Le Misanthrope de Molière, mise en scène René Loyon

Le Misanthrope de Molière, mise en scène  de René Loyon

Un pic à gravir et l’un des sommets du théâtre classique. Avec cette grande pièce sérieuse (mais on verra qu’elle est aussi très drôle), Molière, on l’a souvent dit, a hissé la comédie à la hauteur de la tragédie. Ou plutôt il a fait reconnaître au public et à la critique, la grandeur d’un théâtre qui fait rire et qui n’invite ni rois ni reines.
Il y joue comme jamais de la règle des trois unités qu’il a contribué à faire régner: autant un ressort qu’une contrainte sans oublier les nécessités techniques de l’époque et les exigences économiques d’aujourd’hui. Unités de temps, de lieu et d’action: on nous a appris à y voir les piliers de la dramaturgie classique.
Nous sommes au théâtre, et donc l’essentiel de l’action est la parole et le fond de l’affaire, le conflit. Ici, entre l’ombrageux Alceste et la coquette Célimène. Le couple va-t-il se former ou se défaire ? Voilà une comédie rare qui ne finit pas par un mariage, même si les bienveillants Philinte et Éliante l’espèrent encore un peu.

N.Hervieu

©N.Hervieu

Le lieu: le centre de ce petit monde est la maison de Célimène, une jeune et riche veuve qui tient « bureau d’esprit » et attire à elle les mondains comme la lampe attire les papillons.

Et le temps ? Plus encore que de l’unité de temps, il s’agit ici du moment. Ce jour-là, les amabilités de l’ami Philinte prodiguées à n’importe qui ulcèrent Alceste auquel la cour faite à Célimène devient insupportable.
Et il ne réclame que la justice, perd son procès faute de brigue, de « machines » et d’intrigues. Son valet a égaré un courrier urgent: c’en est trop! Et entre son bon droit (Parbleu !) et sa rage (Morbleu !), Alceste craque ! On a classé Le Misanthrope comme L’Avare dans les pièces de caractères, à la façon de La Bruyère.
C’est plutôt une comédie de situation, si l’on en croit le sous-titre, l’Atrabilaire amoureux. Quand on veut survivre, il faut être l’un ou l’autre. Et Alceste, lucide quant à ses contradictions, peste contre le sort qui l’a attiré vers Célimène. Mais il ne faut pas moins qu’un garde du tribunal pour lui faire quitter les lieux quand ses rivaux s’y installent, et il y revient dès l’acte suivant. En un mot : Alceste, tenu en laisse par une passion fatale, est au bout du rouleau…

Outre des raisons de circonstances, c’est peut-être cela, ce « bout du rouleau » qui a incité René Loyon à mettre en scène ce Misanthrope avec des comédiens chenus. En quoi les seniors seraient-ils plus patients que les jeunes ? Combien d’avanies a du subir Alceste, combien de contraintes a-t-il dû endurer avant de se révolter ? Pourquoi une Célimène, encore belle et spirituelle renoncerait-elle à l’encens et aux flatteries, même prodiguées par quelques fantoches vieillissants ? Quelle ligne invisible la sépare d’une Arsinoé amère, écartée de la séduction mais qui essaye d’attirer Alceste? Ne parlons pas d’Oronte et des petits marquis, définitivement englués dans leurs pratiques de Cour. Quant à la jeune Éliante et Philinte, raisonnables parce que revenus de tout, ils restent les spectateurs bienveillants et navrés de cette dure journée.

Le pari de cette distribution qui rend toute sa force à la pièce est gagné. Claude-Bernard Pérot nous donne l’Alceste le plus juste qu’on ait vu depuis longtemps, au bord de l’explosion et donc d’un comique irrésistible quand il se prend les pieds dans le minimum de politesse requise, et tout aussi amer devant l’échec de sa vie.
Comme tout bon Alceste, il est insupportable mais c’est lui qu’on préfère, face au Philinte élégant et sensible de Dominique Verrier et à une Célimène pleine d’un charme réel : Corinne Bastat. Elle nous la montre intelligente, lucide quant à sa dépendance aux mots d’esprits et aux murmures flatteurs reçus en retour. Mais surtout, elle nous fait découvrir une chose toute simple : Célimène est aussi sincère que sa cousine Éliante (Christine Combe), du moins avec Alceste, le principal intéressé : oui, elle l’aime, elle le distingue, comme il le souhaite à la première scène, mais elle veut conserver sa cour reflétant le cercle des puissants, fait de passe-droits et d’intrigues, où la médisance amuse plus que la bienveillance.

La fameuse tirade d’Éliante à l’acte II : «Dans l’objet aimé, tout leur devient aimable : /Ils comptent les défauts pour des perfections,/Et savent y donner de favorables noms » ne rencontre pas le même succès que les coups d’épingle bien ajustés de Célimène  qui triomphe facilement des insinuations perfides d’Arsinoé (Evelyne Guimarra, en perdante frémissante, non résignée), dans une série de : « On dit « Et le jeu des portraits commence dès la première scène, quand Philinte teste son ami Alceste le misantrophe sur leurs fréquentations : faut-il dire la vérité et ouvrir à tout prix les yeux aux « victimes de la mode » sur leurs ridicules ?

René Loyon décape le texte et nous l’entendons comme jamais : nous y redécouvrons des trésors. Molière est aussi, et avant tout, un grand écrivain : nous sentons sa vie mouvementée, saigner dans les « Morbleu ! » d’Alceste, et la lassitude d’une Cour qui a fait sa fortune. Mais le spectacle doit continuer : il met ses tripes sur la table et fait rire des contradictions insurmontables de son Atrabilaire.
Il ne privera pas son public de scènes de pure comédie : les apparitions des Dupond et Dupont que sont Acaste (Thierry Vu Huu) et Clitandre : Pierre Ascaride à contre-emploi de son personnage populaire comme un Monsieur de Sottenville monté à la Cour, aussi désassortis que possible. Ou encore l’entrée du valet Du Bois (Dominique Gras), étourdi, abruti comme son patron Alceste, pour ce qui est des affaires.

On pourrait raconter longuement ce misanthrope, personnage en noir mais sans rubans verts. Les fanfreluches du XVII ème siècle et les subtilités précieuses ne s’opposent en rien au parti-pris actuel mais donnent juste quelques moments de repos à la tension de la pièce (cela a été aussi dit de la pièce à sa création) dans cette mise en scène «janséniste ». Molière est plus que jamais notre contemporain. Et ce Misanthrope, une réussite à ne pas manquer.
Le public aura aussi la chance de voir la belle exposition Créspucules qui réunit les œuvres de Guillaume Antoine, Jérôme Delépine, Anaïs Charras et Evelyne Galinsk. Peintures, photos et sculptures évoquent, en harmonie, ce moment de basculement et de transformation. Cela mérite que vous arriviez à l’avance, ou que vous vous attardiez un peu après le spectacle.

