La Campagne de Martin Crimp, traduction de Philippe Djian, mise en scène de Sylvain Maurice

 

La Campagne de Martin Crimp, traduction de Philippe Djian, mise en scène de Sylvain Maurice

Cet auteur britannique de soixante-six ans maintenant bien connu en France, a écrit une quinzaine de pièces comme cette Campagne (2000), une trilogie : Face au mur en 2002, La Ville en 2008, Dans la République du bonheur (2012), Le Reste vous le connaissez par le cinéma (2013. toutes traduites et jouées dans de nombreux pays comme Claire en affaires que le le metteur en scène avait remarquablement monté en 2011 à Besançon…

Cela se passe donc à la campagne où Corinne et Richard médecin son mari vont vivre. Mais une certaine Rebecca surgit … Cette très jeune femme aurait été ramassée sur une route par Richard qui chez eux l’a mise dans un lit où elle dort. Mais il semble qu’il y ait un non-dit dans ce couple et que la dite Rebecca ne soit pas du tout… une inconnue pour Richard : Corinne attaque donc  bille en tête son mari sur la présence de cette jeune femme qu’il prétend n’avoir jamais vue et avoir tout juste fait son devoir de médecin Mais il se défend maladroitement et sans trop de conviction- Est-ce qu’elle est vivante ? – Évidemment qu’elle est vivante. Ça veut dire quoi, ce genre de question ? – Eh bien, je ne sais pas, moi. Je ne sais pas si elle est vivante. – Évidemment qu’elle est vivante. Elle dort. (…) – Parce que pourquoi l’as-tu amenée ici ?Pourquoi diable l’as- tu amenée ici ? – C’est mon métier que de l’amener ici. – Ton métier ! C’est ton métier d’amener une inconnue dans notre maison au milieu de la nuit ?Richard n’aurait-il pas décidé d’aller habiter à la campagne pour se rapprocher de Rebecca? Ce qui peut paraître quand même curieux. Mais au fait, est-elle vraiment l’étudiante qu’elle prétend être et qui est ce Morris à qui elle ne cesse de téléphoner?

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Pas vraiment de démonstration psychologique, c’est un texte construit de façon diablement intelligente où rien n’est mâché comme dans le théâtre de boulevard: ici, c’est au spectateur de reconstituer avec le maximum d’intuition ce puzzle de questions/réponses/non dits/phrases en suspens et situations ingérables pour ces quadragénaires enfermés dans leur couple installé à la campagne où on voit qu’il est aussi risqué de vivre en amoureux que dans une ville! Ce médecin très actif est pris en otage dans ce village où tout, quelle que soit la condition sociale des personnage, finit par se savoir. Un microcosme à ciel ouvert: histoires d’argent et conflits de couple même soigneusement enfouis, questions que le mari se pose sur sa femme et réciproquement,  relations extra-conjugales, voire paternité supposée de certains enfants, des enfants comme ceux de Corine et Richard que l’on ne verra jamais. Et la jeune Rébecca, d’une autre génération, aimerait bien en avoir aussi de la petite graine. Bref un cocktail socio-familial explosif !

La pièce a une vingtaine d’années maintenant mais ses dialogues sont toujours aussi caustiques et les personnages, à la limite de la perversion avec, entre autres, cette scène-culte entre Richard et Corinne ou plus tard entre Rebecca et Corinne dans la ligne de Qui a peur de Virginia Woolf d’Edward Albee. Reste à mettre en scène ce couple où, classique, un personnage inconnu va surgir et bouleverser violemment la donne ! Et là, cela se complique mais on ne vous racontera pas la fin… Sylvain Maurice qui a fait des dizaines de mises en scène, sait y faire, comme il l’a encore prouvé il y a deux ans sur le grand plateau du Théâtre de Sartrouville qu’il dirige, avec un très brillant Short Stories d’après les nouvelles de Raymond Carver où il y avait aussi des histoires de couple (voir Le Théâtre du Blog).

Proportionnée à la grande scène du Rond-Point, un seul élément de scénographie: une table de ferme en bois surdimensionnée. Et derrière, des châssis coulissants avec selon les moments, des lumières aux belles couleurs pastel style Bob Wilson mais trop esthétisantes… Sylvain Maurice dirige bien ses acteurs qu’il
choisit toujours avec le plus grand soin: ici Isabelle Carré et Yannick Choirat, et  Manon Clavel (Rebecca) que nous avions déjà remarquée quand elle jouait Danse Delhi d’Ivan Viripaev… Ici, c’est une bombe d’une rare efficacité qui arrive sur le plateau, même si surtout au début, elle boule son texte.

