Les Géants de la montagne d’après Luigi Pirandello, adaptation d’Adèle Chaniolleau et Lucie Berelowitsch,mise en scène de Lucie Bérélowitsch 

Les Géants de la montagne d’après Luigi Pirandello, adaptation d’Adèle Chaniolleau et Lucie Berelowitsch,  mise en scène de Lucie Bérélowitsch 


La dernière pièce du grand dramaturge sicilien mort en 1936 avait été montée en France par Giorgio Strehler (un  grand souvenir de théâtre), puis en 81 par Georges Lavaudant et en 2015 par Stéphane Braunschweig (voir Le Théâtre du Blog). Laissée inachevée, elle n’a pas de dernier acte. Son auteur avait commencée à l’écrire en 28 et la considérait comme son chef-d’oeuvre : “La tragédie de la Poésie dans la brutalité du monde moderne”.
En filigrane, les étranges rapports avec Mussolini de Luigi Pirandello qui avait en vain espéré que le dictateur soutienne son Teatro d’Arte à Rome mais le dictateur le fera fermer en 1928! L’année justement où le dramaturge commençait à écrire ces Géants de la montagne. Et six ans plus tard, sa Fable de l’enfant échangé, qui irritait le pouvoir mussolinien, avait été interdite.

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Il s’agit bien ici, non de la pièce originale mais d’une » adaptation » mais où le texte a été sérieusement  élagué…  Luigi Pirandello écrivait à Marta Abba, la jeune actrice dont il était amoureux : «Les Géants de la montagne sont le triomphe de la Poésie, mais en même temps la tragédie de la Poésie dans la brutalité de notre monde moderne » Cela se passe dans les montagnes une vieille villa avec une longue table en bois pour dix convives, une petite scène et des plantes vertes un peu partout… Une belle scénographie poétique, à la fois hyperréaliste et délirante (ce qui n’est pas incompatible) imaginée par Hervé Cherblanc.

Une actrice, l’aristocrate Ilse arrive dans une maison abandonnée avec sa troupe de comédiens; elle croit avoir trouvé un endroit pour mettre en scène La Fable de l’enfant échangé, la pièce d’un jeune poète qui s’est suicidé par amour pour elle. « La vie que je lui ai refusée, dit-elle, je dois la donner à son œuvre ». Mais la troupe est sans moyens et dans cette maison, vivent des marginaux à l’abri du monde extérieur. Avec Cotrone, leur chef, ils vont essayer de persuader Ilse de renoncer à ce projet. Pour lui, il ne faut pas attendre grand chose du public… Dans ces montagnes, il y a une liberté et une utopie communautaire pré-soixante-huitarde chèrement acquise et loin de là, la vie urbaine avec son lot de compétions et donc de violences. La pièce s’interrompt quand les Géants vont arriver.

Cotrone affirme que “la vérité des rêves est plus vraie que nous-mêmes” et propose à ceux qui squattent dans une maison, de vivre selon sa vérité à lui, c’est à dire dans la folie d’un rêve : un thème cher à l’auteur chez qui la réalité et l’onirisme font toujours bon ménage. «Nous sommes ici comme aux lisières de la vie, Comtesse. Sur un ordre, les lisières se relâchent, l’invisible s’insinue, les fantômes s’exhalent. Rien de plus naturel. Il se produit ce qui normalement se produit en rêve. Avec moi cela se produit aussi en état de veille. Voilà tout. Les rêves, la musique, la prière, l’amour… Tout l’infini qui se trouve dans le cœur des hommes, vous le trouverez à l’intérieur et autour de cette villa. »  Métaphore du capitalisme brutal, sera cassée la petite troupe d’Ilse… Nous retrouvons ici, comme dans sa merveilleuse nouvelle Cédrats de Sicile, devenue une aussi merveilleuse courte pièce, l’opposition entre un pays encore très pauvre et rural,  et la civilisation urbaine industrielle du Nord, très à l’aise, voire riche habitant de somptueuses villas.