Christine Friedel

Centre culturel Le Cent, 100 rue de Charenton, Paris (XII ème), à 20h, les seuls lundis 23, 30 janvier, et 6 février. Puis les 14, 15, 20, 21 et 22 mars. T. :01 46 28 80 94


Archive pour janvier, 2023

Maison de poupée d’Henrik Ibsen, traduction et mise en scène de Dimitris Tarloou

Maison de poupée d’Henrik Ibsen, traduction et mise en scène de Dimitris Tarloou


Le célèbre dramaturge norvégien a écrit cette pièce en 1879 à partir d’un fait divers: Laura Kieler, qu’il avait connu, était l’épouse d’un professeur et avait secrètement emprunté de l’argent pour essayer de sauver son mari malade mais elle se l’était ensuite vu reprocher: l’affaire s’était terminée par un divorce. Les thèses féministes lancées par Camilla Collet faisaient alors fureur en Norvège et Ibsen qui habitait Rome, avait proposé que soit nommée une bibliothécaire à l’Union scandinave. Et il étudie, comme le faisait à l’époque, l’avant-garde norvégienne, le conflit entre les femmes et la société masculine. Il stigmatise une double morale:  l’une pour l’homme et qui prévaut, et l’autre pour la femme et il faisait là tout le procès de l’égoïsme et du cynisme masculins. Dans Maison de poupée, Henrik Ibsen exprime aussi avec intensité la difficulté, sinon l’impossibilité tragique de communication, l’angoissante dialectique du bonheur et du malheur, les sinistres antinomies entre imaginaire et réel. Et affleure ici par moments un thème cher à Ibsen: notre passé nous accable. Mais Nora et Helmer ont une vie intense et chaleureuse…

 

© kouklospito

© kouklospito

Le succès mondial de cette œuvre qui ne s’est jamais démenti, prouve que sa valeur ne réside pas seulement dans la thèse qu’elle défend et la mise en scène de Dimitris Tarloou est d’une grande qualité.

Comme un récit d’actualité, le spectacle est centré sur l’illusion d’un confort familial qui sera violemment brisé. Sur des mélodies jouées au piano par Krystalia Theodorou, cela se passe dans un salon impeccable mais hanté par une immense nature morte, cauchemardesque de Frans Snyders et côté jardin et cour, et côté cour par des vitrines avec des images.

La scénographie de Thalia Melissa et les lumières d’Alekos Anastassiou soulignent bien cette situation artificielle que vivent Nora (Lena Papaligoura) et Torvald (Giorgos Hristodoulou). Ils vont gravir les étapes qui les mèneront à l’effondrement de leur mariage. Ici, le thème du mari absent et de la communication est central et Dimitris Tarloou fait jouer le rôle de la servante par Olga Dalekou, une actrice sourde-muette… Un contrepoint ironique: la communication non verbale peut aussi devenir essentielle… Bref, le metteur en scène a fait une lecture d’un grand classique et a situé la pièce à notre époque, en la faisant jouer par de remarquables interprètes…

Nektarios-Georgios Konstantinidis

Théâtre Poreia, 3-5 rue Trikorfon, Athènes, T. : 00308210991

https://www.youtube.com/watch?v=7KCvHA7Cdtk

 

4.211 kms texte et mise en scène d’Aïla Navidi

4. 211 kms, texte et mise en scène d’Aïla Navidi

C’est la distance entre Téhéran et Paris où Mina et Fereydoun comme tant d’autres sont venus se réfugier,   Khomeini, dignitaire chiite et guide spirituel de la révolution islamique a renversé en 79 le shah d’Iran  et a ensuite instauré une dictature féroce. Il a,  entre autres, condamné à mort l’écrivain Salman Rusdie, avec une fatwa l’accusant de blasphème.

© Dimitri Klockenbring_

© Dimitri Klockenbring_

Ici, Yalda,  la fille de Mina et Fereydoun, née à Paris, raconte leur vie en exil, les coups de téléphone tous entassés dans une cabine quelques minutes pour rester en contact avec la famille restée là-bas, et le combat que son père mène pour la liberté. Mais aussi la mémoire et l’amour qu’il gardent pour ce pays où les hommes mais surtout les femmes sont encore aujourd’hui martyrisées. Déracinement, vie dans la capitale, mémoire de Téhéran… tout se bouscule mais  ils ont le vague espoir d’un retour ou du moins d’un voyage là-bas, espoir qui s’amenuise chaque année un peu plus… Et d’une nationalisation pas si simple à obtenir dans une France accueillante mais où la moindre démarche administrative est infernale et où il faut trouver sa place.
Bref, comment des exilés de la même famille mais qui n’ont déjà plus le même passé, peuvent-ils aussi arriver à vivre ensemble sans heurt et conserver une identité commune. «
Quand nous sommes partis, dit Aïla Navidi , nous pensions que c’était pour six mois, ça fait trente cinq ans. Mon père a dit ces mots récemment. Ça résume assez bien notre histoire. Je suis née à Paris de parents réfugiés politiques, ils se sont battus contre une monarchie, rêvant de démocratie et ont finalement fui pour la France après une révolution qu’on leur a volée. J’ai longtemps cru que la France était un pays d’exil transitoire et que nous allions rentrer. Rentrer où? Je n’avais jamais vécu en Iran… A une période de ma vie, j’en ai voulu à la terre entière, mes parents inclus: ne me sentir chez moi nulle part, avoir honte de l’accent de mes parents, devoir réussir pour eux, être exemplaire, culpabiliser, vivre dans un monde binaire où l’on doit être Français ou Iranien. Que ferions-nous si notre pays basculait aux mains d’extrémistes? Qui deviendrions-nous si nous devions nous exiler? Ces dernières interrogations font froid dans le dos mais nous ne retrouvons pas la même émotion dans ces dialogues souvent un peu minces…