Et ce spectacle semble se passer loin de nous. D’où une certaine sécheresse, même si ces remarquables acteurs font tout pour incarner au mieux ce trio infernal  Mais une fois de plus -et c’est vraiment nocif- avec des micro H.F. ! On se demande comment faisaient les acteurs il y a encore à peine un dizaine d’années! En tout cas, cela dessert cette œuvre intimiste qui ne peut être vraiment à l’aise sur ce plateau et nous sommes restés un peu sur notre faim… Il faudrait revoir ce spectacle qui a de grandes qualités, sur une plus petite scène… et sans sonorisation!

Philippe du Vignal

Jusqu’au 22 janvier, Théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue Franklin D. Roosevelt, Paris (VIII ème).

Et du 26 au 28 janvier, Théâtre National de Nice (Alpes-Maritimes).


Archive pour 21 janvier, 2023

Inoxydables de Julie Ménard, mise en scène de Maëlle Poésy

Inoxydables de Julie Ménard, mise en scène de Maëlle Poésy


Dans une une boîte de nuit,d’un pays occidental non nommé, bruyante et enfumée comme les autres, les jeunes dansent jusqu’à plus soif. Entre Sil, le bassiste d’un groupe de rock et Mia, une chanteuse:  coup de foudre. Mais leur pays entre en guerre et changement radical dans leur vie pour ces amoureux : ils sont devenus un couple et vont aussi devoir s’exiler rapidement, malgré ses réticences à elle. Vente de la maison de sa mère et économies les aideront à payer un passeur et ils feront tout pour essayer de se reconstruire ailleurs, avec, à la clé, épreuves et échecs inévitables dont une reconduite à la frontière. Ils partent sac à dos pour un monde sinon meilleur, du moins supportable, rejoindre le guitariste et le batteur de leur groupe qui, eux sont déjà dans un pays étranger  et avec lesquels il communiquent par portable
Julie Ménard  a été inspirée par la vie d’un jeune exilé afghan qu’elle avait recueilli. Déracinement, souffrances à la limite du supportable puis exil : un thème actuel et récurrent au théâtre en ce moment ! Avec les poèmes de Brecht dits par Ariane Ascaride et avec  4.112 kms, une pièce écrite et mise en scène par Aïla Navidi sur l’histoire d’une famille iranienne exilée à Paris (voir Le Théâtre du Blog).

 

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Maëlle Poésy a mis en scène ce texte dans une scénographie quadri-frontale…pas très justifiée. Aucun élément de décor sur le sol noir de la petite salle Roland Topor, sinon une guitare électrique posée sur son support, un ampli avec, dessus, un corbeau noir en bois, et à côté, un gros projecteur de chantier et un appareil à fumigène. Mathilde-Edith Mennetrier et Benjamin Bécasse-Pannier, sympathiques et crédibles, ont l’âge de ce jeune couple bousculé par le vent de l’Histoire et qui partage la même soif de liberté. Malgré son énergie, il sera soumis à une violence de tous les instants. Au début, sur fond de rock (Romain Tiriakian), le public peut s’identifier facilement au récit de leur aventure que nous fait ce jeune couple qui, bien sûr! réussira son pari.
Ce texte plein de bonnes intentions, conçu  pour être joué dans des lycées a quelque chose de naïf et de peu convaincant. Les marches interminables dans le froid et la faim, les dangereuses traversées en mer sur des canots gonflables peu sûrs, les rackets et refoulements à la frontière, la terre promise mais difficile à atteindre, etc. Tout a déjà été dit et la photo d’un bateau surchargé de malheureux candidats à un exil politique ou économique en dit beaucoup plus que ces cinquante-cinq minutes, en rien passionnantes. Ici nous sommes loin du compte et on se demande comment Maëlle Poésy a pu être séduite par un texte aussi mince et… aussi peu théâtral. Dans la petite salle Roland Topor, loin d’être pleine, les spectateurs, d’un âge certain mais aussi jeunes ont poliment applaudi…On les comprend.

Philippe du Vignal

Jusqu’au 29 janvier, Théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue Franklin D. Roosevelt Paris (VIII ème). T. : 01 44 95 98 00.

 

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