3 S de Sidi Larbi Cherkaoui

Trois S de Sidi Larbi Cherkaoui

 Un spectacle sans fumigènes! Mais avec vidéos à l’arrière-plan, quatre-vingt dix minutes durant et faisant office de décor. Malgré la dimension réduite de l’écran -plus modeste que celui naguère utilisé par un Peter Sellars- la luminance du projecteur à la Cité de la musique est telle que le regard est happé par l’image, comme l’est, par les phares d’une auto, un lapin, animal cette année mis à l’honneur par les Chinois. Mais les surtitres en français par un appareil d’une autre génération sont juste perceptibles.

 

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Ceci dit, le montage à base de séquences-vidéo empruntées à des documents d’archives en noir et blanc comme en couleurs et de faire croire  qu’elles ont été filmées par un des protagonistes. Un montage  inaugurant une  série de trois variations sobrement intitulés 3 S (2020) et signées Sabine Groenewegen, très réussies, proche de l’expérimental. Un courant ou une tradition avant-gardiste dans le cinéma en Belgique et aux Pays-Bas depuis les années vingt, avec Charles Dekeukeleire, Henri Storck et Joris Ivens, et u’on peut retrouver dans certains films de danse comme ceux d’Eric Pauwels, Wolfgang Kolb, Pascal Baes ou Thierry De Mey…

 Passons aux choses sérieuses. Autrement dit au spectacle «vivant». Il se réfère ici de bout en bout à la mort, comme celui d’Hofesh Shechter, Light : Bach Dances, récemment programmé à la Philarmonie à Paris.
Le premier solo traite du suicide au pays du soleil levant, un thème là-bas récurrent, ne serait-ce qu’avec la mauvaise habitude du  hara-kiri , élargi au suicide collectif représenté par l’accident nucléaire de Fukushima qui inspira à la chorégraphe Eiko Otake une performance filmée A Body in Tokyo and in Fukushima (2021). Le deuxième consacré à la guérilla en Colombie, aborde aussi d’autres thèmes, comme celle des migrants reconduits dans leur pays par une compagnie d’aviation privée américaine, la guerre en Syrie: moderne avec lunettes 3D, ciblages numériques : un danger de tous les instants avec un ennemi invisible et, pour finir, le sacrifice d’un combattant-bombe humaine. Le troisième continent évoqué est l’Australie où des Aborigènes ont été privés de leur terre, déplacés en raison de la recherche de gaz de schiste et le monologue d’une jeune poétesse se sentant impuissante qui décida d’en finir avec la vie.

Trois genres musicaux accompagnent ce programme, avec sans interruption des variations chorégraphiques -aucune parole sur les chants, faisant sans doute référence aux thèmes cités, qui ont en commun la mort consentie et la solitude, le mot solo étant pris par Sidi Larbi Cherkaoui au pied de cette lettre S . Les danses sont soutenues, fusionnées par une « musique du monde » jouée par des artistes placées côté jardin avec des airs grégoriens restitués à la harpe, des chants en italien, écrits et joués par Patrizia Bovi, et au piano, au shamizen, au taiko et à la voix, Tsubasa Hori, des incantations a cappella de Ghalia Benali et des plages sonores à l’harmonium indien.

Ce disposiif, guère inédit! peut être sujet à caution: le public est lassé de ces flots d’images effaçant mots et choses mais la chorégraphie est admirable. Le premier solo s’appuie sur l’art de la pantomime. L’excellent Kazutomi Tsuki Kozuki illustre au mieux les saynètes qui lui sont dictées par le livret ou les séquences filmiques. Il sort de l’écran comme jadis, dans un contexte burlesque, Buster Keaton dans Sherlock Junior (1924). Son double à l’écran errant dans un Fukushima désert, le contraint à faire une démonstration de moonwalk ou rétro-glissade popularisé par Michael Jackson.rappelant la marche sur place de mimes comme Etienne Decroux, Jean-LouisBarrault, Marcel Marceau et Fernand Raynaud ou Michael Jackson…

 Jean-Michel Sinisterra Munoz fait plutôt dans les arts martiaux, avec remarquables acrobaties, enchaînements inattendus et réelles prises de risque. L’ophélienne Nicola Leahey termine la pièce en beauté avec une suite de mouvements sinueux, un continuum gestuel des plus fluides, un lyrisme accordé aux paysages édéniques avant leur industrialisation à tout cran. On pensera ici aux rapports danse-image du ballet militant, pour ne pas dire agit’prop, comme Baobabs (2021) de Josette Baïz, «documenté» par les images de Luc Riolon, un pionnier française de la vidéo-danse. Sidi Larbi Cherkaoui a de la suite dans les idées chorégraphiques, les trouvailles gestuelles et le sens du spectacle en terminant la soirée par cette magnifique prestation.

 Nicolas Villodre

Jusqu’au 24 janvier,  Cité de la Musique, 221 avenue Jean Jaurès, Paris ( XIX ème).

 

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