Tout cela sonne juste et la dramaturge et metteuse en scène dit s’être nourrie, pour se replonger dans l’Iran des années quatre-vingt, des films d’Abbas Khiarostami et de Jafar Panahi. Et des bandes dessinées de Marjane Satrapi ou de Riad Sattouf. Elle fait interpréter Yalda et ses parents par trois interprètes et trois autres incarnent plusieurs personnages. Dans un espace/temps pas vraiment maîtrisé qui tient d’un film avec des séquences très courtes comme dans un film et on s’y perd un peu. Mais l’histoire du théâtre contemporain nous a appris que cela ne peut pas fonctionner pour cette question toute simple d’espace-temps…
Il y a ici à des années de différence, annoncés par des pancartes vidéo, la maternité de l’hôpital Trousseau, une prison avec tortures en Iran une cabine téléphonique imaginaire à Paris et l’appartement avec des tapis persans et des paillettes noires, rappelant à la fin les cendres d’urnes vides, celles des parents déjà morts quand Yalda raconte cette histoire de famille.
Côté dramaturgie, texte et direction d’acteurs (
Sylvain Begert, Benjamin Brenière, Florian Chauvet, Alexandra Moussaï, Aïla Navidi) rien de très convaincant; il y a heureusement de plus en plus limpide, le jeu d’Olivia Pavlou-Graham (très impressionnante Yalda). Et sublime mais désolante, l’extrême fin avec la projection video en silence de centaines de noms iraniens… sans doute ceux des prisonniers politiques jetés dans un lac ou massacrés par les milices du pouvoir.
C’est après l’évocation par Brecht de ce que peut signifier un exil forcé (voir
Le Théâtre du Blog) une indispensable piqûre de rappel. Surtout au moment où les fascistes religieux actuellement au pouvoir  emprisonnent et tuent par milliers les opposants qui n’ont pas pu s’enfuir de ce seul État officiellement chiite qui compte plus de quatre-vingt millions d’habitants subissant une répression impitoyable. Le 16 septembre dernier, Mahsa Amini, une jeune femme de vingt-deux ans, est décédée trois jours après avoir été arrêtée par la «Police de la moralité» et accusée de ne pas porter le hijab en public. Ce qui engendra manifestations et répression immédiate avec arrestations et pendaisons sans procès.
C’est en filigrane ce à quoi on pense quand on voit un spectacle comme celui-ci. Il ne fera guère peur à l’ambassade d’Iran mais le Théâtre de Belleville a bien fait de l’accueillir. Et malgré ses défauts, il faut le soutenir.

Philippe du Vignal

Jusqu’au 31 janvier, Théâtre de Belleville, Passage Piver, Paris (XIème ). T. : 01 48 06 72 34 16,

Je suis un lac gelé de Sophie Merceron, mise en scène de Matthieu Roy

Je suis un lac gelé de Sophie Merceron, mise en scène de Matthieu Roy

 Il y a peu de textes théâtraux destinés au très jeune public. La directrice des Plateaux sauvages et le metteur en scène ont donc passé commande d’un texte pour tout petits (de 3 à 6 ans)  à Sophie Merceron, lauréate du Prix de littérature dramatique jeunesse 2021, avec Manger un phoque. Matthieu Roy avait mis espace cette pièce, à la Maison Maria Casarès qu’il dirige avec Johanna Silberstein. «J’avais été profondément ému, dit-il, par son univers à la lisière du fantastique et de la réalité comme par ses personnages d’enfants pris dans les remous de parcours initiatiques qui les aident à grandir. »

©Ch. Raynaud de Lage

©Ch. Raynaud de Lage

Ici, nous sommes dans la chambre de Göshka, cinq ans, incarné par Iris Parizot à la fois, personnage et narratrice. Les enfants, assis en rond autour d’elle, vont entendre son histoire. Dehors, il neige. Le petit garçon dort, avec, à ses côtés, son copain Anatol, le violon. Une voix le réveille : c’est Milan-sous-la glace, un garçon-glaçon prisonnier depuis mille ans du lac gelé. Iris Parisot qui est aussi altiste, va dialoguer avec cette voix, jouant parfois quelques notes sur son instrument.

 La voix de Milan, d’abord inquiétante, réconforte Göshka qui est triste et voudrait que le printemps arrive. Parce qu’avec le printemps, reviennent les oiseaux migrateurs. Et son père, comme eux, est parti avec l’hiver. Mais reviendra-t-il? Göshka a décoré sa chambre avec d’oiseaux qu’il a un peu démantibulés car il est en colère, mais Milan va l’aider à répondre à ses angoisses. Peut-on s’aimer fort, même de loin ? Et si on aime furieusement sa maman, a-t-on le droit de la manger  et a-t-elle le goût de fromage fondu? Et un fantôme dans un lac gelé peut-il être un ami ?

 Les mots, quelques notes d’alto et de grands volatiles de papier coloré qui volètent au-dessus de la petite scène réussissent à embarquer les enfants dans cette histoire fantastique. Le metteur en scène fait confiance au texte et à l’imagination des enfants, sans convoquer un théâtre d’objets et d’images. Le spectacle nous a paru un peu aride, mais même les petits de quatre ans sont entrés pendant une demi-heure, dans le rêve de Göshka…

 

Mireille Davidovici

Jusqu’au 21 janvier, Les Plateaux sauvages, 5 rue des Plâtrières, Paris (XXème). T. : 01 83 75 55 70.

Du 22 au 27 janvier dans les établissements scolaires à proximité des Plateaux Sauvages ; 31 janvier et 1er février, Théâtre de Chelles – Festival Solo, Chelles (Seine-et-Marne) ; 7 au 10 mars, Glob Théâtre, Bordeaux  (Gironde) 4 au 7 avril, Théâtre des Bergeries, Noisy le Sec (Seine-Saint-Denis)

La pièce sera prochainement  publiée à l’école des loisirs

 

Gérard Majax

 

Gérard Majax

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Né dans le vieux Nice en 43. Mais ses parents  déménagèrent à Paris cinq ans plus tard. Première rencontre avec la magie quand il a douze ans. « À l’époque, entre la Porte de Clignancourt et celle de Saint-Ouen, il y avait une allée avec une vingtaine de camelots. Trois d’entre eux vendaient des accessoires de magie et le plus connu se faisait appeler le Professeur Marcel. Je lui ai acheté mes premiers tours dont une raquette avec une pièce de monnaie qui se dédoublait et un jeu de cartes truquées (jeu radio). Il présentait des tours avec des dés à coudre qui « naissaient » et disparaissaient de ses doigts,  comme par enchantement.  Cela me captivait et je lui ai alors acheté un petit livre pour apprendre à refaire ce tour. Déception absolue! Il y avait juste deux dessins, l’un avec une main présentant un dé sur un doigt et un autre où il avait disparu Mais impossible de comprendre comment… Vingt-quatre ans plus tard, en 1979, j’ai pris ma revanche en publiant, aux éditions Techniques du spectacle, un livre exclusivement consacré à la magie des dés avec une vingtaine de manipulations que j’avais inventées. Les dessins, signés du talentueux James Hodges, permettaient enfin de bien les comprendre. »

