Le Moment psychologique de Nicolas Doutey, mise en scène d’Alain Françon

Le Moment psychologique de Nicolas Doutey, mise en scène d’Alain Françon

 Rien de psychologique ou philosophique dans ce texte pour six acteurs qu’on pourrait qualifier d’atmosphérique, voire de… stratosphérique, tant il baigne dans le flou. Avec, selon l’auteur,  » la question du politique, plutôt sans doute du côté de l’utopie». Paul a donné rendez-vous chez lui à son ami Pierre quand un autre rendez-vous inattendu s’interpose, alors qu’ils en sont encore à échanger d’interminables politesses. Paul est pressenti par un groupe d’individus pour un projet totalement flou dont il va être question  près d’une heure et demi durant . Ces gens se disent intéressés par la manière dont Paul fait les choses. Mais on ne saura jamais ce qu’il fait au juste. Et le voilà embarqué, avec son ami comme témoin, dans une organisation mondiale pour «réformer la portée et l’endroit du politique, c’est à dire la vie collective » et «changer de climat».

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© Christophe Raynaud de Lage

 «Le point de départ du Moment psychologique, dit Nicolas Doutey, est non pas de raconter une histoire, mais de proposer une expérience (…) au niveau du spectateur assis à regarder et à écouter des gens qui agissent et parlent. »

Alain Françon et son équipe se sont emparés de cette pièce énigmatique dans un dispositif scénique minimal et modulable délimitant l’espace de chaque scène. Louis Albertosi, Pauline Belle, Rodolphe Congé, Pierre-Félix Gravière, Dominique Valadié et Claire Wauthion réussissent à capter notre attention et à nous faire sourire de cette situation étrange, entre Franz Kafka et Nathalie Sarraute. Ils nous adressent ce flot verbal en direct, sans “composer“.

Le metteur en scène nous livre, de manière simple et brute, ce texte insaisissable: la dramaturgie progresse et change de direction inopinément… Ce Moment psychologique nous cueille au présent de l’écriture avec jeux sur le langage administratif, langue de bois des politiques, dérapages et fausses pistes… Reste au public à admettre le caractère expérimental de ce travail minutieux et à se laisser porter…

 Mireille Davidovici

 Jusqu’au 18 février, Théâtre Ouvert, 159 avenue Gambetta, Paris ( XX ème). T. : 01 42 55 74 40.

La pièce est publiée par Théâtre Ouvert/Tapuscrit.


Archive pour 9 février, 2023

Mes jambes, si vous saviez, quelle fumée…inspiré de l’œuvre photographique et de la vie de Pierre Molinier, mise en scène de Bruno Geslin

Mes jambes, si vous saviez, quelle fumée…inspiré de l’œuvre photographique et de la vie de Pierre Molinier, adaptation de Bruno Geslin et Pierre Maillet, d’après les entretiens de Pierre Chaveau avec Pierre Molinier, mise en scène de Bruno Geslin

© J.L.Martinez

Un beau titre issu d’une phrase du poète Henri Michaux et qui s’applique bien au travail de cet artiste bordelais (1900-1976), resté longtemps dans l’ombre. Ce peintre en bâtiment qui exerça ce métier pendant cinquante ans, avait une double vie et commença vers 1928- il y a donc  presque un siècle!- à faire de la peinture de chevalet ( paysages et ensuite portraits et tableaux érotiques, puis photo-montages où il se met en scène en travesti maquillé, avec guêpière, bas noirs et talons-aiguille, parfois augmentés d’un godemichet.

Il n’était pas quand même pas un inconnu  et repéré par André Malraux, a été  l’ami des surréalistes. Dont leur pape, André Breton qui appréciait beaucoup son œuvre mais moins une carte de vœux par lui jugée trop porno. En 1951, au Salon des Indépendants bordelais, Le Grand Combat, un tableau mi-abstrait mi-figuratif avec des corps eaux membres enlacés, jugé indécent sera présenté voilé! Mais voilà, l’avocat bordelais et homme politique Roland Dumas -cent et un ans aux prochaines prunes- l’acheta. Et Raymond Borde réalisa un court métrage sur lui en 1964. 