D’un côté, Cotrone, un misanthrope opposé à la modernité, et de l’autre, Ilse pour qui l’art doit s’adresser aux autres et elle se battra avec rage. L’opposition Cotrone/Ilse : un vieux débat pour Luigi Pirandello. A quoi peut servir l’art? Est-il compatible avec une société florissante et matérialiste? En cette époque de tangage économique, le monde capitaliste dominant qui règne sur les cours, de Bourse, les médias, l’édition et l’art en général, ne fait aucune concession. Au pied du médiocre Bouquet de tulipes de Jeff Koons près des Champs-Elysées et de la Présidence de la République : tout un symbole ! Des SDF essayent de dormir sous des tentes malgré le froid et l’humidité. Coût de l’opération cornaquée par Anne Hidalgo, maire de la capitale : plus de trois millions d’euros:.Jeff Koons a fourni le seul dessin mais la réalisation a été à la charge de pauvres petites entreprises comme celles de Bernard Arnault, Xavier Niel, etc. qui bénéficient en plus d’une réduction d’impôts de soixante pour cent…

Revenons à ces Géants: il n’y a plus ici plus qu’un schéma de cette pièce aussi fascinante que complexe, certains diront: injouable. Avec une fin où selon Pirandello, «les Géants sont venus au spectacle après un banquet colossal, ivres et féroces, et quand l’actrice se dresse pour la défense de l’œuvre d’art, ils l’écrasent, elle et ses compagnons, comme des jouets.»En fait, il s’agit moins  ici d’une adaptation scénique que d’un récital poético-musical pour lequel, après Antigone (voir Le Théâtre du Blog) Lucie Bérélowitsch a de nouveau fait appel aux Dakh Daughters, les célèbres musiciennes et chanteuses ukrainiennes: Natacha Charpe, Natalia Halanevych, Ruslana Khazipova, Solomia Melnyk et Anna Nikitina. Elles occupent en majorité le plateau et il y a, comme en mineur, l’intervention des acteurs Marina Keltchewsky, Roman Yasinovskyi. Et de leurs camarades français: Jonathan Genet, Thibault Lacroix et Baptiste Mayoraz.

Cela ne commence pas très bien avec des vrombissements de basses -très stéréotypés et sans aucun intérêt comme ces jets de fumigènes, lesquels se répèteront sans raison. Et on demande bien pourquoi Lucie Bérélowitsch, ne résistant pas à une mode actuelle, a équipé tous ses interprètes de micros H.F et a plongé la scène dans la pénombre… Sans doute pour vouloir faire dans le mystère et le poétique ?
Raté: comme cette salle est réputée pour son acoustique approximative, on ne voit pas bien quel personnage parle et le dialogue, la plupart du temps surtitré à grande vitesse « bénéficie» d’une bouillie sonore textuelle et musicale exaspérante. Cela fait quand même beaucoup d’erreurs. C’était une première mais bon, une première n’est pas une répétition générale et un spectacle doit être prêt. Le texte poétique de cette œuvre insolite n’est absolument pas, comme le jeu des acteurs, mis en valeur. Et les surtitrages passent à l’allure d’un TGV ! Ces deux heures sont donc un brin longuettes. Nous resteront quand même les belles images de cette maison insolite et la présence des Dakh Daughters. Et ce n’est pas rien !
Le spectacle peut encore évoluer et être amélioré mais d’abord, il faut absolument que la metteuse en scène resserre les choses, revoit d’urgence la dramaturgie et la balance musicale. Bref, il y a encore du boulot en perspective! Donc à suivre…

Philippe du Vignal

Jusqu’au 13 janvier, au Théâtre National de Bordeaux-Aquitaine, salle Antoine Vitez.

 Et du 19 au 21 janvier au Centre Dramatique de Vire- Normandie (Calvados).

Danse macabre
 des Dakh Daugthers qui a pour thème la guerre en Ukraine et qui avait été présenté à l’Odéon-Théâtre de l’Europe en juin dernier, sera repris au Théâtre du Soleil à la Cartoucherie de Vincennes, du 24 mars au 2 avril.

 

 

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