Vers l’âge de quinze ans, pour se faire un peu d’argent, il peignait des tableaux. Et à Montmartre, un touriste lui acheta les dix qu’il présentait mais avec des dollars canadiens. A la banque, le lendemain on lui dit que ces billets étaient périmés. Ce qui mit fin à sa carrière de peintre et il se concentra sur la magie. A seize ans, il passa un examen pour entrer à l’Association Française des Artistes Prestidigitateurs. Le président en était le docteur Jules Dhotel, qui, en échange d’un service de secrétariat, lui apprit discrètement des tours, le jeudi soir.  Mais sa femme le rappelait souvent à l’ordre pour qu’il s’occupe de ses patients.

L’été, il travaillait dans les cabarets et restaurants de la Côte d’Azur et il fit la connaissance de Fernand Reynaud qui pratiquait la magie des cartes et d’Eddie Barclay. « De retour à Paris, je repris contact avec lui et il devint mon mentor, et comme un père pour moi. Au cabaret La Tête de l’art, j’ai ensuite rencontré Bruno Coquatrix, directeur de l’Olympia à Paris. Il m’inclut dans  une Tournée mondiale du music-hall de France  avec quatre-vingt-douze artistes. Nous avons parcouru l’Allemagne, l’U.R.S.S., la République tchèque, etc. Une expérience inestimable pour moi. »

A ce moment-là, Gérard Majax rencontra Fred Roby, un des meilleurs ventriloques au monde, capable de faire chanter sa poupée Coralie, tout en jouant de l’harmonica, en buvant et fumant. Il lui a appris beaucoup de choses sur le rythme et la valeur des silences.Et pendant cette longue tournée, lui vint l’idée de l’émission Y’a un truc. Mais il eut du mal à convaincre les chaînes de télévision et attendit trois ans pour que le projet se concrétise. Il arrêta alors ses études à l’institut de psychologie de la Sorbonne pour se consacrer à la magie. Enfin en 1975, Armand Jammot, directeur des programmes d’Antenne 2, lui fait confiance. Et Y’a un truc est diffusée du lundi au samedi à une heure de grande écoute : 19h45, donc juste avant le Journal de 20 h. Le principe était simple : il y présentait une expérience de physique amusante. Les candidats pouvaient alors poser une question et donner  une solution. Grand succès ! Avec 40 % d’audience, la première année et des dizaines de milliers de lettres de spectateurs enthousiastes de tout âge et de toutes conditions. «J’en ai depuis reçu une trentaine, de professionnels qui me remerciaient : cette émission leur avait donné l’envie de faire, de l’art magique, leur vie. Comme une médaille a toujours un revers, je me suis attiré quelques jalousies, et deux d’entre eux  disaient que je dévoilais des secrets, alors que c’était  juste de la physique amusante .
J’ai ensuite fait quinze ans de télévision avec des émissions qui ont remporté un gros succès comme Passe-passe le dimanche après-midi, AbracadabraMagie-surprise avec pour la première fois des caméras cachées magiques, La Caverne d’AbracadabraMagic-Hall, Le Club  DorothéeMagic Club, ou encore Magie-Majax où le 25 décembre 1981, des vedettes du show-biz présentaient des grandes illusions sur le thème de Noël. Armand Jammot m’a beaucoup appris sur la magie à la télévision. Il m’avait notamment expliqué que le close-up y était à sa place mais à condition d’entrer dans le salon des téléspectateurs pour qu’ils aient l’impression que les numéros soient faits pour eux. »

Gérard Majax a aussi écrit une vingtaine de livres dont Les Allumettes magiques, en forme de boîte d’allumettes (1967). Il avait rencontré, dans un cercle, André Mayette qui tenait la boutique Mayette Magie Moderne, un des seuls marchands qui possédait aussi un atelier de création de tours. » Il maîtrisait ainsi parfaitement son art. Je lui avais parlé des choses que je faisais avec des allumettes et me proposa d’en faire un livre avec James Hodges, un formidable chorégraphe, dompteur, metteur en scène, ventriloque et surtout dessinateur. Ensemble, nous avons travaillé sur ce livre et sur plusieurs autres. Il m’accompagna aussi dans des émissions comme La Caverne d’Abracadabra aux côtés de Gaëtan Bloom qui jouait le rôle d’un Chinois toujours un peu fou. James Hodges, lui, animait des marionnettes qui se plaignaient parfois de leur sort. Il faisait des dessins, qui ne se révélaient que si on  les retournait. Nous avons poursuivi l’aventure dans Carré magique,  une comédie musicale, avec James Hodges, Gaëtan Bloom et Annine, chez Silvia Monfort, directrice du théâtre où ils jouaient et qui était à l’initiative de ce projet.

Mais Gérard Majax est aussi réputé pour lutter contre les escrocs. «Cela  doit venir de ma formation en psychologie. Certains font croire qu’ils peuvent faire des guérisons à distance, en utilisant des techniques de mentalisme, ou qu’ils ont des pouvoirs surnaturels. J’ai confondu Yuri Geller, un bon artiste mais qui mentait et faisait croire au paranormal. C’est très difficile de faire disparaitre ces charlatans car cette activité rapporte beaucoup d’argent. Et Yuri Geller continue d’exercer dans le monde entier. J’ai écrit des livres pour expliquer ces arnaques et de 1987 à 2002, j’ai lancé «le grand défi zététique international» avec Henri Broch,physicien et Jacques Théodor, immunologue. Avec deux cent mille euros à la clé à celui qui prouverait un phénomène paranormal. Personne n’y a jamais réussi. En 1990, pour ce travail de démystification, le président de la République François Mitterrand, m’a décerné la médaille du Mérite. »

Dans une conférence, Gérard Majax fait une démonstration de phénomènes paranormaux. Et il en explique les principes et  trucages qu’il a pu voir, comme ceux d’un gourou à New Delhi  ou ceux d’un sorcier en Afrique. Ces thaumaturges, dit-il mélangent philosophie de l’occultisme et principes de magie. J’ai dû me méfier des poisons et pièges. Et après la conférence, je réponds aux questions du public .»

