Derrière le Hublot, se cache parfois du linge, par la compagnie Les Filles de Simone

Derrière le Hublot, se cache parfois du linge, par la compagnie Les Filles de Simone

Attention, nommer sa compagnie Les Filles de Simone, c’est tout un programme, ça ne rigole pas. Enfin, si :  nous rions beaucoup avec Claire Fretel, la capitaine-metteuse en scène de cette barque, Tiphaine Gentilleau, comédienne et plume du trio et Chloé Olivères, comédienne. Comme ses amies, elle est chercheuse et trouveuse d’idées justes, percutantes. Elles triomphent, entre autres, avec Les Secrets d’un gainage efficace, et C’est (un peu) compliqué d’être l’origine du monde.
La question n’est pas: qu’est-ce qu’être femme? Mais: mère, corps parfait, princesse, performante et autres situations et injonctions faites aux femmes. Cette fois, ce sera la grande question, avec tout ce que l’on sait aujourd’hui de la famille, des hommes et des femmes, comment faire exister l’amour et pourquoi, mais pourquoi diable, se mettre en couple hétéro-normé ?

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Suivant leur programme, ces filles ont cherché, lu, étudié, observé les liens compliqués entre femmes et hommes (respectons l’ordre alphabétique), en particulier dans leur propre couple ou non-couple. Elles ont invité l’acteur André Antébi (il a accepté) à faire l’expérience sur le plateau dans le rôle, sinon de tous les hommes, du moins d’un échantillon représentatif…
Et il le fait avec loyauté, talent et autant d’humour que ses consœurs. Tous les sociologues vous diront que la lessive est affaire de genre (féminin), mais pas que… La vie quotidienne est genrée et politique : l’homme qui fait la vaisselle ou la cuisine aide sa femme, c’est bien gentil. Mais l’aide-t-il, Lui, quand Elle effectue les mêmes tâches? Prenons une seconde pour y penser.

Ce que font en une heure et quart, les Filles de Simone, drôles à croquer et à craquer. Et d’abord elles -le féminin pluriel l’emporte sur le masculin quand on a en face de soi trois filles et un homme- commencent par la fin, par un débat (fictif et très bien joué) avec le public. Comme ça, c’est fait. Ensuite, on peut ramasser les chaussettes éparpillées et autres sources de conflits. Voir sur ce point La Petite philosophie de la chaussette de Jean-Claude Kaufmann. Mais les filles n’ont même pas besoin de sa caution, en observatrices aguerries.  Bonnes ouvrières en combinaison de travail mais avec des robes de princesse à portée de la main, elles explorent le couple sur toutes ses coutures, aux moments-clés de la vie à deux. Y compris dans un intermède hilarant de boulevard, institution vouée aux schémas répétitifs et réducteurs. Mais aussi pour un moment tendre, en quête d’une écoute vraiment mutuelle et du plaisir de chacun-e. (Enfin une occasion d’user de l’orthographe inclusive !)

La scénographie d’Emilie Roy est maniable, efficace et aussi riche d’humour que le texte et le jeu n’est pas anecdotique. Le travail des Filles de Simone est fait pour bouger, voyager, en particulier les petites formes qu’elles inventent et font circuler dans les lycées et autres lieux. Elles y rencontrent un large public qui a beaucoup à apprendre (comme nous tou-te-s) sur l’amour, le patriarcat et le capitalisme. Et nous aussi, nous avons aussi toujours à apprendre. Avec simplicité, sans se prendre pour la grande Simone de Beauvoir, lire quand même Le Deuxième sexe si ce n’est déjà fait, ou pour Virginie Despentes (King Kong Théorie), Mona Chollet, ou Christiane Rochefort (à redécouvrir)… Pas de bibliographie féministe exhaustive..
Mais elles ont trouvé leur style, efficace, sérieusement critique -ne pas laisser les mots dire n’importe quoi, il faut regarder ce qu’il y a en dessous- et elles touchent juste. De quoi rions-nous? De nous y reconnaître, femme ou homme. De l’innocence des garçons pour qui la domination masculine n’est pas encore « désinvisibilisée », de toutes les fois où, par petites touches, elles tapent juste sur ce que nous vivons. Voilà un spectacle sérieux mais sans drame, drôle, léger et non futile. Bref, ces quatre filles sont épatantes (le féminin l’emporte, voir plus haut).

