23 Fragments de ces derniers jours, circographie de Maroussia Diaz-Verbèke

 23 Fragments de ces derniers jours, circographie de Maroussia Diaz-Verbèke

© Maira Moraes

Maira Moraes © João Saenge

Metteuse en scène et acrobate sur corde, dans son solo en forme de manifeste, Circus Remix en 2017, elle revendiquait déjà le cirque comme un langage en soi, en se baptisant «circographe ». Nous avons découvert son travail avec FIQ ! (Réveille toi !) au dernier festival d’Alba (voir Le Théâtre du blog) avec le Groupe Acrobatique de Tanger. Un spectacle brillant créé en même temps qu’elle montait, au Brésil, ce projet avec trois femmes artistes d’Instrumento de Ver, un collectif de Brasilia, et avec trois danseurs de Rio, Recife et Salvador de Bahia.

Avec l’arrivée de Jair Bolsonaro au pouvoir, les initiatives culturelles ont été à l’arrêt mais Maroussia Diaz Verbèke va réaliser 23 Fragments de ces derniers jours en France, en y invitant des artistes. La casse sociale et environnementale infligée au Brésil pendant les années Bolsonaro ((2019-2022) traverse donc, jusqu’à son titre, ce spectacle. En forme de journal de bord, il présente « souvenirs, problèmes ou pensées »  éclatés en fragments pour «  rassembler le puzzle et ne pas oublier ce carnaval de cristal ». Un foisonnement de numéros livrés dans le désordre et à géométrie variable.

 Sur une musique de carnaval, les artistes investissent la scène, chargés d’objets disparates : jouets, bouteilles, tabourets, branches de céleri, parapluie de taille diverse, cafards, ballons gonflables, ampoules électriques, bougies… Entassés autour du plateau circulaire, ils serviront d’accessoires pour des fragments successifs, annoncés au micro, en brésilien et en français, par titre ou date, et parfois commentés. Un travail de bruitage accompagne les numéros enchaînés au rythme trépidant de la bande sonore réalisée   Loïc Diaz Ronda et Cícero Fraga. Difficile d’énumérer ces  morceaux, (devenus trente-six!),  interrompus par des saynètes clownesques de rencontres ratées…

23 Fragments de ces derniers jours, circographie de Maroussia Diaz-Verbèke dans actualites julia-henning

Julia Henning © ©João Saenge

 D’innombrables bouteilles à usage multiple jalonnent ce « carnaval de cristal », et nous offre grâce à des éclairages rasants, une transparence lumineuse et une fragilité. L’acrobate Julia Henning marche dessus, en équilibre, ou s’y accroche, suspendue à un filin. Brisées au marteau, ces carafes deviennent un tapis coupant où évolue, pieds nus, Maïra Moraes, aussi naturellement qu’elle foule un amas de legos ou de véritables cafards… Béatrice Martins, acrobate et ancienne gymnaste de l’équipe nationale du Brésil, danse et se contorsionne. Il y a aussi les trois garçons de la bande. André Oliveira Db et ses brillantes démonstrations de passinho carioca, mâtinées de danses urbaines afro-brésiliennes. Lucas Cabral Maciel, souple et puissant dans ses parodies de danses populaires ou des tours de magie. Marco Motta, lui, danse capoeira et break dance (b-boying) aussi bien qu’il se contorsionne au bout de sangles…

 Pas de démonstration spectaculaire, ici on ne fait pas étal d’exploits mais, avec des agrès de fortune, ces artistes virtuoses manient sans en avoir l’air, humour, sarcasme et poésie. Maroussia Diaz Verbèke signe ici une œuvre à son image et tisse avec ses interprètes une réjouissante fresque brésilienne. Parfois un peu bavarde mais profondément politique, renouant avec les débuts méconnus du cirque qui, interdit de répertoire, s’inspirait de l’actualité. Avec sa compagnie, le Troisième cirque, elle prépare actuellement Circus Remake (inspiré de Circus Remix) avec deux interprètes féminines. Une circographe à suivre.

 Mireille Davidovici

Jusqu’au 18 février, Le Monfort, 106 Rue Brancion, Paris (XV ème) T. 01 56 08 33 88

Le 2 mars, Cirque Jules Verne, Amiens (Somme).

Du 3 au 21 juin CoOp, Maison des Métallos, Paris (XI ème). 

Du 9 au 19 août, Festival Multi-pistes, Le Sirque, Nexon (Haute-Vienne).