Gérard Majax a été influencé par Channing Pollock,  élégant et charismatique, prodigieux manipulateur qui avait créé un magnifique numéro de colombes. Shimada,lui présentait un numéro de magie japonaise avec un dragon qui apparaissait au final. Et grâce à Siegfried et Roy, Majax  a vu qu’ un spectacle de magie pouvait attirer à Las Vegas, un public plus familial.. «Avant eux, en soirée étaient proposés des spectacles avec danseuses aux seins nus et jusqu’à cent-cinquante artistes sur scène ! Ils ont utilisé, pour la première fois, des illusions d’animaux sauvages : tigres, lions et tigres blancs dans une salle construite pour eux et il voyageaient donc peu, contrairement à David Copperfield. Ils ont beaucoup travaillé avec Christian Fechner qui, en amateur éclairé, leur a inventé des effets et, généreux comme il était, leur en a fait cadeau. Très vite, Las Vegas est devenu la capitale mondiale de la magie. Siegfried et Roy sont devenus des amis. Je suis resté un an au Crazy-Horse et eux, étaient au Lido où nous nous sommes rencontrés. Ils m’ont invité plusieurs fois dans leur magnifique villa à Las Vegas. Un jour, ils m’ont dit de venir caresser un tigre dans la piscine qui a rugi, cela m’a effrayé et les a bien fait rire ! »

Ce magicien bien connu pense qu’il est mieux pour un débutant d’avoir une formation théâtrale avant de commencer sur scène puis de viser un spectacle complet d’une heure. Les jeunes, estime-t-il, vont à beaucoup de concours internationaux avec des numéros en dix minutes qui n’ont pas de débouchés sur les grandes scènes. «À notre époque, on avait la chance de faire trois ou quatre cabarets par soir, ce qui était très formateur et payant. Les jeunes qui débutent aujourd’hui font beaucoup de close-up. J’en ai fait dans les banquets. À l’époque, cela n’existait pas et j’ai créé une troupe de dix magiciens comme Pierre Edernac, James Hodges, Gaëtan Bloom, Duraty, Georges Proust… Costumés en marquis, nous officions dans les grandes soirées, notamment à l’Orangerie du château de Versailles,

Gérard Majax a aussi lancé une boutique en ligne où une partie des bénéfices va aux enfants d’Ukraine. Après le débat d’entre deux tours du 20 avril dernier, face à Marine Le Pen Emmanuel Macron a dit :« C’est pas Gérard Majax ce soir ! », Et dit-il, j’ai eu la bonne surprise d’être très sollicité. Il y a eu un nombre incroyable d’articles dans la presse, et même une page entière dans le Le Monde. J’ai aussi eu la surprise de découvrir des T-shirts et tasses, vendus sur Internet, avec cette phrase, et donc, avec mon nom. J’ai appelé la boîte pour leur signaler qu’ils auraient dû avoir mon autorisation. Nous avons trouvé un compromis. Le directeur de Tostadora, Aurélien Brulé, m’a proposé de créer un design à mon effigie pour l’utiliser sur différents produits et une partie des bénéfices est reversée à l’Unicef, au profit des enfants d’Ukraine. Le site propose t-shirts, sweat-shirts avec dix-neuf couleurs possibles, des sacs, tasses, avec un dessin de ma tête sous un chapeau haut-de-forme. »

Le magicien français a de nombreux projets, en partenariat avec Sylvain Gary, un auteur de livres, B.D. et pièces de théâtre qui a, entre autres, écrit Les Mots farceurs, une déclinaison humoristique de nombreux jeux de mots. Il écrit avec lui une comédie policière magique et un long métrage d’animation depuis déjà cinq ans mais il tient à le garder secret. Il a aussi aussi un projet pour Georges Proust avec un dessinateur connu. Mais il continue à jouer son solo Les Dessous du Magic-Hall, un spectacle itinérant proposé aux municipalités, associations, théâtres… auquel il a ajouté une vingtaine d’anecdotes qu’il aime raconter. Comme celle-ci : « J’étais aux jardins des Tuileries en train de prendre un café sans sucre Je vois alors une dame assez âgée s’approcher de moi et me dire : «Ah ! Gérard Majax ! » Comme souvent, je lui dis : « Vous vous trompez, madame, il est plus gros et plus petit que moi… Généralement, cela suffit à dissuader le tout-venant mais pas elle qui m’assure que je suis bien Gérard Majax. Elle ne veut pas en démordre, et me demande alors de lui donner le sucre resté près de ma tasse . Je pense qu’elle veut juste le récupérer. Mais elle me dit : «Mettez-le dans votre main. Fermez-la. Soufflez dessus. Ouvrez-la main. (elle voit alors le morceau de sucre). C’est vrai, vous n’êtes pas M. Majax ! »

Sébastien Bazou

Interview réalisée le 8 janvier.

https://www.majax.com/

Le Bonheur de donner de Bertolt Brecht

Le Bonheur de donner de Bertolt Brecht, spectacle placé sous le regard de Patrick Bonnel

Sur la petite scène aux rideaux noirs Ariane Ascaride et David Venitucci, accordéoniste,  sont sagement assis sur des chaises hautes devant un pupitre avec un micro pour chacun.  Ariane Ascaride a conçu ce spectacle comme un parcours dans l’œuvre poétique de celui qui voulait que l’homme soit bon dans un monde qui ne l’est pas, et juste dans un monde injuste. Et les aphorismes comme les phrases teintées de mélancolie se succèdent : « Celui qui combat peut perdre, mais celui qui ne combat pas a déjà perdu. » « Il faut extirper la bêtise parce qu’elle rend bête ceux qui la rencontrent. »

L’homme de théâtre Brecht faisait encore peur dans les années soixante-dix à certains énarques du Ministère de la Culture qui ignoraient aussi qu’il était. Très jeune, il avait déjà écrit de la poésie et à vingt ans, Baal sa première pièce qui tient en fait d’un long poème dramatique : «C’est inadmissible; il y a des théâtre en banlieue qui jouent du Brecht! » (sic). C’était d’une bêtise crasse et c’était aussi oublier qu’en 33, ses livres furent brûlés par les nazis et qu’il avait donc été forcé de quitter l’Allemagne. Il passera ainsi seize ans de sa vie en exil en Suède, Finlande et aux Etats-Unis. Et c’est le thème de plusieurs textes que nous entendrons ici.

