Festival Les Singuliers (septième édition) Berlin d’Yves Degryse, The Making of Berlin

Festival Les Singuliers (septième édition)

Berlin d’Yves Degryse, The Making of Berlin

Pendant un mois, dix-neuf créations de spectacles d’artistes associés au Cent-Quatre. La plupart du temps, à la frontière du théâtre, de la danse, du cirque, de la musique, de la vidéo et du cinéma documentaire. Ici, cela se passe donc à Berlin; on en reconnait l’architecture industrielle, avec de remarquables images tournées par un drone. Ames sensibles s’abstenir : on est à la place de l’engin qui filme des gros plans et cela donne le vertige mais cela ne dure pas….

Entre récits, fiction avec personnages et vidéos documentaires et quelques personnages sur scène mais dans l’ombre, le collectif Berlin clôt sa série Holocène avec cette pièce-filmPlus que troublante et plus que fascinante avec une singulière maîtrise de la réalisation et une direction d’acteurs comme on en voit rarement. Ce spectacle est le dernier volet du cycle Holocène: le groupe Berlin créé en 2003, avait fait des portraits de villes. Il avait déjà présenté Souviens-toi des dragons  en 2018 et True Copy, l’année suivante au Cent-Quatre dont il est artiste associé. Avec ici toujours, les rapports sans fin entre vrai et faux au théâtre et dans la vie.

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    A l’origine, les artistes du groupe Berlin avaient rencontré un homme âgé qui avait beaucoup de choses à dire. C’est du moins ce qu’il prétend en toute humilité. En 44, il était soi-disant régisseur à l’Orchestre Philharmonique de Berlin qui avait tenu à jouer Le Crépuscule des dieux de Richard Wagner, alors que la ville subissait des bombardements permanents. Une historienne de l’équipe vérifiera; il y avait bien un employé de ce nom à l’époque… Donc pourquoi pas? groupe Berlin s’est associé à l’Opera Ballet Vlaanderen et à la chaîne de radio Klara pour reconstituer le moment d’une vie. La parole du vieil homme est tout à fait crédible, puisqu’on ne sait jamais son âge ! Mais le calcul est vite fait: il avait environ vingt ans en 44 et est donc né en 24. Il aurait donc maintenant quatre-vingt dix neuf ans… Mais Yves Degryse est un artiste assez expérimenté pour nous embarquer dans cette histoire de production aux nombreux partenaires, comme l’avait récemment sous une forme plus modeste mais avec succès, Ahmed Madhani (voir Le Théâtre du Blog).

    Un bureau avec une grande table -cahiers, papiers, café, petits gâteaux dans une belle pièce bien éclairée, le réalisateur et son équipe : technique, recherche, régie des espaces, etc.. mettent toute leur énergie pour mener jusqu’au bout ce projet difficile. Et malgré les difficultés habituelles d’un tournage, tout semble dans l’axe. Oui… mais après de longues recherches sur des documents d’archives, catastrophe: une historienne lui fait part de ses doutes quant au récit du vieil homme. Et le réalisateur doit annoncer la mauvaise nouvelle à son équipe. Il va leur expliquer que si le récit est tout à fait plausible, malheureusement, les faits sont têtus et le diable se niche toujours dans les détails. Comment expliquer qu’au moment de ce fameux concert dont les interprètes sont répartis en six endroits de la ville dont des bunkers, la maison où certains étaient censés jouer était déjà en ruines ! Autre anomalie: comment des timbales pouvaient-elles passer par la porte et les fenêtres étroites d’une autre maison. Après de longues discussions de l’équipe, vu les moyens et les partenariats déjà engagés, la décision est prise: ce documentaire se fera, quoiqu’il en coûte, selon la pauvre expression de Macron, et tous se remettront au travail. Mais il y a tout de suite comme un goût d’avant et un d’après, après tout un travail et des illusions perdues. Nous sommes vraiment  là dans cette pièce avec eux filmé en plans rapprochés.
    Et  l’orchestre jouera comme prévu mais par groupes de musiciens répartis par instruments (vents, cordes, percussions…) dans des bunkers reconstitués au sous-sol de grands théâtres. Encore le faux et le vrai, le décor et la réalité, avec ces interprètes qui sont bien là devant nous. Non pas dirigés avec des signaux lumineux envoyés par le chef d’orchestre comme prévu en 44, mais avec les moyens actuels. Enfin c’est ce que dit la narration…Et nous aurons le plaisir de les voir sur six écrans interpréter La Mort de Siegfried pendant une dizaine de minutes. C’est un des merveilleux nombreux moments comme celui où le vieil homme se justifie tant bien que mal dans une entretien avec le réalisateur. Et il finira par avouer que son récit était faux… Enfin, pas tant que cela, selon lui ! Et il a cette parole fabuleuse : « Cela n’a pas existé mais c’est vrai ! » Soit ici une mise en abyme parfaitement réussie et le tricotage d’un spectacle-film, toujours entre réalité et fiction, entre présent dominant (encore que ?) et passé douloureux historique. Bref, toute notre vie, nous sommes condamnés jour après jour à tisser tant bien que mal- et plutôt mal que bien- »ce présent gros de l’avenir, comme disait Leibniz, et ce futur qui pourrait se lire dans le passé. »
    Et le groupe Berlin s’est fait une spécialité de raconter des histoires vraies, même s’il faut les inventer. Et on sent une véritable passion chez ces artistes pour essayer de dire les rapports entre le vrai et le faux au quotidien mais aussi sur un plateau de théâtre qui est en l’occurrence celui d’un film en train de se faire. Soit pourrait-on dire une mise en abyme multipliée par trois avec un aller et retour permanent entre passé bien réel et présent tout aussi réel. Un thème qui a été beaucoup exploité mais très rarement avec cette maestria. Sur scène, une musicienne au cornet à pistons, le réalisateur aux manettes et sur écrans, des images d’une incroyable vérité comme dans un vrai documentaire.
    Et la guerre est bien là avec son cortège de destructions.Tout ici est d’une rare précision, et ce spectacle bénéficie d’une distribution exceptionnelle. Seul bémol, les belles images projetées sur écran écrasent le peu qui se passe sur cette scène. Mais sinon, après tant de spectacles médiocres et souvent prétentieux, quel bonheur de voir enfin une œuvre aussi magnifiquement conçue et jouée.

    Philippe du Vignal

    Spectacle vu le 4 février, au Cent-Quatre, 5 rue Curial, Paris (XIXème). T. :01 53 35 50 00.
    Le Festival Les Singuliers se poursuit jusqu’au 17 février.

     

 

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