En attendant Godot de Samuel Beckett, mise en scène d’Alain Françon

En attendant Godot de Samuel Beckett, mise en scène d’Alain Françon

EnAttendantGodot©JeanLouisFernandez 005

© Jean-Louis Fernandez

L’arbre mort est là, le rocher aussi, devant un ciel de nuages en camaïeu de gris, qui s’obscurcira au crépuscule, et où montera une lune blafarde, avant que l’aube ne revienne, marquant la succession de jours et de nuits semblables. En place pour l’entrée de Vladimir et Estragon: Gilles Privat et André Marcon…. Ce duo admirable dans leur éternelle attente de Godot nous tiendra en haleine pendant une heure trois quarts. La sobriété est au rendez-vous et nous entendons avec une oreille nouvelle ce chef-d’œuvre inaltérable.

 Qui pouvait prédire ensuite le succès mondial de cette pièce, quand elle a été créée par Roger Blin il y a exactement soixante-dix ans en janvier 52, au Théâtre de Babylone, une petite salle au fond d’une cour 38 boulevard Raspail à Paris, et aujourd’hui disparue… Boudé par le public, dénigré par une partie de la critiquen En attendant Godot devint pourtant ensuite l’un des grands succès du théâtre d’après-guerre, grâce auquel Samuel Beckett fut reconnu.  En France, la pièce qui n’est pas souvent jouée, demande des acteurs exceptionnels, capables de tenir sur la longueur et de faire passer quelques tunnels. Et Samuel Beckett tenait et à juste titre, à ce qu’on respecte ses didascalies draconiennes. Une des récentes mises en scène que nous ayons vue, celle de Jean-Lambert wild (voir Le Théâtre du Blog) était remarquable. Celle d’Alain Françon, dans un tout autre style, nous ravit et nous touche.

André Marcon est un Estragon un peu revêche et renfermé. Gilles Privat, grand dadais face à son partenaire plus massif, incarne un Vladimir bonhomme et extraverti, attentif à son compagnon, lui rafraîchissant une mémoire et une notion du temps et de l’espace qui fichent le camp… Les acteurs infusent une tendresse de vieux couple à Gogo et Didi, inséparables et enchaînés l’un à l’autre malgré leurs velléités de se séparer, rivés à ce coin de terre et attendant un Godot, sauveur hypothétique.

Et pour passer un temps qui n’en finit pas d’être pareil et pour tromper l’ennui, ils s’inventent des disputes et actions absurdes. Ils échangent leurs répliques, banales ou très pessimistes, avec naturel, sans jamais forcer le trait. L’arrivée inopinée du duo maudit : Lucky, un pauvre hère tenu en laisse et martyrisé par Pozzo, leur fournit une distraction bienvenue : « Les deux autres qui passent vers la fin de chacun des deux actes, ça doit être pour rompre la monotonie » dit Samuel Beckett. Mais la scène devient vite insupportable: Didi s’insurge contre les mauvais traitements infligés par ce soit-disant propriétaire terrien à son esclave volontaire. Gogo, lui, est prêt à tout pour récupérer auprès de Pozzo, des os à ronger, d’habitude réservés à Lucky.

Dans ce deuxième couple, Philippe Duquesne est un rustre rubicond et grossier, face à un frêle Éric Berger tout tremblotant sous le poids de la valise, du pliant et du panier qu’il tient au bout de bras interminables. On retiendra surtout ce moment où, en guise de pensées, il se met à débiter son étonnant monologue. Un morceau de bravoure dont il rend ici toute la saveur parodique. Le metteur en scène cale avec une précision d’horloger les déplacements des acteurs et le maniement des quelques objets : chaussures, chapeaux, corde.. en cohérence avec le texte, ce qui éclaire certaines répliques. Les acteurs, toujours en tension, nous font entendre sans artifice les fulgurances d’un texte farci de jeux de mots, formules à l’emporte-pièce, chansonnettes, mais aussi de propos les plus noirs. Alain Françon joue de cet équilibre subtil entre tragique et burlesque: Samuel Beckett puise chez les comiques américains, en particulier Buster Keaton, ou Laurel et Hardy. On rit mais on perçoit, en filigrane, de constantes allusions aux atrocités de la guerre que Samuel Beckett vécut comme résistant. Réfugié dans le Midi, il y fut ouvrier agricole : Vladimir parle des vendanges en Vaucluse et d’un bain forcé dans la Durance. On pense aussi aux camps nazis: « Sans moi, tu ne serais plus qu’un petit tas d’os à l’heure qu’il est. » dit Vladimir à un Estragon toujours à crier famine. La mort rode mais, faute de corde pour se pendre à l’arbre maigrichon, la vie continue…

 «Les Pensées de Pascal jouées par les Fratellini» avait  écrit Jean Anouilh dans Le Figaro. Cet humour ravageur et cette vision du monde en clair-obscur, magnifiquement rendus par une mise en scène limpide, nous renvoient à notre propre actualité, comme un éternel retour du même. Et nous resterons sur l’image émouvante d’un n ième lever de lune à l’horizon de nos clochards célestes… Alain Françon et son équipe s’adressent à notre sensibilité comme le suggérait Samuel Beckett dans une lettre à Michel Polac, en janvier 1952: « Que dire de cette galerie d’êtres aux existences inquiètes, sinon que nos cœurs se serrent pareillement à la vérité de leurs conversations, entre rires et larmes, empoignés au col par la surface de leur(s) humanité(s). » Un spectacle à ne pas manquer.

 Mireille Davidovici

Jusqu’au 8 avril, La Scala, 3, boulevard de Strasbourg, Paris (X ème). T. : 01 40 03 44 30.

 

DAROU L ISLAM |
ENSEMBLE ET DROIT |
Faut-il considérer internet... |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Le blogue a Voliere
| Cévennes : Chantiers 2013
| Centenaire de l'Ecole Privé...