Pierre Molinier participa au premier festival de l’érotisme à Bordeaux en 66. Mais jamais au festival Sigma (1965-1990) compte-rendu dans Le Théâtre du Blog de la rétrospective qui connut un grand succès auprès des jeunes et moins jeunes Bordelais et qu’admira beaucoup Alain Juppé alors encore maire de la ville. Pourtant Roger Lafosse, homme de grande culture, très curieux et toujours à la pointe de l’avant-garde, fit venir de sombres inconnus que nous avons souvent découvert à Sigma comme, excusez du peu et citons en quelques-uns, histoire de lui rendre hommage :  le Living Theatre, Klaus Nomi en 81 (la première fois en France), le grand peintre islandais Erró, le fabuleux groupe de théâtre néerlandais Hauser Orkater, les musiciens et compositeurs Pink Floyd, Pierre Boulez, Phil Glass, Miles Davis, Keith Jarrett et Pierre Henry, les chorégraphes Carolyn Carlson, Lucinda Childs et Régine Chopinot. Mais aussi les grands Jérôme Savary et John Vaccaro chez lesquels il y avait aussi des travestis et des actrices pourtant très provocantes: elles aussi en porte-jarretelles et bas noirs… Tous ces spectacles furent en novembre chaque année, un immense cadeau pour les habitants de cette ville le plus souvent condamnés à l’époque à voir des spectacles parisiens de second ordre en tournée. Mais point de Pierre Molinier. Nous avons oublié de demander pourquoi à Roger Lafosse, et maintenant c’est trop tard.  

Cet artiste se suicida en 76 d’une balle dans la bouche: «Je me donne volontairement la mort et cela me fait bien rigoler.»Et il avait mis un mot sur sa porte :«Décédé, pour les clefs: s’adresser à Claude Fonsale, notaire ! Iconoclaste jusqu’au bout, le Molinier ! Avec son culte  de l’androgynie, du fétichisme et du travesti, fasciné par les sous-vêtements féminins à la limite d’un certain mysticisme: bas nylon, gaines ou guépières, talons aiguilles avec parfois godemichets. Bref, avec un érotisme à 360°, il réalisa nombre de photos-montages érotiques avec ses jambes à lui, poupées maquillées, etc…. Bien entendu, cet artiste, réputé pas facile d’accès et hors-normes, autodidacte et anarchiste, était hors circuits  et donc ignoré par les grands bourgeois collectionneurs bordelais qui n’hésitaient pourtant pas à s’encanailler et à aller dans ces maisons parfois signalées par une lumière rouge ou par un gros numéro, rue Sainte-Catherine ou sur les quais de la Garonne. Et tout à fait admises sous le règne de Jacques Chaban-Delmas, ancien ministre et premier ministre mais avant grand résistant nommé général à vingt-neuf ans par de Gaulle en 44  et  indéboulonnable maire de Bordeaux de 47 à 95.
Et de source sûre mais on le sait moins, Pierre Molinier, -même, ou à cause de- son parfum sulfureux, était invité et bien payé pour photographier certains ébats collectif de la «bonne» société très fermée de cette ville où il était impossible d’entrer si on n’était pas de la « famille » même si on était déjà bordelais. A Paris, les choses n’étaient pas aussi simples non plus et le peintre Alexandre Bonnier (1934-1992) lui aussi fasciné par l’œuvre de Pierre Molinier,  nous racontait avoir été invité il y a quelque quarante ans chez le proviseur d’un grand lycée réputé qui lui avait montré toute une collection de photos, lingerie et accessoires érotiques qui n’auraient pas déplu à l’artiste bordelais.