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«J’ai relu, dit Ariane Ascaride beaucoup de poésies de Brecht, qui est toujours présenté comme un auteur austère, sérieux, théorique … On connaît moins sa bienveillance, son humour, son sens du spectacle. Il a éclairé certains moments de ma vie et je voulais en cette période de grands bouleversements faire à nouveau entendre ses mots si encourageants ». Et il précise dans Dialectique: « Le théâtre est capable de faire de la dialectique une jouissance. Les surprises que réservent l’évolution logique, progressive ou saccadée, et l’instabilité de tous les états de choses, l’humour des contradictions etc.., ce sont autant de plaisirs que procure la vitalité des hommes, des choses et des processus et il rehausse l’art de vivre en même temps que la joie de vivre. Tous les arts contribuent au plus grand de tous les arts, l’art de vivre. »

Mais il sait vivre et en dit tout les petits bonheurs dans Plaisirs: « Le premier regard par la fenêtre au matin/Le vieux livre retrouvé/Des visages enthousiastes/De la neige, le retour des saisons/Le journal/Le chien/La dialectique/Prendre une douche, nager/De la musique ancienne/Des chaussures confortables/Comprendre/De la musique nouvelle/Ecrire, planter/Voyager/Chanter/Etre amical. »

 Il y a aussi donc obsédant chez lui le thème de l’exil avec : Sur le sens du mot émigrant, ou  Exil  où il dit avec une rare lucidité: « J’ai toujours trouvé faux le nom qu’on nous donnait : émigrants/Le mot veut dire expatriés mais nous/Ne sommes pas partis de notre gré/Pour librement choisir une autre terre /Nous n’avons pas quitté notre pays pour vivre ailleurs, toujours s’il se pouvait./Au contraire nous avons fui. Nous sommes expulsés, nous sommes des proscrits/ Et le pays qui nous reçut ne sera pas un foyer mais l’exil./Ainsi nous sommes là, inquiets, au plus près des frontières/Attendant le jour du retour, guettant le moindre changement. (…) Mais nul d’entre nous Ne restera ici. Le dernier mot n’est pas encore dit. Et Maintenant/Je vis en pays étranger, chassé de ma patrie/Je reste debout devant des gens assis, je fais place à ceux qui sont arrivés après moi,/Et je me tais quand on m’accueille avec des cris.Mais le poète s’en prend aussi à la guerre dans Celui qui se bat, Aux Soldats allemands, Hymne de guerre des chapeaux noirs. Et il stigmatise ceux qui veulent ignorer «le bonheur de donner » ces mots repris dans le titre du spectacle.

Ariane Ascaride dit ces poèmes avec sensibilité et une diction précise (parfois un trop); le public, pas très jeune, semble découvrir avec étonnement ce poète sans doute inconnu d’eux. Et comme dans le théâtre de boulevard, il applaudit l’entrée de l’actrice puis, de temps en temps pendant le spectacle. David Venitucci, aussi discret que brillantissime, l’accompagne en jouant de tous les registres et cela donne une belle couleur aux mots. Mais nous n’avons pas bien compris le pourquoi de ces micros dans cette petite salle : la musique étouffe parfois le texte, les nuances de la voix disparaissent, et c’est dommage. Et comme les interprètes ne quittent jamais leur chaise haute, cela donne un côté statique au spectacle. Un récital poétique de cette dimension et d’une telle qualité musicale aurait mérité une véritable mise en scène. A ces réserves près, allez écouter ces textes de Bertolt Brecht dits par Ariane Ascaride, cela vaut le détour...

Philippe du Vignal

Théâtre du Lucernaire,  53 rue Notre-Dame des Champs, Paris VI ème. T.  : 01 45 44 57 34.

Le Pied de Rimbaud d’Arthur Rimbaud, adaptation et mise en scène de Laurent Fréchuret (à partir de quatorze ans)

Le Pied de Rimbaud d’Arthur Rimbaud, adaptation et mise en scène de Laurent Fréchuret (à partir de quatorze ans)

«Nous voilà, ici et maintenant dit le metteur en scène ; à nouveau surpris par la force de frappe, par la charge d’éveil déposée par Rimbaud voilà cent-cinquante ans. Ces écrits sont plus que jamais un programme révolutionnaire plein de vitamines, l’acte de foi, la déclaration d’intention d’un jeune homme visionnaire ouvrant une fenêtre sur la modernité. Laurent Fréchuret a conçu et mis en scène ici un montage d’écrits autour du thème de la naissance d’une conscience et d’une aventure. Le tout jeune Arthur Rimbaud, séminariste, est affolé par le désir qu’il a pour une jeune servante d’auberge : Thimothina Labinette et il sent que battre en lui un « cœur sous une soutane  titre de court texte souvent adapté au théâtre. Mais il y a aussi Les Lettres du voyant, une lettre personnelle où il proclame : « Je dis qu’il faut être voyant, se faire voyant.Le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d’amour, de souffrance, de folie ; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n’en garder que les quintessences. Ineffable torture où il a besoin de toute la foi, de toute la force surhumaine, où il devient entre tous le grand malade, le grand criminel, le grand maudit, – et le suprême Savant ! – Car il arrive à l’inconnu !

 

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Et Maxime Dambrin dit aussi: Au Cabaret vert. Ce cabaret était en fait une auberge populaire à Charleroi en Belgique où il s’arrête en 1870 -il a seize ans et va fuguer à pied et en train, pendant une centaine de kms en huit jours seulement dans les Ardennes avec des chaussures usées.Mais un grand moment de bonheur simple et une liberté retrouvée pour ce jeune fugueur. La serveuse est charmante et assez provocante avec de gros seins. Et il savoure avec sensualité ce jambon blanc à l’ail qu’elle lui sert avec des tranches de pain, du beurre et une choppe de bière bien mousseuse. Bref, un petit bonheur à l’état pur… Arthur Rimbaud est enfin libéré de ce Charleville provincial dont il a horreur, et de sa mère plaquée par son mari, et très autoritaire envers ses quatre enfants. Et Maxime Dambrin dit aussi L’Eternité, un court mais très beau poème de jeunesse:  » Elle est retrouvée./Quoi ? – L’Eternité./ C’est la mer allée/Avec le soleil… »Et y a aussi bien sûr et entre autres l’immortelle Saison en enfer et Les Poètes de sept ans.

