Je suis un Oiseau de nuit, d’après Ida ou le délire d’Hélène Bessette, adaptation et mise en scène de Laurent Michelin
Je suis un Oiseau de nuit, d’après Ida ou le délired’Hélène Bessette, adaptation et mise en scène de Laurent Michelin
L’autrice (1918-2000) est aujourd’hui injustement oubliée mais elle a publié chez Gallimard, entre 1953 et 1973, treize romans et écrit quelques autres qui ne seront pas publiés.Et une pièce moins intéressante dans la collection Le Manteau d’Arlequin et jamais jouée à notre connaissance. Hélène Bessette était admirée et soutenue par, excusez du peu, par Marguerite Duras, Nathalie Sarraute, Jean Dubuffet, André Malraux et Raymond Queneau: «Un des auteurs les plus originaux de ce temps. » que lui avait signalé Michel Leiris.
Institutrice pendant de longues années, mais en rupture avec le Ministère de l’Education nationale comme avec les parents d’élèves, elle fera des petits boulots, sera femme de ménage mais finira sa vie dans la misère, d’abord à Niort puis à Nantes Refusant tout contact, elle mourra oubliée.Certains de ses romans ont été réédités par Léon Scheer en 2006. Et depuis, par Le nouvel Attila qui veut publier l’intégralité de son œuvre. Il y a cinq ans, un colloque lui avait été consacré à Cerisy.
Ida ou le délire est un ovni littéraire ainsi résumé par son autrice comme « Roman sans paysage/ Roman à la première/ Et à la dernière personne/Roman réduit sa plus simple expression/ Un personnage/Les autres diminués. » Bien vu. Et chez elle comme l’a écrit Gilles Aufray : « La langue est un matériau, un bloc auquel il faut s’attaquer. Pour y trouver son chemin et sa voix, il faut enlever, enlever pour (se) révéler. C’est un combat, se battre avec, tous les jours, corps à corps, avec passion, jusqu’à son dernier souffle.»
Un accident ? Mais Ida reste la propriété de Madame Besson: c’est sa domestique, même si elle est partie d’un seul coup. Ses employeurs s’interrogent sur cette confusion entre rêve et réalité qui pourrait être une maladie mentale…Un texte où tout devient de plus en plus flou. Est-elle vraiment Ida, ou Madame ? Rien de facile dans cette narration qui n’en est pas une, et très proche d’un long poème avec changements de rythme permanents et en filigrane, un profond désespoir. Sur un petit plateau noir, un fauteuil où est assise derrière un tulle noir une actrice portant un masque, réplique exacte du visage d’une autre actrice et elle viendra aussi s’asseoir par moments sur son fauteuil. Là se jouera l’essentiel de ce qu’on peut quand même appeler une action, avec jeux de jambes et de bras et surtout un récit d’un texte dit au cordeau relatant la vie d’une domestique ignorée par ses patrons et qui mourra renversée par un camion. Ida ou le délire est le dernier roman de l’autrice publié de son vivant, il y a juste cinquante ans dans une langue acérée et qui peut intéresser plus d’un metteur en scène. « Il faut le dire. Ida ne supporte pas la bienveillance. Alors, elle se tait. Tout au plus elle rit. Pour masquer la colère montante. La grande colère. Et ce n’est pas la moindre des colères. (Ou : la moindre des douleurs, la moindres des folies.) Que la politesse du rire peut seule dissimuler. Ce jour-là sans bienveillance sans enfance Les paupières par avance baissées. Eh bien non personne ne sait comment c’est arrivé. Personne n’était là. Sans témoin. »
Laurent Michelin a pratiqué quelques coupes et a mis en scène cette adaptation : » Si comme on le dit les yeux sont le miroir de l’âme, qui est Ida ?L’adaptation du roman est à la croisée de la poésie et du théâtre. Le rythme imposé par l’écriture d’Hélène Bessette est au service de cette lutte des classes, les ex-employeurs s’ingénient à montrer leurs supériorités par rapport à la morte.» Laurent Michelin a dirigé ses actrices avec un soin extrême: Christine Koetzel et Marion Vedrenne font sonner le texte avec une diction précise qui n’exclut en rien une belle intelligence du texte et une grande sensibilité aux mots d’Hélène Bessette. Le spectacle, créé dans cette petite salle très silencieuse du vieux Nancy, n’est sans doute pas «tout public» comme on dit, mais le théâtre contemporain a besoin de ce genre d’expériences.
Je suis un oiseau de nuit viendra ensuite au Théâtre de l’Epée de Bois et ce sera l’occasion de découvrir l’écriture singulière de celle qui disait à la fin de sa vie : « Je serai reconnue dans vingt ans.
Philippe du Vignal
Spectacle vu le 1er février au L.E.M., à Nancy (Meurthe-et-Moselle)
Le 9 février, Maison d’Elsa, Jarny (Meurthe-et-Moselle )
Et du 20 au 30 avril,Théâtre de l’Epée de bois, Cartoucherie de Vincennes. Métro : Château de Vincennes+ navette gratuite.
Le texte est édité chez Le nouvel Attila.