 

BB207F19-C31C-4392-94E4-F0D6AF123035Presque cinquante ans après sa mort, il est maintenant reconnu pour avoir anticipé les courants actuels déjà entrés dans l’histoire de l’art contemporain, comme les diverses formes de body-art ou d’art fétichiste, certaines performances, etc. Et ses photo-montages s’enlèvent à des prix très élevés; un beau petit dessin avec deux femmes nues en bas noirs faisant l’amour a été récemment adjugé à Bordeaux en salle des ventes à 1.500 €…

Bruno Geslin a toujours mis en scène des écrivains comme Joë Bousquet et Georges Perec, l’artiste Unika Zürn (voir Le Théâtre du Blog), reprend ce spectacle qu’il avait créé en 2004 dans ce même théâtre de la Bastille. Il a voulu traiter de la vie et de l’œuvre de ce peintre en bâtiment devenu artiste provocateur pour lequel le fantasme érotique essentiel  est d’être aussi une femme par le biais du travesti et de photos prises par lui. « Notre mission sur terre, disait-il, est de transformer le monde en un immense bordel», Maiscomment garder toute la charge encore provocatrice de ces photos , même si le travestissement fait encore peur!? Et il a travaillé avec Pierre Maillet qui, avec Elise Vigier et Jean-François Auguste, est aussi sur le plateau. Il s’est inspiré de la biographie Une Vie d’Enfer de  Pierre Petit et est tombé sur des enregistrement faits par Pierre Chaveau, de la voix de Pierre Molinier que nous entendrons au début et à la fin du spectacle. Quatre Pierre! qui roulent et amassent une belle mousse pour la recréation d’un espace scénique.  avec Pierre Elise Vigier et Jean-François Auguste lui servant de modèles…et un peu de faire-valoir. Ils font le boulot mais comme ils ont peu de texte, leur présence ne s’impose pas toujours : ils se déshabillent trop souvent derrière des paravents ou s’allongent sur une grande table noire avec miroir.

A la tout fin, on voit des images de la création de la pièce avec des corps qui ne sont pas tout à fait les mêmes: presque un quart de siècle a passé. Emouvant, ce décalage temporel et cette menace permanente de Thanatos sur Eros. Bruno Geslin dit bien tout l’univers fantasmatique de cet artiste à partir de ses textes, souvent inégaux. Un récit assez remarquable, avec une diction précise et un chaleureux  accent narbonnais. Mais la mise en scène n’est pas toujours à la hauteur, il y a des longueurs et comme souvent, la relation entre texte et  vidéos des beaux montages-photos de Pierre Molinier n’est pas toujours évidente. Et comme le dit Marie-José Mondzain: «L’écran n’est une scène. C’est le contraire d’une scène.» Et quand il faut arriver à «garder la communauté d’un spectacle »,avec un acteur sur le plateau mais  » la solitude de la vision » d’un écran, l’interaction entres ces écritures l’un de texte et l’autre d’images, devient alors un exercice ce haute voltige. Bref, une aventure images vidéo sur un plateau de théâtre comporte toujours des risques.  avec Malgré ces réserves, ce Mes Jambes si vous saviez quelle fumée, mérite d’être vu. Sinon, Bruno Geslin dit souhaiter le reprendre… en 2033. Donc une affaire à suivre…

Philippe du Vignal

 Jusqu’au 16 février, Théâtre de la Bastille, 76 rue de la Bastille, Paris (XI ème). T. : 01 43 57 42 14.

L’Empreinte-Scène Nationale Brive-Tulle (Corrèze), les 30 et 31 mars.

Théâtre Daniel Sorano-Scène conventionnée, Toulouse (Haute-Garonne), du 4 au 6 avril; L’Archipel, Scène nationale de Perpignan (Pyrénées-Orientales) les 11 et 12 avril. Théâtre des Treize Vents-Centre Dramatique National de Montpellier, du 18 au 31 avril .

 

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