Christine Friedel

Jusqu’au 17 janvier, Le Montfort, 106 rue Brancion, Paris (XV ème). T. : 01 56 08 33 88.

Les 7 et 8 mars,Théâtre de Sartrouville-Centre Dramatique (Yvelines) ; le 11 mars, L’ECAM, Le Kremlin-Bicêtre (Seine-et-Marne), le 14 mars, Le Rexy, Riom (Puy-de-Dôme) ; le 16 mars, Maison du Théâtre d’Amiens (Somme) ; le 23 mars, La Garance-Scène Nationale de Cavaillon (Vaucluse) ; le 24 mars, Le Forum Jacques Prévert, Carros (Alpes-Maritimes) ; le 25 mars Théâtre de l’Olivier, Istres (Bouches-du-Rhône) ; le 28 mars, Théâtre du Vésinet (Yvelines) et le 30 mars, L’Orange bleue, Eaubonne (Val-d’Oise)

Le 3 mai, Le Piano’cktail, Bouguenais (Loire-Atlantique) et du 23 au 25 mai, Théâtre de la Manufacture-C.D.N. de Nancy (Meurthe-et-Moselle).

En juillet, au festival off d’Avignon.


Archive pour 13 janvier, 2023

Lumen, chorégraphie de Jasmine Morand

Lumen chorégraphie de Jasmine Morand

 Nous avons découvert cette chorégraphe à la Swiss Dance Week avec un solo intense, Aria. Ici, treize danseurs se déploient dans le noir avant d’arriver progressivement vers la lumière. D’abord un magma chaotique grouillant… En émergent à la lueur de projecteurs latéraux, un bras, une jambe, un torse… On les dirait en perdition, oscillant sur un radeau et dans le fracas persistant de la musique de Dragos Tara et on croit entendre le vent, la mer, une avalanche, un tremblement de terre…

LUMEN_PS©GregoryBatardon_03«Lumen, dit Jasmine Morand, est né d’une promesse intime de mon enfance, où comme une évidence, j’avais saisi que l’obscurité gardait pour elle la beauté du monde.» L’artiste explore cet espace et son écriture, à la manière d’une broderie. Elle joue de textures et volumes qui se forment et se résorbent, et utilise les règles de l’optique pour construire une sorte de lanterne magique où dansent des ombres. La scène, modulable et inclinable en différents plans et hauteurs, se reflète dans le miroir lui aussi incliné pour une lecture frontale des images projetées.

 Dans cette traversée de l’ombre, à l’éblouissement, du noir au blanc, chaque spectateur, entre ce qu’il imagine et ce qui se laisse voir, aura projeté ses rêveries sur ces images mouvantes. Lumen (lumière en latin) désigne l’unité du flux lumineux mais on pourrait aussi entendre phonétiquement, « l’humaine » condition. La pièce qui prend racine dans l’obscurité, nous raconte une humanité au bord du monde et s’agrippant pour ne pas sombrer. Puis dans un effet de bascule, les danseurs vont sortir de leur reflet illusoire, de cette caverne platonicienne qu’on croirait le vrai monde, pour devenir des corps réels en plein jour. Lumen peut fasciner autant que lasser, mais il faut reconnaître l’habile et singulier tissage de Jasmine Morand. Une artiste à suivre.

