Le Bonheur de donner de Bertolt Brecht

Le Bonheur de donner de Bertolt Brecht, spectacle placé sous le regard de Patrick Bonnel

Sur la petite scène aux rideaux noirs Ariane Ascaride et David Venitucci, accordéoniste,  sont sagement assis sur des chaises hautes devant un pupitre avec un micro pour chacun.  Ariane Ascaride a conçu ce spectacle comme un parcours dans l’œuvre poétique de celui qui voulait que l’homme soit bon dans un monde qui ne l’est pas, et juste dans un monde injuste. Et les aphorismes comme les phrases teintées de mélancolie se succèdent : « Celui qui combat peut perdre, mais celui qui ne combat pas a déjà perdu. » « Il faut extirper la bêtise parce qu’elle rend bête ceux qui la rencontrent. »

L’homme de théâtre Brecht faisait encore peur dans les années soixante-dix à certains énarques du Ministère de la Culture qui ignoraient aussi qu’il était. Très jeune, il avait déjà écrit de la poésie et à vingt ans, Baal sa première pièce qui tient en fait d’un long poème dramatique : «C’est inadmissible; il y a des théâtre en banlieue qui jouent du Brecht! » (sic). C’était d’une bêtise crasse et c’était aussi oublier qu’en 33, ses livres furent brûlés par les nazis et qu’il avait donc été forcé de quitter l’Allemagne. Il passera ainsi seize ans de sa vie en exil en Suède, Finlande et aux Etats-Unis. Et c’est le thème de plusieurs textes que nous entendrons ici.

©x

©x

«J’ai relu, dit Ariane Ascaride beaucoup de poésies de Brecht, qui est toujours présenté comme un auteur austère, sérieux, théorique … On connaît moins sa bienveillance, son humour, son sens du spectacle. Il a éclairé certains moments de ma vie et je voulais en cette période de grands bouleversements faire à nouveau entendre ses mots si encourageants ». Et il précise dans Dialectique: « Le théâtre est capable de faire de la dialectique une jouissance. Les surprises que réservent l’évolution logique, progressive ou saccadée, et l’instabilité de tous les états de choses, l’humour des contradictions etc.., ce sont autant de plaisirs que procure la vitalité des hommes, des choses et des processus et il rehausse l’art de vivre en même temps que la joie de vivre. Tous les arts contribuent au plus grand de tous les arts, l’art de vivre. »

Mais il sait vivre et en dit tout les petits bonheurs dans Plaisirs: « Le premier regard par la fenêtre au matin/Le vieux livre retrouvé/Des visages enthousiastes/De la neige, le retour des saisons/Le journal/Le chien/La dialectique/Prendre une douche, nager/De la musique ancienne/Des chaussures confortables/Comprendre/De la musique nouvelle/Ecrire, planter/Voyager/Chanter/Etre amical. »

 Il y a aussi donc obsédant chez lui le thème de l’exil avec : Sur le sens du mot émigrant, ou  Exil  où il dit avec une rare lucidité: « J’ai toujours trouvé faux le nom qu’on nous donnait : émigrants/Le mot veut dire expatriés mais nous/Ne sommes pas partis de notre gré/Pour librement choisir une autre terre /Nous n’avons pas quitté notre pays pour vivre ailleurs, toujours s’il se pouvait./Au contraire nous avons fui. Nous sommes expulsés, nous sommes des proscrits/ Et le pays qui nous reçut ne sera pas un foyer mais l’exil./Ainsi nous sommes là, inquiets, au plus près des frontières/Attendant le jour du retour, guettant le moindre changement. (…) Mais nul d’entre nous Ne restera ici. Le dernier mot n’est pas encore dit. Et Maintenant/Je vis en pays étranger, chassé de ma patrie/Je reste debout devant des gens assis, je fais place à ceux qui sont arrivés après moi,/Et je me tais quand on m’accueille avec des cris.Mais le poète s’en prend aussi à la guerre dans Celui qui se bat, Aux Soldats allemands, Hymne de guerre des chapeaux noirs. Et il stigmatise ceux qui veulent ignorer «le bonheur de donner » ces mots repris dans le titre du spectacle.

Ariane Ascaride dit ces poèmes avec sensibilité et une diction précise (parfois un trop); le public, pas très jeune, semble découvrir avec étonnement ce poète sans doute inconnu d’eux. Et comme dans le théâtre de boulevard, il applaudit l’entrée de l’actrice puis, de temps en temps pendant le spectacle. David Venitucci, aussi discret que brillantissime, l’accompagne en jouant de tous les registres et cela donne une belle couleur aux mots. Mais nous n’avons pas bien compris le pourquoi de ces micros dans cette petite salle : la musique étouffe parfois le texte, les nuances de la voix disparaissent, et c’est dommage. Et comme les interprètes ne quittent jamais leur chaise haute, cela donne un côté statique au spectacle. Un récital poétique de cette dimension et d’une telle qualité musicale aurait mérité une véritable mise en scène. A ces réserves près, allez écouter ces textes de Bertolt Brecht dits par Ariane Ascaride, cela vaut le détour...

Philippe du Vignal

Théâtre du Lucernaire,  53 rue Notre-Dame des Champs, Paris VI ème. T.  : 01 45 44 57 34.

 

DAROU L ISLAM |
ENSEMBLE ET DROIT |
Faut-il considérer internet... |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Le blogue a Voliere
| Cévennes : Chantiers 2013
| Centenaire de l'Ecole Privé...