King Lear Syndrome ou les Mal élevés, écriture et mise en scène d’Elsa Granat, d‘après Le Roi Lear de William Shakespeare

King Lear Syndrome ou les Mal élevés, écriture et mise en scène d’Elsa Granat, d‘après Le Roi Lear de William Shakespeare

C’est l’histoire d’un vieux père qui a eu une attaque cardiaque (aujourd’hui, on dit A.V.C.) le jour du mariage de sa plus jeune fille, Cordelia. En prologue, il avait imaginé son propre enterrement : il va mourir, il meurt, mais non, on ne meurt pas, surtout au théâtre. Ses filles vont-elles s’occuper de lui et le recevoir chez elles ? Ni Cordelia, préférée et maudite, ni Regane, ni Goneril : pas la place, pas le temps, pas possible et les E.H.PA.D. (Etablissements Hôteliers pour Personnes Agées Dépendantes) sont faits pour ça: abriter la fin de vie des pères qui perdent la tête. Ce sera une autre vie, une nouvelle cour pour ce roi détrôné qui n’a jamais régné…

Elsa Granat s’écarte résolument de Shakespeare pour mieux retrouver son esprit, sa brutalité, sa poésie et son humour. Et elle met surtout le doigt au centre du tragique : la famille, bien sûr, nid de haines et d’amour, vitrine des incompréhensions qu’on finit par appeler : destin . La metteuse en scène, dans son adaptation, balaie adaptation balaie les gendres du Roi et elle fait de Gloucester, une femme (Bernadette Le Saché, parfaite) qui prend son fils unique tantôt pour Edmond, le bâtard glorieux, tantôt pour l’honnête et sensible Edgar. Cet autre désastre de la paternité reste à l’arrière-plan. Mais les filles ! Elsa Granat les sauve, en les ramenant au plus près de la vie des «vrais gens». Les aînées sont normalement soucieuses des questions d’héritage mais la plus jeune, rejetée par son père dans un moment de délire, veut reprendre sa place de petit clown chéri…

©Simon Gosselin

©Simon Gosselin

Et Lear? Il s’adapte au rythme des séances télé, goûters et activités d’éveil, infantiles, proposées avec grand sérieux par cet E.H.PA.D. Un spectacle mis en scène avec un regard à la fois satirique, très drôle et respectueux. L’aide-soignante est particulièrement touchante, tiraillée entre les hallucinantes prescriptions de son métier  formulées à haute voix :« Je dois faire ceci, je fais cela, madame X, je passe derrière vous, je vais vous toucher… » -et la conscience qu’elle a de l’absurdité du système. Une solution: elle chante. On verra aussi un médecin (lointaine incarnation de Kent, le fidèle des fidèles à son Roi ?) incapable de prononcer le mot : dégénérescence. C’est un champion de l’incertitude, très angoissant pour les familles qui, elles, voudraient des réponses sûres. Mais que répondre à l’inéluctable de la vieillesse?

La mis en scène n’esquive rien. Texte, jeu, scénographie de Suzanne Barbaud soignée et efficace dont chaque élément est bien pensé et parfaitement réalisé. Les interprètes, Laurent Huon (Lear) en tête, assument leur rôle avec une totale générosité, jusqu’au bout des coups de gueule, peignées entre filles, chansons de variétés qui remuent les émotions, et du silence. Elsa Granat a invité un groupe d’amateurs à rejoindre le spectacle et les a conduits, hommes et femmes -surtout des femmes car plus nombreuses en maison de retraite- à pratiquer le théâtre. Elles et ils jouent avec sobriété et justesse en s’appuyant sur un trait de comportement qui leur appartient et leur permet de dessiner un personnage. Cela fait partie de la réussite de ce King Lear Syndrome

Qui en sont les «mal élevés» ? Presque tout le monde, à l’exception d’une pensionnaire, vieille dame modèle. Personne n’écoute personne? Si, un peu. Ce n’est pas inéluctable et chacun a sa part de respiration et de générosité. Cela donne sa profondeur au spectacle, avec une vision juste et drôle, sans indulgence et sans résignation de la famille, de la vieillesse, de l’institution, d’une médecine qui ne peut pas tout, des mots d’amour arrivant à contretemps.

Le spectacle est long (trois heures et demi) mais n’avons pas vu le temps passer et on s’y sent bien, tant il est riche et vrai. Mais vers la fin, quand s’installent sur le plateau de très belles images qui ramènent ce Lear vers les temps shakespeariens, nous avons faibli… En même temps, on comprend que le théâtre prend alors une autre fonction, consolatrice : non, le Temps n’existe pas, Shakespeare est de son siècle et du nôtre et plutôt que, de mort, on devrait parler de mémoire. Respect. Un spectacle à voir, évidemment.

Christine Friedel

Jusqu’au 29 janvier, Théâtre Gérard Philipe-Centre Dramatique National de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). T. :01 48 13 70 00.

Le 2 février au Théâtre-Scène Nationale de Mâcon (Saône-et-Loire), les 7 et 8 février, au Centre Dramatique National de Normandie-Rouen (Seine-Maritime).

 

 

 

 

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