La Force qui ravage tout, texte, musique et mise en scène de David Lescot

La Force qui ravage tout, texte, musique et mise en scène de David Lescot

Est-ce l’aria baroque, Addio Corrindo, entendu ici en prologue, qui provoque les désordres amoureux chez les personnages? Ou l’amour, puissante passion en soi? En tout cas, les couples qui ont assisté à la représentation de L’Orontea du compositeur italien Antonio Cesti (1623-1669) dont David Lescot dit s’être «lointainement inspiré », sortent perturbés. À l’instar de cet aimable divertissement, ancêtre de l’opéra, où les héros, comme possédés par une force obscure, ne songent qu’à l’amour, leurs démêlés sont la trame de cette comédie musicale, réalisée avec la même équipe que pour Une Femme se déplace (voir Le Théâtre du blog).

© Christophe Reynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

Nous retrouvons les accents jazzy de Ludmilla Dabo qui joue Mona, une députée européenne… tributaire des capitaux de son mari, elle est opposée à la progressiste Clyde, (Pauline Collin) aussi forte en voix que son adversaire dans un duel acharné confinant à une joute amoureuse. Emma Liégeois incarne avec fantaisie Ludivine, la compagne de Clyde, qu’elle quittera pour son collègue de travail, Anatole (l’excellent comédien et chanteur Mathias Girbig)… qui, lui, a été lâché par sa femme Iris (Elise Caron, comédienne et chanteuse de jazz) à cause d’un désaccord profond au sujet de l’opéra. Iris reprend sa liberté, tout comme la timide Antonia (Candice Bouchet), victime des mensonges de son compagnon Tobias, une petite frappe sans vergogne (Antoine Sarrazin). Nous avons aussi apprécié aussi le jeu subtil de Jacques Verzier (Cyriaque, le mari de Mona). Marie Desgranges nous étonne dans l’air du contre-ténor Silandra, personnage volage de L’Orontea.

Un personnage décalé traverse tous ces épisodes en solitaire : c’est André ( David Lescot en alternance avec Yannick Morzelle)  à la recherche de son amant Elohim, qui interprétait Silandra dans l’opéra et l’a laissé sans nouvelles après la représentation. Sa quête l’amène à consulter une historienne spécialiste des cas de possession…

 Pendant cette nuit (blanche pour tout le monde) et jusqu’au lendemain soir, les histoires des uns et des autres se croisent selon une construction chorale. Des éléments de décor passe-partout, déplacés à vue : tables, chaises, fauteuils, comptoir… situent les différents lieux de l’action : le restaurant la Chope ou toute la compagnie atterrit au sortir de l’opéra, un hall d’hôtel, des chambres à coucher, figurées par un lit où les personnages se succèdent, des espaces de bureaux, etc….

 L’orchestre, en fond de scène, est tantôt visible, tantôt occulté, avec Fabien Moryoussef au piano électrique, Philippe Thibault à la basse, Ronan Yvon à la guitare et, à la batterie, Anthony Capelli, chargé aussi de la direction musicale. De l’opéra baroque à la pop, le jazz, la soul, les arrangements mêlent sons acoustiques et électroniques. Ce glissement d’un genre à l’autre structure la pièce, entre réel et dérapages hors piste, comme cette évocation de la danse de Saint-Guy par l’historienne, ou la parabole finale -assez obscure- inspirée du mythe platonicien de l’androgyne, cette créature parfaite formée de deux êtres que les dieux ont séparés, les condamnant ainsi à la quête éternelle de leur moitié…

Dans les chansons, s’expriment des sentiments dans la pure tradition lyrique mais il y a aussi des échanges dialogués ou bien articulés avec la musique, sur le mode du parlé/chanté. Avec des arias tristes, comme celle de Cyriaque, le mari de Mona quand il revoit son ex-amant. D’autres, plus toniques, comme la lutte impitoyable entre Mona et Clyde devant l’aréopage du Parlement européen. L’une défendant l’emploi d’un herbicide, le Burn it, l’autre le pourfendant… Un bel exercice d’écriture dramatique et musicale.

David Lescot, en habile dramaturge, entraîne avec énergie son équipe dans une comédie humaine à intrigues multiples où les individus, tels des atomes déboussolés, se libèrent de leurs liens puis se recombinent selon d’autres affinités électives. «J’ai imaginé, dit-il, une sorte de contamination qui soit artistique, émotionnelle, sentimentale, amoureuse.» Nous nous  égarons parfois mais nous retrouvons vite le noyau de chaque histoire. Nous nous émouvons aussi de ces tribulations bien ancrées dans le siècle, où les uns et les autres se reconnaîtront. Un vrai bonheur pour tous.

 Mireille Davidovici

Jusqu’au 27 janvier, Théâtre de la Ville-Espace Cardin, 1 avenue Gabriel, Paris ( VIII ème) T. :01 42 74 22 77

Du 1- 4 février  CDN Tours (Loir-et-Cher)  ; 28 février et 1er mars, Château Rouge – Annemasse (Haute-Savoie) ;  10 mars, Théâ̂tre de Rungis (Val-de-Marne) ; 16 et 17 mars, Scène nationale de Perpignan (Pyrénées-Orientales) ;  du  25 au  27 mai, MAC Créteil (Val-de-Marne);  8 juin, Scène nationale de Quimper (Finistère)…

 Texte et musiques sont publiées aux Solitaires intempestifs

 

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