Le tout porté par ce jeune acteur avec une diction des plus ciselées et une sensibilité poétique qui témoignent d’un travail sérieux sur le texte. Il offre aux célèbres vers une belle dimension orale dans un écrin fermé par un rideau de fils noirs et une trentaine de bougies derrière lesquels par moments improvise avec légèreté une harpiste. (…) Ils ont été chaleureusement applaudis. Une bonne occasion de redécouvrir le tout jeune et déjà visionnaire Arthur Rimbaud… Mais attention, le spectacle se joue uniquement le samedi…

Philippe du Vignal

Spectacle vu le 14 janvier au Studio Hébertot, 78 bis boulevard des Batignolles, Paris (XVII ème). T. : 01 42 93 13 04. 

Panique dans la forêt par le Weepers Circus, mise en scène de Vanessa Guillaume Revelaygue

 

Panique dans la forêt par le Weepers Circus, mise en scène de Vanessa Guillaume Revelaygue (à partir de cinq ans)

Pour son quatrième spectacle jeune public, le Weepers Circus nous raconte l’histoire de quatre joyeux garçons qui rentrent d’une fête en chantent gaiement dans la nuit… Arrive un orage et ils vont se perdre dans un forêt interdite mais enchantée. Ils y rencontrent d’étranges personnages comme un Cyclope, des pirates, un inquiétant seigneur, un corbeau… Et même, à en croire l’un d’eux, une vraie licorne… qui n’existe pas. Mais ils ne savent pas comment sortir de cette forêt interdites et attendront que se lève l’aurore. Avant, ils assisteront au légendaire bal des barbus !

© Samten  Norbu

© Samten Norbu

Sur le plateau, quelques châssis où seront projetées des branches d’arbres et sur l’impeccable récit en voix off de Tcheky Karyo, les compères du bien connu Weeper Circus: Christian Houllé aux claviers, percussions, Franck George à la basse, violoncelle et guitare, Denis Léonhardt à la clarinette, saxophone, guitare et Alexandre Bertrand, à la batterie. Mais tous chantent aussi, individuellement ou en chœur. C’est un tornade d’énergie musicale… Ces grands professionnels du Weepers Circus, originaires de Strasbourg, à la diction impeccable avaient il y a onze ans déjà édité leur huitième album un livre-disque avec des invités comme entre autres pour des textes ou des duos: Jean Rochefort acteur, Michel Rocard, homme politique, Jean-Claude Carrière écrivain et scénariste, Juliette chanteuse, Jean-Luc Nancy, philosophe… Panique dans la forêt, leur nouveau livre-album édité par Gallimard Jeunesse fut ensuite à l’origine de ce concert-spectacle.

Ces multi-instrumentistes et chanteurs ont toujours, quelque vingt ans après leurs débuts, une indéniable présence et savent embarquer les jeunes spectateurs comme leur parents dans cette histoire plus musicale et chantée que racontée, avec ombres et lumières efficaces. Côté bémols: il faudrait revoir la balance: souvent la musique, trop forte, couvre le texte. Mais en cet après-midi morose d’hiver parisien, il y avait du rythme, une joie réelle et comment dire, une rare empathie entre cette bande de musiciens généreux et le public de l’auditorium du Musée d’Orsay où faisaient le plein les expos-phares Rosa Bonheur et Edward Munch : elle sont aussi à ne pas rater mais attention, mieux vaut s’inscrire avant…

Philippe du Vignal

Spectacle vu le 14 janvier au Musée d’Orsay, Paris (VII ème).

Les 23 et 24 janvier, Théâtre municipal de Colmar et les 25 et 26 janvier,  salle du Rive Rhin-Village Neuf (Haut-Rhin).
Weepers Circus Maison des associations 1 Place des Orphelins, 67 000 Strasbourg.
 

 

Pénélope, chorégraphie de Jean Claude Gallotta

Pénélope chorégraphie de Jean Claude Gallotta

 Après le mémorable Ulysse, repris cette saison, le chorégraphe délaisse son héros pour suivre son épouse, partie elle aussi à l’aventure, loin des prétendants et de son tapisserie jamais achevée. Un Homère revu par une Pénélope d’aujourd’hui, avec cinq danseuses, face à cinq partenaires masculins. «En passant d’Ulysse à Pénélope, dit Jean-Claude Gallotta, on change de couleur, du blanc au noir, peut-être plus conforme à l’univers de Pénélope recluse dans son palais et à des temps moins «espérants» qu’Ulysse à sa création en 1981. »

8RsCf-bQLes ingénieux costumes noirs de Chiraz Sedouga se composent et se décomposent au fil de ce ballet, une épopée articulée en quatre parties. A l’acte I, les prétendants se font éconduire par des Pénélope évasives. A l’acte II : Les Guerrières, elles passeront fièrement à l’offensive en rangs serrés, avec une danse résolue. Au grand dam des hommes qui, inversant les rôles à l’acte III ( Les Indociles) les entreprennent avec des solos séducteurs. Enfin, à l’acte IV (Les Réconciliés), les dix interprètes sont à armes égales. Costumes et figures dansées scellent une équivalence unisexe, sans renoncement à la sensualité …

 On retrouve ici, la pure énergie des élans et échanges charnels de Jean-Claude Gallotta, son insolence juvénile. Seule la danse exprime les étapes de l’épopée « pénélopienne», et les transgressions de genre, avec des musiques signées Noémi Boutin, Antoine Strippoli et Sophie Martel, particulières à chaque séquence. Grinçantes ou harmonieuses, c’est selon. Et les mouvements convergent ou divergent, entre symétrie et dissymétrie. Les styles se brouillent, les pas de deux se muent en trios ou quatuors, pour se fondre en quelques scènes chorales.

 Un texte explicatif (trop) ponctue cette épopée au féminin-masculin: «C’était quand même une histoire d’amour (…) Danser une histoire d’amour qui n’en finit pas (…) Bien que d’autres questions soient venues, celles du temps présent…» En hommage à la danse, projetées entre les actes, les images d’un pas de deux apaisé dans un grand studio désert, avec Béatrice Warrand, interprète de Jean-Claude Gallotta depuis les années 1990 et le danseur centenaire George Macbriar. Doubles âgés, mais toujours en mouvement, de ces Ulysse et  Pénélope. 

Ici, la danse est au rendez-vous, vitale pour le chorégraphe: «Il m’est de plus en plus nécessaire de faire valoir toutes les énergies que les interprètes m’apportent. Ils m’aident à montrer que la vie s’obstine.» Axelle André, Naïs Arlaud, Alice Botelho, Ibrahim Guétissi, Fuxi Li, Bernardita Moya Alcalde, Clara Protar, Jérémy Silvetti, Gaetano Vaccaro, Thierry Verger sont à la hauteur de ses exigences, au service d’un art joyeux si nécessaire en ces temps moroses.

