexei.
Le metteur en scène nous brosse avec délicatesse le tableau de sentiments contrariés. Cela donne l’impression de feuilleter Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes: « ADORABLE. Ne parvenant pas à nommer la spécialité de son désir pour l’être aimé, le sujet amoureux aboutit à ce mot un peu bête : adorable! » Un mot qualifiant bien ici le sentiment de Rakitine pour Natalia : une relation ambigue qui les arrange.
« ANGOISSE. Le sujet amoureux, au gré de telle ou telle contingence, se sent emporté par la peur d’un danger, d’une blessure, d’un abandon, d’un revirement-sentiment qu’il exprime sous le nom d’angoisse. » Ce qui envahit Natalia devant l’irruption brutale de son amour pour Alexei, un état qu’elle n’a jamais connu auparavant.
« DÉPENDANCE. Figure dans laquelle l’opinion voit la condition même du sujet amoureux, asservi à l’objet aimé.» Ici, tous les personnages essayent d’échapper à une dépendance amoureuse, qui risquerait de nuire à leur statut social.
Nous sommes emportés par cette petite musique des âmes, grâce à la direction d’acteurs de Clément Hervieu-Léger. Daniel San Pedro est très convaincant dans le rôle du docteur, maître du jeu d’échecs de ces états amoureux. Louis Berthélémy, Clémence Boué, Jean-Noël Brouté, Stéphane Facco, Isabelle Gardien, Juliette Léger, Guillaume Ravoire, Mireille Roussel et Nathan Goldsztein, Lucas Ponton, Martin Verhoeven(en alternance) interprètent leurs personnages avec une grande vérité et une belle sensibilité.
Le metteur en scène a sans doute pensé à des films comme Violence et Passion et Mort à Venise de Luchino Visconti. Il y a ici un côté sépia et un autre temps dans un été qui se meurt. Nous avons passé une soirée de vrai théâtre fondé sur un beau texte, un jeu d’acteurs et une mise en scène à l’écoute des tourments vécus par ces personnages.
Jean Couturier
Jusqu’au 4 février, Théâtre de l’Athénée-Louis Jouvet, 2-4 Square de l’Opéra-Louis Jouvet, Paris (IX ème) . T. : 01 53 05 19 19.