 Mireille Davidovici

Spectacle vu le 13 janvier au Théâtre de la Ville-Les Abbesses, 31 rue de Abbesses, Paris (XVIII ème). T. : 01 42 74 22 77

Les Géants de la montagne d’après Luigi Pirandello, adaptation d’Adèle Chaniolleau et Lucie Berelowitsch,mise en scène de Lucie Bérélowitsch 

Les Géants de la montagne d’après Luigi Pirandello, adaptation d’Adèle Chaniolleau et Lucie Berelowitsch,  mise en scène de Lucie Bérélowitsch 


La dernière pièce du grand dramaturge sicilien mort en 1936 avait été montée en France par Giorgio Strehler (un  grand souvenir de théâtre), puis en 81 par Georges Lavaudant et en 2015 par Stéphane Braunschweig (voir Le Théâtre du Blog). Laissée inachevée, elle n’a pas de dernier acte. Son auteur avait commencée à l’écrire en 28 et la considérait comme son chef-d’oeuvre : “La tragédie de la Poésie dans la brutalité du monde moderne”.
En filigrane, les étranges rapports avec Mussolini de Luigi Pirandello qui avait en vain espéré que le dictateur soutienne son Teatro d’Arte à Rome mais le dictateur le fera fermer en 1928! L’année justement où le dramaturge commençait à écrire ces Géants de la montagne. Et six ans plus tard, sa Fable de l’enfant échangé, qui irritait le pouvoir mussolinien, avait été interdite.

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Il s’agit bien ici, non de la pièce originale mais d’une » adaptation » mais où le texte a été sérieusement  élagué…  Luigi Pirandello écrivait à Marta Abba, la jeune actrice dont il était amoureux : «Les Géants de la montagne sont le triomphe de la Poésie, mais en même temps la tragédie de la Poésie dans la brutalité de notre monde moderne » Cela se passe dans les montagnes une vieille villa avec une longue table en bois pour dix convives, une petite scène et des plantes vertes un peu partout… Une belle scénographie poétique, à la fois hyperréaliste et délirante (ce qui n’est pas incompatible) imaginée par Hervé Cherblanc.

Une actrice, l’aristocrate Ilse arrive dans une maison abandonnée avec sa troupe de comédiens; elle croit avoir trouvé un endroit pour mettre en scène La Fable de l’enfant échangé, la pièce d’un jeune poète qui s’est suicidé par amour pour elle. « La vie que je lui ai refusée, dit-elle, je dois la donner à son œuvre ». Mais la troupe est sans moyens et dans cette maison, vivent des marginaux à l’abri du monde extérieur. Avec Cotrone, leur chef, ils vont essayer de persuader Ilse de renoncer à ce projet. Pour lui, il ne faut pas attendre grand chose du public… Dans ces montagnes, il y a une liberté et une utopie communautaire pré-soixante-huitarde chèrement acquise et loin de là, la vie urbaine avec son lot de compétions et donc de violences. La pièce s’interrompt quand les Géants vont arriver.

Cotrone affirme que “la vérité des rêves est plus vraie que nous-mêmes” et propose à ceux qui squattent dans une maison, de vivre selon sa vérité à lui, c’est à dire dans la folie d’un rêve : un thème cher à l’auteur chez qui la réalité et l’onirisme font toujours bon ménage. «Nous sommes ici comme aux lisières de la vie, Comtesse. Sur un ordre, les lisières se relâchent, l’invisible s’insinue, les fantômes s’exhalent. Rien de plus naturel. Il se produit ce qui normalement se produit en rêve. Avec moi cela se produit aussi en état de veille. Voilà tout. Les rêves, la musique, la prière, l’amour… Tout l’infini qui se trouve dans le cœur des hommes, vous le trouverez à l’intérieur et autour de cette villa. »  Métaphore du capitalisme brutal, sera cassée la petite troupe d’Ilse… Nous retrouvons ici, comme dans sa merveilleuse nouvelle Cédrats de Sicile, devenue une aussi merveilleuse courte pièce, l’opposition entre un pays encore très pauvre et rural,  et la civilisation urbaine industrielle du Nord, très à l’aise, voire riche habitant de somptueuses villas.