Archive pour 10 février, 2023

L’envahissement de l’être (Danser avec Duras), conception, chorégraphie et interprétation de Thomas Lebrun

Festival de danse Faits d’hiver

L’Envahissement de l’être (Danser avec Duras), conception, chorégraphie et interprétation de Thomas Lebrun

© F. Lovino

© F. Lovino

Un danseur irrésistible surtout à la fin quand il est une Marguerite Duras vieillissante : assis sur un fauteuil club, silhouette massive, perruque grise bouclée, en petit gilet et jupe droite. Un verre de whisky sur un guéridon, il nous fait revivre un des derniers entretiens avec la célèbre autrice.
Soixante-dix minutes de nostalgie, avec d’abord le générique d’Apostrophes  -une émission en direct d’Antenne 2 chaque vendredi soir entre 1975 et 1990- et la voix de Bernard Pivot accueillant Marguerite Duras pour la sortie de L’Amant. Thomas Lebrun évoque avec délicatesse et respect quelques moments de la vie de cette féministe militante. Entre autres, son enfance à Saïgon et «sa honte d’être pauvre chez les blancs ». Avec un esprit déjà rebelle : «À douze ans, j’ai vu l’injustice, à seize ans, je l’ai jugée. »

Coiffé d’une perruque japonaise et habillé d’un yukata, Thomas Lebrun/ Marguerite Duras évoque son fou rire incontrôlable devant un ennuyeux spectacle de nô. «Tu me tues. Tu me fais du bien. Déforme-moi jusqu’à la laideur. »Et nous entendons la bouleversante Emmanuelle Riva dans Hiroshima, mon amour d’Alain Resnais, scénario de Marguerite Duras. Puis la voix de Jeanne Moreau. Voir Thomas Lebrun danser sur ces paroles remplit de bonheur le public. Ces voix nous ont marqués et résonnent toujours en nous. Et les réflexions de Marguerite Duras restent d’une belle modernité : «Même la guerre est quotidienne.» Ou  « C’est une merveille d’ignorer l’avenir. » L’humour et la légèreté accompagnent aussi cette belle évocation d’une femme qui a fini par ressembler à son personnage. Thomas Lebrun nous donne envie de relire Marguerite Duras.
Un spectacle à voir absolument!

 Jean Couturier

Jusqu’au 12 février, Micadanses, 20 rue Geoffroy-l’Asnier, Paris (lV ème). T.: 01 71 60 67 93.

La Famille s’agrandit, de et par Marie Desgranges et Marie Dompnier

La Famille s’agrandit, de et par Marie Desgranges et Marie Dompnier

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©Bohumil-Kostorhryz

Quid de la famille à l’heure du mariage pour tous, de l’A.M.P. (assistance médicale à la procréation) et  de la G.P.A. (gestation pour autrui) ?  Ces actrices aguerries, qu’on a souvent vues au théâtre et au cinéma,  s’amusent à partager avec nous, pendant une petite heure, ces questions dans l’air du temps mais souvent sujets à controverse…

Ici, aucun tabou,  Josie, mère homosexuelle (Marie Dompnier) témoigne de son combat pour faire un enfant avec sa femme.  Marie (Marie Desgranges), mère hétérosexuelle d’une tribu recomposée qui a grandi dans les conflits et a vécu des séparations successives, s’inquiète de reproduire le  «modèle toxique » d’une famille classique. Elle a eu six enfants avec des pères différents…

En dialogue permanent, Josie et Marie retracent les épisodes de leurs parcours croisés et jouent aussi alternativement les personnages cocasses qui ont jalonné leurs routes respectives : une tante homosexuelle féministe historique, un médecin bourru, un ami qui refuse de donner son sperme, un praticien de l’A.M.P. en Belgique puisque cette intervention ainsi que le F.I.V. (fécondation in vitro) est illégale en France pour les couples homo-parentaux…  Il leur suffit de moduler leur voix pour les recréer. Avec une moustache pour figurer la gent masculine, des lunettes pour faire entendre Françoise Héritier interviewée dans sa cuisine…. Cette anthropologue jettera une lumière consensuelle sur leurs questionnements en dédramatisant les polémiques actuelles à propos du sexe et du genre… Il y a aussi des moments musicaux; dont une berceuse, particulièrement tendre: Marie Desgranges a été la chanteuse du groupe Marie et les Machines et a écrit des chansons, notamment pour Dans la forêt lointaine de Gérard Watkins.

