4.211 kms texte et mise en scène d’Aïla Navidi

4. 211 kms, texte et mise en scène d’Aïla Navidi

C’est la distance entre Téhéran et Paris où Mina et Fereydoun comme tant d’autres sont venus se réfugier,   Khomeini, dignitaire chiite et guide spirituel de la révolution islamique a renversé en 79 le shah d’Iran  et a ensuite instauré une dictature féroce. Il a,  entre autres, condamné à mort l’écrivain Salman Rusdie, avec une fatwa l’accusant de blasphème.

© Dimitri Klockenbring_

© Dimitri Klockenbring_

Ici, Yalda,  la fille de Mina et Fereydoun, née à Paris, raconte leur vie en exil, les coups de téléphone tous entassés dans une cabine quelques minutes pour rester en contact avec la famille restée là-bas, et le combat que son père mène pour la liberté. Mais aussi la mémoire et l’amour qu’il gardent pour ce pays où les hommes mais surtout les femmes sont encore aujourd’hui martyrisées. Déracinement, vie dans la capitale, mémoire de Téhéran… tout se bouscule mais  ils ont le vague espoir d’un retour ou du moins d’un voyage là-bas, espoir qui s’amenuise chaque année un peu plus… Et d’une nationalisation pas si simple à obtenir dans une France accueillante mais où la moindre démarche administrative est infernale et où il faut trouver sa place.
Bref, comment des exilés de la même famille mais qui n’ont déjà plus le même passé, peuvent-ils aussi arriver à vivre ensemble sans heurt et conserver une identité commune. «
Quand nous sommes partis, dit Aïla Navidi , nous pensions que c’était pour six mois, ça fait trente cinq ans. Mon père a dit ces mots récemment. Ça résume assez bien notre histoire. Je suis née à Paris de parents réfugiés politiques, ils se sont battus contre une monarchie, rêvant de démocratie et ont finalement fui pour la France après une révolution qu’on leur a volée. J’ai longtemps cru que la France était un pays d’exil transitoire et que nous allions rentrer. Rentrer où? Je n’avais jamais vécu en Iran… A une période de ma vie, j’en ai voulu à la terre entière, mes parents inclus: ne me sentir chez moi nulle part, avoir honte de l’accent de mes parents, devoir réussir pour eux, être exemplaire, culpabiliser, vivre dans un monde binaire où l’on doit être Français ou Iranien. Que ferions-nous si notre pays basculait aux mains d’extrémistes? Qui deviendrions-nous si nous devions nous exiler? Ces dernières interrogations font froid dans le dos mais nous ne retrouvons pas la même émotion dans ces dialogues souvent un peu minces…

Tout cela sonne juste et la dramaturge et metteuse en scène dit s’être nourrie, pour se replonger dans l’Iran des années quatre-vingt, des films d’Abbas Khiarostami et de Jafar Panahi. Et des bandes dessinées de Marjane Satrapi ou de Riad Sattouf. Elle fait interpréter Yalda et ses parents par trois interprètes et trois autres incarnent plusieurs personnages. Dans un espace/temps pas vraiment maîtrisé qui tient d’un film avec des séquences très courtes comme dans un film et on s’y perd un peu. Mais l’histoire du théâtre contemporain nous a appris que cela ne peut pas fonctionner pour cette question toute simple d’espace-temps…
Il y a ici à des années de différence, annoncés par des pancartes vidéo, la maternité de l’hôpital Trousseau, une prison avec tortures en Iran une cabine téléphonique imaginaire à Paris et l’appartement avec des tapis persans et des paillettes noires, rappelant à la fin les cendres d’urnes vides, celles des parents déjà morts quand Yalda raconte cette histoire de famille.
Côté dramaturgie, texte et direction d’acteurs (
Sylvain Begert, Benjamin Brenière, Florian Chauvet, Alexandra Moussaï, Aïla Navidi) rien de très convaincant; il y a heureusement de plus en plus limpide, le jeu d’Olivia Pavlou-Graham (très impressionnante Yalda). Et sublime mais désolante, l’extrême fin avec la projection video en silence de centaines de noms iraniens… sans doute ceux des prisonniers politiques jetés dans un lac ou massacrés par les milices du pouvoir.
C’est après l’évocation par Brecht de ce que peut signifier un exil forcé (voir
Le Théâtre du Blog) une indispensable piqûre de rappel. Surtout au moment où les fascistes religieux actuellement au pouvoir  emprisonnent et tuent par milliers les opposants qui n’ont pas pu s’enfuir de ce seul État officiellement chiite qui compte plus de quatre-vingt millions d’habitants subissant une répression impitoyable. Le 16 septembre dernier, Mahsa Amini, une jeune femme de vingt-deux ans, est décédée trois jours après avoir été arrêtée par la «Police de la moralité» et accusée de ne pas porter le hijab en public. Ce qui engendra manifestations et répression immédiate avec arrestations et pendaisons sans procès.
C’est en filigrane ce à quoi on pense quand on voit un spectacle comme celui-ci. Il ne fera guère peur à l’ambassade d’Iran mais le Théâtre de Belleville a bien fait de l’accueillir. Et malgré ses défauts, il faut le soutenir.

Philippe du Vignal

Jusqu’au 31 janvier, Théâtre de Belleville, Passage Piver, Paris (XIème ). T. : 01 48 06 72 34 16,

 

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