D’un côté, Cotrone, un misanthrope opposé à la modernité, et de l’autre, Ilse pour qui l’art doit s’adresser aux autres et elle se battra avec rage. L’opposition Cotrone/Ilse : un vieux débat pour Luigi Pirandello. A quoi peut servir l’art? Est-il compatible avec une société florissante et matérialiste? En cette époque de tangage économique, le monde capitaliste dominant qui règne sur les cours, de Bourse, les médias, l’édition et l’art en général, ne fait aucune concession. Au pied du médiocre Bouquet de tulipes de Jeff Koons près des Champs-Elysées et de la Présidence de la République : tout un symbole ! Des SDF essayent de dormir sous des tentes malgré le froid et l’humidité. Coût de l’opération cornaquée par Anne Hidalgo, maire de la capitale : plus de trois millions d’euros:.Jeff Koons a fourni le seul dessin mais la réalisation a été à la charge de pauvres petites entreprises comme celles de Bernard Arnault, Xavier Niel, etc. qui bénéficient en plus d’une réduction d’impôts de soixante pour cent…

Revenons à ces Géants: il n’y a plus ici plus qu’un schéma de cette pièce aussi fascinante que complexe, certains diront: injouable. Avec une fin où selon Pirandello, «les Géants sont venus au spectacle après un banquet colossal, ivres et féroces, et quand l’actrice se dresse pour la défense de l’œuvre d’art, ils l’écrasent, elle et ses compagnons, comme des jouets.»En fait, il s’agit moins  ici d’une adaptation scénique que d’un récital poético-musical pour lequel, après Antigone (voir Le Théâtre du Blog) Lucie Bérélowitsch a de nouveau fait appel aux Dakh Daughters, les célèbres musiciennes et chanteuses ukrainiennes: Natacha Charpe, Natalia Halanevych, Ruslana Khazipova, Solomia Melnyk et Anna Nikitina. Elles occupent en majorité le plateau et il y a, comme en mineur, l’intervention des acteurs Marina Keltchewsky, Roman Yasinovskyi. Et de leurs camarades français: Jonathan Genet, Thibault Lacroix et Baptiste Mayoraz.

Cela ne commence pas très bien avec des vrombissements de basses -très stéréotypés et sans aucun intérêt comme ces jets de fumigènes, lesquels se répèteront sans raison. Et on demande bien pourquoi Lucie Bérélowitsch, ne résistant pas à une mode actuelle, a équipé tous ses interprètes de micros H.F et a plongé la scène dans la pénombre… Sans doute pour vouloir faire dans le mystère et le poétique ?
Raté: comme cette salle est réputée pour son acoustique approximative, on ne voit pas bien quel personnage parle et le dialogue, la plupart du temps surtitré à grande vitesse « bénéficie» d’une bouillie sonore textuelle et musicale exaspérante. Cela fait quand même beaucoup d’erreurs. C’était une première mais bon, une première n’est pas une répétition générale et un spectacle doit être prêt. Le texte poétique de cette œuvre insolite n’est absolument pas, comme le jeu des acteurs, mis en valeur. Et les surtitrages passent à l’allure d’un TGV ! Ces deux heures sont donc un brin longuettes. Nous resteront quand même les belles images de cette maison insolite et la présence des Dakh Daughters. Et ce n’est pas rien !
Le spectacle peut encore évoluer et être amélioré mais d’abord, il faut absolument que la metteuse en scène resserre les choses, revoit d’urgence la dramaturgie et la balance musicale. Bref, il y a encore du boulot en perspective! Donc à suivre…

Philippe du Vignal

Jusqu’au 13 janvier, au Théâtre National de Bordeaux-Aquitaine, salle Antoine Vitez.

 Et du 19 au 21 janvier au Centre Dramatique de Vire- Normandie (Calvados).

Danse macabre
 des Dakh Daugthers qui a pour thème la guerre en Ukraine et qui avait été présenté à l’Odéon-Théâtre de l’Europe en juin dernier, sera repris au Théâtre du Soleil à la Cartoucherie de Vincennes, du 24 mars au 2 avril.

 

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