Les paroles décomplexées de ces deux Marie sont bonnes à entendre mais une écriture à l’emporte-pièce laisse à désirer et quelques lourdeurs de jeu gâchent la légèreté de La Famille s’agrandit . Conçue pour être jouée partout, le spectacle  qui  s’inscrirait dans la lignée du café-théâtre, tient par le jeu engagé de ses autrices et interprètes  et grâce à leur rapport direct avec le public.

Mireille Davidovici

Jusqu’au 27 février, Théâtre de Belleville 16 passage Piver, Paris (XI ème) T. : 01 48 06 72 34.

Du 7 au 26 juillet, Le Train Bleu, Avignon. 19 h 30 

Oncle Vania d’Anton Tchekhov, texte français de Virginie Ferrere et Galin Stoev, mise en en scène de Galin Stoev

 

Oncle Vania d’Anton Tchekhov, texte français de Virginie Ferrere et Galin Stoev, mise en scène de Galin Stoev

Plus de verte campagne russe pour cet Oncle Vania, sinon quelques branches derrière une étroite porte vitrée. Cela  se passe dans un lieu indéterminé avec châssis de décor d’Ivanov récupérés par Alban Ho Van et placés à l’envers. Côté cour, un porte donnant sur une sorte de débarras avec étagères chargées de cartons et au milieu, deux marches faites de grandes planches, comme pour pallier un manque. Avec, au dessus, un vaste espace fermé par une grille vitrée en accordéon qu’on ouvrira et fermera à la moindre occasion mais sans le moindre rapport avec le texte. Seul, le devant de cette scène peu profonde sera constamment occupé par les acteurs le plus souvent en position frontale et au début, sagement alignés sur des chaises pliantes en plastique face public.Vous avez dit bizarre?

© liebig

© liebig

Seul le vieux Sérébriakov aura droit ensuite  à un transat. Il s’agit, vous l’aurez compris, de faire moderne, et au fond de cette avant-scène, il y a quand même un gros samovar cylindrique mais en inox, auprès duquel sommeille la vieille nounou ( Catherine Ferran).
Côté cour, une effet qu’on n’a jamais vu nulle part !!! un piano droit qui de temps en temps jouera avec ou sans interprète, c’est selon,…Et en retrait une batterie de douze gros projecteurs qui donneront des coups de lumière quand les voitures dont on entend le bruit des moteurs, s’en iront à la gare. (Alors que les personnages parlent des chevaux qui s’en vont!) Peut-être la fameuse quatre chevaux Renault ou la non moins fameuse deux chevaux Citroën ? Sans doute une distanciation à la Galin Stoev !
Il ne situe pourtant pas son Oncle Vania dans les année cinquante mais à une époque moderne, voire contemporaine, puisqu’il truffe le texte de quelques racoleurs: « ça marche », péter un câble, etc. Sans doute pour rendre un grand service à Tchekhov! et lui donner un coup de « djeun». Ce n’est pas être puriste mais très franchement on peut se demander ce que cela apporte. Au début apparait une poulette endormie que Vania tient dans ses bras et presque à la fin, (c’est dans les didascalies) deux autres qui ont subi un dressage comme l’indique le programme, se baladent comme pour mettre un peu de campagne, puisque toute la pièce se passe dans un domaine agricole…

Et il y aura une dizaine de mètres de papier kraft qui seront déroulés pour qu’Astrov, un double de ce Tchekhov précurseur en 1889 ! montre avec de la peinture -acrylique!- les effets pervers des abattages de forêts entières sur l’environnement en Russie. Bien entendu, ce papier qu’au parterre, on ne peut même pas voir, est jeté tous les soirs, on l’espère au moins dans une poubelle jaune? Galin Stoev utilise des châssis recyclés et c’est tout à son honneur mais  dépense inutilement des dizaines de mètres de papier kraft. Comprenne qui pourra mais il y a quand même ici beaucoup de choses approximatives… Et au théâtre il n’y a pas d’excuses, rappelle souvent et avec raison, notre amie Christine Friedel…