«Le pouvoir, écrit Gilles Deleuze, exige des corps tristes, parce qu’il peut les dominer.» Jean-Claude Gallotta acquiesce: «La danse est une expression libre du corps qu’aucun pouvoir ne peut contrôler. C’est un art spontanément rebelle. Il faut le tenir à l’œil. » Ne manquez pas cette heure et quart de plaisir, chaleureusement saluée par le public

 Mireille Davidovici

 Jusqu’au 22 janvier, Théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue Franklin-Roosevelt, Paris Vlllème. T. : 01 44 95 98 21.

10 février, Théâtre de Caen (Calvados) ; 22 février, Théâtre d’Esch-sur-Alzette (Luxembourg) ; 16 mars, Scène nationale de Dieppe (Seine-Maritime) ; 21 et 22 mars, MC2, Grenoble (Isère ); et les 16 et 17 mai, Scène nationale du Havre (Seine Maritime).

 

Derrière le Hublot, se cache parfois du linge, par la compagnie Les Filles de Simone

Derrière le Hublot, se cache parfois du linge, par la compagnie Les Filles de Simone

Attention, nommer sa compagnie Les Filles de Simone, c’est tout un programme, ça ne rigole pas. Enfin, si :  nous rions beaucoup avec Claire Fretel, la capitaine-metteuse en scène de cette barque, Tiphaine Gentilleau, comédienne et plume du trio et Chloé Olivères, comédienne. Comme ses amies, elle est chercheuse et trouveuse d’idées justes, percutantes. Elles triomphent, entre autres, avec Les Secrets d’un gainage efficace, et C’est (un peu) compliqué d’être l’origine du monde.
La question n’est pas: qu’est-ce qu’être femme? Mais: mère, corps parfait, princesse, performante et autres situations et injonctions faites aux femmes. Cette fois, ce sera la grande question, avec tout ce que l’on sait aujourd’hui de la famille, des hommes et des femmes, comment faire exister l’amour et pourquoi, mais pourquoi diable, se mettre en couple hétéro-normé ?

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Suivant leur programme, ces filles ont cherché, lu, étudié, observé les liens compliqués entre femmes et hommes (respectons l’ordre alphabétique), en particulier dans leur propre couple ou non-couple. Elles ont invité l’acteur André Antébi (il a accepté) à faire l’expérience sur le plateau dans le rôle, sinon de tous les hommes, du moins d’un échantillon représentatif…
Et il le fait avec loyauté, talent et autant d’humour que ses consœurs. Tous les sociologues vous diront que la lessive est affaire de genre (féminin), mais pas que… La vie quotidienne est genrée et politique : l’homme qui fait la vaisselle ou la cuisine aide sa femme, c’est bien gentil. Mais l’aide-t-il, Lui, quand Elle effectue les mêmes tâches? Prenons une seconde pour y penser.

Ce que font en une heure et quart, les Filles de Simone, drôles à croquer et à craquer. Et d’abord elles -le féminin pluriel l’emporte sur le masculin quand on a en face de soi trois filles et un homme- commencent par la fin, par un débat (fictif et très bien joué) avec le public. Comme ça, c’est fait. Ensuite, on peut ramasser les chaussettes éparpillées et autres sources de conflits. Voir sur ce point La Petite philosophie de la chaussette de Jean-Claude Kaufmann. Mais les filles n’ont même pas besoin de sa caution, en observatrices aguerries.  Bonnes ouvrières en combinaison de travail mais avec des robes de princesse à portée de la main, elles explorent le couple sur toutes ses coutures, aux moments-clés de la vie à deux. Y compris dans un intermède hilarant de boulevard, institution vouée aux schémas répétitifs et réducteurs. Mais aussi pour un moment tendre, en quête d’une écoute vraiment mutuelle et du plaisir de chacun-e. (Enfin une occasion d’user de l’orthographe inclusive !)

La scénographie d’Emilie Roy est maniable, efficace et aussi riche d’humour que le texte et le jeu n’est pas anecdotique. Le travail des Filles de Simone est fait pour bouger, voyager, en particulier les petites formes qu’elles inventent et font circuler dans les lycées et autres lieux. Elles y rencontrent un large public qui a beaucoup à apprendre (comme nous tou-te-s) sur l’amour, le patriarcat et le capitalisme. Et nous aussi, nous avons aussi toujours à apprendre. Avec simplicité, sans se prendre pour la grande Simone de Beauvoir, lire quand même Le Deuxième sexe si ce n’est déjà fait, ou pour Virginie Despentes (King Kong Théorie), Mona Chollet, ou Christiane Rochefort (à redécouvrir)… Pas de bibliographie féministe exhaustive..
Mais elles ont trouvé leur style, efficace, sérieusement critique -ne pas laisser les mots dire n’importe quoi, il faut regarder ce qu’il y a en dessous- et elles touchent juste. De quoi rions-nous? De nous y reconnaître, femme ou homme. De l’innocence des garçons pour qui la domination masculine n’est pas encore « désinvisibilisée », de toutes les fois où, par petites touches, elles tapent juste sur ce que nous vivons. Voilà un spectacle sérieux mais sans drame, drôle, léger et non futile. Bref, ces quatre filles sont épatantes (le féminin l’emporte, voir plus haut).

Christine Friedel

Jusqu’au 17 janvier, Le Montfort, 106 rue Brancion, Paris (XV ème). T. : 01 56 08 33 88.

Les 7 et 8 mars,Théâtre de Sartrouville-Centre Dramatique (Yvelines) ; le 11 mars, L’ECAM, Le Kremlin-Bicêtre (Seine-et-Marne), le 14 mars, Le Rexy, Riom (Puy-de-Dôme) ; le 16 mars, Maison du Théâtre d’Amiens (Somme) ; le 23 mars, La Garance-Scène Nationale de Cavaillon (Vaucluse) ; le 24 mars, Le Forum Jacques Prévert, Carros (Alpes-Maritimes) ; le 25 mars Théâtre de l’Olivier, Istres (Bouches-du-Rhône) ; le 28 mars, Théâtre du Vésinet (Yvelines) et le 30 mars, L’Orange bleue, Eaubonne (Val-d’Oise)

Le 3 mai, Le Piano’cktail, Bouguenais (Loire-Atlantique) et du 23 au 25 mai, Théâtre de la Manufacture-C.D.N. de Nancy (Meurthe-et-Moselle).

En juillet, au festival off d’Avignon.

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