Sérébriakov, veuf, est un prof d’université à la retraite mais il se sent déjà vieux avec ses crises de goutte et ses petites pathologies dont il parle à tout le monde. Il s’est remarié avec une de ses belles étudiantes, laquelle ne semble pas vraiment heureuse d’être la possession de cet enseignant incompétent, méprisant et assez imbu de lui-même. Et qui se verrait bien finir ses jours servi par une armée de domestiques dans cet agréable domaine familial. Vania, fils de la première femme du professeure est lui, usé d’avoir trop travaillé avec Sonia sa nièce,  la fille du professeur et de sa première femme, pour que la ferme rapporte des bénéfices  .et que Sérébriakov puisse vivre correctement à Moscou.
Astrov, un médecin de campagne pas bien riche, est seul, écrasé par ses consultations dont il commence à avoir assez et il garde le remords d’opérations ratées. Follement amoureux d’Héléna qui fascine aussi Vania. Lequel les verra s’embrasser. Tout s’écroule alors pour le pauvre Vania qui n’avait pas besoin de cela. Une scène merveilleuse que tous les élèves de théâtre rêvent de jouer et sans doute une des rares un peu réussies de cette mise en scène. Héléna, très lucide, verra bien qu’il vaut mieux qu’elle parte vite, avant la tragédie qui s’annonce. Vania, exaspéré par ce Sérébriakov qui voudrait vendre la propriété, tirera mais sans l’atteindre.un coup de fusil sur lui qui repartira avec Héléna.

Quant à la pauvre Sonia, la fille de Sérébriakov, elle s’est usée aussi à tenir cette exploitation. Elle aime profondément Astrov mais il ne la regarde même pas : là aussi c’est sans espoir. Il y a ici autant d’échecs matériels mais surtout sentimentaux que de personnages.
Mais Galin Stoev a sérieusement coupé dans le texte et la distribution est disons, très inégale : bon, il y a heureusement le grand Andrzej Seweryn, très juste en Sérébriakov, cet homme âgé antipathique et que pas grand monde ne supporte. Cyril Gueï, ce comédien noir est tout fait crédible en Astrov et avec lui, l’excellente Suliane Brahim (Héléna) qui illumine le plateau mais on se demande bien pourquoi Galin Stoev l’a chaussée de cuissardes en vynil blanc… Pour la rendre très sexy? Et il y a aussi  aussi Caroline Chaniolleau qui campe avec talent Maria Vassilievna, la mère de la première femme de Sérébriakov. Mais Sébastien Eveno (Vania) semble jouer dans la nuance, n’est vraiment pas là et on l’entend très mal. Et cette mise en scène dans son ensemble souffre d’un manque d’unité malgré ces acteurs confirmés. Et bien entendu l’ensemble mlagré quelques bons moments fonctionne mal. Bref, nous avons connu Galin Stoev mieux inspiré notamment quand il monte Ivan Viripaev (voir Le Théâtre du Blog) et dans la mise à jour de grandes pièces comme La Double Inconstance.
Et cet Oncle Vania fait du sur-place pendant deux heures et demi sans vraiment de rythme. Que sauver de cette mise en scène qui a été frileusement applaudie? Peut-être quelques scènes entre Astrov et Héléna, et le texte bien sûr, quand on arrive à l’entendre… Mais pour le moment, Galin Stoev a raté son rendez-vous avec Vania et sa famille. Dommage!

Après la première, les choses ont dû s’arranger un peu mais nous sommes restés sur notre faim et nous souvenons entre autres de la mise en scène de Stéphane Braunscheig et avec nostalgie de cet Oncle Vania mise en scène en 2006 par Hervée de Lafond et Jacques Livchine et remarquablement jouée par les acteurs du Théâtre de l’Unité. Dans la prairie d’une ferme laitière à Porrentruy en Suisse, cela commençait en plein jour et finissait à la tombée de la nuit donc sans aucune lumière artificielle. On entendait les vaches mugir et au loin, un train siffler et des applaudissements à la sortie d’un mariage: tout cela du au pur hasard, mais si tchekhovien ! Et des cavaliers passaient dans l’herbe où, sur un réchaud, cuisait une grande marmite de soupe… Que le public était invité après la représentation à déguster avec Vania, Héléna, Sérébriakov et tous les autres personnages…
 Vous pouvez donc rester au chaud et relire ce texte sublime où à la fin, la gentille Sonia dit à son oncle comme pour l’apaiser : «Qu’y faire ! Nous devons vivre. Nous allons vivre, oncle Vania (…)  Tu n’as pas connu de joie dans ta vie mais patience, oncle Vania, nous nous reposerons ! Nous nous reposerons ! Nous nous reposerons… »

Philippe du Vignal

 Jusqu’au 26 février, Odéon-Théâtre de l’Europe, Place de l’Odéon, Paris (VI ème). T. : 01 44 85 40 73

Le GRRRRANIT- Scène nationale de Belfort, (Territoire de Belfort).

 

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